Éric Zemmour : un discours qui libère la parole extrémiste

Le polémiste, avant même d’être officiellement candidat, a reçu le soutien de la majorité des groupes d’ultra-droite et d’extrême droite, situés idéologiquement  au-delà du Rassemblement national. Qu’il n’ait pas sollicité ces appuis et qu’il vienne lui-même d’autres horizons que l’extrême droite (il se reconnaît dans le RPR des années 1980, celui qui en 1983 accepte l’alliance avec Jean-Pierre Stirbois chef de file du FN, aux municipales de Dreux) ne change rien au résultat : son profil identitaire et son hostilité foncière tant au multiculturalisme qu’à l’islam et à l’immigration en fait le candidat des plus radicaux.

L’origine de la candidature Zemmour 

Le premier signe des ambitions présidentielles du polémiste remonte à la création, en janvier 2021, d’un site Internet intitulé « Je signe avec Zemmour ». Selon l’enquête du quotidien Libération et de l’hebdomadaire L’Express, celui-ci émane de l’entourage du maire d’Orange, Jacques Bompard1Avec son directeur de la communication, l’ancien militant du Bloc identitaire Joseph-Marie Joly. et de manière plus large de la Ligue du Sud, le micro-mouvement qu’il a fondé en 2010. L’ancien député du Front national (1986-1988), qui rompit avec Jean-Marie Le Pen en 2005, est un acteur majeur de la « droite hors les murs » travaillant depuis la fin du quinquennat Sarkozy à la constitution d’une union qui rassemble ceux qui, au sein du FN/RN et de la droite conservatrice, acceptent de mettre fin à l’ostracisation du camp lepéniste. C’est aussi un adepte de la théorie du « grand remplacement », comme le montre la proposition de résolution européenne qu’il déposa en 2015 en tant que député à l’Assemblée nationale2Jacques Bompard ne fait pas référence au livre de Renaud Camus, Le Grand Remplacement. Introduction au remplacisme global (2011), mais cite celui de Jean Raspail, Le Camp des Saints (1973), plus orienté que le premier sur la résistance armée de la population française contre « l’envahisseur ».. On trouve, dans son exposé des motifs, deux thèmes majeurs de la campagne d’Éric Zemmour : celui de l’immigration-invasion et celui, conséquence du premier, de « l’immigration massive [qui] a abouti à une situation explosive et dangereuse pour la paix civile et l’avenir de la France ».

L’appui des milieux identitaires 

C’est donc à partir de ce noyau idéologique que s’est lancée l’incitation à une candidature du polémiste. Elle a donc naturellement reçu un accueil favorable dans les cercles identitaires pour qui l’assimilation des populations non européennes est impossible et qui, par ailleurs, se réjouissent de l’effet de libération de la parole et de la pensée produit par les déclarations du possible candidat. Philippe Milliau, également président de la web-télé TV Libertés, ancien cadre du GRECE et proche de Bruno Mégret au sein du FN, se serait engagé à titre personnel pour aider le candidat Zemmour dans l’ouest de la France3Voir Louis Hausalter, « “Zemmour va faire une campagne destroy” : son plan pour la présidentielle 2022 », Marianne, 9 septembre 2021.. Jean-Yves Le Gallou apporte l’appui de la Fondation Polémia, tout autant pour le programme du candidat sur l’immigration que par le refus partagé du « politiquement correct » et de la « dédiabolisation », sujets aussi importants que l’« ethnodifférentialisme4Voir Jean-Yves Le Gallou, « Zemmour versus Marine Le Pen : la diabolisation, s’y soumettre ou y faire face », Polémia, 6 octobre 2021. Voir également son livre Manuel de lutte contre la diabolisation, Paris, La Nouvelle Librairie, 2020. ».

Pour la partie de la Nouvelle Droite, dont on connaît l’importance qu’elle accorde, depuis la fondation du GRECE, à la « guerre culturelle », la candidature Zemmour n’est pas une fin en soi. C’est plutôt une étape, d’abord, d’une part, vers l’union des droites autour d’un RN dont le logiciel serait celui de Marion Maréchal5Qui a pris la parole au colloque de l’Institut Iliade, le 29 mai 2021, sur le thème : « Au-delà du marché, une économie au service des peuples 6»7. (disons libéral-identitaire), d’autre part vers une « conscientisation » de l’électorat de droite, dont la première phase est la prise de conscience des « dangers de l’immigration ». Pour y faire face, il s’agit de convaincre non pas de la fermeture de la France à celle-ci, mais de la « remigration », solution logique au « grand remplacement » qui, pour l’essayiste, « n’est ni un mythe ni un complot, mais un processus implacable8C’est la thèse qu’il développe dans son dernier essai, La France n’a pas dit son dernier mot (2021). ». Pour reprendre une terminologie propre aux milieux néo-droitiers, Éric Zemmour serait un « éveilleur » (terme laudatif utilisé notamment pour saluer l’œuvre des défunts Jean Mabire et Dominique Venner) capable de parler, non à une petite élite de militants nationalistes-identitaires, mais à la masse des électeurs de droite et à ceux qui, au RN, veulent davantage que la fermeture des flux migratoires réclamée par Marine Le Pen. Seule note discordante au tableau : Alain de Benoist, qui suit sa logique propre de refus du clivage droite-gauche et de primat de la métapolitique sur le jeu électoral, livre une analyse nuancée de la candidature Zemmour. Il affirme ainsi : « Éric Zemmour est un ami, dont je connais la vaste culture politico-historique et dont j’admire la posture réfractaire et la pugnacité, ce qui ne m’empêche pas d’être en désaccord avec lui sur des points nombreux (son jacobinisme, sa critique de l’idée d’Empire, son parti pris sans nuance pour l’assimilation, son hostilité aux prénoms régionaux, pour ne rien dire de la question des “racines chrétiennes”). » Convaincu qu’il « ne faut pas enterrer trop vite Marine Le Pen », Alain de Benoist poursuit : « Zemmour, lui, connaît surtout du succès auprès des anciens électeurs de Fillon et de Bellamy, des CSP+ et des cathos versaillais, c’est-à-dire auprès de cette petite et moyenne bourgeoisie qui craint pour son avenir et son identité parce qu’elle s’inquiète de son insécurité culturelle, mais très peu d’une insécurité économique qui est au contraire l’une des préoccupations majeures d’une “France périphérique” qui, comme l’a dit Marine Le Pen, “n’acceptera pas d’être sacrifiée à une vision ultralibérale de l’économie” ». Sa conclusion est qu’il « y a en fait deux façons bien différentes de concevoir la formation d’un nouveau bloc historique à vocation hégémonique : l’“union des droites” et ce que Christophe Guilluy ou Jérôme Sainte-Marie9Bloc contre bloc, Éditions du Cerf, 2019, Bloc populaire, Éditions du Cerf, 2021. appellent le “bloc populaire”10Voir l’entretien donné par Alain de Benoist au site identitaire Breizh-Info le 27 octobre 2021 : « Alain de Benoist : “Aucune élection, fût-elle présidentielle, ne peut créer les conditions de la véritable révolution dont notre peuple a besoin” », Breizh-Info, 27 octobre 2021. ». Sa préférence va nettement au second schéma.

L’appui de l’Action française

« Beaucoup de militants de l’Action française sont impliqués dans la campagne d’Éric Zemmour parmi nos militants, une partie de nos cadres et de nos financeurs le soutiennent. » Cette affirmation a été faite à Mediapart, le 25 octobre dernier11Lucie Delaporte, « Dans les comités locaux, des factieux derrière Zemmour », Mediapart, 21 octobre 2021. par le porte-parole de l’organisation royaliste, qui ajoute : « On fournit une bonne partie de l’équipe de campagne chez les jeunes » de génération Z.

A priori, cet engagement s’inscrit dans le cadre du compromis nationaliste, cette stratégie d’action mise en place dès ses débuts par le mouvement de Charles Maurras afin de permettre une coopération ponctuelle avec le camp patriotique non monarchiste. Si les multiples références de Zemmour à l’historien monarchiste d’Action française (AF) Jacques Bainville (1879-1936) peuvent contribuer à expliquer l’engouement de l’AF pour le polémiste, on peut trouver d’autres raisons. À commencer par ce qu’écrivait Charles Maurras dans sa chronique politique en date du 13 juillet 1926, parue dans le quotidien L’Action française : « Cette mosquée en plein Paris ne me dit rien de bon […] [S]’il y a un réveil de l’islam, et je ne crois pas que l’on en puisse douter, un trophée de la foi coranique sur cette colline Sainte-Geneviève où enseignèrent tous les plus grands docteurs de la chrétienté anti-islamique représente plus qu’une offense à notre passé : une menace pour notre avenir. » Les disciples contemporains de Maurras, considérant que leur maître avait prévu le réveil de l’islam, peuvent donc être sensibles au discours de Zemmour pour qui « l’islam n’est pas compatible avec la France12Phrase prononcée lors du débat qui l’opposa à Jean-Luc Mélenchon le 23 septembre 2021 sur BFMTV. ». Si on retient cette explication, il faut la comprendre au regard d’un article paru sur le site Internet de l’Action française et selon lequel « l’édification d’une mos­quée, à Paris, en 1926, a visi­ble­ment modi­fié le para­digme révo­lu­tion­naire parce qu’elle a confé­ré aux musul­mans une légi­ti­mi­té inat­ten­due au sein même des quatre États confé­dé­rés qui consti­tuent concrè­te­ment la Répu­blique fran­çaise13Jeanne Estérelle, « Changement de paradigme, continuation des universaux », Action française, 4 juin 2020. ». Or les « quatre États confédérés » sont, pour Charles Maurras, les juifs, les pro­tes­tants, les francs-maçons et les « métèques » (du mot grec dési­gnant les étran­gers, non-citoyens), forces liguées, selon lui, contre la patrie et qu’il convient de combattre. L’appui de l’AF à Zemmour s’inscrirait alors dans la droite ligne d’une idée, celle des « États confédérés », dont un maurrassien bien plus perspicace, Gérard Leclerc, rappelait qu’elle peut laisser « des traces de guerre civile » et qu’elle s’alimentait d’un « res­sen­ti­ment à l’é­gard des juifs, tou­jours cen­sés avoir des inté­rêts dif­fé­rents de l’in­té­rêt natio­nal, voire oppo­sés à lui14Gérard Leclerc, « Le legs d’Action française ; rubrique 6 : les traces de guerre civile – les “quatre États confédérés”, l’antisémitisme », Action française, 15 août 2020. ».

L’ultra-droite derrière Zemmour

Un des aspects les plus fascinants de la campagne d’Éric Zemmour est la facilité avec laquelle les éléments les plus radicaux de l’extrême droite, ceux que la terminologie actuelle désigne sous le vocable « ultra-droite », se sont ralliés, souvent très ouvertement, à sa candidature. C’est d’abord parce que, même dans ces eaux-là, la judéité du polémiste ne déclenche plus le réflexe d’une hostilité rabique qui était le propre de l’extrême droite radicale d’avant l’émergence de l’islam politique en France et d’avant les attentats du 11 septembre 2001. Les écrits de Guillaume Faye, en particulier, sont passés par là. En effet, ses deux textes La Colonisation de l’Europe. Discours vrai sur l’immigration et l’islam (2000) et surtout La Nouvelle Question juive (2007) enjoignent aux militants de mettre entre parenthèses l’antisémitisme et de se focaliser sur la seule question qui vaille pour l’avenir des peuples européens : ce que Guillaume Faye décrit comme « l’invasion migratoire » musulmane, en passe de réaliser le « grand remplacement » et qu’il faut combattre prioritairement, au besoin, par la « guerre civile raciale » – titre de son dernier ouvrage paru en 201915Sur l’importance des écrits de Guillaume Faye : « Guillaume Faye, from New Right Intellectual to Prophet of the Racial Civil War », in A. James McAdams et Alejandro Castrillon (éd.), Contemporary Far-Right Thinkers and the Future of Liberal Democracy, New York, Routledge, 2021..

Ainsi, seuls Alain Soral et ses affidés16Notamment l’auteur complotiste Youssef Hindi, auteur de L’Autre Zemmour, Kontre Kulture, 2021, préface d’Alain Soral., l’hebdomadaire Rivarol17Son directeur Jérôme Bourbon, dans le numéro du 22 septembre 2021, oppose à Zemmour le fait que « s’il voulait être objectif et exhaustif, il lui faudrait évoquer “l’influence puissante et nocive du lobby juif” dans le déclin français ». et Yvan Benedetti, animateur du groupe Les Nationalistes18Voir sa conférence du 23 octobre 2021 : « Les Nationalistes face à Zemmour ». Yvan Benedetti, ancien responsable de l’Œuvre française dissoute, est depuis cette date candidat à l’élection présidentielle., campent sur une position de principe consistant à s’opposer à Éric Zemmour sur un critère ethnico-religieux. Même le parti politique catholique intégriste et théocratique Civitas, dans un numéro de sa revue consacré à Zemmour19« Zemmour salut ou arnaque ? », Civitas, dossier spécial n°79, septembre 2021., donne la parole à des adversaires déclarés de sa candidature (Alain Soral, Youssef Hindi, Pierre Hillard), mais aussi à ses soutiens (Jean-Yves Le Gallou, Jacques Bompard, Valérie Laupiès). Dans son éditorial, le président de Civitas Alain Escada reconnaît l’attrait pour Zemmour au sein « d’une frange du camp national, y compris catholique » et admet qu’il jubile en l’entendant défendre le maréchal Pétain et « pourfendre le féminisme, la pensée de gauche qui domine les médias, la repentance systématique imposée à l’homme blanc et le multiculturalisme ». S’il conclut en affirmant que « Zemmour, bien que sympathique sous différents aspects, n’incarne pas la voie du salut de la France », c’est uniquement parce qu’il est « sioniste », dans le sens où Zemmour estime qu’« Israël est aujourd’hui la nation que la France s’interdit d’être » et que les deux pays doivent « retrouver leur intimité ancestrale »20Voir Éric Zemmour, Destin français, Paris, Albin Michel, 2018, pp. 89-90., rejoignant ainsi la position des nationalistes français philo-israéliens formés par Pierre Boutang et son disciple Michaël Bar-Zvi.

Par contre, et jusqu’aux marges les plus extrêmes de l’extrême droite, les soutiens affluent. Le plus effarant est venu de l’antijuif compulsif Hervé Ryssen, auteur de La Mafia juive. Les grands prédateurs internationaux (2018) et de Le Fanatisme juif (2007). Selon lui, le judaïsme est essentiellement « un projet politique ». Donc « si un soi-disant juif ne tient pas le discours dominant, c’est qu’on n’est pas juif, ou alors sur les bords ». Conclusion logique : Zemmour, parce qu’il combat le « système », ne serait que très peu juif, voire plus du tout. Dès lors, prévient Ryssen, l’ostraciser reviendrait à « se priver de quelques têtes bien faites qui sont disposées à se mettre à notre service » pour « mettre un coup d’arrêt à la déferlante du gauchisme culturel et à l’invasion migratoire »21Message Telegram du 27 octobre 2021.. Il y a aussi le soutien du Parti de la France, fondé en 2009 comme dissidence du FN et devenu depuis 2011 un refuge pour les déçus de la dédiabolisation, ceux qui campent sur les fondamentaux de l’époque Jean-Marie Le Pen. Le 13 octobre dans Oise Hebdo, son président Thomas Joly s’est déclaré prêt à « tracter, militer et poser des affiches » en faveur de Zemmour et même à le faire venir dans l’Oise « pour un vrai meeting politique », à Beauvais ou à Clermont. Deux jours après se manifestait, sous la forme d’un livre intitulé Pourquoi Zemmour ? La droite nationale à l’heure du choix, le soutien de Synthèse nationale, plateforme commune de la droite radicale animée par l’ancien frontiste historique Roland Hélie. Au sommaire de cette œuvre collective : Jacques Bompard, Bruno Hirout, secrétaire général du Parti de la France, dont le site antifasciste La Horde a conservé quelques photographies édifiantes ; l’éditeur Philippe Randa, spécialisé dans les ouvrages sur la Seconde Guerre mondiale ; Llorenç Perrié Albanel, ancien responsable du groupe racialiste Terre et Peuple22Lequel ne soutient pas la candidature de Zemmour, ligne racialiste oblige. dans les Pyrénées-Orientales et l’écrivain identitaire Romain Guérin, dont le roman-phare s’intitule finement Le Journal d’Anne-France (2017). Enfin, le leader du groupe Les Braves, Daniel Conversano (disciple de Guillaume Faye dont il édita les deux derniers ouvrages) est d’un enthousiasme sans limite sur son canal Telegram et sur Twitter23Message du 29 octobre 2021 : « Exceptionnel. Historique. Le candidat qu’on attendait tous.
Il va tout dégommer et faire un score dément au second tour. J’ai hâte ! ».
Qui sont Les Braves ? Un groupe, ou plutôt une communauté, de militants identitaires dont le leader est avant tout préoccupé par l’avenir des Européens blancs face à l’immigration et qui considère l’Europe centrale et orientale comme l’idéal d’homogénéité ethnique, au point qu’il incite les militants à venir s’y établir 24Voir cette vidéo sur Dailymotion.. L’ensemble de son discours s’apparente à un suprémacisme contenu dans les limites de la loi. La question centrale est de savoir ce qui attire l’ultra-droite vers Zemmour. Trois convergences peuvent, nous semble-t-il, être établies. D’abord, la question ethnique, c’est-à-dire celle de la composition biologique du peuple français : avaliser la thèse du « grand remplacement » implique non seulement de fermer les portes du pays à toute nouvelle immigration non européenne mais, à terme, de tenter de revenir à une composition antérieure et « authentique » du peuple français, fantasme dont la seule solution est la « remigration ». Second point d’accord : la transgression de tous les tabous idéologiques liés à l’histoire de France (doute sur l’innocence du capitaine Dreyfus, rôle de protecteur des juifs français conféré au maréchal Pétain)25Éric Zemmour a, en outre, tenu meeting le 29 octobre dernier à Pleurtuit, en Ille-et-Vilaine. L’organisateur était une association rennaise dénommée Mémoire du futur. Son président est l’historien Reynald Secher dont le doctorat d’État, soutenu en 1985, et publié ensuite sous le titre Le génocide franco-français : La Vendée-Vengé (Paris, Presses universitaires de France, 1986), devint un objet de controverse du fait de l’emploi nouveau de la notion de génocide pour désigner les massacres de masse ordonnés par la Convention, des insurgés hostiles à la Révolution. et aux questions liées à l’ethnicité, la colonisation, la mémoire. Il n’est pas assez souligné qu’au terme (temporaire ?) d’un itinéraire de radicalisation idéologique qui le conduit très loin du RPR, Éric Zemmour formule une vision très proche des thèses contre-révolutionnaires, le conduisant à dénoncer sur le plateau de CNews le 4 juin 2021 l’ensemble des valeurs des Lumières en ces termes : « C’est le libéralisme qui détruit les structures traditionnelles, ils ont eu la peau de l’Église, de la monarchie, maintenant ils ont la peau de la famille, de la patrie. » Dernier point de rencontre : une certaine forme de masculinisme qui rejoint le goût des affirmations idéologiques radicales et dont le soutien de Julien Rochedy ou du YouTuber Papacito sont le témoignage. Masculinisme qui recoupe aussi la focalisation sur le déclin démographique par le « grand remplacement », la fin de la famille traditionnelle et l’idée générale d’une perte de la vitalité nationale imputée à une sorte de « féminisation » des attitudes, y compris de la capacité à énoncer ce que le « politiquement correct » tenterait de censurer.

Conclusion

Éric Zemmour n’a pas sollicité les soutiens qui viennent d’être cités. Ils n’auront, s’il se décide à être candidat, qu’une importance marginale, tant leur audience est faible. Mais leur déclaration de soutien est un symptôme, celui des transgressions que Zemmour rend possibles. Et de l’espoir que portent des hommes de la frange la plus à l’extrême droite de le voir comme celui qui prépare le terrain, qu’il soit élu ou non, à ce que sautent d’autres verrous, non pas dans les milieux groupusculaires, mais au sein de la droite identitaire, ce compris dans une fraction de l’électorat conservateur. Faire du « grand remplacement » un sujet banalement abordé ; passer de l’arrêt de l’immigration à la nécessaire « remigration » ; abandonner la définition contractuelle de la Nation au profit d’une conception ethniciste ; et réécrire l’histoire de France au profit des vaincus de nos guerres franco-françaises, donc des antidreyfusards, des maréchalistes, peut-être demain des républicains et des soutiens de la laïcité. Cette possible candidature va donc vers des rivages bien plus extrêmes, bien plus radicaux que l’était le RPR des années 1980.

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    Avec son directeur de la communication, l’ancien militant du Bloc identitaire Joseph-Marie Joly.
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    Jacques Bompard ne fait pas référence au livre de Renaud Camus, Le Grand Remplacement. Introduction au remplacisme global (2011), mais cite celui de Jean Raspail, Le Camp des Saints (1973), plus orienté que le premier sur la résistance armée de la population française contre « l’envahisseur ».
  • 3
    Voir Louis Hausalter, « “Zemmour va faire une campagne destroy” : son plan pour la présidentielle 2022 », Marianne, 9 septembre 2021.
  • 4
    Voir Jean-Yves Le Gallou, « Zemmour versus Marine Le Pen : la diabolisation, s’y soumettre ou y faire face », Polémia, 6 octobre 2021. Voir également son livre Manuel de lutte contre la diabolisation, Paris, La Nouvelle Librairie, 2020.
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    Qui a pris la parole au colloque de l’Institut Iliade, le 29 mai 2021, sur le thème : « Au-delà du marché, une économie au service des peuples
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    C’est la thèse qu’il développe dans son dernier essai, La France n’a pas dit son dernier mot (2021).
  • 9
    Bloc contre bloc, Éditions du Cerf, 2019, Bloc populaire, Éditions du Cerf, 2021.
  • 10
    Voir l’entretien donné par Alain de Benoist au site identitaire Breizh-Info le 27 octobre 2021 : « Alain de Benoist : “Aucune élection, fût-elle présidentielle, ne peut créer les conditions de la véritable révolution dont notre peuple a besoin” », Breizh-Info, 27 octobre 2021. »
  • 11
    Lucie Delaporte, « Dans les comités locaux, des factieux derrière Zemmour », Mediapart, 21 octobre 2021.
  • 12
    Phrase prononcée lors du débat qui l’opposa à Jean-Luc Mélenchon le 23 septembre 2021 sur BFMTV.
  • 13
    Jeanne Estérelle, « Changement de paradigme, continuation des universaux », Action française, 4 juin 2020.
  • 14
    Gérard Leclerc, « Le legs d’Action française ; rubrique 6 : les traces de guerre civile – les “quatre États confédérés”, l’antisémitisme », Action française, 15 août 2020.
  • 15
    Sur l’importance des écrits de Guillaume Faye : « Guillaume Faye, from New Right Intellectual to Prophet of the Racial Civil War », in A. James McAdams et Alejandro Castrillon (éd.), Contemporary Far-Right Thinkers and the Future of Liberal Democracy, New York, Routledge, 2021.
  • 16
    Notamment l’auteur complotiste Youssef Hindi, auteur de L’Autre Zemmour, Kontre Kulture, 2021, préface d’Alain Soral.
  • 17
    Son directeur Jérôme Bourbon, dans le numéro du 22 septembre 2021, oppose à Zemmour le fait que « s’il voulait être objectif et exhaustif, il lui faudrait évoquer “l’influence puissante et nocive du lobby juif” dans le déclin français ».
  • 18
    Voir sa conférence du 23 octobre 2021 : « Les Nationalistes face à Zemmour ». Yvan Benedetti, ancien responsable de l’Œuvre française dissoute, est depuis cette date candidat à l’élection présidentielle.
  • 19
    « Zemmour salut ou arnaque ? », Civitas, dossier spécial n°79, septembre 2021.
  • 20
    Voir Éric Zemmour, Destin français, Paris, Albin Michel, 2018, pp. 89-90.
  • 21
    Message Telegram du 27 octobre 2021.
  • 22
    Lequel ne soutient pas la candidature de Zemmour, ligne racialiste oblige.
  • 23
    Message du 29 octobre 2021 : « Exceptionnel. Historique. Le candidat qu’on attendait tous.
    Il va tout dégommer et faire un score dément au second tour. J’ai hâte ! ».
  • 24
    Voir cette vidéo sur Dailymotion.
  • 25
    Éric Zemmour a, en outre, tenu meeting le 29 octobre dernier à Pleurtuit, en Ille-et-Vilaine. L’organisateur était une association rennaise dénommée Mémoire du futur. Son président est l’historien Reynald Secher dont le doctorat d’État, soutenu en 1985, et publié ensuite sous le titre Le génocide franco-français : La Vendée-Vengé (Paris, Presses universitaires de France, 1986), devint un objet de controverse du fait de l’emploi nouveau de la notion de génocide pour désigner les massacres de masse ordonnés par la Convention, des insurgés hostiles à la Révolution.

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