EDF face aux défis financiers de la transition énergétique

Si l’on s’en tient au cas d’EDF, acteur incontournable du secteur énergétique français de par sa position dominante sur l’ensemble de la chaîne de valeur de l’industrie électrique et l’étendue de ses savoir-faire, sa situation financière est fort inquiétante face aux volumes d’investissement auxquels elle se trouve confrontée :

  • « grand carénage » du parc nucléaire actuel évalués par l’entreprise à 55 Mds €, mais par la Cour des Comptes à 100 Mds€ sur une période plus longue et en y incluant les frais de maintenance
  • reprise des activités réacteurs d’Areva,
  • construction de deux EPR à Hinkley Point en Grande-Bretagne pour 25 Mds €,
  • installation de 30 millions de compteurs Linky par ERdF pour 9 Mds €,
  • maintenance des réseaux de distribution, …

Or le Groupe affiche un endettement de 37,5 Mds € plus de deux fois son EBITDA, à la limite de la fourchette d’endettement qu’il s’est fixée. EDF se donne par ailleurs comme priorité de retourner à un cash-flow positif après distribution de dividendes en 2018. En clair, s’il n’y a pas d’amélioration de la génération de cash-flow, chaque investissement supplémentaire devra être financé par une cession équivalente, ce qui est une situation paradoxale pour un industriel en période de taux bas.

Le Groupe ne peut pas non plus se tourner vers le marché des actions. En effet, une émission conduirait à céder une part déraisonnable des actifs existants, la valeur du titre ayant perdu plus de 60 % depuis son introduction il y a dix ans. Au passage, relevons que le but premier de l’introduction en bourse, le financement des projets du Groupe, a été totalement raté.

Le cadre régulatoire propre à la France, combiné à l’état du marché européen, décrit un univers très contraint du côté des recettes.

Alors que le cadre tarifaire du secteur régulé des activités de réseau est conforme aux standards internationaux, le dispositif organisant l’ouverture progressive du marché de la fourniture s’avère beaucoup plus « créatif ».

Ce cadre français de « marché » est pour l’essentiel issu d’une loi dite NOME du 7 décembre 2010. Les trois principales dispositions en sont les suivantes :

  • Fin des tarifs règlementés, sauf pour les particuliers, à compter du 1er janvier 2016,
  • Accès régulé à la base (tarif ARENH des coûts nucléaires) pour les concurrents d’EDF,
  • Tarification dite « par empilement » pour ceux des particuliers qui se maintiennent au tarif régulé de vente. Cette méthode en vigueur depuis novembre 2014 définit le tarif régulé comme l’empilement selon une structure type a) ARENH réputée couvrir la base + b) un terme calculé selon les prix de marché constatés pour le complément d’approvisionnement + c) une rémunération standard de l’opérateur EDF.

Comme il était à prévoir, cet édifice n’a pas résisté à la baisse des prix constatée sur les commodités notamment énergétiques depuis 2008.

  • Les coûts complets d’EDF, qui servent de base à l’ARENH, sont évalués à 42 €/MWh, alors que les prix du marché de gros sont aujourd’hui à 30 €/MWh (lors du « guichet » de fin 2015, la quantité d’ARENH demandée à EDF a été nulle),
  • la disparition des tarifs jaunes et verts pour les professionnels s’est traduite pour EDF par une réduction de sa part de marché supérieure à ce qui était attendu de l’ordre de 30%, entraînant un manque à gagner qui pourrait atteindre 1 Mds€,
  • Le tarif bleu régulé selon la méthode « par empilement » subit une hausse modérée du fait de l’évolution du terme issu du prix de marché.

Il résulte de ce qui précède que l’Etat perd ses leviers d’action car une hausse significative des prix de vente réglementés, risquerait d’accélérer la fuite de clientèle vers la concurrence et une nouvelle réduction de la part de marché d’EDF.

Il ne reste donc dans l’immédiat à l’opérateur historique que la maîtrise de ses charges d’exploitation comme unique et insuffisant recours, qui devra donc s’accompagner d’une ambition revue à la baisse de ses projets d’investissements.

Cette situation de grande difficulté de l’opérateur historique est nouvelle pour EDF mais se retrouve chez ENGIE tandis qu’en ’Allemagne leurs homologues sont eux-mêmes sévèrement pénalisés par la sortie du nucléaire. Elle a conduit ces entreprises à user d’expédients de deux ordres : arrêter tout investissement de production non subventionné ; arbitrer parmi les programmes de maintenance en fonction de contraintes de rareté financière. Quant à la préparation de l’avenir, si EDF a maintenu un programme de R&D significatif et déployé dans ses pays d’opération, les autres utilities européennes les ont quasiment éteints.

Les préconisations suivantes s’imposent comme à toute entreprise soumise à des règles de gestion saines :

  • poursuivre des programmes de réduction des dépenses d’exploitation désormais excessifs en traitant, dans le dialogue social, le sujet des effectifs en surnombre ; il serait pertinent à cet égard de procéder à quelques exercices de comparaison (benchmark) avec des entreprises européennes comparables ;
  • modérer les investissements financiers et se concentrer sur ceux indispensables à la préservation de l’outil de production (sans retomber dans l’erreur d’une insuffisance de maintenance comme sur la période 2000-2003). A cet égard, l’ampleur du « Grand carénage » envisagé est manifestement incohérent avec, d’une part, la croissance des EnR et l’objectif d’équilibrer la production à 50% seulement de nucléaire, d’autre part, une politique de remplacement de tranches anciennes par de nouveaux réacteurs de type EPR NM, comme évoqué au chapitre 3.4 ;
  • prendre en compte dans les durées d’amortissements des réacteurs existants le bénéfice qui sera apporté par le « grand carénage » en augmentation des durées de vie des ouvrages ;
  • négocier avec le Royaume Uni  le report de l’accord relatif au projet de Hinkley Point pour substituer au modèle d’EPR des EPR NM, du type dont nous aurons plus tard le besoin en France, si possible trouver un investisseur, britannique de préférence, évitant à EDF de porter la totalité du risque et s’assurer que l’Etat actionnaire renforce les fonds propres d’EDF ;
  • s’engager dans des partenariats avec des Métropoles et des Régions pour le développement d’une offre décentralisée de nouveaux services d’optimisation de la demande, comme évoqué au chapitre 2.1 ;
  • reconsidérer en conséquence les finalités et l’ampleur du programme Linky.

Au-delà de ces gestes de bonne gestion, l’opérateur historique doit songer à faire évoluer son modèle d’affaires et se séparer de certains actifs non strictement nécessaires à son activité principale, à savoir la production et la vente d’énergie avec les services associés, tant en France que dans quelques pays stratégiques.

Ainsi, convient-il  qu’EDF valorise une part de ses actifs dans RTE (à tout le moins par la vente de 50 % de ses part à un organisme public comme la Caisse des Dépôts, (à l’instar de ce qui a été fait chez GRT-Gaz où la CDC est actionnaire à 50% ) ; cela pourrait être l’occasion de donner à RTE le statut de Transmission System Operator (TSO) de plein exercice sous le régime de l’OU (ownership unbundling) lui permettant de prendre sans entrave des participations au capital d’autres opérateurs européens de réseaux, comme évoqué au chapitre 1.3.  S’agissant d’ErDF, l’entrée de partenaires au capital pourrait également être recherchée.

Quant à l’Etat actionnaire, sachant qu’au plan commercial, le marché ne permet plus de miser sur une augmentation des tarifs réglementés domestiques alors que les prix de gros baissent, il ne doit plus attendre  des versements de dividendes au niveau du passé. En lui assurant le paiement de ses dividendes en actions, on pourrait également relancer l’offre aux actionnaires minoritaires d’échanger leurs actions pour des obligations.

Force est en outre de souligner que la plupart des politiques publiques mises en place, tant pour l’ouverture à la concurrence (loi NOME) que pour la diversification des sources d’énergie et la croissance des renouvelables, ont été conçus dans une perspective de croissance qui n’anticipait pas les reculs actuels de la consommation d’électricité : la surcapacité constatée aujourd’hui et la volonté de poursuivre la pénétration des nouvelles énergies impliquent de rechercher de nouveaux débouchés pour l’électricité chaque fois qu’ils sont favorables à la réduction des rejets de carbone dans de bonnes conditions économiques. Cette recherche de débouchés en croissance ou en substitution à des énergies carbonées ne doit certainement pas se limiter à la voiture électrique; elle doit aussi concerner les usages industriels, résidentiels et tertiaires.

Les réformes des cadres de régulation européen et national proposées tout au long de cet ouvrage devront avoir aussi pour objet de rendre viables les opérateurs sans lesquels la transition énergétique ne saurait avoir lieu.

 

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