Près de la moitié des communes françaises ont fait le choix à la rentrée 2017 de revenir à la semaine de quatre jours pour les écoles primaires et maternelles publiques. Pour Emma Duchini et Clémentine Van Effenterre, toutes deux postdoctoral research fellows respectivement à l’université de Warwick et à la Harvard Kennedy School, ce retour constitue une occasion manquée d’atténuer les inégalités entre les femmes et les hommes sur le marché du travail, l’organisation des rythmes scolaires ayant des répercussions importantes sur l’allocation du temps de travail des femmes.
L’expérience de l’école le mercredi aura donc duré trois ans – quatre pour les 4000 villes qui s’étaient portées volontaires à la rentrée 2013. Le démantèlement de la réforme a avant tout été motivé par les difficultés financières et organisationnelles rencontrées par les collectivités locales. À notre connaissance, ce retour en arrière a été fait sans qu’il y ait eu de travaux scientifiques permettant d’établir de manière causale comment la réorganisation du temps scolaire a affecté la réussite scolaire et le bien-être des élèves, faute de protocoles établis en amont, de moyens, et de temps.
La question de l’offre de travail des femmes a malheureusement elle aussi été ignorée dans le débat sur les avantages et inconvénients de cette réforme. Dans notre étude, une des seules contributions scientifiques sur l’impact de cette réforme, nous avons mis en évidence la relation qui existe entre la contrainte institutionnelle de l’absence d’école le mercredi et l’offre de travail des femmes. Nous présentons ici quelques faits empiriques afin de souligner que l’organisation du temps scolaire a des répercussions importantes sur l’allocation du temps de travail des femmes, ce qui n’est pas sans conséquence sur la persistance des inégalités femmes-hommes sur le marché du travail. L’enjeu est également de rappeler la nécessité d’appuyer l’élaboration des politiques publiques sur les faits empiriques et sur une approche intégrée de l’égalité.
La pause du mercredi, une exception française qui affecte particulièrement les femmes
Le mercredi libre dans les écoles primaires constitue une inégalité spécifiquement française qui s’ajoute aux inégalités femmes-hommes sur le marché du travail. Avant l’introduction de la réforme des rythmes scolaires, 40% des femmes dont le plus jeune enfant était en âge d’aller à l’école élémentaire, soit deux fois plus que les hommes, ne travaillaient pas le mercredi. À partir d’une analyse comparative de l’allocation du temps de travail dans plusieurs pays européens, nous avons montré qu’avant la réforme des rythmes scolaires de 2013, les femmes en France travaillaient nettement moins le mercredi par rapport aux autres jours de la semaine, comparées aux femmes allemandes, espagnoles ou britanniques (graphique 1). Ces différences ne sont pas statistiquement significatives pour les femmes sans enfants et pour les hommes, ce qui confirme la persistance de normes de genre selon lesquelles les femmes plus que les hommes doivent adapter leur offre de travail à la présence des enfants.
Graphique 1 : L’allocation du temps de travail rémunéré des mères d’enfants de moins de 12 ans – comparaisons européennes
Champ : Femmes actives occupées, à temps plein ou temps partiel, dont le plus jeune enfant a moins de 12 ans.
Source : Multinational Time Use Study, 1991-2010.
Lecture : En France, les femmes interrogées qui travaillent et dont le plus jeune enfant a moins de 12 ans déclarent effectuer moins de 5 heures de travail rémunéré le mercredi, contre plus de 6 heures les autres jours de la semaine (hors week-end). Cet écart est statistiquement significatif.
De plus, l’accès à la flexibilité horaire reste inégal selon le niveau de diplôme. Avant la réforme des rythmes scolaires, les femmes diplômées du supérieur parvenaient à travailler en moyenne plus d’heures par semaine que les non-diplômées du supérieur (36 heures contre 33 heures). Pour autant, elles étaient plus nombreuses à ne pas travailler le mercredi (45 % contre 41%) (graphique 2). Cet écart de participation le mercredi entre diplômées et non-diplômées du supérieur se réduisait grandement lorsque l’enfant grandissait et entrait au collège.
Graphique 2 : Accès à la flexibilité horaire et niveau de diplôme
Champ : Femmes actives occupées, à temps plein ou temps partiel, dont le plus jeune enfant a entre 6 et 11 ans. Échantillon interrogé entre janvier et septembre 2013.
Source : Enquête Emploi (Insee).
Lecture : Avant septembre 2013, en moyenne les femmes non-diplômées sont significativement plus nombreuses à travailler le mercredi que les diplômées, alors qu’elles travaillent en moyenne moins d’heures par semaine. Cette différence est significative au seuil de 1%.
Un rattrapage significatif de la participation au marché du travail le mercredi en moins de trois ans
Afin d’étudier l’impact de la réforme introduite progressivement entre la rentrée 2013 et 2014, nous avons comparé dans le temps l’offre de travail des femmes dont le plus jeune enfant est en âge d’aller à l’école élémentaire (6-11 ans) avec celle des femmes dont le plus jeune enfant est un peu plus âgé (12-14 ans). Ce second groupe n’est a priori plus affecté par la contrainte du mercredi, étant donné que le plus jeune enfant, scolarisé au collège, a en général classe le mercredi matin.
Nous avons montré qu’en moins de deux ans les femmes dont le plus jeune enfant était en âge d’aller à l’école primaire ont rattrapé plus d’un tiers de leur retard en matière de participation au marché du travail le mercredi par rapport aux femmes dont le plus jeune enfant était en âge d’aller au collège. Cela correspond également à une réduction de 15% de leur différentiel de participation ce jour de la semaine par rapport aux hommes. Ce rattrapage a été d’autant plus fort pour les femmes qui pouvaient être pénalisées par une présence discontinue sur leur lieu de travail. Nous avons ainsi observé que les femmes qui occupent un emploi de cadre ou qui exercent une profession libérale sont celles qui ont le plus augmenté leur temps de travail le mercredi.
Leçons et perspectives
Ces chiffres rappellent que la réforme de 2013 avait permis de revenir sur une forme d’inégalité institutionnelle bien française. Les rythmes scolaires ont révélé que les femmes n’ont pas un accès égal à un emploi du temps flexible, et qu’elles sont clairement affectées par l’organisation des temps scolaires. La réforme des rythmes scolaires a eu un impact significatif sur l’allocation du temps de travail des mères d’enfants en âge d’aller à l’école élémentaire, alors que ces femmes étaient, bien davantage que les hommes, amenées à adapter leur activité professionnelle à la présence des enfants. À ce titre, le retour à la semaine de quatre jours constitue une occasion manquée pour remédier à une inégalité supplémentaire sur le marché du travail français.
La réforme des rythmes scolaires est aussi un exemple de réforme autour de laquelle l’attention s’est davantage focalisée sur la méthode que sur le fond. Économie pour les collectivités territoriales, incertitude sur le maintien du soutien de l’État, les raisons budgétaires ont finalement primé sur les questions liées au développement cognitif des enfants et à l’équilibre des temps de vie. Il aurait peut-être été judicieux de donner plus de flexibilité aux écoles dans l’application de la réforme, un format unique ne convenant peut-être pas à toutes, tout en posant la question de l’égalité entre les territoires. Il est certain en tout cas qu’apporter des éléments empiriques et des études d’impact dans le débat public est essentiel à une élaboration de politiques publiques qui atteignent leurs objectifs.
Enfin, la question de la journée du mercredi reflète aussi un choix de société. Face au développement de nouvelles formes de travail, à la persistance des inégalités concernant la flexibilité horaire et à l’aspiration à un modèle de parentalité plus équilibré, il va devenir crucial de s’interroger sur l’articulation entre équilibre des temps de vie et politiques ambitieuses d’égalité.
Soutien : ce travail a bénéficié du soutien de l’Institut des politiques publiques, de l’Institut du genre, du programme Alliance, et d’une aide de l’État gérée par l’ANR au titre du programme Investissements d’avenir de référence ANR-10-LABX 93-01 (Fonds de recherche OSE « Ouvrir la science économique ») et ANR-10-EQPX-17 (Centre d’accès sécurisé aux données – CASD). Nous remercions également le ministère de l’Éducation Nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche pour nous avoir donner accès à la base Enrysco, et la Caisse nationale des allocations familiales et l’Association des maires de France pour nous avoir donné accès à l’enquête relative à la mise en œuvre des nouvelles activités périscolaires.