Des élections partielles traditionnelles

Les 20 et 27 septembre prochains se tiendront six élections législatives partielles. Elles ne sont pas une exception, dix s’étant déjà tenues lors de l’actuelle mandature. Émeric Bréhier et Sébastien Roy décryptent, pour l’Observatoire de la vie politique de la Fondation, les enjeux dans chacune de ces six circonscriptions et la portée générale de ces partielles dont le résultat ne portera pas à conséquence sur la structuration politique de l’Assemblée nationale.

Les élections partielles sont toujours compliquées pour un pouvoir en place. L’exemple le plus marquant fut peut-être cette élection partielle organisée dès l’automne 1981 au cours de laquelle l’ancien garde des sceaux de Valéry Giscard d’Estaing, Alain Peyrefitte, récupéra son siège de député de Seine-et-Marne contre Marc Fromion, perdu en juin 1981 à la surprise générale. On se remémorera également l’échec de Claude Évin pour la reprise de son siège de député de la Loire-Atlantique en 1991 à la suite de l’éviction de Michel Rocard du poste de Premier ministre. Les règles successives instaurées par le législateur ont d’ailleurs progressivement fortement limité les risques de partielles. En quelque sorte, il faut vraiment le vouloir pour qu’il y ait une élection partielle. Elle a lieu dans certains cas : soit celle-ci est rendue obligatoire car le juge électoral en a décidé ainsi ; soit le député est confronté à un cumul de mandat suite à une élection à la tête d’un exécutif local ou bien est nommé au gouvernement, et son suppléant a refusé de lui succéder.

Contrairement à ce que l’on pourrait de prime abord penser, les partielles sont nombreuses tout au long d’une mandature. Ainsi, sous la XIe législature (1997-2002), il y en eut vingt-cinq, dix-huit sous la XIIe législature, treize sous la XIIIe législature et vingt-deux lors de la dernière législature. Les six élections partielles qui vont se tenir les 20 et 27 septembre ne sont pas une exception à la règle. Il y en a d’ailleurs eu déjà dix lors de l’actuelle mandature. Quelles sont donc ces six circonscriptions ? Notons d’ailleurs qu’une septième devrait également se tenir dans les semaines à venir dans la 6e circonscription du Pas-de-Calais suite à la nomination de la députée Brigitte Bourguignon au gouvernement.

À dix-huit mois du renouvellement général, priorité au mandat local

Il y a tout d’abord celles où le député élu en 2017 a décidé de donner priorité à un mandat local (re)conquis à l’occasion des dernières élections municipales. C’est ainsi le cas de la 9e du Val-de-Marne, où Luc Carvounas (Parti socialiste), véritable homme fort socialiste du département, et successivement conseiller général, sénateur, maire puis député d’Alfortville après sa victoire probante lors des dernières municipales, a décidé de quitter les rangs de l’opposition parlementaire pour se consacrer de nouveau à plein temps à sa ville. Mettant ainsi en application, à regret sans doute, ce qu’il critiquait lors du vote de la loi interdisant le cumul des fonctions exécutives avec un mandat parlementaire. C’est aussi le cas de la 5e de Seine-Maritime où Christophe Bouillon (Parti socialiste), élu maire de Barentin, puis président de la communauté de communes de Caux-Austreberthe et conseiller départemental, se consacre également à ses mandats locaux. C’est tout autant le cas de la 2e de l’île de La Réunion où Huguette Bello (apparentée PC), figure réunionnaise et de la vie parlementaire, après sa conquête de la ville de Saint-Paul là aussi donna la priorité à son nouveau mandat de maire. Il en est de même pour Jean-Charles Taugourdeau (LR), de nouveau élu maire de Beaufort en Anjou dans la 3e du Maine-et-Loire. Trois des suppléants de ces quatre députés refusèrent d’abandonner leur mandat de maire au profit d’un mandat de député pour un peu plus d’une année. Le cas de la 9e circonscription du Val-de-Marne est quelque peu différent. La suppléante de Luc Carvounas, désormais élève stagiaire de l’ENA, préféra donner la priorité à sa nouvelle prochaine vie professionnelle.

Demeurent donc deux circonscriptions où la problématique est différente : la 1re du Haut-Rhin, traditionnellement ancrée à droite où le député réélu en 2017, Éric Strautmann, élu maire de Colmar à l’issue des élections municipales de juin dernier, a vu sa suppléante Brigitte Klinkert, présidente du conseil départemental, entrer au gouvernement. Quant à la 11e des Yvelines, sa titulaire (LREM) Nadia Hai, nommée ministre déléguée chargée de la Ville dans le gouvernement de Jean Castex, n’a pu laisser son siège à son suppléant empêtré dans une affaire de trafic de stupéfiants.

Un jeu à somme nulle, sauf pour LREM ?

Objectivement, sur six circonscriptions, deux devraient être conservées par la gauche, deux par la droite. Quant aux deux dernières, le jeu électoral y est plus ouvert ou incertain selon la formule que l’on préfère. Essayons de regarder dans le détail.

Pour la 3e du Maine-et-Loire, si l’on considère qu’elle a toujours été gagnée par la droite depuis la Libération, on ne voit pas comment elle pourrait échapper à LR malgré une alliance Parti socialiste-EELV et une candidature LREM. Par ailleurs, le RN qui avait franchi la barre des 10% en 2012 et 2017 sera handicapé cette fois par la concurrence d’un ex-FN et par la présence d’une candidature Debout la France qui morcellera le vote d’extrême droite.

Dans la 1re du Haut-Rhin, la situation est encore plus simple. Depuis 1962, le siège n’a échappé aux gaullistes que quatre fois sur quinze et au seul profit du centre-droit entre 1978 et 1993. On notera également que le député sortant Éric Strautmann avait recueilli au second tour, en 2012, 62,21% des suffrages et 66,41% en 2017. Dès lors que l’offre électorale en lice pour cette élection est de sept concurrents face au candidat LR, Yves Hemedinger, à la différence du sortant qui avait affronté, lui, en 2017, dix-sept concurrents au premier tour, le suspense est bien relatif.

Arrêtons-nous maintenant sur les deux circonscriptions qui devraient ne pas échapper à la gauche, et au Parti socialiste en particulier. 

Regardons la 5e de Seine-Maritime. Même avec une gauche morcelée comme en 2017 avec un candidat vert et un candidat LFI, Christophe Bouillon, le sortant, avait conservé son siège au second tour en recueillant 69,15% des suffrages. Nouveauté, cette fois, le candidat Parti socialiste Gérard Leseul verra la présence d’une candidate LREM, mais, dans une partielle, il est rare que la majorité au pouvoir soit en conquête. Cette 5e circonscription ne devrait donc pas échapper au Parti socialiste, en dépit de la présence de candidats EELV et LFI.

Dans la 9e du Val-de-Marne, le score de 58,74% au second tour de 2017 du sortant Luc Carvounas laisse tout de même à la candidate du Parti socialiste Isabelle Santiago une base solide. Certes, la gauche part à cette législative en ordre totalement dispersé avec la candidature d’une secrétaire nationale des Verts, une candidature PC et une dernière issue de LFI. Pour autant, la candidate officielle d’EELV souffrira d’une dissidence issue de ses rangs et le PC est, quant à lui, lourdement divisé suite à l’élection du maire de Vitry, devenu primus inter pares lors de l’élection en conseil municipal contre le maire sortant qui avait été la tête de liste lui aussi PC. Le dernier conseil national du Parti communiste a d’ailleurs été le théâtre d’une joute entre les deux camps. Dans de telles circonstances, le siège devrait être conservé par les socialistes. L’enjeu dans cette circonscription est donc la capacité de la candidate socialiste à mobiliser le cœur de son électorat, en particulier à Alfortville. Le fait qu’elle en soit encore aujourd’hui conseillère départementale et adjointe au maire et qu’elle soit présente sur le terrain depuis de très nombreuses années facilitera assurément la tâche. De même que le soutien affiché et marqué du député sortant et de nouveau maire d’Alfortville contribuera à n’en pas douter à cette mobilisation. En tout état de cause, le résultat final dépend en grande partie de cette capacité mobilisatrice. 

Les deux dernières circonscriptions sont plus complexes à analyser.

Dans la 11e des Yvelines, la candidate LREM Nadia Hai avait effacé le sortant Benoît Hamon. Ce dernier, lors du scrutin de 2017, ayant recueilli 22,59% des exprimés (à 135 voix du candidat LR qui s’est du coup qualifié) au premier tour, n’avait du coup pas pu accéder au second tour. La 11e des Yvelines est typique de ces circonscriptions qui basculent dans un camp ou l’autre à chaque grande vague d’alternance. Ayant fait le choix du Parti socialiste en 1988, 1997 et 2012, elle a vu l’élection d’un député de droite en 1993, 2002 et 2007 avant d’être conquise donc par LREM en 2017. Malgré l’union dès le premier tour de Génération.s, du Parti socialiste et de EELV derrière la candidature de Sandrine Grandgambe, cette dernière sera concurrencée par une candidate soutenue, quant à elle, par LFI et le PC. Le candidat LREM arrivera-t-il à conserver le siège dans la majorité présidentielle ? Le jeu semble très ouvert.

Enfin, la 2e circonscription de La Réunion qui, déjà avec quatorze candidats, détient la palme du morcellement de l’offre politique. Il est vrai également qu’il existe une patine politique locale riche et diverse. L’enjeu est ici pour l’ancienne député Huguette Bello de parvenir à conserver sa circonscription à son parti avec la candidature de Karine Lebon. Face à elle, la droite réunionnaise est explosée « façon puzzle », les silencieux y sont de sortie. Cette situation n’est pas nouvelle et explicite en partie la victoire de l’ancienne députée à Saint-Paul. Derrière cette élection législative se profile une autre campagne : celle des régionales, où la nouvelle maire de Saint-Paul entend bien jouer un rôle majeur. À l’évidence, une victoire de sa candidate renforcerait sa position.

Quelle portée de ces partielles ?

Finalement, comme toujours à l’occasion d’élections partielles, l’enjeu premier pour chacun des candidats est d’abord et avant tout de parvenir à mobiliser le corps central de son électorat. À l’évidence, les candidats soutenus par la sortante ou le sortant partiront à cet égard avec un avantage sinon décisif à tout le moins non négligeable. De même que les candidatures, parfois les mêmes, seront jointes d’un ancrage territorial bien réel. Ordinaires, ces remarques prennent un sens plus criant encore alors même que nous demeurons dans un contexte de crise sanitaire qui ne favorise pas la mobilisation électorale. Lorsqu’on se remémore les conditions pour être qualifié au second tour (être dans le duo de tête ou parvenir à recueillir 12,5% des inscrits), on voit bien que la capacité de mobilisation différentielle aura toute son importance pour accéder au second tour !

À l’heure où toutes les forces politiques de gauche n’ont de cesse d’appeler au rassemblement et à l’unité pour les prochaines échéances électorales, il est tout de même assez confondant de constater que dans les deux circonscriptions métropolitaines où le sortant est issu des rangs socialistes, la gauche est morcelée. Et même dans la 11e des Yvelines, là où un espoir de reconquête pourrait légitimement exister, l’union n’est pas aboutie. Ici, le fait que la candidate, très proche de Benoît Hamon, soit soutenue tant par le Parti socialiste que par EELV est d’abord et avant tout une « bonne manière » faite par les deux organisations à l’ancien candidat à l’élection présidentielle.

Enfin, le résultat de ces élections n’aura assurément pas de conséquences sur la structuration politique de l’Assemblée nationale. Si celle-ci doit varier, c’est plus en raison des départs successifs du groupe LREM en faveur des « partenaires » de la majorité, comme dernièrement au MoDem, qui constituent à l’évidence des signaux, de moins en moins faibles, de la difficulté de faire vivre un groupe à la structuration idéologique bien gazeuse, et des tentations de modification des rapports de force au sein du « bloc présidentiel ».

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