Des ateliers citoyens pour rénover la démocratie

La rénovation de la démocratie et la participation citoyenne ne se résument pas aux nouvelles technologies et à internet. L’expérience des ateliers citoyens en circonscription, selon des modalités et avec des objets différents, illustre à la fois certaines attentes des citoyennes et citoyens, ainsi que les difficultés du travail parlementaire. Cécile Untermaier, qui a conduit sur son territoire des ateliers législatifs citoyens, et Colette Capdevielle, qui a organisé des jurys citoyens pour l’attribution de sa réserve parlementaire, ont croisé leurs expériences avec l’analyse de Loïc Blondiaux, universitaire, spécialiste de toutes les nouvelles formes de participation citoyenne.

L’analyse de Cécile Untermaier 

Je me suis rendu compte lors des élections législatives que les gens ne savaient pas ce qu’était un député, ce qu’il faisait. J’ai pris acte de la nécessité de faire comprendre le travail que nous faisons, ou que nous devrions faire à l’Assemblée nationale. Les associer aussi à la réflexion sur la loi, la loi qui s’applique à tous, qui est faite pour eux, les citoyens, et pas uniquement pour les députés.

Je suis donc partie de la complexité de la loi. « Prendre en compte et rendre compte » de notre travail de responsables politiques. L’idée a été d’examiner en amont des projet de loi avant qu’ils ne soient votés, dans le cadre d’un atelier où l’on travaille sur le texte, avec des citoyens et/ou des professionnels. L’important est de travailler en amont, de sorte que cet atelier soit bien un atelier de fabrication de la loi, que l’on puisse ensemble constater des insuffisances et, en tant que député, avec ce mandat représentatif, faire valoir des amendements que j’avais appelé des « amendements citoyens » qui reprenaient ces interrogations.

Il faut travailler sur un projet de loi en amont. On peut le faire de manière très différente. Soit le député prend en charge le texte et le présente au public invité, soit il fait intervenir une personnalité du territoire ou extérieure, ou un ministre, mais cela conduit à un déroulé de travail différent. Là le ministre peut lui-même reprendre directement à son compte des propositions et suggestions faites par des participants. Nous avions organisé en amont des visites de terrain sur le territoire pour informer et former les citoyens avant l’atelier.

Ce travail peut être fait sur des propositions de lois ou des missions parlementaires. J’ai eu à présider deux missions et j’ai fait de tels ateliers avec des députés membres de la mission. Nous avions exposé les objectifs de la mission. L’objectif est d’abord d’associer des citoyens, pas dans un esprit de « charité », mais de contribution à la fabrication de la loi. L’émergence d’idées du terrain, pour une loi qui va s’appliquer aux citoyens, qui doit être faite pour eux, est tout à fait fondamentale. Un gain pour le député qui fait une expérimentation, un test, du texte, qui se trouve enrichi de cette confrontation. Il se sent plus en légitimité quand il arrive à l’Assemblée nationale pour défendre des orientations révélées par la discussion. Nous sommes dans un contrat gagnant-gagnant.

L’objectif c’est la loi, mais c’est aussi une pédagogie. Expliquer l’institution, ou mettre l’institution en mouvement. Organiser ce mouvement pendulaire entre l’Assemblée nationale et la circonscription. Mettre en réflexion le rôle d’un député dans les institutions de la République.

C’est un outil qui peut être présenté de façon très variée. Il n’est jamais le même. Dix-sept ateliers depuis 2012, sur des textes de la commission dans laquelle je travaille, mais pas uniquement, car les textes de la commission des lois n’intéressent pas toujours spontanément les gens. Il faut aussi avoir cette approche en essayant de répondre à des interrogations des citoyens (par exemple le vieillissement, la fin de vie, le harcèlement sexuel, etc.).

Le lieu varie. J’ai une circonscription très rurale. J’ai organisé moi-même des ateliers itinérants, ainsi je fais un petit dossier de présentation du projet pour les participants. D’autres députés viennent comme spécialistes de certains sujets. Selon les sujets, les publics ne sont pas les mêmes.

En parallèle, a été mis en place un site web interactif sur lequel sont portés des projets de lois en discussion avec la possibilité pour les personnes de faire valoir des observations. Ce site a particulièrement bien fonctionné quand il s’est agi de travailler sur les professions réglementées et judiciaires. Les personnes se sont saisies de ce site pour faire remonter toutes leurs doléances.

Plutôt qu’une charge de travail supplémentaire, cela a été un enrichissement en plus des auditions du rapporteur que je conduisais, qui sont souvent assez institutionnelles. Nous avons lu, analysé, classé ces interventions, et nous les avons restituées dans le rapport du rapporteur. Il est important de garder une trace dès lors que l’on prend en compte ces éléments. Il est important que dans le rapport cette consultation apparaisse. J’ai fait cela sans rencontrer de difficulté de la part des administrateurs de l’Assemblée nationale. J’ai relaté cela en deux pages. Pour les professions juridiques, j’ai fait une synthèse complète des contributions.

Après 17 ateliers, le dispositif est légitime sur la circonscription et cela a contribué à mon identification sur le territoire. Ce n’est pas une modalité de travail obligatoire. Mais c’est une façon de restaurer le lien de confiance et de donner une autre image de l’élu. Cela prend du temps. Ce n’est pas en cumulant des mandats que l’on peut imaginer un tel dispositif. Mais c’est aussi parce que je ne cumule pas que j’ai la nécessité de le faire car si je ne veux pas être une députée hors-sol il me faut trouver des moyens de m’ancrer et d’exister et une méthode pédagogique et respectueuse pour s’ancrer dans le territoire. Si on est élu dans une circonscription, nous avons certes un mandat national, mais c’est aussi pour avoir un travail avec les citoyens qui nous ont élus. Cela relève aussi d’un souci de valoriser le Parlement, auquel je crois.

L’analyse de Loïc Blondiaux

Où en sommes-nous sur ces questions de participation aujourd’hui ?

Situation doublement paradoxale, du point de vue des citoyens et du point de vue du développement de ces dispositifs d’association des citoyens aux processus de décision.

D’un côté, un état de défiance très profond des citoyens à l’égard des institutions politiques ; un état d’indifférence croissante, une vie politique perçue comme étrangère aux préoccupations des citoyens, presque inutile. Pour un certain nombre de citoyens, le pouvoir politique ayant abdiqué, n’ayant plus d’influence sur les choses, il n’est plus vraiment nécessaire ni de voter ni de s’intéresser.

Dans certaines fractions de la population, on constate un état de radicalisation, de très forte contestation du principe même de la représentation, ce qui est assez nouveau. Jusqu’à présent la démocratie représentative était considérée comme la seule façon envisageable d’organiser la démocratie. Il y a eu dernièrement un certain nombre de mouvements, « Occupy », les Indignés, qui contestent le principe même de la représentation. Une forme d’allergie à la représentation dans une fraction importante de la jeunesse engagée.

Simultanément, une société qui ne cesse pas de s’exprimer sous différentes formes, de revendiquer, de s’intéresser à la politique au fond. L’intérêt pour la politique ne varie pas dans les enquêtes d’opinion. La défiance et l’insatisfaction sont fortes, mais pas de désintérêt. On voit des capacités de mobilisations, notamment locales quand un dossier les concerne ou les intéresse.

Par ailleurs, j’observe des mobilisations sur le net. Le monde du numérique est en train de subvertir nos institutions. Ils parlent de « hacker » les institutions, le Parlement, la démocratie représentative, avec un vocabulaire qui écarte ceux qui ne sont pas de la communauté. Mais ils importent dans la réflexion et dans l’action des principes de coopération horizontale, de recherche de consensus, ce qui est un vrai choc culturel avec nos institutions. Difficile de dire ce qu’il en résultera.

Le projet de loi numérique sert de prototype, de laboratoire, avec une consultation citoyenne et ce n’est pas un hasard que ce soit ce projet de loi qui porte cette expérience. Là il y a une demande sociale de participation. Le travail des ateliers législatifs citoyens n’est pas sans me faire penser au travail de la plateforme « Parlement et citoyens ».

Du côté de l’offre de participation, nous sommes non pas à la croisée des chemins mais dans une forme de paradoxe. Aujourd’hui, il est de plus en plus difficile de se désintéresser de cette question. Nous pouvons faire le constat de l’existence d’un grand nombre d’initiatives. L’attitude de condescendance qui dominait chez les élites vis-à-vis de cette thématique évolue doucement mais sûrement. On ne peut pas rester dans cette situation d’éloignement constant des citoyens à l’égard de la politique.

Il y a trois raisons de fond de s’y intéresser.

Difficile de ne pas constater que nos sociétés connaissent une forme de dérive oligarchique. Ce sont les citoyens et groupes sociaux les mieux dotés en capital social et économique qui ont le plus d’influence sur le processus de décision et cela à tous les niveaux. Or la démocratie est une promesse d’égalité. La promesse démocratique, c’est l’égale possibilité pour chaque citoyen d’influencer la décision (voir les travaux de Robert Dahl). Aujourd’hui, nous sommes très éloignés de cet idéal, notamment aux États-unis. En France, nous allons à certains égards vers la situation américaine que des auteurs comme Jacob S. Hacker et Paul Pierson décrivent dans le titre de leur ouvrage comme le Winner Take All Politics. Des publics vont de moins en moins voter et, à l’inverse, des groupes voient leurs intérêts économiques prévaloir sur tous les autres intérêts.

Une démocratie ne peut pas se passer d’une vie démocratique. Pour reprendre les réflexions fameuses de Tocqueville, une démocratie dans laquelle les citoyens se détournent de la vie citoyenne, de la vie publique, a toutes les chances de basculer dans une autre forme de société. Il convient de favoriser la participation du maximum de citoyens sur un maximum de sujets. Cette participation sera intermittente, elle ne peut pas être continue, tout le monde ne participera pas. Mais c’est une bonne chose en soi que d’accroître cette vie publique, citoyenne, de la société.

La pluralisation des points de vue pris en compte dans le processus de décision renforce la légitimité et la qualité de la décision. C’est toute l’idée du concept de démocratie délibérative. Ce qui est revendiqué par cette démocratie délibérative, c’est que plus on convoque de points de vue différents dans le processus d’élaboration de la décision, moins on a de risque de produire une décision contraire à l’intérêt général. Pas la question de la quantité de participants mais de la quantité des points de vue. Il y a une possibilité d’amélioration du processus de décision.

Au-delà de ces raisons de fond, on constate une prolifération d’expériences, une offre, qui rencontre ou non des demandes. Le domaine de l’environnement est un bon exemple. Dans le droit de l’environnement, à travers la Constitution et l’article 7 de la Charte de l’environnement, a été consacré le droit à la participation des citoyens à la fabrication des normes dans ce domaine.

Un droit à la participation s’est constitué autour de la Commission nationale du débat public, qui est en cours de renégociation (voir la commission « Richard »). Qu’en sortira-t-il ? Au nom de la simplification et de la croissance, des lobbys plaident pour un recul de la participation dans certains domaines.

Face à cela, il y a dans le domaine des équipements, par le bas, des formes de revendication qui s’affirment de manière radicale, comme les ZAD. Ils contestent les dispositifs classiques de participation. Dans le domaine de l’action publique locale, le budget participatif parisien est une tentative d’une certaine ampleur. Des collectivités locales, peu nombreuses, mènent des politiques participatives dans la durée et en tirent un certain profit (comme à Nantes par exemple). Dans le domaine de la politique de la ville, on peut souligner l’instauration des conseils de citoyens, même s’ils sont inégalement appliqués. Des collectifs existent et revendiquent des formes d’organisation communautaire, parfois assez offensives. Dans le domaine constitutionnel, à l’échelle internationale, des expériences commencent à peser : l’Islande, avec une plateforme wiki et un tirage au sort pour écrire une nouvelle Constitution, l’Irlande avec une assemblée citoyenne composée pour moitié de citoyens et pour moitié d’élus qui a proposé des réformes. Dans le domaine de l’élaboration de la loi, on peut citer l’expérience conduite sur la loi fin de vie par la présidence de l’Assemblée nationale ou le projet de loi numérique. De même, des plateformes externes proposent des formes de co-construction.

Tous les domaines ne sont pas concernés, mais un grand nombre d’expériences ont lieu en France et ailleurs. Aujourd’hui, il y a une qualité de dispositifs, une diversité, une sophistication des savoir-faire, une professionnalisation des spécialistes de ce domaine : tous les outils sont là. Ce n’est plus un déficit technique, mais un déficit de volonté politique, s’il faut en trouver un, au développement de ces pratiques. En quelques années, on a beaucoup évolué. La quantité et la qualité de la participation ne sont cependant pas garanties à chaque fois.

En face de cela, il demeure des réticences et des difficultés. Une forme d’effervescence est perçue sur ces questions : intéressement, imagination, mais aussi résistances très fortes. Une vraie réticence vient encore des élus. Beaucoup d’élus ne considèrent pas encore que cela puisse renforcer leur légitimité et ou améliorer la qualité de leur travail.

En France, nous avons une culture politique autoritaire particulièrement ancrée, à toutes les échelles et qui préside aux relations entre les gouvernants et les gouvernés. Pour le président de la République, le maire dans sa municipalité, une culture verticale du pouvoir, une personnalisation des rôles, une difficulté à débattre, une inaptitude au dialogue peuvent entraver le développement de ces dispositifs. Les citoyens sont très décevants aussi, ils n’ont pas un sens inné du dialogue, de l’écoute, de la délibération. Il y a donc beaucoup de travail à faire d’acculturation. L’une des clefs est la dépersonnalisation des rôles politiques, afin que lorsque l’on critique une mesure on ne perçoive pas cela comme une critique de la personne, qu’elle ne se sente pas attaquée personnellement, ni dans son statut même.

Du côté des citoyens, des frustrations se sont accumulées à force de fausses participations ou de participations sans enjeux. Cela conduit à démonétiser l’idéal participatif. Dès lors que l’on n’a pas vraiment l’intention de prendre en compte ce que vont dire les citoyens, il faut s’abstenir d’ouvrir une telle participation. À tel point que des collectifs (marginaux) ne croient plus du tout à la participation et se donnent pour objectif de subvertir de tels dispositifs. Il ne faudrait pas que ces types de réflexes se propagent.

Il y a aussi des difficultés intrinsèques à la participation. Il est très compliqué de produire des formes de délibération de qualité. Une problématique des inégalités renforcées par la participation (par exemple, les professionnels du droit). Dans les dispositifs les plus ouverts, ce sont les plus éduqués, plutôt âgés, déjà bien intégrés socialement, qui prennent le plus facilement la parole. C’est une difficulté considérable.

La difficulté connexe est celle de la représentativité. Jusqu’à quel point faut-il faire fi de la représentativité sociologique au bénéfice de la représentation des points de vue ? Alors même que ceux qui les portent ne sont pas forcément représentatifs sociologiquement de ceux qui les partagent ?

Se pose également la question de l’échelle. Cette ouverture est plus simple à l’échelle locale car, en effet, à des niveaux larges un risque de confrontation avec les dispositifs représentatifs traditionnels peut être rencontré. Il est difficile d’éviter cette concurrence – des pistes sur les enjeux d’amendements législatifs, ou de travail sur les études d’impact par exemple, existent pour essayer de faire face à cette difficulté au niveau législatif.

Comment faire admettre aux citoyens qu’au final les élus auront le dernier mot et pourront ne pas traduire leur volonté ? Un apprentissage de la déception qui doit se faire, mais ne peut se faire que si, quelquefois, cela produit des effets. Il faut de temps en temps donner des preuves. Innover sur les formes, faire attention aux détails. Il s’agit de valoriser les tiers, les organisations en charge de conduire ces débats publics, par exemple la commission nationale du débat public.

Regard sur les Ateliers législatifs citoyens

Les Ateliers législatifs citoyens sont une expérience intéressante, qui me rappelle une chose considérable mais souvent oubliée. La représentation et la participation ne s’excluent pas. La participation n’est pas un jeu à somme nulle. La participation rend démocratique la représentation. Pour que le processus de représentation soit véritablement démocratique, il faut des preuves de légitimité. Et là nous sommes dans un cas de ce type. Le rôle du citoyen ne peut pas s’arrêter au moment de l’élection. Il est en position d’être consulté, il peut interpeller, quand il le souhaite et pas seulement quand les élus le souhaitent. Formaliser ces moments oblige le représentant à se justifier auprès des représentés.

Un tel dispositif remplit toutes les fonctions que l’on peut attendre d’un dispositif de participation. Il repose sur l’idée que c’est pour les citoyens que l’on fait la loi et, pour reprendre une phrase célèbre de John Dewey – la métaphore du cordonnier –, « certes c’est le cordonnier qui sait comment faire les chaussures, mais c’est celui qui les porte qui sait si elles lui font mal ou pas ».

Le processus représentatif ordinaire permet la révocabilité des représentants lors des élections mais aussi à travers la possibilité qu’ont les représentés d’interpeller les représentants. Mais si on laisse les choses se faire, si on ne les organise pas, ce sont les citoyens les mieux armés qui s’empareront de ce pouvoir de prise de parole. Ce sont les groupes constitués qui ont toutes chances d’occuper la position d’interpellation et de demande. Si l’on veut diversifier et introduire un peu d’égalité, il faut contourner les capacités des groupes de pression, d’intérêt, par des dispositifs qui incluent des citoyens ordinaires.

Le rôle des élus a une dimension pédagogique : éduquer, informer et former à la chose politique. Et cela est une forme de sous-produit de ces démarches.

Le dispositif de « Parlement et citoyens » est très clair là-dessus : ce qui se joue là est la capacité de tirer profit de l’inventivité, de l’imagination, des capacités contributives des citoyens. Les citoyens ont vocation à critiquer, mais aussi à produire des solutions. Ces dispositifs de co-construction rappellent que les experts, les représentants n’ont pas la science infuse, et que tout cela peut enrichir le débat politique, qu’il existe des expertises profanes.

L’analyse de Colette Capdevielle

J’ai fait de même depuis le début du mandat, cela représente un travail considérable. Après l’effervescence de la campagne, l’élu est isolé du terrain. J’étais emmurée dans un mandat passionnant à l’Assemblée nationale mais avec une réalité d’agenda. J’ai aussi vite compris que mes concitoyens ne pouvaient pas comprendre les textes au regard de ce qui passe dans les médias, mais également le poids des lobbys. J’ai reçu des quantités de demandes de tels organismes.

J’ai préféré tout de suite confier l’organisation de ces ateliers à des sachants, à des techniciens. Cela m’oblige à travailler le texte et me fait connaître dans mon territoire tous les spécialistes des différents sujets traités mais aussi la pratique de l’itinérance, ainsi que le support de l’université.

Grâce à ces ateliers, on y découvre un noyau dur de participants, mais aussi, en fonction des textes, tout un public nouveau, auquel on ne s’attend pas. Cela reste toutefois un public assez privilégié, ou des gens directement concernés.

Nous réalisons un film pour résumer le travail, sur un projet de loi en particulier, une plateforme citoyenne pour le recueil de questions. Cependant, nous manquons de moyens et de visibilité. Les médias ne relaient pas, et même pour les annoncer il faut se battre.

La discussion

Loïc Blondiaux

C’est une problématique générale de la démocratie participative avec les médias. Dans la mesure où tant qu’elle ne suscite pas de conflit, elle n’intéresse pas les médias.

Colette Capdevielle

Nous arrivons assez bien à maîtriser l’information, la pédagogie du texte, à aller chercher des gens, mais le défi pour les prochains ateliers c’est d’en faire vraiment des ateliers, des lieux de contribution. Comment accompagne-t-on techniquement des gens qui expriment une idée générale pour en faire un amendement, y compris avec des professionnels ?

Cécile Untermaier

Il faut bien distinguer l’Atelier d’une information. Quand je faisais intervenir des sachants, je n’arrivais pas vraiment à faire ce travail de fabrique de la loi. C’est plus un travail de député dans sa technicité. Il faut que les gens lisent le texte avant et que nous rentrions dans la technicité de l’écriture du texte, dans la logique du travail parlementaire.

Françoise Imbert

Élue en 1997, j’étais à la commission des affaires sociales. Je me suis beaucoup intéressée au handicap. J’avais composé un petit groupe de travail au niveau local, pas forcément en lien direct avec ces questions, pour présenter un projet de loi et en discuter, ainsi que sur des décrets. Nous faisions des visites de terrain et travaillions sur le sujet à la suite. Cela a débouché sur des questions au gouvernement, des amendements, etc.

À la moitié de mon deuxième mandat, j’ai arrêté car c’était un travail qui demandait un temps considérable et dont nous manquons cruellement. Cela est regrettable car c’est un soutien important au travail législatif du parlementaire, et cela est très apprécié des participants.

Vito Marinese

Une question se pose sur la contrainte du temps dans l’organisation des ateliers législatifs : comment arrivez-vous à fixer la date d’un tel atelier pour que le produit de l’atelier arrive au bon moment dans le processus législatif ?

Dominique Raimbourg

Comment faire comprendre la différence entre la loi et la politique, comment bien faire comprendre le rôle de la loi qui n’est « que la norme » ?

Serge Bardy

J’ai rencontré les mêmes problématiques au début du mandat, et les mêmes démarches d’ateliers. J’ai pu utiliser des dynamiques préexistantes, mais aussi des réseaux spécifiques, par exemple dans le domaine universitaire ou avec les collectivités territoriales. En revanche, je n’ai pas réussi à ouvrir ces rencontres pour aller vers des citoyens lambda, les présents étaient toujours des gens concernés. Quand j’ai essayé d’ouvrir, j’avais en fait des militants ou sympathisants. À l’usage, cela prend trop de temps et pose un problème de gestion du temps.

Colette Capdevielle

Le temps est la vraie difficulté. Je fais toujours le lien avec le ministère, le travail législatif et les ateliers locaux. Mais cela suppose de fixer les dates bien en amont. Cela inscrit le travail dans le cycle du travail parlementaire et cela permet de faire de la pédagogie sur les marges que nos institutions offrent aux parlementaires pour faire évoluer un texte, ainsi que les limites à ces possibilités. Nous avons aussi fait travailler ensemble des gens très différents.

Loïc Blondiaux

Êtes-vous tous ici en mandat unique ?

Réponse collégiale

Oui.

Cécile Untermaier

Ici, nous sommes dans une culture participative. Il n’y a pas toujours grand-monde, mais cela ne nuit pas à l’intérêt de la démarche. Même avec une dizaine de personnes nous pouvons avoir une diversité intéressante de points de vue. La culture participative ne va pas se faire en un jour.

Loïc Blondiaux

Comment faire venir des gens qui ne s’intéressent pas spontanément à la vie politique, alors qu’ils sont souvent dans des équations personnelles très complexes, une indisponibilité intellectuelle, matérielle ? D’un certain point de vue, pour changer les consciences politiques il faudrait changer tout, le système économique, pouvoir prendre du recul par rapport à son travail ; se rendre disponible intellectuellement pour ces choses-là, ne plus se vivre comme des consommateurs mais comme des acteurs responsables, etc. Il existe des barrières considérables, cela ne peut pas changer en un jour.

Mais quelques éléments qui permettent de dire que quand on veut on peut aider à la participation, notamment vers les jeunes et les pauvres (j’appelle un pauvre un pauvre, les catégories populaires), il y a des conditions. Il faut notamment changer les formes habituelles de rencontre, de débat. Il faudrait se déplacer vers eux plutôt qu’attendre qu’ils viennent dans un lieu institutionnel et éviter des réunions de trois heures avec toutes les prises de parole et les rhétoriques, etc. Il s’agit de trouver de nouvelles modalités de communication, le jeu, le théâtre forum, l’image, la projection, le numérique pour les jeunes.

Que cela en vaille la peine. S’ils ne sont pas intéressés a priori par la chose publique, il faut que cela les concerne, que cela les intéresse, qu’ils soient en mesure de voir l’effet de ces dispositifs sur leur vie. Dès qu’il y a des choses concrètes en jeu, là on peut mobiliser et cela peut fonctionner, mais il faut renoncer à les solliciter sur tous les sujets, à n’importe quel moment. Quand il y a du grain à moudre, il y a une petite chance, comme par exemple le budget participatif de Porto Alegre ou sur des enjeux concrets. Les quartiers populaires se mobilisaient car les enjeux les concernaient directement.

 

Ces textes sont issues d’auditions réalisées dans le cadre d’un groupe de travail sur l’avenir du Parlement animé entre 2015 et 2016 par Dominique Raimbourg, alors député. Ils s’inscrivent dans la démarche « La loi pour tous, tous pour la loi« .

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