Démocratie, la menace fantôme

S’appuyant sur les résultats de la dixième vague du baromètre « Fractures françaises » réalisé par Ipsos, Sopra-Steria, Le Monde, le Cevipof et la Fondation Jean-Jaurès, Dorian Dreuil, membre de l’Observatoire de la vie politique de la Fondation, analyse l’évolution du rapport des Français aux élus et à la démocratie.

La séquence électorale de 2022, au-delà de l’accélération de la recomposition de la vie politique, a surtout acté le divorce des électeurs avec les institutions. Les chiffres de l’abstention en constante augmentation depuis près de quarante ans est la partie émergée d’un malaise démocratique profond. Le chapitre 13 de la dixième vague de l’enquête « Fractures françaises » montre ainsi la dégradation du rapport des Français aux élus et à la démocratie.

Représenter, délibérer ou participer ?

Au lendemain des élections législatives, le président de la République annonçait une « nouvelle méthode », consacrée dans l’architecture gouvernementale par la présence d’un ministre du renouveau démocratique. Cette méthode de gouvernance nouvelle se dévoile peu à peu par la mise en place du Conseil national de la refondation le 8 septembre 2022 ou par l’annonce d’une Convention citoyenne sur la fin de vie menée par le CESE à partir de décembre prochain. Ces deux dispositifs répondent aux innovations démocratiques du précédent quinquennat, le Grand Débat national (GDN) et la Convention citoyenne pour le climat (CCC). À l’heure où la démocratie représentative peine à intéresser les électeurs, le personnel politique, le monde universitaire et l’écosystème associatif tombent tous d’accord pour dire que d’autres formes de démocratie sont de nature à revitaliser notre vie politique. Représenter, délibérer ou participer, la question est pour la première fois posée dans l’enquête.

Graphique 1. Parmi les systèmes de gouvernement suivants, lequel a votre préférence ?

Les Français sont globalement partagés entre ceux qui préfèrent un modèle de démocratie représentative tel qu’il existe aujourd’hui (44% y sont favorables) et ceux qui lui préfèrent un modèle de démocratie plus directe (37%). À regarder de plus près les résultats par appartenance politique, les partis dits de gouvernement ou qui ont participé à un gouvernement ces vingt dernières années sont plutôt favorables au système proposé par la Ve République (EE-LV, PS, LREM, LR). Inversement et exception faite de Reconquête !, l’attachement à une démocratie plus directe revient sans surprise aux mouvements politiques qui n’ont pas encore exercé le pouvoir (RN et LFI). Que l’opinion soit partagée sur cet enjeu est peu surprenant alors que, depuis le XIXe siècle, le modèle représentatif connaît une hégémonie sur la démocratie.

Cette interrogation sur le modèle de démocratie laisse tout de même à penser qu’une troisième voie existe : celle de l’hybridation des modèles – comme proposé dans la note La participation citoyenne au secours de la République – qui ferait des systèmes représentatif, délibératif et participatif des expressions démocratiques plus complémentaires qu’exclusives les unes aux autres. Représentative ou délibérative, la démocratie reste le système politique dans lequel les Français ont le plus confiance.

Le pire des régimes à l’exception des autres

La démocratie est-elle le pire des systèmes à l’exception de tous les autres, comme l’affirme le plus célèbre aphorisme démocratique ? Oui, aux yeux des Français.

Graphique 2. La confiance des Français dans un régime démocratique

La question qui ne fait cependant pas débat est donc celle du choix de la démocratie vis-à-vis d’autres systèmes politiques. Pour la troisième année consécutive, la confiance des Français dans le système démocratique progresse légèrement. Un nouvel espoir qui ne doit cependant pas masquer que les deux tiers des Français estiment qu’elle fonctionne mal en France.

Graphique 3. Fonctionnement de la démocratie en France

Près de 67% d’entre eux estiment que le système démocratique français fonctionne mal et que leurs idées ne sont pas suffisamment représentées et ce malgré une Assemblée nationale beaucoup plus représentative des équilibres politiques. Ce sentiment coalise les sympathisants politiques de l’ensemble des partis politiques, à l’exception de celui qui est actuellement aux responsabilités, et traverse toutes les catégories socioprofessionnelles. Parmi les sympathisants politiques les plus sceptiques sur le fonctionnement de la démocratie, un sympathisant sur deux du Rassemblement national estime que d’autres systèmes politiques peuvent être aussi bons que la démocratie.

Il faut ajouter à ce résultat que l’image du personnel politique, même si elle s’améliore légèrement, reste très négative. Pour une majorité des Français, « la plupart des hommes et des femmes politiques sont corrompus » (57% sont d’accord avec cette affirmation), le personnel politique agit principalement pour ses intérêts propres au détriment de l’intérêt des Français (71% sont d’accord avec cette affirmation). La véritable question que suscitent ces résultats est celle de savoir combien de temps la confiance dans un régime dont on estime qu’il fonctionne mal peut durer.

Graphique 4. La confiance des Français dans le personnel politique

Conclusion

Une double conclusion doit nous interpeller à la lecture du chapitre 13 de la nouvelle vague de l’enquête Fractures françaises. La première est que, si le modèle démocratique est plébiscité en large majorité par les Français, il ne faut cependant pas sous-estimer la défiance généralisée envers le personnel politique et la méfiance unanime sur le fonctionnement de notre démocratie. Le sentiment de détérioration de la démocratie française est une véritable menace fantôme qui pèse sur notre régime politique.

La deuxième conclusion est que les Français sont partagés sur la question d’une démocratie strictement représentative ou plus délibérative. Les dernières grandes consultations n’ont sûrement pas laissé un excellent souvenir à celles et ceux qui ont participé au GDN ou suivi la CCC. Le nouveau quinquennat fait à ce titre office de session de rattrapage. De la réussite du CNR et de la nouvelle Convention citoyenne à montrer une véritable traduction politique des consultations dépend la confiance des Français dans des outils de démocratie plus directe. Il n’en reste pas moins l’intérêt de porter un message d’espoir d’un renouveau démocratique qui passe par l’hybridation des modèles représentatif et direct pour une démocratie plus continue et du quotidien.

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