En décembre 1920, la gauche française vit un événement fondamental de son histoire, à travers la scission de la SFIO lors de son 18e congrès à Tours : la tendance « majoritaire » du parti créera la SFIC, ou Parti communiste français, et celle des « minoritaires », refusant les 21 conditions de Lénine, maintiendra la « vieille maison » socialiste.
La Première Guerre mondiale, qui s’achève par l’armistice entre la France et l’Allemagne en novembre 1918, a bouleversé la classe politique française, notamment les partis issus du mouvement ouvrier : la SFIO, après l’assassinat de Jaurès le 31 juillet 1914, a choisi de rejoindre « l’Union sacrée » (ainsi définie par le président Poincaré dans son discours à la Chambre le 4 août 1914), et a participé aux gouvernements durant le conflit : Jules Guesde, Marcel Sembat et Albert Thomas sont ministres.
Mais l’unité de la SFIO va progressivement se décomposer, face à ce conflit qui n’en finit pas et qui entraîne d’incommensurables pertes humaines, mais aussi face à la révolution bolchevique de 1917 en Russie, emmenée par Lénine, qui balaye l’empire et instaure un nouveau régime, le communisme.
Le Parti socialiste, issu de l’union en avril 1905 des multiples formations socialistes qui existaient depuis la fin du XIXe siècle, va, à partir des élections législatives de 1919, se diviser inéluctablement en tendances radicalement opposées, qui vont violemment s’affronter lors du 18e congrès de la SFIO à Tours du 25 au 30 décembre 1920 :
– la tendance dite des « majoritaires », emmenée par Marcel Cachin (élu député en 1914, il a été envoyé en mission en Russie en 1917), Louis-Oscar Frossard et Charles Rappoport. Cachin et Frossard, qui reviennent en août 1920 d’un séjour à Moscou, où le précédent congrès de la SFIO, tenu au printemps 1920 à Strasbourg, souhaite l’adhésion du Parti socialiste français au Komintern, l’Internationale communiste fondée par Lénine en 1919 après la révolution bolchevique ; cette adhésion est soumise à 21 conditions énoncées par Lénine en juillet 1920 ;
– la tendance des « minoritaires », qui rejettent résolument l’adhésion aux 21 conditions du Komintern, et au nom desquels Léon Blum, ancien chef de cabinet de Marcel Sembat au ministère des Travaux publics, et élu député de la Seine en novembre 1919, prononce à la tribune de ce congrès un discours qui fait sensation parmi les délégués : « Pour la vieille maison ».
L’affrontement entre les deux tendances durant tout le congrès est d’une telle intensité, et les débats si houleux (la sténographie rend largement compte des innombrables invectives entre les délégués durant les interventions à la tribune), que la motion présentée par Blum et ses compagnons minoritaires, intitulée « Motion du comité de résistance socialiste », est finalement retirée du vote, celui-ci ne laissant aucune autre issue que la scission : 3208 voix pour les « majoritaires » partisans de l’adhésion au mouvement bolchevique, et qui fondent dès lors la SFIC, futur Parti communiste, contre 1022 pour les socialistes de la « vieille maison », rassemblés autour de Léon Blum, Marcel Sembat, Jean Longuet et Paul Faure, qui devient le nouveau secrétaire général de la SFIO, amputée mais maintenue.
Après le congrès de Tours, le quotidien L’Humanité, fondé par Jean Jaurès en 1904 et qui était devenu l’organe de presse de la SFIO, passe du côté des majoritaires, et donc du PCF : Marcel Cachin, qui dirige le journal depuis 1918, en sera le directeur jusqu’à sa mort en 1958.
Le tout nouveau Parti communiste français ne vivra cependant pas ses premières années dans la sérénité : certains des fondateurs vont se heurter très vite à la « bolchevisation » du parti par une nouvelle génération de militants formés auprès du Komintern, et vont être les uns après les autres exclus du PCF, ou en démissionner d’eux-mêmes entre 1920 et 1923. Parmi eux, Boris Souvarine, et Louis-Oscar Frossard (1889-1946), qui va finalement retourner à la SFIO, dont il sera député en 1928.
André Le Troquer, avocat et militant socialiste opposé à Cachin, qui a lu le télégramme de Zinoviev à la tribune du congrès de Tours (en 1942 il défendra Blum lors de son procès à Riom), fait en 1958 l’éloge funèbre de Marcel Cachin, où il livre ses impressions lorsque ce dernier et Frossard sont revenus de Moscou à l’été 1920 : « Le parti m’avait confié la tâche d’assurer l’intérim du secrétariat général pendant l’absence de Frossard et, le 11 août 1920, j’étais à la gare du Nord pour accueillir les deux voyageurs à leur retour de Russie. Je trouvai Frossard encore un peu réticent mais Marcel Cachin était enthousiaste, résolument décidé… Dès les premiers propos de Marcel Cachin j’avais été frappé par l’extension inattendue, et qui me paraissait grosse de menaces, qu’il donnait à la formule de Karl Marx : « La force est la grande accoucheuse de l’Histoire ». Je lui opposai une autre phrase célèbre qui me venait à l’esprit, que je crois vraie, qui était celle d’un des chefs de notre Révolution française, c’est ‘qu’on ne porte pas la liberté aux autres peuples à la pointe des baïonnettes’ ».
Archives
« Parti socialiste, 18e congrès national tenu à Tours, les 25, 26, 27, 28, 29 et 30 décembre 1920. Compte rendu sténographique » (intégral)
Discours de Marcel Sembat, 26 décembre (après-midi)
Discours de Marcel Cachin, 27 décembre 1920 (matin)
Discours de Charles Rappoport, 27 décembre 1920 (après-midi)
Télégramme de Zinoviev aux délégués du congrès de Tours, lu par André Le Troquer, 28 décembre 1920 (matin)
Discours de Louis-Oscar Frossard, 28 décembre après-midi : première et deuxième parties
Discours de Jean Longuet, 28 et 29 décembre 1920
Résolutions, décisions et motions présentées au congrès de Tours
Les historiens du socialisme et les cinéphiles peuvent également contacter le Musée Albert Kahn à Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine), qui conserve l’unique film existant à ce jour réalisé en décembre 1920 au congrès de Tours.
A lire aussi
1920 : retour sur le congrès de Tours, par Sylvain Boulouque (Fondation Jean-Jaurès, 9 décembre 2010)
Novembre 1918. Le socialisme à la croisée des chemins, par Romain Ducoulombier (Fondation Jean-Jaurès, 18 novembre 2008)
Les socialistes dans l’Europe en guerre. Réseaux, parcours, expériences, 1914-1918, par Romain Ducoulombier (L’Harmattan/Fondation Jean-Jaurès, 29 juin 2010)
Le premier communisme français (1917-1925). Un homme nouveau pour régénérer le socialisme, par Romain Ducoulombier (Fondation Jean-Jaurès, 2003)