Dans la tête des abstentionnistes. À l’écoute de ceux qui se taisent

Pour mieux comprendre les ressorts profonds de l’abstentionnisme, Destin Commun et la Fondation Jean-Jaurès proposent une étude qualitative, basée sur l’analyse de six focus groups menés auprès de personnes s’étant abstenues au premier tour de l’élection présidentielle. Contrairement aux idées reçues, l’abstention n’est pas le marqueur d’un désintérêt pour la politique mais témoigne surtout d’un sentiment de déconnexion de la classe politique.

Les quatre grandes raisons de l’abstention : loin d’un désintérêt pour la politique

Les raisons évoquées pour justifier l’abstention se structurent autour de deux axes : d’une part les critiques à l’encontre de la politique en tant que système vs du personnel politique, et d’autre part les critiques sur la finalité et le contenu de l’action politique, vs celles sur la forme et les moyens. Quatre types de causes de l’abstention apparaissent nettement : la perte de foi (impuissance de la politique, inutilité du vote)et le fossé (déconnexion et manque de sincérité des politiques), qui sont les raisons les plus citées, mais aussi les carences démocratiques (freins administratifs, manque d’information) et l’éthos des politiques (agressivité, politique-spectacle).

Autre cause profonde de l’abstention : un rapport dégradé aux médias et à l’information. Entre overdose et dépendance vis-à-vis de la télévision, les abstentionnistes expriment une forme d’angoisse face à une offre médiatique pléthorique et considérée comme « orientée ». In fine, ils se tournent vers leurs proches pour se forger une opinion et préfèrent regarder des émissions d’infotainment, dans un rapport plus léger à la politique.

Dans la tête des abstentionnistes : au pays du malaise et du repli

« Frustré », « sur un fil », « incertain », « perdu »… C’est ainsi que les abstentionnistes se décrivent eux-mêmes. Ce grand malaise est alimenté par une peur de l’avenir et un sentiment de complexification du monde qui nourrit une profonde défiance. Incertitude, complexité, impuissance : telles sont les trois composantes d’une nouvelle équation de la contestation, qui prend ici la forme de l’abstention. C’est aussi un grand repli qui caractérise ces abstentionnistes. Entre retrait, échappée, cocon ou recherche d’alternatives, l’enquête identifie les différentes formes qu’il prend aujourd’hui pour mettre à distance la société. 

Une nouvelle typologie des abstentionnistes

De l’abstention-sanction jusqu’au fait de déchirer sa carte d’électeur, et de la culpabilité au retrait assumé, tous n’ont pas le même rapport à l’abstention. Six profils se dessinent :  

  • Identitaires : la défiance généralisée
  • Libéraux optimistes : les primo-abstenants exigeants 
  • Stabilisateurs : les modérés lassés
  • Militants désabusés : la douloureuse désillusion
  • Attentistes : du détachement au renoncement
  • Laissés pour compte : les abandonnés abandonnent

L’environnement, une opportunité de réengagement ?

Sur ce défi majeur de notre époque, un constat positif : les abstentionnistes ne sont ni moins sensibles à la question climatique, ni moins mobilisés que la moyenne des Français. Ils expriment aussi de fortes attentes vis-à-vis de la politique sur ce sujet. La transition écologique peut donc être un vecteur de réengagement, à condition d’adopter une posture d’encouragement plus que de contrainte et de culpabilisation, et d’intégrer l’écologie à leurs préoccupations, notamment celles du pouvoir d’achat et de la santé. 

Table des matières

Introduction

Les raisons de l’abstention
La perte de foi
Les carences démocratiques 
Le fossé
L’éthos

Le paysage mental des abstentionnistes 
Le grand malaise
Le grand repli 
Une nouvelle typologie des abstentionnistes 

Les abstentionnistes et l’écologie
Préoccupation unanime, déception politique générale 
La transition écologique : des divergences sur l’approche 
De la préoccupation à l’engagement : les freins à lever 

Pistes d’action
Lutter contre l’abstention 
Accompagner la transition écologique 


À propos de Destin commun :    
Destin commun est un laboratoire d’idées et d’actions créé en 2017 pour lutter contre les phénomènes de polarisation et de fragmentation qui fragilisent la démocratie et la cohésion sociale, à travers une méthodologie d’étude fondée sur la recherche en psychologie sociale. Ses travaux alimentent la stratégie de nombreux acteurs de la société (médias, associations, syndicats, groupes de foi, entreprises…). Destin commun est une association de loi 1901, aconfessionnelle et non partisane. C’est la branche française du réseau More in Common, également implanté en Allemagne, au Royaume-Uni et aux États-Unis.

Raphaël Llorca est communicant et membre de l’Observatoire de l’opinion de la Fondation Jean-Jaurès. Il est l’auteur de La Marque Macron. Désillusions du Neutre (L’Aube, 2021) et des Nouveaux Masques de l’extrême droite. La radicalité à l’ère Netflix (L’Aube/Fondation Jean-Jaurès, 2021).

Laurence de Nervaux dirige Destin commun depuis juin 2021. Diplômée de l’ENS Ulm, de Sciences Po et de Princeton, elle a débuté sa carrière dans le secteur culturel (French Institute-Alliance française de New York puis Centre des monuments nationaux), avant de rejoindre la Fondation de France comme responsable des études et des affaires institutionnelles et internationales. Elle a notamment piloté pendant sept ans les enquêtes nationales de la Fondation de France sur l’isolement et la solitude en France.

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