Critique des mesures fiscales du programme du Rassemblement national

Que rĂ©vèlent les mesures fiscales du programme du Rassemblement national ? Pour Simon-Pierre Sengayrac, co-directeur de l’Observatoire de l’Ă©conomie de la Fondation, le projet budgĂ©taire du RN est de nature nĂ©olibĂ©rale et populiste. Il prĂ©voit une longue liste d’allègements d’impĂ´ts et de dĂ©penses nouvelles ou pas financĂ©es qui bĂ©nĂ©ficieraient aux classes aisĂ©es et non aux classes moyennes et populaires, comme le parti d’extrĂŞme droite l’affirme pourtant.

Le projet budgĂ©taire du Rassemblement national (RN) est sans doute le risque le plus important, et le plus tangible, du programme Ă©conomique de ce parti. Multipliant les mesures populistes, celui-ci prĂ©voit en effet une longue liste d’allègements d’impĂ´ts et de dĂ©penses nouvelles peu ou pas financĂ©es. Le coĂ»t budgĂ©taire de ce programme dĂ©passait 100 milliards d’euros en 2022, soit de l’ordre de 4 points de PIB1Institut Montaigne, Programme de Marine Le Pen, PrĂ©sidentielle 2022..

AjoutĂ© aux prĂ©visions de dĂ©ficit public pour 2024 de 5,1 points de PIB2Voir le programme de stabilitĂ© 2024-2027., le programme du RN conduirait Ă  creuser le dĂ©ficit Ă  plus de 9 points de PIB, soit du mĂŞme ordre de grandeur qu’en 2020, en plein pandĂ©mie de Covid-19 (il Ă©tait alors de 9,2 points de PIB3Insee, Comptes nationaux des administrations publiques, Informations rapides, 26 mars 2021.).

Ce risque pourrait se matĂ©rialiser Ă  très court terme car en cas de victoire, le parti a prĂ©vu de lancer immĂ©diatement un projet de loi de finances rectificatives (PLFR) pour mettre en Ĺ“uvre son programme sans attendre 20254Nina Jackowski, Â« Le plan budgĂ©taire du RN s’il arrive au pouvoir », L’Opinion, 12 juin 2024.. Rappelons qu’au Royaume-Uni, la Première ministre Liz Truss avait rapidement Ă©tĂ© destituĂ©e après avoir tentĂ© de mettre en Ĺ“uvre un programme budgĂ©taire au coĂ»t similaire (environ 100 milliards de livres).

C’est peut-ĂŞtre en prenant conscience de cette rĂ©alitĂ©, et alors que la Commission europĂ©enne a proposĂ© le retour de la France dans la procĂ©dure pour dĂ©ficits excessifs5« La France et six autres pays Ă©pinglĂ©s par la Commission europĂ©enne pour leur dĂ©ficit public excessif Â» , France Info avec AFP, 19 juin 2024., que le RN a commencĂ© Ă  renoncer Ă  nombre de mesures de son programme. Ă€ mesure que le pouvoir s’approche, le poids des dĂ©penses publiques proposĂ©es s’alourdit.

Au-delà de présenter en quoi le programme du RN est intenable d’un point de vue budgétaire, cette note vise à révéler la profonde nature néolibérale des propositions : il s’agit d’une succession d’allègements fiscaux en faveur des entreprises et des plus aisés.

Des allègements d’impôts néolibéraux

Le programme du RN rĂ©unit de nombreux allègements d’impĂ´ts en faveur des entreprises. Les responsables du parti ont rĂ©cemment Ă©voquĂ© la suppression de la taxe forfaitaire sur les armateurs6Jean-Michel Bezat, « Ă€ l’exception de la majoritĂ©, tous les partis veulent supprimer la niche fiscale des armateurs Â», Le Monde, 20 juin 2024., une niche fiscale permettant aux armateurs de payer un montant forfaitaire d’impĂ´t et non l’impĂ´t sur les sociĂ©tĂ©s. PrĂ©conisĂ©e par l’ensemble des partis (Ă  l’exception de Renaissance), cette mesure est l’unique visant Ă  alourdir la fiscalitĂ© dans le programme du RN. Elle rapporterait de l’ordre de 5,4 milliards d’euros7Projet de loi de finances pour 2024, Ă‰valuation des voies et moyens, Tome 2..

La suppression de la cotisation foncière des entreprises (CFE)

Également prĂ©vue par Emmanuel Macron, la suppression de la CFE, taxe foncière des entreprises, est aujourd’hui l’un des derniers Â« grands Â» impĂ´ts locaux. 

Sa suppression fragiliserait davantage les collectivitĂ©s qui, depuis 2017, ont subi la suppression de la taxe d’habitation (TH) et de la cotisation sur la valeur ajoutĂ©e des entreprises (CVAE). La CFE a rapportĂ© 9 milliards d’euros en 2023, contre 8,4 milliards d’euros en 20228Voir les cahiers statistiques DGFIP, juin 2024.. C’est l’un des derniers impĂ´ts sur lequel les communes et les intercommunalitĂ©s ont le pouvoir de fixer les taux. C’est donc une profonde remise en cause de la dĂ©mocratie locale et de l’autonomie financière des collectivitĂ©s territoriales.

Sa suppression aurait deux consĂ©quences. Elle serait tout d’abord dĂ©magogique, puisqu’en sont dĂ©jĂ  exonĂ©rĂ©s les artisans qui emploient de jeunes apprentis, les chauffeurs de taxis et d’ambulance, les pĂŞcheurs, certains exploitants agricoles, les Ă©coles privĂ©es et les professions mĂ©dicales, sans compter de nombreuses autres exemptions. Les entreprises qui supportent cet impĂ´t paient un montant moyen de 1 337 euros en 20239Voir DGFIP statistiques, les impĂ´ts locaux des professionnels en 2023..

La suppression totale de la CFE raterait de plus sa cible. L’allègement des impĂ´ts de production, dont la CFE fait partie, vise Ă  encourager la redynamisation du tissu industriel. Or, l’industrie ne reprĂ©sente que 6,4% de ses contribuables â€“ contre 16,7% dans le commerce et 10,8% dans l’immobilier10Voir DGFIP statistiques, les impĂ´ts locaux des professionnels en 2023.. Les autres secteurs pourraient bĂ©nĂ©ficier d’un effet d’aubaine, mais sans remĂ©dier aux faiblesses structurelles de l’industrie française.

La suppression de la contribution sociale de solidarité (C3S)

Cet impĂ´t est payĂ© par les entreprises sur leur chiffre d’affaires et vise Ă  financer la SĂ©curitĂ© sociale. L’Urssaf a collectĂ© 3,7 milliards d’euros en 2021, 4,3 en 2022, 4,8 milliards en 2023. Le montant prĂ©vu pour 2024 est de 5,1 milliards d’euros11Voir PLFSS 2024, annexe III.. Toute suppression de la C3S obligerait le gouvernement Ă  compenser la SĂ©curitĂ© sociale, sauf Ă  creuser davantage le dĂ©ficit de la SĂ©curitĂ© sociale, en particulier celui des retraites Ă  laquelle elle est affectĂ©e de manière exclusive cette recette12Voir PLFSS 2024, annexe III..

L’exonération de cotisations patronales sur les hausses de salaires (jusqu’à +10%) jusqu’à 3 Smic

Cette mesure ne prĂ©sente aucune originalitĂ©. Le montant des allègements gĂ©nĂ©raux de cotisations sociales adoptĂ©s depuis les annĂ©es 1990 se cumule Ă  73,6 milliards d’euros en 202213Voir les statistiques Urssaf, juillet 2023., pour des rĂ©sultats modestes. Un rĂ©cent rapport parlementaire a d’ailleurs mis en Ă©vidence l’inefficacitĂ© de l’allègement entre 2,5 et 3,5 Smic (« le bandeau famille Â»), dont le RN prĂ©conise la suppression pure et simple.

Cette idĂ©e d’exonĂ©ration s’inspire directement de la Â« prime de partage de la valeur ajoutĂ©e Â» (PPV) instituĂ©e par la loi du 16 aoĂ»t 2022. Celle-ci prend la forme d’une prime exonĂ©rĂ©e allant jusqu’à 6000 euros, dans la limite de 3 Smic, de cotisations sociales et de forfait social pour l’employeur et d’impĂ´t sur le revenu, de CSG (contribution sociale gĂ©nĂ©ralisĂ©e) et de CRDS (contribution au remboursement de la dette sociale) pour le salariĂ©. Près de 5 milliards d’euros de PPV ont Ă©tĂ© versĂ©s par les employeurs en 202214Voir les statistiques Urssaf.. Le Conseil d’analyse Ă©conomique (CAE) a dĂ©montrĂ© que les hausses de salaires ont Ă©tĂ© opportunĂ©ment substituĂ©es par ce dispositif de partage de la valeur ajoutĂ©e, induisant ainsi un effet nul sur la rĂ©partition de celle-ci15Voir CAE, 2023..

Techniquement, l’exonĂ©ration de cotisations patronales n’étant pas ciblĂ©e sur certains secteurs, elle profiterait Ă  des entreprises qui comptaient augmenter les salaires en tout Ă©tat de cause, ajoutĂ© au fait que le plafond â€“ 3 fois le Smic brut, soit 5301 euros en 2024 â€“ est construit de manière extensive. Elle crĂ©e ainsi des effets d’aubaine pour les entreprises très profitables, qui n’ont pas besoin de ce Â« coup de pouce Â» budgĂ©taire pour doper leur compĂ©titivitĂ©. Son coĂ»t pour les finances publiques a Ă©tĂ© estimĂ© Ă  10 milliards d’euros par l’Institut Montaigne en 202216Institut Montaigne, Programme de Marine Le Pen, PrĂ©sidentielle 2022.. En tenant compte de l’évolution de la masse salariale constatĂ©e en 2023 (+5,7%) et celle anticipĂ©e sur 2024 (+4%), le montant actualisĂ© est de 11 milliards d’euros. L’exonĂ©ration de cotisations va donc continuer Ă  assĂ©cher les finances sociales.

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Une politique fiscale régressive

La suppression de l’impĂ´t sur le revenu pour les entrepreneurs de moins de 30 ans

Derrière une apparence sociale, visant Ă  augmenter le pouvoir d’achat des jeunes afin de les aider Ă  se lancer dans la vie active et de lutter contre l’exil des Â« cerveaux Â»17Voir le dĂ©bat parlementaire PLF 2024., cette mesure masque de profondes inĂ©galitĂ©s. L’impĂ´t sur le revenu (IR) est en effet un impĂ´t progressif, payĂ© par moins de la moitiĂ© des foyers18Voir les cahiers statistiques DGFIP, juin 2024.. Les personnes Ă  bas revenus n’en bĂ©nĂ©ficieraient pas. Pour rappel, les moins de 30 ans touchent en moyenne 1900 euros par mois19Voir les donnĂ©es de l’Observatoire des inĂ©galitĂ©s., leur niveau de vie mĂ©dian, plaçant donc l’extrĂŞme majoritĂ© des jeunes en dehors de cette exonĂ©ration. En consĂ©quence, cette mesure ne bĂ©nĂ©ficierait qu’aux jeunes les plus aisĂ©s.

Cette mesure dĂ©montre une profonde mĂ©connaissance de la rĂ©alitĂ© sociale et entrepreneuriale du pays. 63% des entreprises nouvelles sont crĂ©Ă©es sous le statut de la micro-entreprise20DonnĂ©es Insee 2023., lequel offre dĂ©jĂ  un rĂ©gime très avantageux sur le plan fiscal. Ce statut explique la dynamique entrepreneuriale très forte en France, avec un doublement du nombre d’entreprises en dix ans. Les moins de 30 ans reprĂ©sentent 17,2% des crĂ©ateurs d’entreprise.

De nombreuses exonĂ©rations pour les nouvelles entreprises21Voir le site recensement impots.gouv. existent dĂ©jĂ . Certaines sont conditionnĂ©es Ă  l’implantation dans des zones gĂ©ographiques bien dĂ©finies (dispositif zones France ruralitĂ©s revitalisation, revitalisation des commerces en centre-ville…). D’autres dĂ©pendent de l’investissement en recherche et dĂ©veloppement et sont tournĂ©es vers l’innovation (jeune entreprise innovante, jeune entreprise de croissance, jeune entreprise universitaire…). Le premier exercice bĂ©nĂ©ficiaire est en gĂ©nĂ©ral exonĂ©rĂ© d’impĂ´t sur les sociĂ©tĂ©s, suivi d’un allègement dĂ©gressif jusqu’à la cinquième annĂ©e, et s’accompagne parfois d’une exonĂ©ration de CFE.

L’exonĂ©ration d’impĂ´t sur le revenu n’aurait donc probablement aucun impact significatif sur la crĂ©ation d’entreprises pĂ©rennes en France et ne rĂ©sorberait pas le chĂ´mage des jeunes. Il serait prĂ©fĂ©rable de travailler au renforcement de ces dispositifs plutĂ´t que de crĂ©er un privilège fiscal basĂ© sur l’âge. 

Le principe d’égalitĂ© devant l’impĂ´t, qui a valeur constitutionnelle, s’y oppose (articles 6 et 13 de la DĂ©claration des droits de l’homme et du citoyen). Le lĂ©gislateur ne peut y dĂ©roger que pour un motif d’intĂ©rĂŞt gĂ©nĂ©ral, Ă  condition que celui-ci soit cohĂ©rent avec l’objectif de la mesure22CĂ©cile de Barrois de Sarigny, « Le principe d’Ă©galitĂ© dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel et du Conseil d’État », Titre VII, avril 2020.. Si le but est de favoriser la crĂ©ation de jeunes entreprises, l’âge n’est pas un critère pertinent pour Ă©tablir une diffĂ©rence entre deux contribuables : pourquoi un entrepreneur de 50 ans n’en bĂ©nĂ©ficierait pas alors que le dernier fils de Bernard Arnault, oui – pour ne citer que cet exemple ?

Le refus de rĂ©tablir l’ISF 

Le Rassemblement national a proposé en 2022 de remplacer l’impôt sur la fortune immobilière par l’impôt sur la fortune financière. En seraient exclus la résidence principale, ainsi que l’ensemble des actifs immobiliers et mobiliers nécessaires à l’exercice de l’activité professionnelle (parts sociales de l’entreprise à hauteur de 75%). Cependant, il a refusé les amendements portés par la gauche qui proposaient le rétablissement de l’impôt sur la fortune.

Ce refus trahit un souhait de ménager les contribuables les plus aisés, alors même que le RN prétend s’adresser prioritairement aux classes populaires. Pourtant, la concentration du patrimoine augmente en France : les 10% les plus fortunés possèdent, en 2021, 47,1% du patrimoine total des ménages, contre 43% dix ans plus tôt23Voir Observatoire des inégalités, 2021..

Pourtant, le rĂ©tablissement de l’impĂ´t sur la fortune (ISF) dans son ancienne conception (avant son abrogation par Emmanuel Macron) permettrait de rĂ©cupĂ©rer au moins 4,5 milliards d’euros de recettes24ComitĂ© d’évaluation des rĂ©formes de la fiscalitĂ© du capital, 2023..

Le dĂ©tricotage des droits de mutation Ă  titre gratuit (« donations et successions Â»)

Le Rassemblement national propose de sortir les biens immobiliers de l’assiette des droits de succession Ă  hauteur de 300 000 euros. Aujourd’hui, un abattement de 20% sur la rĂ©sidence principale existe dĂ©jĂ , auquel s’ajoute un abattement de 100 000 euros sur l’ensemble de la succession pour les hĂ©ritiers en ligne directe (enfants, père et mère). Cette proposition reviendrait Ă  augmenter de 200 000 euros ce deuxième abattement, ce qui coĂ»te 3,8 milliards d’euros aux finances publiques25Institut Montaigne, 2022..

Le parti d’extrĂŞme droite milite Ă©galement pour un abattement de 100 000 euros (au lieu de 1594 euros) en cas de transmission par les grands-parents afin de favoriser la Â« mobilitĂ© du patrimoine envers les jeunes Â».

Ces mesures seraient de nature Ă  renforcer les inĂ©galitĂ©s patrimoniales. Le montant moyen reçu en hĂ©ritage est de 10 000 euros pour les 20% des Français les moins aisĂ©s, contre 200 000 euros pour les 20% les plus aisĂ©s26Voir l’étude DG TrĂ©sor.. Seulement 19% des hĂ©ritages sont d’un montant supĂ©rieur Ă  100 000 euros27Insee, Ă©tude Patrimoine 2021.. Ces abattements bĂ©nĂ©ficieraient donc exclusivement aux plus hauts patrimoines.

L’exonération fiscale et sociale des plus-values immobilières

Le groupe RN a dĂ©posĂ© une proposition de loi du 19 mars 2024 visant Ă  abaisser la durĂ©e Ă  quinze ans pour bĂ©nĂ©ficier d’une exonĂ©ration fiscale et sociale totale des plus-values immobilières. Cet avantage s’ajouterait Ă  celui applicable Ă  la rĂ©sidence principale. Par cette mesure, il prĂ©tendrait rĂ©duire les tensions sur le marchĂ© de l’immobilier. 

Aujourd’hui, cette durĂ©e est de vingt-deux ans pour l’impĂ´t sur le revenu et de trente ans pour les prĂ©lèvements sociaux. Son abaissement entraĂ®nerait donc une perte sèche de recettes fiscales au profit du budget de l’État et de la SĂ©curitĂ© sociale. Ces prĂ©lèvements ont, pour rappel, rapportĂ© respectivement 1,5 milliard d’euros et 1,25 milliard en 202228CPO, 2024..

Dans la continuitĂ© de l’idĂ©e d’exonĂ©rer l’immobilier de l’ISF, le Rassemblement national compte ainsi faire un cadeau aux riches qui sont multipropriĂ©taires â€“ 24% des propriĂ©taires disposent de 68% des logements possĂ©dĂ©s par des particuliers, 3,5% des propriĂ©taires dĂ©tiennent la moitiĂ© des logements en location, selon l’Insee.

Cette mesure ne rĂ©soudrait par ailleurs pas la crise du logement. Celle-ci s’explique essentiellement par une chute des constructions neuves, une baisse des crĂ©dits immobiliers et un manque de soutien public au logement social et Ă  l’accession Ă  la propriĂ©tĂ©29Rapport SĂ©nat 2024.. Comme l’indique la Cour des comptes dans un rapport rĂ©cent, la fiscalitĂ© ne figure ni parmi les dĂ©terminants ni parmi les solutions Ă  cette crise30CPO, 2024..

Une baisse irresponsable sur le plan écologique et budgétaire de la TVA à 5,5% sur tous les carburants

La baisse de TVA sur les carburants n’est pas permise par le droit européen. La directive TVA, révisée en 2022, ne réserve la possibilité d’instaurer des taux réduits pour que des produits et prestations mentionnées expressément dans son annexe III31Article 98., dont la livraison d’électricité, de biogaz, de gaz naturel et de bois de chauffage. Le taux réduit est donc possible pour la consommation domestique, mais non pour faire rouler son véhicule.

La mesure serait donc en l’état irrĂ©alisable pour l’essence et le gazole et exigerait de renĂ©gocier la directive au Conseil et au Parlement europĂ©ens, oĂą le groupe parlementaire IdentitĂ© et dĂ©mocratie (ID), auquel est affiliĂ© le RN, ne dispose que de 58 sièges sur 720 Ă  l’issue des Ă©lections europĂ©ennes de juin 2024.

Sur le plan budgétaire, elle induirait un manque à gagner fiscal a minima de 17 milliards d’euros. Sur un litre de carburant valant 1,80 euro, 0,30 centime est affecté aujourd’hui à la TVA, contre 8,3 centimes si cette mesure était adoptée. Du fait de la faible élasticité de la TVA sur les carburants (entre -0,21% et -0,40%), la hausse de consommation des carburants du fait de cette baisse serait très limitée. Le renouvellement du parc automobile et l’augmentation croissante du nombre de véhicules électriques accentueraient de fait ce manque à gagner. La mesure est donc très loin d’être autofinancée. Elle profiterait en outre à des ménages non résidents qui viendront s’approvisionner aux stations-essence frontalières.

Elle se rĂ©vèlerait Ă©galement un dĂ©sastre sur le plan Ă©cologique en ce qu’elle constitue une puissante incitation Ă  utiliser des carburants qui sont fortement Ă©metteurs de C02, mettant Ă  mal la stratĂ©gie carbone de la France dont l’un des axes forts est la diminution de moitiĂ© de la consommation Ă©nergĂ©tique Ă  l’horizon 2050.

Une démission face à la fraude et l’évasion fiscales

Le Rassemblement national ne propose rien de concret pour combattre l’évasion fiscale au Parlement europĂ©en32Voir verbatim de la sĂ©ance 14 juin 2023 consacrĂ©e aux Pandora Papers..

Pourtant, la coopĂ©ration europĂ©enne est fondamentale pour lutter efficacement contre le dumping fiscal et permettre l’Ă©change d’informations entre administrations. Depuis 2011, la directive sur la coopĂ©ration administrative en matière fiscale, qui permet d’échanger des informations de manière automatique entre les Ă‰tats membres, a Ă©tĂ© modifiĂ©e sept fois, pour couvrir un champ croissant de revenus et d’opĂ©rations (crypto-actifs, Â« tax rulings Â», comptes bancaires…). L’OCDE Ă©value Ă  126 milliards de dollars le montant de recettes supplĂ©mentaires rĂ©sultant du renforcement de la coopĂ©ration au niveau international menĂ© depuis 200933Voir rapport du secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral de l’OCDE au G20, fĂ©vrier 2024..

Sans doute pour ne pas froisser ses partenaires du groupe parlementaire Ă  Strasbourg IdentitĂ© et dĂ©mocratie, lequel refuse toute tentative de rĂ©former les impĂ´ts directs Ă  l’échelle europĂ©enne, le programme du RN indique seulement que la lutte contre la fraude fiscale nĂ©cessite que les paradis fiscaux de l’Union europĂ©enne « renoncent Ă  leurs pratiques dĂ©loyales Â», sans aucune autre prĂ©cision. 

Au niveau national, le plan de lutte contre la fraude proposĂ© par le Rassemblement national en 2023 n’est pas Ă  la hauteur de l’enjeu.

Il prĂ´ne naĂŻvement une Â« simplification du droit fiscal Â», tout en se gardant de prĂ©ciser quelles dispositions du code gĂ©nĂ©ral des impĂ´ts il entend simplifier â€“ ce qui est contradictoire avec l’activisme fiscal de son groupe Ă  l’AssemblĂ©e nationale. 

Certaines pistes sont du reste techniquement irrĂ©alisables. Pour lutter contre la fraude Ă  la TVA internationale, le parti d’extrĂŞme droite propose d’instituer un prĂ©lèvement Ă  la source sur les exportateurs français, remettant fondamentalement en cause la neutralitĂ© de cette taxe pour les opĂ©rateurs Ă©conomiques. Une telle disposition serait incompatible avec la directive TVA, ainsi qu’avec les libertĂ©s d’établissement et de prestation de services, protĂ©gĂ©es par les traitĂ©s europĂ©ens.

La proposition ne dit mot de l’impĂ´t minimum mondial sur les sociĂ©tĂ©s, que le RN n’a jamais publiquement soutenu34Voir le dĂ©bat sur la directive Pilier 2, mars 2022., ni sur le renforcement de l’échange d’informations, dĂ©montrant sa parfaite mĂ©connaissance ou indiffĂ©rence sur ce sujet. En matière de lutte contre la fraude sociale, le programme est lĂ . Pourtant, les enjeux financiers sont incomparables.

Par consĂ©quent, l’ensemble des mesures proposĂ©es par le Rassemblement national en matière fiscale est fidèle Ă  sa tradition poujadiste : soi-disant en dĂ©fense des classes moyennes et populaires, c’est en rĂ©alitĂ© un projet en faveur des plus aisĂ©s qui bĂ©nĂ©ficient de nombreux allègements fiscaux, d’une politique fiscale rĂ©gressive et d’un laissez-faire assumĂ© en matière de lutte contre la fraude et l’évasion fiscale. 

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