La crise liée à la pandémie de Covid-19 impacte négativement les droits et la situation des femmes et fait craindre des reculs importants en la matière, à court comme à long terme. Marlène Schiappa, secrétaire d’État en charge de l’égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations, dresse un état des lieux sur le sujet dans le monde et sur les enjeux post-coronavirus.
D’évidence, les femmes sont en première ligne au travail – soignantes, caissières, etc. – comme au foyer où la responsabilité des tâches domestiques combinées à l’école à la maison leur incombe toujours plus, générant parfois des situations proches de l’épuisement parental quand le télétravail doit trouver sa place dans le même espace-temps./sites/default/files/redac/commun/productions/2020/2704/schiappa_eng.pdf
L’enfermement, principe du confinement, accroît les violences conjugales et intrafamiliales tout en diminuant la possibilité pour les femmes de trouver de l’aide pour y faire face ou de mettre fin à la cohabitation. Dans certains pays, la pandémie de coronavirus remet en cause l’accès aux droits sexuels et reproductifs des femmes, que ce soit par décision politique ou, de facto, quand l’afflux de malades limite parfois le recours à l’avortement.
La fermeture des écoles décidée dans la majorité des pays touchés par la pandémie éloigne les filles de l’éducation et, comme au temps d’Ebola, précipite des situations dangereuses comme les mariages forcés ou les grossesses précoces, et ce pas uniquement sur le continent africain.
Enfin, le débat public en période de crise tend à réduire la visibilité des femmes, qu’il s’agisse des expertes scientifiques ou des journalistes, ainsi que leur participation aux processus de décision.
Nombreuses sont celles qui alertent sur des reculs probables, à terme, en matière de place des femmes dans l’économie ou même, dans une moindre mesure, de valorisation du sport féminin. Les inégalités professionnelles entre femmes et hommes risquent de se creuser à moyen terme et la mobilisation pour les droits des femmes peut être matériellement mise en danger dans un contexte de crise économique.
La perspective de sortie de confinement fait, en outre, craindre un phénomène de « décompensation » collective qui risque de créer un terreau malheureusement favorable aux violences sexuelles, dans un contexte où réflexes sociétaux conservateurs cautionnent un « backlash » contre l’émancipation des femmes, comme un possible retour massif des femmes au foyer. Ce texte propose une analyse de ces phénomènes mondiaux et alerte pour appeler à la mobilisation collective face à ces menaces globales.
Infirmières, enseignantes, caissières : les femmes en première ligne
Partageons d’abord un état des lieux, constat statistique : les métiers les plus mobilisés dans le contexte de la pandémie – soin, éducation, caisses des grands magasins – sont des métiers dits du « care », occupés très largement par les femmes. De nombreuses publications le soulignent, partout dans le monde, les femmes sont en première ligne pour soigner, protéger, éduquer ou nourrir pendant la crise. Dans un hôpital, la profession la plus présente en nombre est la profession d’infirmier. Or, sur les 28 millions de personnels infirmiers que compte la planète, 90% sont des femmes, selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), qui analyse, dans un rapport sur la situation du personnel infirmier dans le monde de 2020 : « La profession infirmière reste très genrée, avec tous les biais que cela suppose sur le lieu de travail. […] Dans le secteur de la santé, peu de postes de direction sont occupés par des femmes. Les données tendent à indiquer que les femmes sont moins bien payées que les hommes et qu’elles subissent au travail d’autres formes de discrimination fondée sur le genre. » Parallèlement, les femmes représentent près de 47% des médecins selon l’OCDE, 90% des aides-soignantes, et la grande majorité des personnels de nettoyage des hôpitaux habituellement « invisibles » pour beaucoup.
Dans son essai Le soin est un humanisme, la philosophe française Cynthia Fleury qui défend une « société du “care” » écrit : « Le soin, c’est ce qui fonde notre humanisme. Ce pas de plus dans l’humanisme a lieu avec le fait de prendre soin. On sacralise l’autre. Et on considère que c’est ce qui nous inscrit dans l’espace-temps aujourd’hui. » Les soignantes et les soignants nous inscrivent assurément plus que jamais dans une temporalité biologique, longue et lente, et l’état des lieux des forces en présence force à voir à quel point les femmes y sont actives.
Au-delà des professionnelles du soin, les femmes sont aussi majoritaires parmi les bénévoles et les volontaires ou les groupes montés pour l’occasion, ce encore partout dans le monde. Les « couturières » qui fabriquent bénévolement des masques pour leurs quartiers, par exemple. Ainsi, « l’Éthiopie s’appuie sur un bataillon de 40 000 femmes pour faire de la prévention contre le coronavirus », explique Temesgen Ayehu, ministre éthiopien de la Santé, dans une dépêche Reuters d’avril dernier. « Ce sont des auxiliaires de santé et la confiance que ces femmes ont bâtie au fil des ans nous aidera à atteindre plus vite les diverses communautés ». Célébrées et applaudies, elles sont pourtant la cible de malveillances individuelles au motif de leur métier.
Surreprésentées dans les secteurs du soin, elles le sont aussi dans un autre secteur en première ligne : l’enseignement. D’après les données compilées par la Banque mondiale, plus de 66% des personnels de l’enseignement sont des femmes dans le monde et c’est particulièrement marqué dans les pays touchés par la pandémie qui ont dû passer par une période d’école dite « à la maison » : 87% en Allemagne, 87% en Espagne, 96% en Italie, 87% aux États-Unis… Ces femmes ont donc dû faire face à la fois au confinement avec leurs propres enfants le cas échéant mais aussi à la mobilisation pour préparer l’école à distance et continuer à travailler pour poursuivre l’éducation des élèves. Comme pour les autres secteurs féminisés, leurs salaires restent dans de nombreux pays du monde bien inférieurs aux moyennes des salaires de cadres du secteur privé.
Enfin, dans la grande distribution, les femmes sont peu nombreuses à la direction de magasins ou des grandes enseignes mais très majoritaires parmi les personnels de caisse ou de vente, le plus au contact de la population. Un constat qui amène le journal féministe français Les Nouvelles News à évoquer une première ligne formée par « les soldates du “care” » dans cette « guerre », les soldats au front sont très majoritairement des femmes, avec tous les risques que cela comporte, pendant et après la bataille, et toujours la moindre rémunération qui les accompagne.
Si ce constat met en avant le travail mené majoritairement par ces femmes, la réflexion sur les mutations de nos modèles économiques et sociaux ne pourra pas s’exonérer d’une réflexion sur la revalorisation de ces métiers très féminisés, dont chacun s’accorde désormais à dire qu’ils sont essentiels pour faire tenir une société. En attendant, elles sont la première ligne.
De retour au foyer, des femmes potentiellement surmenées
Habituellement, partout dans le monde, la répartition des tâches éducatives et domestiques s’organise de manière très déséquilibrée entre les femmes et les hommes. Et ce, indifféremment du « temps libre » ou du niveau de rémunération de chacun. Dans le monde, en moyenne, près de 70% des tâches ménagères sont accomplies par les femmes. Ce déséquilibre, plus ou moins marqué en fonction des habitudes des différents pays, existe dans tous les pays sans exception, du Danemark à l’Inde en passant par la Chine ou la Nouvelle-Zélande. Il n’existe aucun pays au monde où les hommes accomplissent en moyenne plus de travail non rémunéré à la maison que les femmes. Aucun.
Le confinement renvoie à domicile de nombreuses femmes comme de nombreux hommes. Mais l’impact diffère d’un genre à l’autre : le confinement creuse l’inégale répartition des tâches domestiques. En moyenne, en confinement, les hommes en font un peu plus. En moyenne, en confinement, les femmes en font beaucoup plus. Renvoyer les hommes et les femmes à la maison n’a pas le même sens historique ni sociologique. Pendant des générations, l’un des deux genres a eu besoin d’une autorisation de l’autre pour pouvoir sortir travailler. Le rôle stéréotypé de l’un des deux genres, pendant des générations, n’a pas été de mettre les pieds sous la table en lisant le journal mais de s’activer dans la cuisine. Une étude du gouvernement montre, en France, que 58% des femmes passent plus de deux heures par jour à accomplir des tâches ménagères contre seulement 35% des hommes pendant la pandémie.
Votre confinement ne se réalise pas dans les mêmes conditions selon que vous passez des heures à entretenir le foyer et vous occuper des enfants ou que vous bénéficiez du ménage fait par une autre personne. Une étude allemande démontre, par ailleurs, que la flexibilité permise par le télétravail lors du confinement sera utilisée différemment par les hommes et les femmes, ces dernières consacrant plus de temps dégagé par l’absence de transports ou de réunions physiques à s’occuper des enfants.
« Les crises sont le terreau des réflexes conservateurs. Concernant les rapports de genre, les situations d’exception mettent brutalement en visibilité la perpétuation d’une répartition traditionnelle des rôles et fonctions. De façon générale, en temps dit “normal”, ce sont déjà les femmes qui réduisent leurs propres activités pour assurer le soin des enfants (temps partiel, congé parental, etc.) Cela s’exacerbe en période de crise », analyse la consultante Marie Donzel pour le programme Eve.
Prenons la question de la cuisine. La fin de l’accès à la cantine a renforcé la précarité de nombreuses familles modestes (dans les pays qui proposaient un service de cantine scolaire), n’ayant plus accès aux repas financièrement accessibles et, pour la plupart, équilibrés d’un point de vue nutritif. Mais la fin de l’accès à la cantine a également induit que les femmes préparent et réalisent désormais l’immense majorité des repas. La fermeture des cantines, conjuguée à la fermeture des restaurants, bars et fast-foods pèse principalement sur les femmes. Je mentionne les fast-foods car, quelle que soit l’opinion de chacun sur ce secteur, force est de constater que Burger King sert 11 millions de menus par jour dans le monde. Chaque seconde, 706 personnes poussent la porte d’un McDonald’s quelque part dans le monde. Les principaux clients en sont les jeunes et les familles avec des enfants. Qui va désormais préparer tous ces repas ? En France, l’étude Harris Interactive pour le gouvernement montre que, dans 63% des familles, c’est la femme qui se charge seule de tous les repas et des goûters ou collations pour les enfants. Dans la majorité des familles de quatre personnes, en deux mois de confinement, la femme du foyer a donc préparé 480 repas, de la conception (« qu’est-ce qu’on mange ce soir ? ») à la liste des courses, en passant par la vaisselle.
Ces tâches concrètes s’ajoutent à la charge mentale habituelle des femmes : la majorité des aidants familiaux sont des aidantes. Ce sont, dans la plupart des familles, les femmes qui organisent les plannings, prennent l’initiative d’organiser un échange par téléphone avec les personnes âgées de la famille. « La dépendance des personnes âgées est une affaire de femmes. Qu’on se le dise ! Elles sont, en effet, doublement concernées : majoritairement dépendantes et principales pourvoyeuses d’aide. »
Dans le même temps, les habituelles injonctions sur l’apparence des femmes ont toujours cours : les plaisanteries grossophobes sur « avant / après » le confinement, expliquant à quel point les femmes grossiront, et donc deviendraient indésirables aux yeux des hommes, fleurissent sur les réseaux sociaux, mentionnant également, comme un drame, les racines et les cheveux blancs des femmes dus à la fermeture des coiffeurs ainsi que l’absence d’accès à un salon d’épilation dans plusieurs pays. Le gouvernement malaisien a présenté ses excuses pour avoir donné des conseils jugés sexistes aux femmes pendant le confinement (se maquiller chaque jour pour plaire à leurs conjoints). Il ne s’agit évidemment pas ici de juger les pratiques individuelles des unes ou des autres, mais de mettre l’accent sur ces injonctions incessantes pesant sur les femmes.
La sociologue anglaise Heejung Chung de l’université de Kent évoque même un « retour à la femme au foyer des années 1950 » et une assignation à des rôles stéréotypés à la faveur du confinement. En sortie de confinement, c’est tout simplement un risque d’épuisement silencieux qui court pour de nombreuses femmes prises en étau entre ces différents phénomènes, sans même parler de la crise économique qui risque d’induire un débat au sein des couples hétérosexuels avec enfants autour de la question : qui de toi ou moi restera à la maison s’occuper des enfants et qui ira chercher du travail ? Nous connaissons tous, et surtout toutes, la réponse.
Augmentation de toutes les violences sexistes et sexuelles
Si la prévalence exacte est difficile à quantifier précisément faute d’une possibilité d’indicateurs fiables immédiats, de nombreux pays font état d’augmentation des signalements aux forces de l’ordre ou des traitements en justice des violences conjugales pendant le confinement. « Au cours de ces deux dernières semaines, à Mexico, les personnes arrêtées pour violences familiales pendant la circonstance de Covid-19 ont augmenté de 7,2% et 1608 dossiers d’enquête pour violence familiale ont été ouverts, selon le bureau du procureur général », rapporte un article du journal El País, évoquant par ailleurs une augmentation allant jusqu’à +60% des appels selon certaines associations. Au Royaume-Uni, les autorités évoquent trois fois plus de femmes tuées par leur conjoint pendant le confinement. En France, cinq fois plus de signalements de violences conjugales sur la plateforme en ligne des forces de l’ordre.
En cause, évidemment, l’enfermement avec un prédateur ou un homme violent, mais aussi la plus grande difficulté pour les femmes de sortir et de trouver de l’aide auprès de collègues, d’amies ou de leur famille. En outre, le confinement peut exacerber les tensions et créer des conflits : sans confondre conflits et violences, l’un peut mener à l’autre et l’escalade s’accélère sans soupape de décompression, intervention extérieure d’un tiers ou possibilité immédiate facile de mise à l’abri. Dans d’autres pays, les violences conjugales semblent en augmentation, mais le rythme des féminicides semble, dans le même temps, se ralentir. Les données chiffrées actuelles sont toutefois à prendre avec une grande précaution : l’on sait que les féminicides surviennent souvent après un élément déclencheur, tel que, dans au moins la moitié des cas, l’annonce ou la crainte d’une séparation ou d’un départ. L’homme violent, considérant sa compagne comme un objet lui appartenant et la déshumanisant, préfère la voir morte qu’autonome et passe alors à l’acte. Ces scénarios sont de facto limités pendant le confinement, mais risquent d’exploser au moment de la levée de celui-ci dans plusieurs pays si, comme en Chine, les demandes de divorces deviennent exponentielles.
Au-delà des violences conjugales, les violences intrafamiliales suivent le même chemin. Enfermées, les jeunes filles sont plus sujettes aux dérives sectaires de leurs familles quand celles-ci leur imposent des pratiques radicales auxquelles elles ne souscrivent pas. Dans les familles, au-delà du viol conjugal, les violences sexuelles sont plus souvent proférées contre les enfants, notamment les petites filles. En ce moment même, des milliers d’entre elles sont enfermées avec un violeur ou un agresseur sexuel qui profite d’une période où ni l’école, ni les membres de la famille ne peuvent intervenir pour la protéger et où toutes les stratégies d’évitement des jeunes victimes (dormir chez une amie, en inviter une, partir chez ses grands-parents…) sont empêchées. Ces violences silencieuses bourdonnent. Lorsque l’on connaît la prévalence des violences sexuelles sur les enfants, l’enfermement d’une génération porte en soi des risques importants dans sa construction. L’accompagnement de ces psycho-traumatismes devra être au rendez-vous partout.
De même, le désœuvrement lié au confinement, le manque d’encadrement et le sentiment d’impunité des cyber-agresseurs derrière leur écran tend à favoriser le harcèlement en ligne. Raids numériques sexistes ciblés contre des influenceuses ou des jeunes femmes, cyber-harcèlement ciblé des femmes publiques, scientifiques ou politiques, prenant la parole dans les médias, et « revenge porn » explosent pendant le confinement. En France, l’une de ces opérations porte même un nom, « fisha ». Le principe : mettre en ligne des photos ou vidéos intimes de très jeunes filles, prises lors de viols ou de rapports consentis, avec leurs coordonnées et leur identité dans le but de les humilier. Une cinquantaine de jeunes filles en ont été victimes (les contenus ont finalement été retirés à la demande des associations, des avocats et du gouvernement) tandis que, côté plateformes en ligne, la modération s’avère parfois plus lente que d’habitude. En réponse aux signalements de propos sexistes, l’on reçoit actuellement ce message de Twitter : « Nous allons étudier votre signalement dès que possible mais cela prendra plus de temps que d’habitude. » Selon Twitter, les victimes doivent patienter.
« Lorsque les smartphones et les réseaux sociaux sont devenus omniprésents pour les étudiants, les taux de cyber-intimidation ont augmenté. Cela a du sens, bien sûr, car il y avait maintenant un nombre presque illimité de cibles et d’agresseurs potentiels », analyse Sameer Hinduja, professeur à l’École de criminologie et de justice pénale du College for Design and Social Inquiry de la FAU et co-directeur du Centre de recherche sur la cyber-intimidation, dans un article de Gisele Galoustian pour l’université de Floride. « Eh bien ! Pendant cette période sans précédent où ils sont tous coincés à la maison, ces mêmes étudiants utiliseront les applications encore plus qu’ils ne le font déjà, car ils seront obligés d’utiliser des plateformes en ligne pour apprendre, quel que soit leur niveau de confort ou de compétence. Les enseignants dispensent une éducation non seulement dans des systèmes de gestion de l’apprentissage comme Canvas, Blackboard et Moodle, mais même sur Roblox, Twitch et YouTube, entre autres. » Revers de la médaille de cette continuité pédagogique virtuelle : les chemins d’accès des harceleurs vers leurs victimes sont démultipliés et rendus indispensables dans les journées des plus jeunes.
De même, les sites pornographiques indiquent une augmentation des consultations telle (25% à 50% de trafic en plus selon les pays) que certains ont même dû promettre aux autorités de réduire leur bande passante afin d’en laisser disponible pour le télétravail. Plusieurs plateformes ont profité du confinement pour lancer des opérations marketing avec contenus amateurs gratuits et cette consommation quotidienne amène certains internautes à vouloir visionner des contenus toujours plus violents ou choquants. C’est l’escalade. Le rapport d’une ONG indienne, ICPF, indique « jusqu’à 200% de la demande de contenu violent qui montre des enfants “étouffés”, “saignant” et “torturés” pendant la période de l’étude » pendant la pandémie. La demande de contenus nouveaux explose et ce sont donc les femmes et les jeunes filles dans les situations les plus précaires et difficiles qui en pâtissent, dans des conditions atroces. Cette surconsommation de porno – dont les scénarios sont loin d’être féministes, c’est un euphémisme – renforce, par ailleurs, fatalement, la représentation stéréotypée de la sexualité et contribue à dévoyer l’image des femmes, ce qui n’aidera pas à réaffirmer la notion de consentement sexuel quand le confinement sera définitivement levé.
Quant au harcèlement de rue, si l’on peut d’instinct estimer que, confinées, les femmes sont moins suivies dans la rue, de nombreux témoignages induisent une réalité plus nuancée. « Nous sommes en pleine pandémie et je viens juste d’être harcelée dans la rue ! », clame le titre d’un article du Telegraph au Royaume-Uni. En Inde, l’ensemble des violences sexuelles semble avoir augmenté pendant le confinement : « Selon les données de la Commission nationale pour les femmes, 257 cas de délits contre les femmes d’une durée de dix jours (du 23 mars au 1er avril) ont été enregistrés, contre 116 cas enregistrés pour une durée de sept jours normaux (2 mars au 8 mars). 13 cas ont été enregistrés dans le cadre du viol ou tentative de viol, par rapport à la moyenne de deux cas pendant les jours normaux. Les dix jours de l’isolement ont également vu une augmentation des cas de violence domestique qui sont passés à 69 au 1er avril, contre 30 entre le 2 mars et le 8 mars », indique un article de l’Indienne Anushika Srivastava.
Il est également à craindre une terrible et substantielle augmentation de toutes les violences sexuelles dites « de rue » au moment du déconfinement, où les phénomènes de décompensation risquent d’accentuer différents comportements à risque, un sentiment d’impunité et de toute-puissance des agresseurs sexuels. Cela doit partout être anticipé pour être évité ou combattu.
Menaces sur les droits sexuels et reproductifs
Comme le notent Susan Papp et Marcy Persh de l’ONG canadienne Women Deliver, « L’éducation à la vie affective et sexuelle cesse (avec le confinement), mais une partie de la vie continue pendant le confinement : les jeunes filles poursuivent leur puberté, certaines vont avoir leurs premières règles pendant le confinement, apprennent une grossesse, accouchent. »
Pourtant, pendant la pandémie de Covid-19, l’accès des femmes à leurs droits sexuels et reproductifs est menacé par plusieurs facteurs. D’abord, le plus évident, certains décideurs anti-choix utilisent cette crise pour faire passer ou tenter de faire passer leurs décisions de restrictions ou d’interdictions d’accès à l’IVG (Texas, Pologne,…). Ensuite, parce que de nombreuses femmes, sidérées par la crise et par le confinement, risquent un déni de grossesse dans la période, voire un chamboulement de leurs cycles habituels rendant moins évident le constat d’une grossesse. Enfin, par crainte de se rendre à l’hôpital ou par moindres disponibilités, réelle ou supposée en fonction des pays, de ceux-ci. Si bien que, même dans les pays les plus progressistes et les plus avancés en matière de droits des femmes, une menace subsiste en matière d’accès à l’IVG, comme le résume parfaitement la Canadienne Leah Rumack. « Même si les Canadiens ne seront probablement jamais confrontés à une situation comme les femmes de l’Ohio ou du Texas – où les politiciens anti-choix utilisent Covid-19 comme une ruse complètement transparente pour arrêter ou “reporter” indéfiniment les avortements – il y a une préoccupation très réelle que les soins de santé génésique vont glisser sur la liste des priorités à mesure que la pandémie s’aggrave et que les ressources s’épuisent. » Et ce alors qu’une interruption de grossesse ne peut pas, par nature, attendre ou être reportée – c’est ce qui a amené la France à repousser les délais légaux pour les avortements par médicaments.
L’UNFPA analyse aussi : « L’épidémie Zika nous a appris que les différences de rôle à jouer entre les femmes et les hommes signifiaient que les femmes n’avaient aucune autonomie quant à leurs décisions sexuelles et reproductives, fait aggravé par leur accès inadéquat aux soins de santé et par les ressources financières insuffisantes ne leur permettant pas de se rendre aux hôpitaux et aux centres de soin pour des visites médicales pour leurs enfants, bien que les femmes effectuent un contrôle sur la plupart des activités communautaires. Souvent, le niveau de représentation des femmes dans la planification et l’intervention en cas de pandémie est également insuffisant, comme on peut le constater dans certaines mesures nationales et mondiales de lutte contre le Covid-19. » Toutes ces menaces sur la situation des femmes sont liées les unes aux autres. Quand les femmes et les féministes sont moins représentées dans les processus de décision, il est rare qu’une assemblée exclusivement masculine aborde spontanément les questions d’endométriose, d’épuisement maternel, de préparation à l’accouchement en confinement ou d’IVG – saluons ici les quelques hommes de pouvoir engagés pour les droits des femmes et qui, eux, le font.
Par ailleurs, les anti-choix n’abandonnent pas leur combat contre le droit des femmes à disposer de leur corps dans la période et instrumentalisent la lutte contre la pandémie avec des arguments comme « le monde sauve des vies, vous voulez en supprimer » utilisant leurs rhétoriques traditionnelles. C’est également ce qui nourrit une vague d’homophobie à destination des lesbiennes, sur fond de complotisme et de déclarations hasardeuses sur les origines ou la transmission du virus. Notons des difficultés d’accès spécifiques aux femmes qui pâtissent de discriminations croisées : une femme en transition de changement de sexe aura un accès plus difficile à son traitement ; une femme en situation de handicap aura plus de difficultés à accéder en toute autonomie à des rendez-vous physiques ou même à des téléconsultations avec des médecins ou des sages-femmes ; une femme en situation de handicap mental repérera moins les premiers signes d’une grossesse non désirée et ce alors qu’elles sont statistiquement davantage victimes de viols et moins informées sur les méthodes de contraception – ceci ayant des conséquences directes sur la santé des femmes. Enfin, dans de nombreux pays du monde, les femmes pauvres, non assurées, de nationalité étrangère (les critères varient selon les pays) n’ont pas d’accès gratuits aux soins et devront donc avoir recours à un avortement clandestin, au péril de leur vie.
Déjà menacés avant le Covid-19 par des sphères de plus en plus puissantes et offensives dans le monde, les droits sexuels et reproductifs des femmes risquent un recul immédiat et de long terme si l’on regarde ailleurs pendant trois mois.
Écoles fermées = mariages forcés et grossesses précoces
De l’avis unanime de tous les experts en éducation, droits des femmes ou conduite des processus de paix, « l’expérience d’Ebola a montré que la fermeture des écoles induit souvent des mariages précoces et des grossesses non voulues ». Ainsi Stefania Giannini, sous-directrice générale de l’Unesco pour l’éducation, et Anne-Birgitte Albrectsen, directrice générale de Plan International, soulignent que « les fermetures d’écoles dans le monde entier dues au Covid-19 frapperont les filles plus durement ». Filles et garçons sont sortis des écoles en même temps, mais l’impact n’est pas le même. « Même si de nombreuses filles poursuivront leur cursus scolaire une fois que les portes rouvriront, d’autres n’y retourneront jamais plus. » Selon elles, le risque de ne pas adapter une réponse éducative spécifiquement aux enjeux des petites filles et des jeunes filles serait de « perdre vingt ans de progrès réalisés en faveur de l’éducation des filles ».
Au moment d’Ebola, de nombreuses filles ont été agressées sexuellement par des hommes de leur famille, mariées de force ou sont devenues mères après un viol, rappellent Stefania Giannini et Anne-Birgitte Albrectsen, citant l’augmentation des grossesses d’adolescentes de 65% en Sierra Leone sur la période. Tous les experts soulignent de longue date le lien entre déscolarisation et mariage forcé, ainsi Alice Albright et Mabel van Oranje écrivaient en 2016 dans The Telegraph pour « Girls Not Bride » : « Les trajectoires de vie des jeunes filles mariées et des filles non scolarisées sont donc intimement liées. Les filles qui ne vont pas à l’école sont beaucoup plus susceptibles de se marier et de tomber enceintes. Les filles mariées ont la responsabilité en tant que mères de s’occuper de leurs enfants, ce qui ne leur laisse que peu de possibilités, voire aucune, de continuer à apprendre. Il n’est généralement pas envisageable qu’elles reprennent leurs études, car les normes sociales et les lois interdisent souvent aux filles enceintes et aux jeunes mères de retourner à l’école. Nous savons que les filles mariées très jeunes et qui abandonnent l’école trop tôt sont plus vulnérables à la violence, à la pauvreté, à la mauvaise santé et à la marginalisation. Malheureusement, leurs enfants sont aussi plus pauvres et en moins bonne santé. »
Le réflexe conservateur du temps de crise évoqué plus haut peut se traduire dans des pays d’Europe ou occidentaux par un nouvel idéal stéréotypé de « bonne ménagère », on l’a vu. Dans les villages de certains pays d’Afrique, ce réflexe en période de crise de retour vers les traditions, vers ce que l’on connaît, peut risquer de conduire à renoncer au travail mené ardemment par les ONG et plusieurs gouvernements africains depuis des années pour sortir des « pratiques néfastes » comme les mutilations génitales ou le mariage des petites filles avec des hommes adultes en mesure de subvenir à leurs besoins. En Afrique subsaharienne, plus d’un tiers des filles sont mariées avant leurs dix-huit ans ce qui, souligne la Banque mondiale, représente un coût financier colossal pour le continent. Une fois mariées à des hommes plus âgés ou enceintes, ces petites filles ne reprendront probablement pas le chemin de l’école, avec tout ce que cela implique sur leur autonomie, leurs connaissances, leur capacité à se défendre face aux violences conjugales ou leur santé.
Si l’Afrique déplore, à ce stade, en proportion, moins de personnes décédées du Covid-19 que d’autres continents, la réponse à une crise globale doit être globale et anticiper son impact sur les droits des femmes, y compris en prenant compte des spécificités et de l’expérience de chaque continent et de chaque pays. Comme l’a affirmé le président français Emmanuel Macron, « Nous devons la solidarité à l’Afrique. » Et aux Africaines.
Baisse du nombre de femmes dans le débat public et les processus de décision
Est-ce parce qu’elles sont statistiquement plus occupées en première ligne, plus nombreuses parmi les soignants et les enseignants, affairées au foyer, voire en train de se débattre face aux violences sexuelles ? Est-ce, au contraire, ce « réflexe conservateur en période de crise » évoqué plus haut ? Parce qu’elles sont davantage victimes de cyber-harcèlement sexiste lorsqu’elles passent à la télévision ? Parce qu’on ne les invite plus ? Toujours est-il que, dans de nombreux pays du monde, les femmes s’effacent peu à peu du débat public. L’exigence passe de « parité, 50% de femmes dans les intervenants » ou dans le panel à « une femme au moins parmi les intervenants, ce sera déjà très bien ». Parfois même l’exigence s’efface totalement. Il n’a fallu que quelques jours à peine pour que les combats menés depuis des générations, installés à l’agenda public de tous les pays occidentaux, risquent de dégringoler. Partout dans le monde, sans même le vouloir, des magazines ou des journaux ont proposé des unes ou des dossiers « men only » au prétexte de « nous sommes en crise ».
L’Allemande Jana Hensel relève dans un article du journal Die Zeit intitulé « Die Krise der Männer » la surreprésentation des hommes dans les médias depuis le début de la pandémie : « Markus Söder, Jens Spahn, Olaf Scholz, Armin Laschet, Lothar Wieler, Alexander Kekulé, Hendrik Streeck, Jonas Schmidt-Chanasit, Clemens Fuest sont les visages de cette crise » faisant référence aux hommes politiques, aux scientifiques et aux journalistes allemands, tous des hommes, apparaissant le plus souvent dans les médias pour donner leur vision de la situation. Elle souligne à quel point les femmes sont moins présentes en tant qu’expertes sur les écrans. Vrai en Allemagne et partout ailleurs dans le monde. « Quand qui que ce soit allume la télévision où que ce soit dans le monde pour avoir des réponses, qui voyons-nous ? Une marée d’hommes », analyse Anita Bhatia, directrice exécutive adjointe de UN Women dans une note de l’ONU.
Les femmes, plus présentes en nombre « sur le terrain », dans les hôpitaux, auprès des personnes âgées plus sujettes au Covid-19, plus actives dans le soin aux familles, plus nombreuses dans l’enseignement comme on l’a vu plus haut, seraient pourtant par nature plus fondées en tant que groupe à partager des observations concrètes issues de leurs expériences de terrain et à imaginer des pistes de solutions. Ou, à tout le moins disons, elles le seraient autant que les hommes. Elles sont pourtant partiellement écartées des processus de décisions formels ou informels pendant la pandémie. Les craintes multiples – pour notre santé, celles de nos proches, peur de la mort, peur de l’effondrement de l’économie, peur de perdre son travail… – amènent à vouloir être « rassuré » et il semble avoir été décidé dans l’inconscient collectif international qu’un homme était plus « rassurant », validant par là même la théorie de la « présomption de compétence » des hommes versus la « présomption d’incompétence » des femmes. Lorsque l’analyse par le genre pointe dans le débat public, c’est pour une curieuse mise en perspective qui explique que les femmes qui ont « bien mieux géré la crise » (la Première ministre finlandaise Sanna Marin, la chancelière allemande Angela Merkel, Tsai Ing-Wen pour Taïwan, Jacinda Ardern pour la Nouvelle-Zélande) que les hommes. Et elles l’auraient bien gérée, parce qu’elles seraient des femmes ! Ou comment leur nier, par du sexisme bienveillant, leurs compétences et qualités propres en tant qu’êtres humains et remplacer leur caractéristique de « chefs d’État ou de gouvernement » par « femmes ». Cette essentialisation tendant à insinuer que les femmes auraient des qualités propres comme l’attention portée aux autres est une pente glissante, qui justifierait que le travail non rémunéré soit accompli essentiellement par les femmes, au nom de leur don naturel pour cela. Ne l’empruntons pas.
Des inégalités économiques exacerbées entre femmes et hommes
On l’a vu plus haut, le temps passé à gérer le foyer, l’école à la maison et les enfants s’avère plus chronophage que jamais pour les femmes. Statistiquement, dans un même service ou une femme et un homme travaillent, la femme disposera de moins de temps libre que l’homme pour travailler. Leurs conditions de télétravail sont donc différentes : soit les femmes télétravaillent autant que les hommes et rognent sur leur temps de sommeil ; soit elles ont moins de temps de travail et donc moins de temps pour faire progresser leur trajectoire professionnelle.
« La carrière des jeunes filles risque de ne jamais se remettre de la crise du coronavirus », alerte Sarah Fielding dans un article du journal féminin In Style. « En tant que groupe, les filles ne sont pas seulement désavantagées en raison de l’écart de salaire entre les femmes et les hommes préexistant à la crise, ni par les biais de genre existant au travail, mais, bien davantage que les collègues masculins, la société attend d’elles qu’elles soient des pourvoyeuses de soin : aidantes pour les parents âgés ou mobilisées pour l’éducation des jeunes enfants de la famille pendant le confinement, ce qui les éloigne du travail. Combinés aux inégalités qui perdurent, ces facteurs peuvent mettre un coup d’arrêt à l’évolution de carrière de bien des jeunes femmes, davantage que les hommes dont on n’attend pas le même rôle », analyse-t-elle. La crise liée à la pandémie de coronavirus risque donc de creuser les inégalités entre les femmes et les hommes au travail à moyen terme – rappelons qu’aucun pays n’affiche une inégalité salariale moyenne en la faveur des femmes.
La prévalence des femmes dans le travail dissimulé ou dit « informel » n’est pas sans conséquence. Dans plusieurs pays (Gabon, Cameroun, etc.), 73% des femmes économiquement actives travaillent dans le secteur informel, comme le détaillent les universitaires africains Fatou Gueye et Ahmadou Aly Mbaye dans leurs recherches. En Europe, selon le baromètre sur le travail non déclaré de la Commission européenne, environ un quart du travail « au noir » a trait aux services ménagers ou à la personne, secteurs très majoritairement féminins. Garde d’enfants, ménage, aide à domicile pour des personnes âgées dépendantes, au-delà de l’appréciation d’illégalité, force est de constater que les personnes vivant habituellement de ces travaux non déclarés sont privées de ces revenus par le confinement et ne disposent – c’est l’essence du travail non déclaré – d’aucune garantie de retrouver leur mission à l’issue de la pandémie ni d’être indemnisé comme quelqu’un qui a perdu son emploi, faute d’avoir cotisé pour cela. L’impact risque d’être fort sur les femmes en situation de précarité, comme, au demeurant, sur les femmes en situation de prostitution et des personnes vivant d’activités illégales. « Celles qui restent en Espagne [ndla pendant la pandémie] et qui font partie des 80% victimes de la traite, elles sont obligées de continuer à travailler car dénuées de toutes ressources », explique Rocio Nieto, responsable d’une ONG de défense des personnes prostituées, l’Ampremp, qui affirme au journal Le Point que les trois quarts des lieux de proxénétisme demeurent ouverts à Madrid.
À plus long terme et à plus grande échelle, une crise économique risque de voir le mécénat des grandes entreprises et des grands groupes privés pour les femmes s’assécher. Or, le rôle du secteur privé est primordial pour financer des mobilisations internationales d’associations ou d’ONG en matière de droits des femmes ou pour les soutenir directement par le biais de bourses, de financements, de prix, etc. L’Occitane, L’Oréal, Tupperware, Unilever, pour n’en citer que quelques-unes, y contribuent fortement. Au-delà du financement de la mobilisation pour les droits des femmes, les grandes entreprises de nombreux pays commençaient juste à organiser le financement des start-up et des entreprises créées par des femmes. Notamment sous l’impulsion du gouvernement américain via Kathryn Kaufman du Global Women Issue, de récentes avancées positives étaient impulsées favorablement pour mobiliser des fonds de financement d’entreprises créées par des femmes et soutenir leur développement économique partout dans le monde.
Inquiétudes pour le sport féminin
Cela peut sembler un sujet accessoire. En période de pandémie, lorsqu’un risque de vie ou de mort pèse sur les êtres humains du monde entier, les secteurs de la culture et du sport semblent parfois moins essentiels, et pourtant ! Musique, films, livres, yoga ou gymnastique ont semblé rythmer le confinement de nombreuses familles, si l’on en croit les photos partagées sur Instagram. Mais, là encore, de sérieuses menaces pèsent sur le sport féminin, secteur qui enregistrait pourtant de nets progrès ces dernières années grâce à une pleine mobilisation des femmes du secteur, avec quelques victoires symboliques fortes en termes de salaire des joueuses notamment au football (soccer) aux États-Unis, comme nous le rappelle le Denver Post.
Mais, à l’heure de faire les comptes après des championnats à l’arrêt et des possibles retraits de sponsors, ajoutés à un défaut de recettes télévisées et liées à la vente de billet (pas de match, pas de spectacle, pas d’argent), le monde du sport a sorti la calculette en prévision de la relance des matchs.
Dans ce contexte, faut-il jouer des matchs à huis clos pour éviter des rassemblements tout en poursuivant l’activité des championnats sportifs en cours ? La question agite le monde du sport. Madeleine Pape, docteure en sociologie australienne et championne de course de demi-fond, soulève la question des double-standards entre les sportifs hommes et femmes dans The Guardian : « Dans un contexte où les footballeuses professionnelles attirent toujours une double prise, une vigilance est nécessaire pour nous assurer de ne pas reléguer le football féminin sur la touche, d’élever le sport masculin seul comme essentiel au moral de la nation, ou de juger les tribunes vides différemment – “normal” pour les femmes, par rapport au résultat clair d’une crise mondiale sans précédent pour les hommes. » Mettre fin aux filières « non essentielles » pourrait revenir à « mettre fin aux équipes féminines ».
Dans une tribune parue sur Yahoo Sports USA, Caitlin Murray souligne que les conditions de reprise du sport masculin sont ardemment négociées tandis que celles du sport féminin restent floues. À date, aucune échéance n’est formellement indiquée, par exemple, pour la reprise du basket féminin : « Personne ne doute que la NBA rebondisse après le coronavirus. Pour les femmes, c’est une autre histoire », s’interroge-t-elle.
Mieux payés, mieux considérés, plus médiatisés, mais aussi (lien de cause à effet) plus à l’aise financièrement, les sportifs hommes sont considérés collectivement comme de meilleurs « investissements » que les femmes pour les sponsors, à de rares exceptions près. Une étude Amsterdam/Fifa Pro parue dans Le Parisien évoque ainsi un état dépressif chez 28% des joueurs hommes et chez 50% des joueuses femmes. Elles sont aussi légèrement plus nombreuses que les hommes à être inquiètes pour leur avenir. Quand les championnats reprendront avec moins de financeurs et une trésorerie de trois mois à combler, quels matchs seront annulés, quels salaires seront amputés ? Probablement pas ceux des grandes stars du sport, qui sont à majorité masculines, probablement plus ceux des sportives femmes, jouant plus souvent avec le statut d’amateures en plus d’un emploi salarié, au demeurant. Enfin, tous les matchs reprendront dans la même séquence ou presque. Les chaînes de télévision devront opérer des choix. Et l’on sait d’expérience à qui ne profitent pas ces choix si l’on ne se mobilise pas.
L’égalité femmes-hommes, priorité mondiale reléguée ?
On l’observe, au-delà des effets directs de la crise sur les droits des femmes, les réactionnaires du monde entier s’accrochent à la crise liée au Covid-19 pour déprécier le principe de l’égalité entre les femmes et les hommes. Ainsi, Die Zeit révèle qu’en Allemagne « l’Union des valeurs, l’aile très conservatrice de la CDU, a exigé ceci : “Espérons que ce mauvais moment fera clairement comprendre aux derniers que les professeurs de médecine, de chimie et de biologie sont infiniment plus importants que ceux des études de genre” ». Cette affirmation gratuitement sarcastique entretient le mythe fantasque de « l’étude de genre » onéreuse pour les derniers publics – démontrant surtout l’ignorance des coûts de ces études, qui engagent en réalité peu de fonds publics, ce que l’on pourrait d’ailleurs déplorer. En fait, tous ceux qui clament à longueur d’année que la place des femmes dans la société n’est pas une priorité instrumentalisent la pandémie pour inventer des liens de cause à effet qui n’ont pas lieu d’être et exiger l’abandon des objectifs en cours en termes d’égalité femmes-hommes.
Mais, même celles et ceux qui défendaient l’égalité entre les femmes et les hommes pourraient, faute de temps ou d’appréhension des enjeux à long terme, être parfois tentés de reléguer le principe à la salle des archives des combats du monde d’avant si la mobilisation faiblit ou si elle se contente d’incantation vague sans analyse précise.
Les lieux et les temps habituels pour organiser cette mobilisation mondiale ont été mis à mal par la pandémie. La 64e CSW organisée par l’ONU (Convention mondiale des droits des femmes) prévue en mars 2020 a dû être annulée dans sa forme habituelle à cause de la pandémie, pour en protéger les participants. Le forum Génération Égalité que la France et le Mexique organisent sous l’égide d’ONU femmes est ajourné de juillet 2020 à 2021. Ces temps importants fédèrent les défenseurs des droits des femmes partout dans le monde et leur permettent, grâce à une diplomatie multilatérale des États et à un engagement massif de la société civile, de mettre en œuvre les actions de diplomatie féministe plus essentielles que jamais. Aucun pays n’a atteint l’égalité femmes-hommes et aucun pays ne l’atteindra seul. Nous devons réaffirmer haut et fort cette ambition internationale, alors que la mobilisation se réinvente en ce moment même.
Quelques voix puissantes s’élèvent positivement pour maintenir l’égalité femmes-hommes à l’agenda. C’est le cas de Melinda Gates, dont on connaît l’engagement pour l’émancipation des femmes et dans la recherche contre le coronavirus. Antonio Guterres, secrétaire général de l’ONU, a fait part de sa crainte d’un recul des avancées chèrement obtenues ces dernières années et avec Phumzile Mlambo-Ngcuka, directrice executive de UN Women, a adressé à tous les gouvernements des recommandations pour prendre en considération les questions d’inégalités femmes-hommes liées à la crise que nous traversons tout en lançant le programme « He for She at home » pour soutenir l’engagement des hommes dans les tâches éducatives et domestiques. De nombreux gouvernements agissent concrètement pour endiguer cet impact négatif de la crise liée au Covid-19 sur les droits des femmes – membre d’un gouvernement moi-même, je m’abstiens d’en dresser ici l’inventaire. Pendant la crise, des travailleuses sociales, des expertes et des bénévoles d’innombrables organisations non gouvernementales et associations assurent la continuité de l’exercice des droits des femmes, partout dans le monde.
Le secteur privé s’engage par de nouveaux biais pour soutenir matériellement des initiatives de soutien concret aux femmes, rejoignant parfois cette cause. En Espagne et en France, les pharmaciens se sont transformés en lanceurs d’alertes pour les forces de l’ordre. Des hypermarchés se mobilisent sous l’impulsion de gouvernements pour informer et protéger des femmes. Et des soutiens nouveaux s’engagent, rejoignent cette cause. Citons un exemple national : le club de football de l’Olympique de Marseille a transformé son centre d’entraînement en centre d’hébergement des femmes victimes de violences conjugales. Ou comment un club d’hommes s’engage solidairement en soutien avec l’autre moitié du genre humain. Attirer à cette cause de nouveaux acteurs engagés pendant la crise permettra assurément de plus et mieux la défendre après.
Simone de Beauvoir écrivait qu’il suffirait d’une crise sociale, économique ou religieuse pour remettre en cause les droits des femmes. Cette menace de remise en cause existe, elle est là, nous la voyons. La mettre au jour, c’est déjà la combattre. Identifier secteur par secteur les épées de Damoclès pointant au-dessus de la place des femmes dans nos sociétés, c’est permettre de s’en débarrasser. Bien sûr, cela implique un esprit de sororité et de solidarité au sein des organisations mobilisées pour les droits des femmes, qu’il s’agisse de la société civile, du secteur privé, d’ONG ou de gouvernements. Cela implique aussi de ne rien laisser passer des idéologies d’infériorité des femmes par rapport aux hommes, idéologies qui permettent à toutes ces menaces d’exister. Ensemble, nous devons les affronter avec détermination, pour nous-mêmes comme pour les générations qui viennent. Certes, ce combat nécessite d’y revenir chaque jour. Mais, comme l’écrivait Maya Angelou : « Une femme avisée ne souhaite être l’ennemie de personne, mais une femme avisée refuse d’être la victime de quiconque. »