Comprendre les dynamiques électorales

À l’approche des élections européennes, quels enseignements nous livre la quatrième vague de l’Enquête électorale française 2024, menée auprès de près de 12 000 personnes ? Antoine Bristielle, directeur de l’Observatoire de l’opinion de la Fondation, analyse l’évolution des intentions de vote en se focalisant sur les électeurs n’étant à l’heure actuelle pas certains de leur choix et les conséquences des modifications de vote de leur part.

L’évolution des intentions de vote dans une campagne électorale dépend traditionnellement de deux facteurs.

D’une part, les scores peuvent se modifier quand la campagne s’accélère et que des électeurs qui ne pensaient pas aller voter au début de la campagne décident finalement de se mobiliser. Dans ces conditions, le corps électoral grossit suite à l’afflux de ces nouveaux électeurs et les rapports de force préalablement constatés sont à même de se modifier. Sur ce premier point, à moins de six semaines des élections du Parlement européen, force est de constater que la campagne ne démarre pas vraiment, tout du moins dans la façon dont elle est perçue par les Français. Début mars, seulement 56% d’entre eux se disaient intéressés par le scrutin et ce chiffre n’a quasiment pas évolué en l’espace d’un mois (57%). De manière assez logique, cette absence de dynamique d’intérêt se répercute dans l’intention de participer au scrutin : sur la même période, la certitude d’aller voter est passée de 44% à 45%. L’abstention électorale qui s’annonce donc importante est déjà un phénomène en soi, qui vient « bousculer » la stabilité des démocraties occidentales1Antoine Bristielle, La démocratie bousculée, La Tour-d’Aigues, Éditions de l’Aube, Fondation Jean-Jaurès, 2023..

Si le corps électoral reste donc relativement similaire d’ici le 9 juin prochain, les dynamiques électorales ne pourront se réaliser que grâce au second facteur à même de générer des évolutions d’intentions de vote : des transferts de voix d’un candidat à un autre. À ce niveau, le choix électoral est en effet encore loin d’être cristallisé : 63% des électeurs se disent certains de leur choix de bulletin de vote, un chiffre qui n’a pas évolué en six semaines. D’ailleurs, ces hésitations sont un phénomène de plus en plus structurant, dans des démocraties marquées par une baisse de l’attachement partisan et une forte volatilité électorale : lors du premier tour de la présidentielle de 2022, un quart des électeurs déclaraient avoir hésité dans leur choix de vote, jusqu’au dernier moment.   

Mais justement, qui sont ces électeurs n’étant à l’heure actuelle pas certains de leur choix ?

Le profil socio-démographique des électeurs hésitants

Si plus d’un tiers des électeurs certains d’aller voter hésitent toujours pour qui voter, les facteurs socio-démographiques jouent à plein dans cette indécision. D’une part, les femmes sont beaucoup plus hésitantes que les hommes (42% des électrices considèrent que leur choix n’est pas définitif contre 32% des électeurs). D’autre part, l’âge joue également un rôle prépondérant : si 43% des moins de 35 ans considèrent que leur choix peut encore évoluer, ce chiffre passe à 38% chez les 35-59 ans et à 33% chez les 60 ans et plus.

De manière plus surprenante, les catégories sociales supérieures sont plus hésitantes (39%) que les catégories populaires (34%). L’effet de la catégorie socio-professionnelle recoupe par ailleurs assez largement celui du niveau de diplôme. Si 27% des électeurs possédant un niveau de diplôme inférieur au baccalauréat considèrent que leur choix électoral peut encore changer, ce chiffre monte à 36% chez les électeurs possédant le baccalauréat et à 41% chez ceux possédant un diplôme supérieur au bac.

Les marqueurs politiques de l’hésitation  

En dehors des aspects socio-démographiques, les hésitants ne sont pas répartis de la même manière dans l’électorat. Certains candidats possèdent en effet à l’heure actuelle des électorats beaucoup plus instables que d’autres. À gauche en particulier, des transferts électoraux importants sont encore envisageables : 44% des électeurs actuels du PCF, 60% des électeurs d’EE-LV et 45% des électeurs PS/PP considèrent que leur choix peut évoluer. À droite également, plus d’un électeur de François-Xavier Bellamy sur deux (51%) considère que son choix peut évoluer. À l’inverse, c’est au sein des électorats Hayer (29%) et, surtout, Bardella (15%), que l’hésitation est la moins importante.

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À qui bénéficieraient des modifications de vote ?

Dans ces conditions, nous avons donc demandé aux électeurs hésitants vers qui leur vote se tournerait, s’ils venaient finalement à modifier leur choix actuel. Force est tout d’abord de constater que la première place semble jouée d’avance. Même si la moitié des électeurs de Jordan Bardella qui ne sont pas certains de leur choix se détournaient finalement du Rassemblement national, il terminerait à 29,5%, soit plus de 6 points au-dessus du score enregistré par le RN lors des élections européennes de 2019. Prendre la mesure de ce que représentent à la fois symboliquement et concrètement de tels scores pour l’extrême droite est un impératif catégorique.

Par ailleurs, c’est bien pour la liste qui arrivera deuxième lors de ces élections que le suspense réside. Depuis début mars, la liste menée par Raphaël Glucksmann a vu son score augmenter de 2,5 points, passant de 11,5% des intentions de vote à 14%. Dans le même temps, la liste menée par Valérie Hayer a perdu un point, passant de 18% des intentions de vote à 17%. Ainsi, l’écart entre la liste PS/PP et Renaissance, qui était de 6,5 points début mars, n’est plus que de 3 points. Un croisement des courbes est-il alors possible ?

L’étude des seconds choix de vote montre qu’une deuxième place de Raphaël Glucksmann le 9 juin prochain est loin d’être impossible. Le fondateur de Place publique est en effet le second choix de vote de 24% des électeurs actuels de Manon Aubry, de 28% de ceux de Léon Deffontaines, de 29% de ceux de Valérie Hayer et même de 41% de ceux de Marie Toussaint. Dès lors, si la moitié des électeurs encore hésitants qui choisissent Raphaël Glucksmann en second choix venaient à voter pour lui, la liste PS/PP atteindrait 16,5% des suffrages. À l’inverse, si la moitié des électeurs hésitants de Valérie Hayer venaient finalement à ne pas voter pour elle, Renaissance terminerait à 14,5%. Tout cela relève bien sûr encore à l’heure actuelle de l’ordre de l’hypothétique mais montre néanmoins que les scores actuels sont loin d’être figés. Entre la campagne de Valérie Hayer qui peine à être audible, la déception de l’électorat de centre-gauche d’Emmanuel Macron dans ce second quinquennat et une tentation de certains électeurs de gauche à « voter utile », une surprise est possible le 9 juin. 

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    Antoine Bristielle, La démocratie bousculée, La Tour-d’Aigues, Éditions de l’Aube, Fondation Jean-Jaurès, 2023.

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