Cap sur la présidentielle, cap sur les primaires ?

Les formations politiques ont désormais toutes effectué leur rentrée politique. Ainsi s’achève un long cycle politique dont le cœur fut consacré, au-delà de la crise sanitaire du coronavirus toujours en cours, aux élections municipales. Cap désormais sur l’élection présidentielle et l’organisation d’eventuelles primaires, en passant par les cases régionales et départementales.

Des régionales comme répétition générale avant 2022 ? 

Après la rentrée politique, il est temps pour chacune des formations de se consacrer maintenant à la préparation de l’élection présidentielle de 2022, avec deux obstacles de taille à surmonter : les départementales, les régionales et, dans une moindre mesure car le scrutin est très particulier, les sénatoriales. Si l’on ne peut encore que s’interroger sur la nature de ces échéances électorales, nul doute qu’elles auront des conséquences sur la préparation de la prochaine élection reine de la Ve République. S’il apparaît assez probable que les départementales demeureront à bien des égards des élections locales, cela peut bien être totalement différent en ce qui concerne les prochaines échéances régionales, même si la simultanéité des deux scrutins interroge. L’une prendra-t-elle le pas sur l’autre ? Les départementales localiseront-elles les régionales ou les régionales nationaliseront-elles les départementales ? En outre, puisqu’on peut craindre un faible taux de participation, les victoires iront aux camps politiques parvenant à mobiliser au plus le cœur de leur électorat. À cette aune, il n’est pas impossible de penser que les départementales, dont chacun connaît les ressorts de vote locaux et personnalisés, puissent servir de rampe de lancement aux campagnes régionales. Dès lors, les organisations politiques auront tout intérêt à parvenir à bien relier les deux campagnes. De plus, depuis les lois du dernier quinquennat, le nombre réduit de régions fait de ces élections, plus encore qu’auparavant, un scrutin dont la personnalisation et la portée nationale n’échappent à personne. On se souvient d’ailleurs à cet égard que les dernières de décembre 2015 avaient pu laisser croire à un sursaut du Parti socialiste qui parvenait, avec ses alliés, et contre toute attente, à conserver en métropole la Nouvelle-Aquitaine, l’Occitanie, la Bretagne, la Bourgogne-Franche-Comté et le Centre-Val de Loire, ainsi que la Guadeloupe et la Guyane. Mais on se souvient également que le parti du président de la République d’alors avait dû retirer ses listes des régions Provence-Alpes-Côte d’Azur (PACA), Hauts-de-France et Grand Est pour empêcher la victoire du Front national, laissant ainsi (sauf dans le Grand Est où des socialistes dissidents se maintinrent) la droite seule. Ces élections régionales vont poser de redoutables questions à l’ensemble des organisations politiques qui devront, vite, trancher dans le vif. 

Pour le Rassemblement national, la chose est a priori simple, il y aura des listes dans chacune des régions métropolitaines. Mais il y aura forcément des arbitrages loin d’être évidents, comme l’a démontré la dernière modification de la commission électorale au cœur de l’été. Pour Les Républicains (LR), outre la question de leurs rapports avec une partie du centre (et notamment l’UDI), se poseront avec acuité les enjeux des Hauts-de-France avec Xavier Bertrand, plus que jamais électron libre, et de l’Île-de-France avec Valérie Pécresse, qui a semblé ces dernières semaines donner des gages à son ancien parti. Demeurera toutefois un certain nombre de sujets sur les têtes de liste régionales, notamment dans la grande région de la Nouvelle-Aquitaine suite à la chute de la citadelle bordelaise. Quant à la gauche, les résultats aux dernières municipales ne facilitent pas, paradoxalement, les choses : Europe Écologie-Les Verts (EELV) risque, à ce stade, de se laisser embarquer par une illusion de vague électorale qui a été bien moins vigoureuse que les seuls résultats métropolitains ne pourraient le laisser croire ; le Parti communiste devra trouver des terrains d’entente avec le Parti socialiste pour recouvrer quelques élus régionaux et donner ainsi des gages pour essayer de sauver le dernier département qu’il dirige – le Val-de-Marne – et où les pertes aux municipales ont été sérieuses ; le Parti socialiste doit à la fois faire preuve de rassemblement tout en parvenant à tout le moins à sauver les régions métropolitaines qu’il continue à présider et, éventuellement, retrouver le chemin des urnes dans les trois régions qu’il s’était vu contraint de laisser en jachère lors des dernières régionales. Quant à La France insoumise, les échecs des dernières élections européennes puis municipales la mettent dans une situation délicate : rejoindre un hypothétique rassemblement de gauche, donc avec le Parti socialiste, ce qu’il se refuse à envisager à ce stade ; parvenir à construire une alternative de rassemblement d’une gauche sans le parti d’Olivier Faure, dont ni les communistes ni EELV ne semblent vouloir ; ou bien partir sous ses propres couleurs au risque de la marginalisation électorale à un an d’une présidentielle que convoite toujours son leader historique. Enfin, LREM se trouve également dans une position particulière : soit reproduire la stratégie du « coucou » qui a prévalu aux dernières municipales avec un succès tout relatif, soit aller seul en bâtissant une nouvelle « confédération » ou « coalition » préfigurant le dispositif politique de la prochaine présidentielle, avec un double enjeu : parvenir à trouver des têtes de listes permettant de performer électoralement et choisir des alliances de second tour…

Comment désigner les champions ?

Sur ce fond d’incertitudes, une seule conviction semble émerger de l’ensemble des universités d’été de toutes les formations politiques : seul le rassemblement permettra d’éviter la répétition du duel de 2017 entre Marine le Pen et Emmanuel Macron, présentée, par chacune d’elles, comme mortifère. Chacun, dans son couloir, y est allé de son ode au rassemblement. Éric Piolle avec son arc humaniste, Yannick Jadot avec son amour pour les socialistes, Olivier Faure en réaffirmant son accord pour soutenir un candidat qui ne serait pas issu des rangs du parti qu’il dirige, même Jean-Luc Mélenchon proclame se voir en candidat commun des gauches. La droite ne fut pas en reste lors des journées de La Baule. Mais, une fois cette volonté affirmée, voire affichée, le plus difficile reste à faire : s’entendre sur le plan doctrinal (avant même d’en venir à un programme) et s’accorder sur un mode de désignation. Dans chacun de ces deux camps revient comme une Arlésienne le débat sur les primaires. Comme toujours, celles-ci se voient parées de toutes les vertus ou de tous les défauts. Certes, il n’y a plus désormais les arguments sur la constitutionnalité de ce dispositif ou bien même sa compatibilité avec l’esprit des institutions de la VRépublique. Les expériences de 2011 et 2017 pour le Parti socialiste, et de 2016 pour Les Républicains sont passées par là. Toutefois, on voit bien au travers des réserves ou des oppositions des uns et des autres poindre et perdurer une incompréhension de l’instrument qu’est la « primaire ». Ce n’est en rien, et cela n’a jamais été, une assurance victoire, pas plus que ce ne fut une assurance défaite. En réalité, lorsque celle-ci fut introduite en France, par le Parti socialiste alors dirigé par Martine Aubry, il s’agissait là de trouver un moyen de trancher un débat d’incarnation et d’orientation que les seuls et traditionnels mécanismes classiquement internes des organisations politiques ne permettaient plus d’affronter. La primaire naît d’abord et avant tout de l’affaissement, pour ne pas dire l’effacement, de la force de la légitimité des instances de décision des partis politiques. Que le Parti socialiste la fasse sienne à la suite du congrès de Reims et que Les Républicains s’y rallient (après l’avoir tant critiquée) à la suite de l’affrontement entre François Fillon et Jean-François Copé n’est en rien le fruit du hasard. Mais se limiter à cette explication, pour objective qu’elle soit, c’est oublier un autre élément puissant dans l’existence de ce mode de sélection : les trois qui eurent lieu sur le modèle des primaires italiennes, c’est-à-dire ouvertes à l’ensemble des électeurs signant une charte d’engagement, qui n’engageait à pas grand-chose, permirent aux candidats issus d’en sortir oints d’une véritable dynamique électorale. À charge pour eux d’en faire bon usage. 

Les deux expériences de 2016-2017 signent-elles la fin des primaires ? 

Après l’échec cuisant de Benoît Hamon et la défaite de François Fillon, le microcosme des commentateurs et militants déçus ont de concert, une fois n’est pas coutume, enterré la primaire. Pourtant, à bien y regarder, ce n’est pas le mode de désignation du champion de LR et d’une partie de la gauche qui est responsable de leurs échecs respectifs. Évacuons aussi le débat sur qui participe à des primaires. Oui, une primaire opère une distorsion des résultats par rapport à une élection en interne, c’est évident. Oui, il ne faut pas être grand clerc pour savoir que, si Les Républicains et le Parti socialiste étaient passés par un vote interne, les champions désignés n’auraient pas été ni Benoît Hamon ni François Fillon. 

Mais revenons aux résultats des primaires. François Fillon devance très largement Emmanuel Macron et Benoît Hamon quelques jours après la primaire est crédité de 17% à 18% dans les enquêtes d’opinion. On connaît la fin de cette histoire. Pour autant, ce n’est pas le mode de désignation qui est responsable de leurs échecs car l’un pourtant mis en examen résiste au point d’arriver troisième à un cheveu du qualifié, et le second a été propulsé dans les sondages comme jouant parmi les cinq autres candidats une possible qualification.  

C’est bien sans doute le non-respect de l’engagement à soutenir le vainqueur de la primaire de Manuel Valls et de François de Rugy qui porte les premiers coups et réduisit en partie l’effet propulsif de la primaire qui avait désigné Benoît Hamon, car bien évidemment ce mode de désignation nécessite, une fois le scrutin passé, une loyauté des concurrents envers le vainqueur. Ensuite, des erreurs tant tactiques que stratégiques achevèrent de faire tomber à ce point le candidat socialiste, qui, pour le coup, ne pouvait pas être assimilé au quinquennat de François Hollande. Quant au champion de la droite, que serait-il devenu si, mis en examen, il n’avait pas été porté par une primaire qui avait mobilisé trois millions d’électeurs ? Ne serait-ce que poser la question est déjà une réponse. Si nul ne peut totalement y répondre, toujours est-il que si l’on regarde le score de LR aux élections européennes en 2019 on peut tout de même émettre l’hypothèse qu’en 2017, sans la primaire, le champion de LR aurait dévissé ou du moins décroché de manière plus nette. 

Faisons le détour par 2011 pour avoir une vision précise

2011 demeure, en revanche, un modèle : pas de sortant, une gauche moins morcelée aussi il faut bien l’avouer. Quelques similitudes avec une candidate verte et un Jean-Luc Mélenchon déjà soutenu par le PCF. Mais les plus de 2,8 millions de votants du second tour avaient donné une légitimité au candidat qu’aucun concurrent à gauche n’avait pu lui contester. La preuve, François Hollande fut crédité de 31% à 35% dans les sondages dès novembre 2011 à la suite de sa désignation par la primaire citoyenne. Lors du premier tour, François Hollande reçut 28,63% des suffrages alors que ses deux concurrents de gauche finirent leur course à 11,10% pour Jean-Luc Mélenchon et à 2,31% pour Eva Joly. Encore François Hollande avait-il, lui, pu compter sur la loyauté de ses concurrents à la primaire – aussi bien celle de Martine Aubry à laquelle il avait été opposé au second tour que celles de Manuel Valls, Arnaud Montebourg, Ségolène Royal ou le PRG Jean-Michel Baylet. La possibilité de la victoire avait sans doute joué dans ce maintien du respect de la parole donnée…

Un bilan provisoire nuancé

Ainsi, si l’on regarde de manière diachronique et l’une après l’autre les deux primaires citoyennes de la gauche, nous avons donc deux succès en termes d’organisation et, d’un point de vue électoral, un succès et un naufrage. Si l’on regarde ensuite l’objet « primaire » d’un point de vue synchronique, le bilan est donc à nuancer. Ce mode de désignation n’est pas forcément à rejeter d’un revers de la main au seul argument qu’il a conduit le champion du Parti socialiste à ne recevoir que 6,36% des suffrages, réalisant ainsi le plus mauvais score obtenu par un candidat issu des rangs du Parti socialiste depuis sa création.  

En 2021, la primaire est-elle la solution ? 

Au regard de tous ses éléments, l’organisation d’une primaire pourrait donc présenter quelques avantages afin de désigner le champion d’une gauche plus morcelée que jamais. La condition sine qua non est évidemment le respect du résultat par tous les concurrents, on l’a vu. Cette condition reste le meilleur moyen pour départager un candidat à la présidentielle. Devant une atomisation de la gauche, une primaire peut être l’objet qui ramène les forces centripètes dans un camp qui ne cesse de céder à des forces centrifuges depuis plusieurs années. 

Alors que tous, à gauche, parlent de l’unité, avec comme seul horizon et unique méthode une série successive de fusion/absorption qui se heurte à la logique interne des différents partis en présence. Une primaire pourrait être à la gauche en 2020 ce qu’Airbus fut à l’Europe en son temps. Un projet commun qui permet de trouver un lieu de travail collectif, un creuset, tendu vers un objectif partagé : redonner une chance à un candidat de gauche de concourir à la mère de toutes les élections françaises avec la possibilité de présenter une vraie candidature et pas une candidature de témoignage. Le but étant de dépasser des frontières partisanes pour faire émerger un nouveau bloc politique, tant organisationnel qu’idéologique.

L’ombre au tableau : une grosse machine

Ceci est d’autant plus vrai que l’organisation d’une primaire n’est pas une mince affaire.  Elle nécessite des moyens ; la facture pour l’organisation d’une primaire ouverte telle que la gauche en a organisé deux et la droite une avoisine les quatre millions d’euros. Quatre millions qui ne représentent pas le coût net final pour les organisations qui portent ce type de projet car il faut y retirer ce qui est récolté en participation par chaque électeur. Pour rappel, chaque électeur à la primaire de la droite devait, en 2017, s’acquitter d’une participation de deux euros et ceux qui participèrent à la primaire de la gauche de un euro. Ainsi, en 2017, en fonction de la participation et du montant de la participation demandée à chaque électeur, la droite avait gagné de l’argent et la gauche en avait perdu. La question financière, si elle est réelle, n’est pas la question la plus compliquée. La difficulté tient davantage à la question de l’énorme mobilisation qu’une primaire nécessite. La droite en 2017 avait organisé 10 000 bureaux de vote, comme la gauche en 2011. Faisant déjà face à une baisse de ces effectifs, la gauche avait en 2017 organisé 7335 bureaux dont 7214 avaient ouvert lors des deux tours. Or, il faut savoir qu’un bureau de vote à la primaire est calqué sur un bureau de vote d’une élection républicaine. Cela veut donc dire qu’il faut mobiliser a minima quatre personnes par bureau, ce qui représenta environ 28 000 militants mobilisés deux dimanche de suite. Pour mémoire, le dernier congrès d’Aubervilliers du Parti socialiste qui s’est tenu en avril 2018 a réuni un peu plus de 37 000 votants ; celui de Poitiers en 2015 avait vu, lui, 48 000 militants y participer. La lente baisse des effectifs militants peut donc représenter une difficulté pour le seul Parti socialiste. Une mise en commun des militants pourrait sans doute permettre de pallier cette difficulté réelle si plusieurs partis de gauche décidaient de désigner leur champion commun grâce à cet outil. De plus, cet instrument – car ce n’est après tout qu’un instrument permettant de trancher des différends politiques et les questions d’incarnation et d’insuffler une dynamique électorale dès lors que le nombre d’électeurs mobilisés est suffisant – pourrait dans le même temps faciliter le dépassement des structures organisationnelles d’une gauche aujourd’hui très morcelée : le PC, LFI, EELV, le PRG, le Parti socialiste, Génération.s, la Gauche républicaine et sociale d’Emmanuel Maurel et Marie-Noëlle Lienneman…

Pour la droite républicaine, les avantages et les difficultés de l’organisation d’une primaire sont, somme toute, similaires. Même si, de prime abord, elle apparaît moins morcelée que la gauche aujourd’hui, ceci est plus un effet d’optique qu’une réalité politique. Car, si ne demeurent que deux structurations véritablement partidaires, l’UDI et LR, la réalité est bien que chacune de ces deux formations est traversée de chapelles plus ou moins idéologiques, de regroupements autour d’une ambition personnelle, plus encore, de personnalités qui, depuis plusieurs années, se sont affranchies de ces structures. C’est évidemment le cas de Xavier Bertrand avec La Manufacture mais aussi de Valérie Pécresse et son mouvement, Libres. La difficulté pour la droite est bien ici de s’accorder sur ce mode de désignation tant un certain nombre d’acteurs s’y refusent avec constance, depuis le traumatisme de 2017, y voyant là une perversion, voire une trahison, de l’esprit de l’élection présidentielle sous la Ve République, perçue comme la rencontre d’un peuple et d’un homme ou d’une femme. 

En réalité, ces deux « camps » n’ont pas véritablement le choix car, finalement, aucune autre forme de désignation que la primaire ne qualifie et ne légitimise autant un candidat, sauf à espérer que les deux qualifiés de la dernière élection présidentielle vont l’un ou l’autre, voire les deux en même temps, s’affaisser suffisamment pour redonner un peu d’espace politique aux tenants de « l’ancien monde ». Sauf à inventer un autre système encore inédit, il leur faut donc faire fi des expériences traumatisantes de 2016 pour la droite, et de 2017 pour la gauche. Sauf à accepter, en réalité, que le clivage, qu’ils jugent les uns comme les autres mortifère, de 2017 ne s’impose de nouveau en 2022 comme la réalité électorale. 

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