Budgets participatifs : donner du sens à la participation des citoyens

On observe une généralisation des budgets participatifs, à tous les échelons du territoire et au sein de toutes les étiquettes politiques. Ces budgets participatifs permettant aux habitants de proposer et de voter des projets ont vu leur budget global augmenter au cours de ces dernières années. Comment interpréter l’engouement suscité par cette nouvelle démarche démocratique ? Quel rôle pour les budgets participatifs dans la gouvernance de demain ? Antoine Bézard analyse, pour l’ŒIL de la Fondation, les résultats de son enquête annuelle qui permet de prendre la mesure du phénomène.

 

Lannée 2019 aura été marquée par une volonté nouvelle au niveau de lÉtat de donner la parole aux citoyens avec le grand débat national. Cette consultation inédite, organisée en réponse à la crise des « gilets jaunes », aura connu un vif intérêt avec près de deux millions de contributions en ligne.

Les maires étaient alors en première ligne pour faire vivre le grand débat national sur le territoire national, en organisant des réunions, en mettant à disposition des salles ou encore en animant les débats. À lheure où lexercice battait son plein, Le Monde citait les mots de Thierry Dufour (sans étiquette), maire de Puygouzon, pour titrer sur lintérêt que suscitait ce rendez-vous : « Les Français ont besoin de parler de politique. » 

Un an après, les maires sont à nouveau en première ligne alors quapprochent les élections municipales. De ces élections, on dit que les Français sy expriment davantage en fonction des questions locales et de la personnalité du maire que de son étiquette politique. Les Français ont confiance dans la figure du maire, au contraire dautres responsables ou partis politiques. 

Pour autant, il paraît difficile dimaginer que souvre une période de six ans de silence, les élections passées. Dune part, parce que ce serait contradictoire avec ce que les maires déplorent : des citoyens se comportant de plus en plus en consommateurs et de moins en moins acteurs. Dautre part, parce que ces mêmes citoyens affirment de plus en plus leur volonté de peser dans la décision publique locale, ce qua rappelé le grand débat national. 

Les Français vont donc à nouveau avoir besoin de parler de politique. Dès lors, il est naturel que la démocratie participative saffirme aujourdhui dans les programmes des listes candidates. Et il est tout aussi naturel que celles-ci sy engagent, notamment à travers la mise en œuvre du budget participatif.

Le mandat qui sachève aura été le mandat du renouveau des budgets participatifs en France. En lespace de six ans, ils auront connu un essor sans précédent. De sept démarches en activité en 2014, la France en compte 170 en 2020, confirmant leur doublement année après année. Il est une forme de participation nouvelle, à côté des élections des représentants. 

En associant chaque année les citoyens à la décision publique et en allouant une partie du budget aux projets proposés et votés par les citoyens, le budget participatif est devenu un marqueur du renouvellement des pratiques du pouvoir. Au regard des aspirations des citoyens et des attentes des maires, il est certain que ce nombre va encore progresser significativement au cours du mandat à venir. 

Cette progression sera sans nul doute encouragée par lexemple du département du Gers où la participation a atteint un nouveau record en 2019, avec un quart des habitants (et pas du seul corps électoral) qui a pris part au vote du budget participatif. Elle le sera aussi par les résultats de Paris où la barre des 10% de votants a été franchie. 

Il faut aussi espérer que cette progression sinspirera de lexpérience de ces villes et villages qui ont décidé dallouer des montants élevés au budget participatif. Il faut aussi espérer que ces collectivités sauront donner du sens à la participation au budget participatif. Aujourdhui, cette question du sens ne sest peut-être pas encore posée partout. 

En lespace dun mandat, nous lavons vu, leur nombre na cessé de progresser et nous verrons si le budget participatif se développe selon la taille des communes ou selon la politique et par quelles voies. Chaque année, le nombre des villes engagées dans le budget participatif est proche de doubler. Dès lors, lexpérience est encore inédite dans la moitié des communes chaque année. Dans chacune, les modalités du vote, les montants alloués interrogent sur la volonté douvrir la décision publique. Au travers de ces votes, les projets qui émergent des budgets participatifs reflètent les priorités des habitants mais également les critères de sélection. Enfin, les votes informent de la participation des habitants au budget participatif.  

Cette note ne se présente pas comme le bilan dun premier mandat des budgets participatifs mais sappuie dabord sur les données des trois dernières années. Elle trace les évolutions dans la mise en œuvre du budget participatif et s’interroge sur leur devenir au cours du mandat à venir, en préconisant de donner davantage de sens à l’engagement des citoyens. 

Un essor sans précédent et quelques ressorts 

Il y a dix-huit mois, la précédente note annonçait 80 budgets participatifs en France et prédisait après des années de doublement de leur nombre un ralentissement, en raison des élections municipales à venir. La progression dans les communes a bien ralenti, mais les départements ont pris le relais. Actuellement, près de 19 millions de Français peuvent voter une partie du budget dans 141 communes, 18 départements et une région, l’Occitanie. Il faut aussi y ajouter une dizaine duniversités. La France compte ainsi 170 budgets participatifs en activité. 

 

 

Des budgets participatifs dans les villes et dans les campagnes

À lissue de ce mandat, plus de la moitié des villes de plus de 200 000 habitants se sont engagées dans un budget participatif. Ainsi, les Parisiens, Bordelais, Lillois, Rennais, Strasbourgeois et, pour partie, les Toulousains peuvent décider directement dune part du budget dinvestissement de leur commune. Parmi elles, Paris et Rennes ont montré la voie dès 2015 et 2016.

Cette surreprésentation ne signifie pas que le budget participatif est réservé aux grandes villes. En réalité, des communes de toutes tailles mènent cette démarche de démocratie participative. Pour aller plus loin dans lanalyse : un tiers des communes engagées compte entre 5 000 et 20 000 habitants, un quart entre 20 000 et 50 000 habitants et un autre quart entre 50 000 et 200 000 habitants. Ces chiffres sont, par ailleurs, relativement stables.

Les petites communes, de moins de 5 000 habitants, sont peu nombreuses à porter un budget participatif et cest dans cette catégorie que les expériences interrompues sont les plus fréquentes, probablement en raison du peu de ressources, humaines ou financières, quelles peuvent accorder à la démarche. Le soutien des intercommunalités pourrait être une voie pour développer cette démarche de démocratie participative dans ces territoires.

Une diffusion du budget participatif de proche en proche

Le développement des budgets participatifs ces dernières années concerne toutes les catégories de villes mais se concentre plus particulièrement dans certaines régions. L’Île-de-France est en tête avec près de 30% des budgets participatifs, suivie de la Nouvelle-Aquitaine, de lOccitanie, des Hauts-de-France ou de la Bretagne qui réunissent chacune autour de 10% des communes engagées. Face à cette situation, trois hypothèses peuvent être émises. 

Dabord, cette diffusion sexplique par une proximité géographique. Dans le Nord (59) et le Pas-de-Calais (62), les budgets participatifs semblent avoir fait tache dhuile depuis Grande-Synthe (59) et Marck-en-Calaisis (62), avec aujourdhui 12 démarches actives. Dans la métropole du Grand Paris, leffet est plus saisissant encore. Après la capitale, huit villes avaient inscrit la démarche dans leurs pratiques en 2017, elles étaient 22 en 2018, elles sont 30 en 2019. 

Ensuite, lexpérience dune collectivité similaire a une influence plus limitée. Paris et Rennes paraissent avoir montré la voie à dautres grandes villes. Mais la présence de communes engagées dans la proximité immédiate paraît encore ici influencer ladoption du budget participatif. À limage de Lille, quand Bordeaux sest lancée, la métropole comptait déjà trois démarches. 

Enfin, la couleur politique semble avoir un impact. Les municipalités qui se sont engagées en début de mandat étaient majoritairement à gauche. Le département du Gers a entraîné à sa suite dautres départements dans un proche périmètre concentré dans le Sud-Ouest et dirigés par des socialistes : lAude (11), la Dordogne (24), les Landes (40), le Lot-et-Garonne (47) et bientôt la Gironde (33). Enfin, la première région à lancer un budget participatif est lOccitanie correspondant aussi à ce portrait-robot. 

La gauche à l’initiative d’une démarche aujourd’hui adoptée par tous

La couleur politique semble avoir eu un impact au début de lessor des budgets participatifs dans les communes et plus récemment dans les départements. Elle pourrait en avoir à nouveau pour les régions. Paris, Grenoble, Metz, Montreuil ou Rennes, les pionnières, sont dirigées par le Parti socialiste (PS) ou Europe-Écologie-Les Verts (EELV). Les petites villes qui ont démarré durant le mandat précédent et allouent des montants très élevés, Jarny (57) ou Firminy (42), sont dirigées par des élus du Parti communiste français (PCF).

Dire que le budget participatif est une démarche de gauche est de moins en moins vrai chaque année. Au niveau des communes engagées, 64% étaient dirigées par la gauche en 2017, puis 55% en 2018. Elles sont à peine la moitié en 2019. Il faut y ajouter les départements et la région Occitanie pour dépasser les 50%. 

Sur le plan communal, le Parti socialiste demeure le principal parti à conduire des budgets participatifs, mais alors que le nombre de villes engagées dirigées par le Parti socialiste doublait presque chaque année, en passant de 4 à 28 entre 2014 et 2018, en 2019, cette progression est ralentie. Elle continue de doubler pour les villes conduites par le PCF et les exécutifs qui se revendiquent toujours de gauche mais plus dun parti (Divers gauche, DVG). 

À droite, le budget participatif a dabord été adopté par les collectivités plus au centre et, en premier lieu, celles dirigées par des exécutifs Union des démocrates et indépendants (UDI) ou Divers droite (DVD). Parmi ces élus, on notera danciens membres des Républicains qui ont pris leur distance après l’élection présidentielle de 2017. Les villes engagées dirigées par Les Républicains (LR) sont aujourdhui majoritaires à droite et se situent pour moitié en Île-de-France.

Les dernières élections présidentielles ont installé un affrontement inédit entre libéraux et extrême droite. La République en marche (LREM) et le Rassemblement national (RN) dirigent jusqu’à aujourdhui peu de municipalités. Pour autant, deux communes ont adopté la démarche : Pont-Saint-Esprit (30) avec un montant élevé et Béziers (34) qui propose aux seuls 14-25 ans de déposer des projets. 

Enfin, une dizaine de communes se revendiquent sans étiquette (SE), alors quelles n’étaient que trois lan passé. Cette situation ne semble pas liée à une volonté de se détacher des étiquettes politiques mais à la taille de ces communes qui comptent moins de 5 000 habitants pour 9 dentre elles. 

Ladoption, très tôt dans le mandat, du budget participatif par Paris, Grenoble, Metz ou Rennes a eu un effet sur la visibilité de la démarche. Pour autant, le budget participatif nest pas propre aux métropoles et sadapte à tous les échelons et à toutes les échelles, jusqu’à Suaux qui compte moins de 400 habitants. 

Ce développement tient très probablement dune diffusion par proximité géographique, puis dun effet lié à lexemple dune collectivité similaire. La couleur politique, qui paraît de moins en moins déterminante dans ladoption du budget participatif pour les villes, semble jouer à plein dans la diffusion de loutil dans les départements et peut-être bientôt les régions. 

Alors que 170 budgets participatifs sont en activité, il est à présent nécessaire de sassurer que, dans la pratique, la décision revient bien aux citoyens. 

 

 

Une forme de normalisation bienvenue

La question dune normalisation ou dune labellisation traverse depuis quelques années la sphère des villes pionnières du budget participatif. Dès 2016, Grenoble, Rennes, Montreuil et Paris ont accueilli des rencontres nationales pour réfléchir autour des bonnes pratiques. En novembre 2019, durant leur dernière édition, ces villes ont signé une déclaration affirmant six principes essentiels. 

Quatre principes, cinq étapes pour les six années à venir

Quatre de ces six principes ont valeur de bonnes pratiques et pourraient simposer comme des normes essentielles. Les villes signataires insistent sur le fait que le budget participatif doit être organisé régulièrement, sappuyer sur un montant défini, être ouvert à tous les citoyens et, enfin, être sanctionné par un vote que le conseil municipal sengage à respecter. 

Les deux autres principes sont en fait des objectifs : la confiance et l’émancipation. Ils répondent du fonctionnement du budget participatif. La confiance naît du respect dun engagement : « Vous décidez, nous (collectivité) réalisons. » L’émancipation saffirme au travers des projets qu’élaborent les citoyens et vise leur « encapacitation » politique.

Dans sa mise en œuvre, le budget participatif se décline généralement en cinq étapes. 

  1. La première est généralement invisible pour les citoyens : elle vise à définir le montant alloué à la décision des citoyens et les règles de la démarche.
  2. À partir de la deuxième étape, la démarche devient publique : les citoyens sont appelés à participer en proposant leurs idées. 
  3. Les idées sont soumises à l’analyse de leur recevabilité et à un chiffrage par les services.
  4. Les projets réalisables sont soumis au vote des citoyens, généralement sans condition de nationalité, et ouverts aux plus jeunes. 
  5. Les projets votés sont réalisés dans un délai qui, idéalement, ne peut dépasser deux ans. 

En 2019, 98 communes se conforment précisément à ces quatre principes (sur les 138 qui ont mené un budget participatif en 2019). En préjugeant de la régularité de leur démarche, ces villes annoncent le montant alloué, ouvrent le vote à tous les citoyens, et le vote est respecté par lassemblée municipale. Tous les départements se conforment à ces quatre principes. Dans 39 communes, la décision finale appartient à un jury, à une commission ad hoc ou aux instances de démocratie locale, conseils ou comités de quartier. 

Le vote, symbole d’un outil démocratique

Le vote concentre lattention au budget participatif. Il a valeur de symbole démocratique pour une forme de participation nouvelle. Cest pourquoi un vote physique, avec urnes et bulletins, complète régulièrement le vote électronique. Le vote électronique est accessible dun clic, à toute heure ; les urnes viennent à la rencontre des citoyens. Ces deux modalités ont lavantage de faciliter lexpression du plus grand nombre, alors que cette démarche démocratique est encore peu connue.

Le vote est organisé dans 115 communes, au moins théoriquement. En effet, dans quelques communes, le nombre de projets recevables nexcédant pas le montant alloué, le vote nest pas organisé. Comme on la vu, le vote nest pas toujours décisionnaire et peut être consultatif. Ainsi, à Metz (57), tout citoyen peut prendre part à un vote en plénière, organisé après l’étape du vote en ligne. À Lille (59), cest un jury citoyen de 12 habitants tirés au sort et 12 conseillers de quartier qui décide. À Belfort (90) encore, les projets sont classés par ordre de priorité lors de réunions publiques.

Dans la majorité des communes qui ont mis en œuvre le budget participatif, le vote est électronique. Ainsi, sur 115 communes dans lesquelles un vote est organisé, 95 proposent de voter en ligne et, dans 69 dentre elles, ce vote peut aussi se faire en glissant un bulletin dans une urne. Parmi ces 95 communes qui proposent de sexprimer en ligne, 70% utilisaient en 2019 une plateforme « civic-tech », une proportion comparable à ce qui avait été relevé dans une précédente enquête.

Quels outils les collectivités utilisent-elles pour le vote en ligne quand elles ne disposent pas dune plateforme de participation en ligne ? Elles mettent le plus souvent en œuvre des modules de vote sur leur site. Dans les communes de moins de 20 000 habitants, une certaine forme de débrouille se fait jour avec lutilisation doutils de questionnaire Google et même de sondage Facebook. Cest aussi dans ces communes que l’on vote le plus souvent avec un bulletin uniquement. 

Des montants alloués stables avant une nette progression ?

Le budget participatif, cest un montant alloué aux habitants qui proposent et votent des projets. Dans tous les cas et à de très rares exceptions, ce montant est une part du budget dinvestissement. Ce montant est ainsi régulièrement présenté sous la forme dun pourcentage sans précision sur son total. Or, à taille comparable, il varie dune commune à lautre. Aussi, nous préférons un indicateur plus clair : le montant par habitant. 

Le montant moyen accordé par les communes avait baissé de 25% entre 2017 et 2018, il se stabilise en 2019. Après être passée de 8,73 euros à 6,52 euros en 2019, la moyenne est de 6,50 euros. La médiane progresse très légèrement, passant de 4,53 euros à 4,65 euros. Cette stabilité se mesure dans toutes les catégories de communes, à lexception de celles de 50 000 à 200 000 habitants (-6%).

Dans les métropoles, il faut sattendre à une forte progression en 2020. Strasbourg avait alloué un montant dun million deuros en 2019 et double celui-ci en 2020. La période est aussi propice aux annonces. À Toulouse, Jean-Luc Moudenc, le maire sortant, promet de multiplier le budget participatif par huit pour un total de 8 millions deuros. À Paris, Anne Hidalgo (Parti socialiste) propose de le porter de 5% à 25% du budget dinvestissement de la ville. Pour ce mandat, ces 5% ont représenté 500 millions deuros sur le mandat. 

Les villes aux montants les plus élevés par habitant :

  • Paris (ville et département) propose le montant le plus important : 45 euros ;
  • pour les villes de plus de 200 000 habitants, Rennes (35) : 16 euros ;
  • pour les villes de 50 000 à 200 000 habitants, Avignon (84) : 16 euros ;
  • pour les villes de 20 000 à 50 000 habitants, Grande-Synthe (59) : 22 euros ;
  • pour les communes de moins de 20 000 habitants, Jarny (54) : 30 euros
  • pour les communes de moins de 5 000 habitants : Aramon : 23 euros (72) ;
  • pour les communes de moins de 5 000 habitants : Suaux (16) : 25 euros pour à peine 400 habitants.

La déclaration des villes pionnières a réaffirmé quatre principes opérationnels à promouvoir lors des dernières rencontres nationales des budgets participatifs :  régularité, montant alloué défini dès le départ, vote de tous les citoyens et respect des décisions par lassemblée municipale. 

Sen remettre à un jury de citoyens éclairés ou aux membres de conseils de quartier pose question, alors que cette pratique sest répandue. Comment donner pleine confiance dans le budget participatif si le vote ne permet pas d’élire directement les projets ? Il serait intéressant de reconsidérer le rôle de ces instances et de les faire intervenir en amont du vote. 

En 2019, les montants des budgets participatifs sont restés stables. Le doublement du montant à Strasbourg et les premières annonces des maires de Paris et de Toulouse vont dans le sens de l’augmentation du pouvoir dagir des citoyens. Ils permettraient de changer d’échelle de projets et sans doute de participation. 

 

 

Des projets qui donnent du sens à l’engagement

Au cours dun voyage d’études en Amérique latine, à San Antonio au Chili, du 3 au 6 mai 2016, un homme mavait interpellé au sortir dune réunion publique. Il avait longtemps vécu en Europe et s’étonnait que des budgets participatifs existent aussi sur le Vieux continent. « Vous avez déjà tout ! », s’était-il étonné. Le lendemain, je visitais la ville et les réalisations. Ici, la rue avait été (enfin !) goudronnée ; là les habitants avaient reçu des portes qui ferment pour protéger les biens et les personnes. Ces projets ne voient heureusement pas le jour en France, dautres oui. 

L’environnement, une priorité des Français, dans les budgets participatifs aussi

Toujours dans cette ville sud-américaine de San-Antonio au Chili, un « city-stade » aussi avait été rénové ; des équipements de fitness installés ou encore des instruments de musique financés pour les élèves de l’école. Ces projets-là liés aux sports et aux loisirs sont lune des trois catégories de projets les plus votés en France. Ils semblent indiquer la participation des adolescents et des jeunes adultes, tandis que le succès des aires de jeux pour enfants témoigne de celle des jeunes parents. 

Les projets votés dans les budgets participatifs en 2019 sinscrivent sans surprise dans les priorités des Français. Les projets le plus souvent lauréats sont donc ceux ayant trait à lenvironnement et à la protection de la biodiversité : plantations darbres, de vergers, nichoirs, ruches, végétaux pollinisateurs ou mellifères, ou encore jardins partagés qui se placent alors à la croisée du vivre-ensemble et, bien souvent, de l’éducation quand ils prennent place dans les écoles. 

40% des projets arrivés en tête des votes aux budgets participatifs sont ainsi en lien avec lenvironnement. Mais les projets liés à laménagement et au cadre de vie, qui viennent en deuxième position, ou ceux liés à la mobilité, placés en quatrième position, orientent également les investissements vers une ville plus respectueuse de lenvironnement, quil sagisse daménagements pour les piétons, de la végétalisation de lespace public ou encore de la pratique du vélo. 

Les mêmes règles produisent les mêmes réalisations

Les projets votés aux budgets participatifs sont en fait assez comparables dune ville à lautre et reviennent régulièrement. Les plantations darbres et vergers, les aires de jeux pour enfants et les équipements pour la pratique du vélo se classent dans le top 3 des projets les plus votés. Les montants accordés lexpliquent, mais aussi le critère de linvestissement. Pour être recevable, un projet doit être finançable par des crédits de ce type et ne pas engendrer de nouvelles dépenses de fonctionnement. Ce critère limite très sérieusement les possibilités. 

Un point accentue encore cette homogénéité : la répartition du montant entre les quartiers. Elle implique quun nombre minimal de projets y soit réalisé. Cette répartition se comprend car il vise l’égalité des territoires, et tient à aider ceux en difficulté. Cependant, elle empêche l’émergence de projets de premier plan qui donnerait une tout autre visibilité à la démarche.

La participation, clés de lecture

À lorigine, le budget participatif a été conçu pour donner la parole aux quartiers défavorisés de Porto-Alegre, capitale de l’État du Rio Grande do Sul, au Brésil, et de faire entendre leurs priorités. Il sagissait alors dun instrument de justice sociale. En France, les élus communistes au début des années 2000 les ont aussi mis en œuvre pour recréer du commun. Au cours de ce dernier mandat municipal, cest la volonté de développer la participation des citoyens à la vie locale, en les associant à la décision, qui a conduit à leur renouveau.

Dès lors, chaque commune peut décider dun objectif à suivre avec le budget participatif. Tout est une question de cadrage et de méthode. Aujourdhui, cependant, les objectifs qualitatifs qui visent linclusion ou la participation des jeunes, par exemple, napparaissent pas comme les plus valorisés. Des villes ou des départements agissent pour autant dans ce sens.

La participation record au budget participatif du Gers qui a atteint le quart de la population totale en 2019 est davantage valorisée. Pour autant, des objectifs qualitatifs peuvent aussi être rendus visibles. Ainsi, le budget participatif de Grenoble, qui présente une contribution honorable, a aussi permis à des sans-abris de proposer et de faire voter leurs idées. Une réussite en matière dinclusion. 

La participation est stable et pourtant elle progresse

Lenjeu de la participation ne se limite pas à des objectifs dinclusion ou de popularité du programme. Cet enjeu est aussi une question de légitimité des projets votés. Certes, ces derniers correspondent aux priorités des Français telles que mesurées dans lopinion. Mais ici, il ne sagit plus de lexpression dune opinion mais bien dun vote. Plus ce vote est élevé et plus la dépense de la collectivité est légitime. 

Cette année, encore, les chiffres de participation sappuient sur les populations totales des communes et non sur le nombre dinscrits sur les listes électorales. Ils doivent donc être analysés pour ce quils sont. Aussi les chiffres peuvent sembler modestes. En 2019, 5% des habitants dune commune votent au budget participatif. 

Cette moyenne est stable. Pour autant, de plus en plus de villes dépassent à présent les 10% de participation. Alors quen 2017, seule Morangis (91) atteignait une telle mobilisation, en 2018, de petites communes, à limage de Plélan-le-Grand (29) ou encore de Guichen Pont-Réan (35), atteignait ce score. Paris atteignait les 10% de participation la même année. En 2019, la capitale dépasse alors ce cap, à 11%.

Chaque année, le nombre des collectivités engagées double. Dans la moitié des communes, le budget participatif est nouveau. Il faut donc lexpliquer aux habitants : expliquer quils doivent décider dune partie du budget, sous la forme de projets et expliquer que ce sont à eux de proposer ces projets, et quils les voteront dans six à neuf mois. Il faut également expliquer que ceux-ci verront le jour dans un à trois ans. 

Le budget participatif est une réponse concrète pour associer les citoyens à la décision publique, mais sa complexité et son calendrier sont des freins à la participation. Quelques collectivités, à limage de Bordeaux, Metz, du conseil départemental de Seine-Saint-Denis ou de la région Occitanie ont choisi de thématiser leur budget participatif pour des projets qui préservent lenvironnement. 

Cest une manière de donner un sens nouveau au budget participatif. Le sens précède lengagement.

Donner du pouvoir d’agir et donner du sens à l’agir

Aujourdhui, dans 170 institutions constituées de communes, de départements, de région ou d’université, près de 19 millions de Français peuvent orienter les dépenses de leur collectivité, par des projets décidés par eux. Ils étaient trois fois moins nombreux lan dernier. En 2019, ce développement a pour partie été le fait des départements, inspirés par la réussite du Gers et de sa participation record. Les régions se lanceront-elles à leur tour ? Après l’Occitanie, elles devront réagir vite alors que les élections régionales sont dans un an.

Alors que les échéances municipales approchent, des listes candidates innombrables annoncent leur volonté de proposer un budget participatif. 2020 et 2021 seront-elles les années dune généralisation des budgets participatifs ? Il faudra sinterroger sur les pratiques. Les villes pionnières ont réaffirmé des principes de bonnes pratiques : régularité, montant alloué défini, vote par tous les citoyens et, bien sûr, respect de ce vote par les élus. Une normalisation serait la bienvenue.

Les montants accordés au budget participatif se stabilisent et des premiers signes encourageants dune orientation à la hausse se font jour. Les municipalités sont-elles prêtes à sengager dans un nouveau mode de gouvernance ? Celle-ci pourrait les conduire, pourquoi pas, à dépasser certains critères restrictifs et à ouvrir leur budget participatif à des projets plus ambitieux ou plus créatifs au service du public. 

Les budgets participatifs pourraient être vus non plus comme un montant à part alloué aux citoyens, mais pourraient sintégrer aux politiques publiques. 2019 a vu apparaître les premiers budgets participatifs thématiques, sur le développement durable. On peut sinterroger sur leur opportunité. La période est au verdissement des politiques publiques dune part. Dautre part, ce sont déjà ces projets qui sont les plus votés. 

Ce cadrage est pourtant utile. Si la priorité environnementale est en tête des préoccupations des Français, alors le budget participatif doit donner le pouvoir dagir sur cette priorité. Lenvironnement est aujourdhui la piste la plus évidente. Elle nest certainement pas la seule, si les prochains élus municipaux veulent associer les habitants à la construction des politiques publiques.  

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