Les guets-apens LGBTIphobes ne sont pas nouveaux, mais le développement des sites de rencontre et plus largement d’internet ces dernières décennies constitue un outil supplémentaire pour leur mise en œuvre. À partir des signalements recueillis sur l’application FLAG! qui depuis son lancement font état de cette réalité, Flora Bolter, co-directrice de l’Observatoire LGBTI+ de la Fondation, s’est penchée sur le profil des victimes, sur celui des auteurs de ces LGBTIphobies, et sur le mode opératoire utilisé – via des applications ou sites de rencontre.
Introduction
Un ressort important des violences envers les personnes LGBTI+ est leur relative impunité sociale : non seulement les représentations sociales dont notre société a hérité tendent à minimiser voire à justifier certaines formes d’agression envers les personnes LGBTI+, mais leur intériorisation tend à empêcher, encore aujourd’hui, la prise de parole de nombreuses victimes.
C’est sur cette impunité que comptent les personnes qui ont recours aux guets-apens LGBTIphobes : sur l’absence de protection dans les lieux physiques et numériques de rencontres furtives, sur l’absence de recours des victimes qui veulent préserver leur anonymat auprès de leur voisinage ou craignent de ne recevoir, en guise d’aide, que des violences de la part des forces de l’ordre qui sont censées garantir la tranquillité publique ou l’État de droit. Cibler des victimes potentielles parce que LGBTI+, les attaquer gratuitement ou pour leur prendre leurs biens, au besoin en leur faisant croire à un rendez-vous : le guet-apens LGBTphobe n’est pas toujours exclusivement motivé par la haine anti-LGBTI+, mais il repose toujours sur cette dernière et sur ses effets et contribue ainsi à la perpétuer. Le fait que les motivations de l’acte soient parfois multiples ne change donc pas la nature profonde de cet acte, qui entre pleinement dans le cadre des infractions motivées par la haine1Voir à cet effet Balázs c. Hongrie (Requête n°15529/12, 20 octobre 2015), où la Cour européenne des droits de l’homme a considéré que « les auteurs d’une infraction peuvent avoir des motivations multiples, étant influencés par des facteurs contextuels aussi forts ou plus forts que leur attitude discriminatoire envers le groupe auquel appartient la victime » (§ 70)..
Les guets-apens sont une réalité ancienne, mais le développement des sites de rencontre leur a apporté une déclinaison supplémentaire, et la parole commence à se libérer sur cette réalité. En 2023, le journal Mediapart a ainsi réalisé un documentaire Guet-apens, des crimes invisibles, estimant à 300 le nombre de personnes tombées dans un guet-apens homophobe entre 2017 et 2021, avec une recrudescence en 2022 avec 122 victimes, soit une agression tous les trois jours. Toute la difficulté de cette estimation, soulignée par les journalistes, est que peu de victimes portaient plainte ; et que même lorsqu’une plainte était déposée, l’enquête ne prenait bien souvent pas en compte la dimension homophobe de l’agression.
N’étant ni universellement connue de l’ensemble des personnes sur tout le territoire français, ni mesurablement constituée d’un échantillon représentatif de la population française, l’application FLAG! ne permet pas d’éclairer la question de l’estimation globale du phénomène. En revanche, elle permet de signaler des guets-apens, même quand on ne souhaite pas porter plainte, et à ce titre contient des situations qui peuvent aider à mieux connaître ce phénomène et ses mécanismes.
Depuis la mise en service de l’application, elle a enregistré au moins 47 situations décrivant un guet-apens, soit un peu plus d’une par mois : dans la plupart des cas (39), un au moins des faits rapportés par les signalants retient l’intitulé « guet-apens ». Dans les autres cas (8), les termes retenus dans la description des faits (liste déroulante) ne retiennent pas cette expression mais la description des faits en texte libre correspond avec le mode opératoire (notion d’un rendez-vous organisé dans un lieu précis pour violenter ou insulter une personne ciblée car LGBTI+ et éventuellement lui extorquer de l’argent, des biens ou des services). Ces situations ont été repérées par la recherche de mots-clés dans les commentaires en texte libre, d’autres situations similaires n’ont donc peut-être pas été identifiées. Dans les signalements où le terme de « guet-apens » n’est pas retenu pour décrire les faits mais revient dans la description en texte libre, les termes employés dans les signalements sont ceux d’« extorsion » ou de « violence » avec ou sans arme. Dans plusieurs cas, le terme de « séquestration » est utilisé avec ces termes ou celui de guet-apens.
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Abonnez-vousUne forme genrée de violence anti-LGBTI+
La première constatation qui ressort de l’étude de ces situations permet une simplification linguistique : les victimes sont quasi-exclusivement des hommes (44 signalements dont un homme intersexe), plus deux femmes (dont une transgenre) et une personne qui préfère ne pas indiquer son genre. Seule ou en combinaison, la caractérisation des faits comme étant gaiphobes (« homophobes envers des hommes ») revient dans 44 cas. Ce type de victimation touche donc, parmi les signalements enregistrés dans l’application, presque exclusivement des hommes, et les personnes qui font les signalements indiquent bien que ce sont les hommes gays qui sont visés. On peut donc parler de guets-apens homophobes ou gaiphobes, dont les victimes sont hommes gays (ou bis).
Ceci ne signifie bien sûr pas qu’on puisse exclure complètement l’existence de ce type d’actes envers des femmes lesbiennes ou bies, ou envers des personnes trans ou intersexes indépendamment de leur orientation sexuelle : les guets-apens signalés dans l’application sont quasi-exclusivement gaiphobes, et concernent des victimes hommes gays ou bis, mais il n’est pas impossible que d’autres publics LGBTI+ fassent l’objet de guets-apens sans pour autant les signaler par l’application. On peut s’interroger par exemple sur les actes de guet-apens visant des personnes LGBTI+ exerçant le travail du sexe, et la manière dont ces faits peuvent être (sous-)renseignés dans l’application. En l’état actuel des choses, sur les 47 situations identifiées, une seule correspond à ce scénario : « Je suis escort travestie (…) j’ai reçu un client il y a deux jours le [date] à 18h30 j’ai fait ma prestation et c’était un guet-apens, ils étaient deux, ils m’ont volé mon argent, mon téléphone et agressé et ils sont partis ». Sur les sept qualifications retenues par la victime qui a fait ce signalement, et malgré la présence du mot dans la description en texte libre, aucune ne correspond à l’intitulé « guet-apens ». Les associations accompagnant les travailleurs et travailleuses du sexe font régulièrement part de tels agissements : il serait donc utile de pouvoir mieux connaître leur expérience en la matière pour mieux comprendre le phénomène des guets-apens de manière globale, c’est-à-dire incluant notamment ces situations particulières.
Cela étant précisé, les situations signalées dans l’application FLAG! jusqu’ici correspondent plutôt nettement à des situations de guet-apens gaiphobe, envers des hommes. Les lieux évoqués par les signalements peuvent renvoyer à différentes grandes villes, mais aussi à des lieux de drague ou des domiciles non précisés, qui peuvent correspondre à tout type de commune. Les victimes sont de tous âges, de 12-15 ans (collégien harcelé par ses camarades de classe qui l’attirent dans des lieux spécifiques pour se moquer de lui) à 60-69 ans (retraité séquestré chez lui par plusieurs personnes qui s’introduisent chez lui à la faveur d’un plan de site de rencontre). Quinze sont des hommes jeunes (moins de 30 ans), dont deux mineurs.
Le huis-clos de la rencontre : peu de témoins parmi les signalants
La grande majorité des signalements (40 sur 47) sont faits par les victimes elles-mêmes.
Les signalements faits par des témoins sont pour la plupart le fait de fonctionnaires de la police ou de la justice (4), ou par une association partenaire signalant un cas qu’elle a pu identifier (1). Deux de ces signalements de témoins renvoient à une seule et même situation (deux signalants différents le même jour dans la même ville, formulations différentes) : « J’ai entendu des mecs en groupe se créer un compte sur [application/site de rencontre A] pour trouver un/des mec.s à tabasser ».
La volonté de faire passer le mot, de prévenir la communauté pour éviter d’autres victimes, même quand les victimes ne portent pas plainte, se retrouve dans plusieurs des commentaires laissés par les personnes faisant le signalement, qu’elles soient victimes ou témoins.
Le site [application/site de rencontre B] a été utilisé en [département] dans plusieurs affaires de racket, séquestration, violence auprès de personnes homosexuelles. Il est utilisé par des mineurs et a été cité dans plusieurs affaires judiciarisées. Pour autant à ce jour, il ne fait l’objet d’aucune restriction.
Signalement d’un agent du ministère de la Justice, témoin, en 2022.
(…) Je n’ai pas porté plainte car je n’ai aucune preuve mais je fais ce signalement car je ne veux pas que ça arrive à une autre personne.
Un homme, la trentaine, victime en 2021.
(…) Mon entourage ne connaissant pas ma sexualité, je ne peux porter plainte, mais je peux donner plus d’informations anonymement si besoin.
Un homme, la cinquantaine, victime en 2023.
Dans la grande majorité des cas (39), les auteurs des faits sont des personnes non connues, seules (12) ou en groupe (27). Dans les autres cas (8), les auteurs sont des personnes connues personnellement : voisins, camarades de classe, membres du même club de sport, éventuellement associées à des personnes non connues en groupe.
Le guet-apens « de voisinage », une forme de harcèlement
Les situations évoquées lorsque l’auteur ou un des auteurs est une personne connue personnellement sont nettement différentes de la grande masse des signalements de guet-apens.
Dans ces cas en effet, les situations décrites sont répétées ou durables, et impliquent un harcèlement au quotidien ou/et dans l’entourage immédiat de la personne qui inclut des dénigrements de la victime, dans un lieu qu’elle fréquente au quotidien, auprès d’un groupe de personnes.
Les violences étaient souvent après les cours de la 5e a la 3e. Vol d’affaires, menaces, insultes, injures, harcèlement, intimidations.
Un homme victime lorsqu’il avait 12-15 ans en 2015.
Je me promenais dans la rue [date] vers 22h30, sur une route à côté de chez moi en direction du centre-ville, lorsqu’un groupe de jeunes de 7 personnes (2 filles et 5 garçons) m’ont encerclée, insultée, agressée physiquement et verbalement. Ils m’ont jeté des pierres et frappée sur la tête avec un caillou. Des adultes sont arrivés et m’ont menacée de mort. Certains d’entre eux habitent à proximité de mon immeuble (…).
Une femme trans, la trentaine, victime en 2023.
J’attendais mon bus à l’arrêt de bus (…). Un membre de salle de sport (…) avec ses amis a menacé de me frapper. Il parlait de moi à ses amis et ils attendaient pour me frapper. (…) Ils n’ont pas pris leur bus numéro 2 pour essayer de venir me frapper à plusieurs.
Un homme, la trentaine, victime en 2020.
Tentative de meurtre préméditée et organisée par un voisin. Commise par un inconnu cagoulé et armé. Menaces de mort avec arme. Perforation du globe oculaire gauche avec le canon de l’arme jusqu’à la rétine (œil détruit à 90%). Vol d’effets personnels et d’argent. Tentative de vol de voiture.
Un homme, la quarantaine, victime en 2020.
Nous sommes harcelés par de voisins depuis près de dix ans qui nous injurient, nous menacent, installent des caméras pour nous espionner, nous insultent, nous menacent de mort…
Un homme, la cinquantaine, toujours victime d’actes de cet auteur en 2020.
Plusieurs atteintes aux biens, agressions dont écrits diffamatoires, coups avec ITT, dégradations de bien (vélos, boîtes à lettres) par un voisin identifié et 3 autres voisins amis de l’agresseur [nom] ; ils ont fait l’objet de 25 plaintes depuis 1998.
Un autre homme, la cinquantaine, toujours victime d’actes de cet auteur en 2020.
La victime, en colocation avec un homme depuis trois mois, a été agressée par cette personne et un autre individu. Il a été frappé avec une batte de baseball, menacé d’un couteau. Ils ont volé ses papiers et son véhicule. Menaces de mort et de représailles s’il parle à la police.
Signalement par un témoin pour un homme d’une trentaine d’années en 2020.
Ce type de scénario, que l’on pourrait appeler des « guets-apens de voisinage », implique généralement un grand nombre de faits signalés (notamment du harcèlement, des menaces, d’autres types de violence). La dimension « guet-apens » se retrouve dans l’idée de personnes non connues se rendant dans un lieu où ils savent que la victime doit passer (parce que c’est son chemin, son arrêt de bus, son domicile) et prêtant main-forte à l’auteur principal des faits qui, lui, est une personne connue.
Le cas général : le guet-apens gaiphobe sous prétexte de rencontre
Mais la part la plus importante des signalements concerne des personnes non connues seules ou en groupe visant des hommes gays (ou bis) pour les attaquer ou les dépouiller en les ciblant par le biais de sites ou d’applications de rencontre (25 cas), sur des lieux de drague connus (3 cas) ou à la sortie de bars LGBTI+ (1 cas). Dans quatre autres signalements, les circonstances sont décrites comme des « rencontres amoureuses » ou autres « plans sexe » sans plus de précision. Le reste des signalements pour des guets-apens d’auteurs non connus seuls ou en groupe ne précisent pas les modalités ou l’occasion de la rencontre.
La forte présence des applications ou sites de rencontre, qui est attestée dans plus de deux tiers des signalements pour des faits de guet-apens, rejoint les interrogations actuelles sur la recrudescence de guets-apens facilités par ces sites et applications, ce d’autant que deux applications/sites en particulier reviennent régulièrement. Ici désignées comme les applications/sites de rencontre A et B, elles sont mentionnées dans 11 signalements chacune. La question de la sécurisation des usagers de ces applications ou sites, sans pour autant mettre en danger la confidentialité de leurs données, est donc entière, d’autant que plusieurs signalements laissent penser que les auteurs sont habitués du fait.
Le RDV a été fixé par internet. Sur place les agresseurs se sont vantés de « faire ça tout le temps », « faire venir des mecs comme toi ».
Un homme, la quarantaine, victime en 2022.
Deux ressortissants bulgares convenaient d’un rendez-vous via un site de rencontre et se livraient sur leurs victimes à des extorsions avec violences aggravées.
Signalement par témoin issu de la Police nationale en 2023.
Groupe de personnes qui prévoient de battre des hommes gays en les attirant avec [application/site de rencontre A].
Un homme, témoin en 2023.
Bonjour, sur le site [application/site de rencontre B], un utilisateur de [Ville], voyant ma méfiance, a avoué en fin de conversation qu’il comptait me faire un guet-apens avec extorsion de fonds.
Un homme, la quarantaine, victime en 2023.
Un homme rencontré sur le site [application/site de rencontre B] m’a menacé de violences pour m’extorquer de l’argent. J’ai le sentiment qu’il cible les gays.
Un homme, la quarantaine, victime en 2022.
Personne masculine de 36 ans sur [Ville] qui a des propos menaçants et qui est déjà passé à l’acte en donnant rendez-vous à des homos et il s’agit d’un guet-apens. Je vous laisse prendre connaissance des propos que je vous ai envoyés sur ma photo.
Un homme, la trentaine, victime en 2022, désignant un profil sur l’application/site de rencontre B dans le champ « URL ».
On peut signaler qu’une de ces plateformes a également été condamnée dans un autre pays à une amende administrative de plusieurs millions d’euros pour des violations des données de ses usagers.
Outre les sites et applications exclusivement dédiés aux rencontres, un des signalements renvoie à un site de petites annonces plus généralistes. Dans plusieurs signalements (tous types de faits), dont un de ceux pour guet-apens, des témoignages reçus par l’application dénoncent en effet l’usage, pour certaines plateformes de ce type, de donner accès à toutes les annonces d’un même usager, y compris les annonces de rencontre. Cela donne aux personnes mal intentionnées la possibilité de cibler par ce biais des personnes LGBTI+ et de leur donner rendez-vous par d’autres types d’annonces.
J’ai rencontré un mec qui me proposait de me faire visiter des appartements loués par un membre de sa famille. Sur place, ce dernier et ses amis m’ont frappé avec une arme et m’ont volé. Je pense que c’est homophobe car j’ai bien été ciblé du fait que j’étais gay.
Un homme, la quarantaine, victime en 2022.
Le mode opératoire et le lieu du guet-apens
Dans ces situations, le scénario est généralement le suivant : une personne est ciblée, ostensiblement dans l’optique d’une rencontre sexuelle, par une personne qui ne lui est pas connue, sur un lieu de drague ou par le biais d’un site (de rencontre le plus souvent). Une fois à l’écart, la personne non connue commence à frapper ou menacer, au besoin en se faisant rejoindre par des complices.
Sur le site [application/site de rencontre B], un jeune de 22 ans m’a donné rdv sur [Ville et lieu de drague] vers 4h du matin. À mon arrivée il a sorti un couteau et 3 autres individus habillés en noir et cagoulés m’ont porté des coups. J’ai crié et ils se sont enfuis en courant.
Un homme, la quarantaine, victime en 2022.
Victime de violences homophobes par une dizaine d’hommes me rouant de coups (coups de poing et coups de pied) et d’insultes homophobes avant de voler mon portefeuille. J’étais été transporté à l’hôpital.
Un homme, la vingtaine, victime en 2020.
On est en voiture on va se faire séquestrer.
Contenu intégral du signalement d’un homme, la vingtaine, en 2022, pour des actes commis par des personnes non connues en groupe.
Dans 31 des signalements, un lieu est globalement précisé : il peut s’agir de l’espace public en général (la rue dans 6 cas), du domicile de l’auteur désigné par le signalement (2 cas), de celui de la victime (12 cas) ou d’un lieu public désigné, lieu de drague ou lieu de rendez-vous convenu dans les échanges avec l’auteur des faits (11 cas).
Dans trois de ces cas, incluant des auteurs non connus en groupe, la victime est déplacée du lieu de rendez-vous à un lieu tiers, plus isolé :
La victime (homme) est entrée en contact avec un individu sur un site de rencontre homosexuelle [application/site de rencontre B]. Ce contact a prétexté un rendez-vous pour l’attirer dans un endroit choisi. La victime sur place est invitée à faire le tour du bâtiment. Une fois isolée, elle est rouée de coups par 5 individus et dépouillée de ses effets personnels.
Signalement pour une victime homme, la trentaine, en 2020.
Sur le site [application/site de rencontre B], un garçon m’a donné RDV à 50 mètres de chez moi. Je m’y suis rendu et il m’a accueilli à la barrière de la résidence puis m’a invité à me rendre vers le fond du parking où se trouvait l’entrée de son bâtiment. Finalement, ce sont 2 autres garçons qui ont surgi et ils m’ont agressé à 3. Des jeunes hommes de 18 à 25 ans maxi, Corses, masqués et portant des casquettes. »
Un homme, la trentaine, victime en 2023.
Étant connecté sur le site de rencontre [application/site de rencontre B], j’ai été contacté par un garçon, qui m’a donné RDV devant le [adresse d’un café]. Au RDV, il m’a dit de le suivre vers un terrain situé juste en face. Dans l’endroit à l’abri des regards, il m’a demandé de baisser mon pantalon. Il m’a ensuite poussé très fort en me disant que j’étais un PD, et il a commencé à me donner des coups de pied. Je me suis défendu, mais un second gars cagoulé est arrivé, armé d’un râteau. Dès que je me défendais d’un agresseur, l’autre m’attaquait avec le râteau en m’insultant et en me disant qu’ils voulaient de l’argent. Voyant que je ne pouvais me défendre, j’ai cédé : ils m’ont pris mon tél, mes CB, et les espèces. Ils ont pris ma carte d’identité en photo, me disant qu’ils me retrouveraient si je portais plainte. Ils sont ensuite partis en courant. J’étais à bout de force, je n’ai pas voulu les poursuivre, ne serait-ce que par peur. Ils ont laissé le râteau sur place. J’ai des marques du râteau au visage et à l’oreille et pas loin de l’œil, ainsi qu’à la cuisse et dans le dos.
Un homme, la cinquantaine, victime en 2023.
Les situations impliquant le domicile de la victime (9), en dehors des cas de harcèlement de voisinage (3), peuvent être de types différents. Dans deux cas, il s’agit de personnes contactées par site de rencontre pour un rendez-vous qui, une fois arrivées, demandent une rémunération ; dans un cas, le ton est monté, avec échange de coups et de cris ; dans l’autre, la victime a cédé aux menaces de violences et a subi une extorsion de 80 euros.
Une seule autre situation de guet-apens au domicile par le biais de site de rencontre a pour auteur une personne seule, et celle-ci aussi commence par une demande d’argent.
Hier au matin j’ai convenu d’un plan sexe avec cet homme à mon domicile. En arrivant il a commencé à me demander de l’argent et à être violent avec moi. Il m’a frappé à de multiples reprises et renversé des objets dans mon appartement. J’ai fini par lui dire que je voulais bien l’accompagner pour retirer de l’argent dehors afin de m’en débarrasser. Il a essayé de m’enfermer hors de mon appartement. Nous avons par chance croisé un voisin, ce qui m’a permis de m’enfuir.
Un homme, la trentaine, victime en 2022.
Dans ce cas, comme dans un autre cas évoqué plus bas, les voisins/colocataires, souvent désignés dans l’ensemble des signalements reçus sur l’application comme des dangers, représentent une source de résilience.
Mais dans la plupart des cas (6 cas impliquant 5 situations), les guets-apens par des personnes inconnues au domicile de la victime impliquent des auteurs non pas seuls mais en nombre, et parfois de la séquestration.
J’avais rendez-vous avec un mec rencontré sur [application/site de rencontre A]. Celui-ci s’est présenté et est parvenu à faire rentrer ses amis. Ces derniers m’ont séquestré et m’ont extorqué beaucoup d’argent, des bijoux, des montres. Cela a duré plus de quatre heures.
Un homme, la soixantaine, victime en 2022.
J’étais victime de deux hommes rencontrés sur un site de rencontres [autre application/site de rencontre] à mon domicile. Ces derniers m’ont séquestré pendant deux heures et m’ont dérobé mes cartes bleues pour retirer de l’argent (250 euros). J’étais également violemment frappé.
Un homme, la quarantaine, victime en 2020.
Dans une des situations rencontrées (décrite par deux victimes), le fait d’être en colocation a permis de rééquilibrer la situation et de mettre en fuite les agresseurs.
Après échange avec un individu sur le réseau [application/site de rencontre B], rubrique gay, l’individu se présente à mon domicile avec un complice. J’ai été frappée au visage afin de remettre mes effets personnels et autres objets personnels aux deux auteurs. Mon colocataire, arrivant sur les lieux, s’est battu avec les auteurs qui ont sorti un couteau et l’ont blessé à la main. Mon colocataire a mis en fuite les deux agresseurs qui se sont en emparé de sa carte bleue et ont effectué un retrait d’argent.
Un homme, la trentaine, victime en 2020.
J’arrivais sur les lieux de mon domicile lorsque que j’ai surpris mon colocataire aux prises avec deux agresseurs rencontrés sur un réseau [application/site de rencontre B]. Après, je me suis battu avec les auteurs qui ont sorti un couteau et m’ont blessé à la main. J’ai réussi à les faire fuir. L’un des deux agresseurs s’est emparé de ma carte bleue et a effectué un retrait d’argent. Les deux agresseurs ont été interpellés par la police. J’ai été ouvert par le couteau à la main.
Un autre homme, la trentaine, victime en 2020.
Les guets-apens décrits comme ayant eu lieu au domicile de l’auteur impliquent des personnes non connues seules et des actes de violence ou d’extorsion consécutifs à des rapports sexuels.
Le recours à la plainte
Enfin, 16 des signalements précisent que la victime a porté plainte ou va porter plainte, ou mentionnent une intervention de la police, soit environ un sur trois. Si l’un des signalements laisse une appréciation positive de l’accueil par les forces de l’ordre, neuf signalements au total indiquent une hésitation ou des réserves, une appréhension par rapport à cette démarche. Ces réserves peuvent être justifiées par des considérations extérieures (pour éviter d’être outé, parce que « mes blessures sont légères », « parce que je n’ai pas de preuve ») ou par hésitation (« je ne sais pas si je vais porter plainte »).
Mais dans 5 cas, les commentaires révèlent une réaction décrite comme partiellement ou entièrement inappropriée de la police.
J’ai déclaré cette information oralement lors de mon dépôt de plainte, mais hélas n’ai pas été attentif lors de la relecture au fait que cela n’était pas retranscrit.
Un homme, la quarantaine, victime en 2022.
Je me suis rendu trois fois jusqu’à maintenant avec la police chez lui aujourd’hui il m’a encore agressé, mon téléphone borne encore chez lui, la police ne veut pas m’aider. J’ai tout fait mais au vu de ma différence, ça ne vaut rien du tout.
Un homme intersexe, la vingtaine, victime en 2022.
J’ai appelé la police qui a refusé d’intervenir en me disant de rentrer chez moi.
Une femme trans, la trentaine, victime en 2023.
Enfin, deux signalements traduisent une lassitude généralisée vis-à-vis de l’inefficacité de la plainte ou de la sanction pour faire cesser le comportement incriminé :
(…) 25 plaintes depuis 1998. Une agression violente contre moi et mon ami blessé en ITT en juillet 2014, caractérisée en homophobie (…) a été poursuivie et gagnée en pénal (…) en 2019. Depuis deux agressions du même voisin ont eu lieu en décembre 2014 et octobre 2015 et encore 3 plaintes de dégradations de bien (…) le harcèlement de [nom] continue en toute impunité.
Un homme, la cinquantaine, victime en 2020.
Plusieurs plaintes déposées en vain.
Un homme, la cinquantaine, victime en 2020.
Conclusion
Ces derniers cas concernent des situations de guet-apens inclus dans un harcèlement de voisinage, propices à l’éternel recommencement des faits, et des plaintes dont la résolution est difficile.
Ces remarques au sein des signalements rejoignent l’ensemble des représentations qui découragent les victimes de porter plainte, particulièrement s’agissant des personnes LGBTI. La grande majorité (deux tiers) des victimes d’actes identifiés comme des guets-apens dans les signalements de l’application FLAG! n’évoquent pas une éventuelle plainte : l’impression qui se dégage de la lecture des signalements est celle d’une solitude, solitude dans un environnement hostile, solitude quand on est isolé chez soi ou dans un lieu à l’écart, et solitude dans la réponse à l’acte. Le signalement dans l’application représente une première demande d’aide et peut-être la seule trace que ces victimes laissent de ces faits : il convient de briser le silence et le tabou sur ces événements, de mettre en place des accompagnements et procédures pour permettre d’accueillir la parole de ces personnes et pour empêcher les auteurs des actes de sévir de nouveau. Pour cela, il faut aussi associer à la réflexion les acteurs tiers, opérateurs des sites, mais aussi par exemple les bailleurs et gardiens d’immeubles où des situations de harcèlement et des guets-apens « de voisinage » peuvent avoir lieu, ou les associations de prévention en santé agissant sur les lieux de drague. En donnant à d’éventuels témoins, aux voisins, les outils pour agir utilement, par des mécanismes de signalement par exemple, nous pourrions sans doute trouver là une piste d’amélioration. Reste, malgré tout, la solitude inhérente à la rencontre amoureuse ou sexuelle, sans témoin, sur laquelle les auteurs de violence ou d’extorsion pourront toujours compter tant que les orientations sexuelles, identités de genre et caractéristiques sexuelles des personnes LGBTI+ feront l’objet de stigmatisation et de discriminations dans notre société.
Cette note a pu compter sur l’apport d’un conseil scientifique composé de représentantes et représentants d’institutions – le Défenseur des droits (DDD), la Délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT (Dilcrah) et le Service statistique ministériel de la sécurité intérieure (SSMSI) – et de personnalités qualifiées, chercheurs et chercheuses en sciences humaines et sociales, représentantes et représentants d’organisations de la société civile, disposant d’une expertise sur ces questions – Arnaud Alessandrin, sociologue (université Bordeaux Segalen, Laboratoire Culture-Éducations-Sociétés, LACES), Amandine Clavaud, co-directrice du secteur Études, directrice de l’Observatoire Égalité femmes-hommes de la Fondation Jean-Jaurès, Denis Quinqueton, co-directeur de l’Observatoire LGBTI+ de la Fondation Jean-Jaurès, et Vanessa Ricoul, présidente de FLAG !.
- 1Voir à cet effet Balázs c. Hongrie (Requête n°15529/12, 20 octobre 2015), où la Cour européenne des droits de l’homme a considéré que « les auteurs d’une infraction peuvent avoir des motivations multiples, étant influencés par des facteurs contextuels aussi forts ou plus forts que leur attitude discriminatoire envers le groupe auquel appartient la victime » (§ 70).