Après le premier sommet européen d’Olaf Scholz, ce que l’Europe attend de Berlin

Les 16 et 17 décembre 2021, Olaf Scholz a assisté à Bruxelles à son premier sommet européen. Ernst Stetter, conseiller spécial du président de la Fondation Jean-Jaurès pour l’Europe, analyse dans cette note les premiers pas sur la scène diplomatique européenne du nouveau chancelier allemand.

Le sommet européen de décembre est traditionnellement l’occasion de faire le bilan annuel de l’Union européenne (UE). Cette année, la rencontre des chefs d’État et de gouvernement européens qui s’est tenue à Bruxelles les 16 et 17 décembre 2021 avait une saveur particulière : après seize années de règne d’Angela Merkel, l’Allemagne était représentée pour la première fois par son nouveau chancelier Olaf Scholz. Les participants du sommet ont clairement fait savoir à leur nouveau collègue quelles étaient leurs attentes à son égard.

Pour Olaf Scholz, la scène européenne n’est pas une nouveauté. Ancien ministre des Finances, il a déjà participé à maintes reprises à des réunions européennes. Loin d’être un inconnu à Bruxelles, il est bien conscient des usages et des règles qui y sont en vigueur. Il est ainsi déjà familier du rituel du “door-step”, ces brèves déclarations consenties aux médias par les chefs d’État en sortant de leur limousine sur le perron du bâtiment du Conseil européen au cours desquelles ils en profitent pour annoncer leurs priorités, envoyer des avertissements ou faire passer des messages. Ces interventions permettent en général de se faire une idée assez précise du positionnement de chacun et d’évaluer les chances de parvenir à un compromis.

Un sommet européen très particulier

Si l’intronisation d’Olaf Scholz devait constituer le principal événement de ce Conseil européen, celle-ci a cependant été éclipsée par la crise déclenchée par le déploiement massif des troupes russes à la frontière de l’Ukraine, auquel l’UE se devait d’apporter une réponse commune.

Dès son arrivée à Bruxelles, Olaf Scholz, qui a souligné plusieurs fois que « l’inviolabilité des frontières » est l’un des fondements les plus importants de la paix en Europe, s’est donc entretenu avec Emmanuel Macron et le président ukrainien Vladimir Zelensky. Comme l’a écrit le président français sur Twitter, Paris et Berlin ont ainsi souligné leur volonté de préserver le “format Normandie” et de poursuivre dans leur rôle de médiateur du conflit russo-ukrainien. Scholz et Macron ont donc enjoint Vladimir Poutine à respecter les accords de Minsk, ainsi que la souveraineté et l’intégrité territoriale de l’Ukraine. Dans le communiqué publié à l’issue du sommet européen, les chefs d’État et des gouvernement de l’UE ont ainsi mis en garde la Russie contre « les conséquences massives et les coûts élevés » d’une agression militaire contre l’Ukraine.

Le conflit autour du gazoduc Nord Stream 2

Dans le dossier du contentieux avec la Russie, les attentes de Bruxelles envers Berlin concernent particulièrement la suite que l’Allemagne entend donner au dossier du gazoduc Nord Stream 2. À l’image de la Pologne, de la Lituanie et de la Lettonie, plusieurs pays européens souhaitent que l’Allemagne utilise le gazoduc comme un moyen de pression contre la Russie. De son côté, Olaf Scholz refuse de lier sa mise en route aux sanctions à prendre contre la Russie. Il a ainsi déclaré à l’issue du sommet européen qu’il considérait que Nord Stream 2 était un « projet économique privé« , et que sa mise en service ou son report dépendrait de l’examen technique conduit par l’agence allemande du réseau énergétique.

Si cette position place l’Allemagne en porte-à-faux avec ses partenaires européens, elle met aussi Olaf Scholz en difficultés vis-à-vis de ses partenaires de la coalition. Ainsi, la nouvelle ministre des Affaires étrangères, Annalena Baerbock, ne cesse de déclarer que Nord Stream 2 ne pouvait pas être mis en route à cause de la situation en Ukraine et des nouvelles menaces de la Russie. Du côté du Bundestag, Agnieszka Brugger, la responsable de la politique de sécurité des élus écologiques, a souligné au journal Der Tagesspiegel qu’il serait prématuré d’écarter la possibilité que le chantier du gazoduc soit interrompu en cas d’attaque russe contre l’Ukraine. De même, le vice-chancelier Robert Habeck s’est également positionné sur le sujet en soulignant qu’il ne saurait y avoir d’interdiction de penser et en menaçant d’arrêter le projet Nord Stream 2 en cas d’escalade militaire.

L’accueil chaleureux du Parti des socialistes européens

Au-delà du conflit russo-ukrainien, Olaf Scholz a été très chaleureusement accueilli par le Parti socialiste européen (PSE), dont les responsables lui ont rappelé l’engouement suscité par son élection : « Beaucoup de gens à travers l’Europe fondent de grands espoirs sur vous« , a ainsi déclaré Sergei Stanishev au nouveau chancelier. Avec Pedro Sánchez en Espagne, Antonio Da Costa au Portugal, Mette Frederiksen au Danemark, Magdalena Andersson en Suède et Sanna Marin en Finlande, l’arrivée au pouvoir d’Olaf Scholz à la tête de la première puissance économique du continent redonne aux sociaux-démocrates un surcroît de pouvoir et d’influence au sein dans l’UE.

La conférence sur l’avenir de l’Europe est lancée. Protection des citoyens, sécurité des pays, autonomie stratégique du continent, liberté d’action sur la scène internationale, salaire minimum européen, égalité salariale femmes-homme : malgré certaines divergences de la part des pays nordiques sur la politique de migration, les propositions qui en émergent vont dans le sens prôné par la gauche européenne et correspondent aux ambitions du nouveau chancelier allemand. Ainsi, ce nouveau bloc social-démocrate apparaît compatible avec la vision portée depuis 2017 par Emmanuel Macron autour de la souveraineté stratégique européenne.

L’entente souhaitée avec la France

Lors du sommet européen, le chancelier a ainsi cherché à mettre en scène son entente avec Emmanuel Macron. On notera donc que les décisions entérinées par l’UE sur sa stratégie vis-à-vis de la Russie ont été présentées à l’issue du sommet lors d’une conférence de presse commune et inédite entre le chancelier allemand et son homologue français. Il faut y voir un signal fort, à la fois de la part de Berlin à Paris, mais aussi d’Olaf Scholz à l’égard de sa ministre des Affaires étrangères : la politique allemande de sécurité en Europe se fera en accord avec Paris, et sous la seule autorité du chancelier.

Ce qui était vrai sous Angela Merkel l’est donc encore sous Olaf Scholz : en Europe, l’Allemagne n’a pas de partenaire plus proche que la France. Alors que s’approche la présidence française du Conseil de l’Union européenne au premier semestre 2022, Berlin cherche donc à préserver le consensus entre les deux pays. Olaf Scholz est en effet bien conscient de l’importance et du poids politique de la France en Europe.

À quelques mois d’une élection présidentielle française qui s’annonce contestée, le chancelier allemand et plusieurs de ses homologues européens s’inquiètent du résultat qui pourrait sortir des urnes. Si Olaf Scholz entretient une proximité politique incontestable avec ses camarades de la gauche française, il perçoit bien qu’aucun de ses nombreux candidats n’est aujourd’hui en mesure de devenir un prétendant sérieux dans la course à l’Élysée. Comme beaucoup d’autres pays européens, l’Allemagne ne souhaite surtout pas voir Éric Zemmour ou Marine Le Pen prendre le pouvoir en avril prochain. En affichant son entente et sa proximité avec Emmanuel Macron, Olaf Scholz a donc également montré qu’il espérait pouvoir poursuivre ce partenariat au-delà de 2022. Il ne s’agit pas d’une initiative individuelle : le traité de coalition gouvernementale définit clairement les objectifs européens de l’Allemagne, et l’approfondissement des relations franco-allemandes au service de la stabilité européenne en fait explicitement partie. Qui plus est dans le contexte géopolitique actuel.

« Organiser la paix »

Comme Olaf Scholz l’expliquait récemment, l’agenda européen des prochaines années est en effet occupé par des « questions très, très importantes“. Il s’agit de démontrer aux citoyens européens la capacité de l’UE à leur assurer la stabilité, la sécurité et la paix. Face à une Chine de plus en plus agressive et une Russie de plus en plus difficilement compréhensible, il s’agit là du premier impératif d’une politique étrangère et de sécurité basée sur les valeurs  européennes et le respect des traités internationaux.

Face aux mouvements de troupes de la Russie, il est nécessaire de démontrer la détermination des Européens à garantir les frontières territoriales du continent. Il s’agit là du premier défi international d’Olaf Scholz : réinstaurer un climat de confiance mutuelle, engager des pourparlers directs, s’appuyer sur les outils diplomatiques existants, et éviter d’entrer dans la spirale des menaces, des sanctions et des mesures de rétorsion. À cet égard, Olaf Scholz aime à citer les mots de son prédécesseur Willy Brandt : interrogé sur la base de sa politique étrangère, celui-ci la résumait en trois mots : ”organiser la paix”.

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