Dans un contexte politique bipolarisé et radicalisé par les années de la présidence Trump, Ludivine Gilli, docteure en histoire, spécialiste des États-Unis, décrypte la loi texane – S. B. 8, Senate Bill 8 – et tout particulièrement sa dimension politique et juridique pour le moins inquiétante mais aussi, si elle est définitivement validée, ses répercussions au niveau fédéral qui vont bien au-delà de la question du droit à l’avortement.
Voici déjà plus de cinq mois que l’avortement est presque totalement interdit au Texas, privant les Texanes d’un droit constitutionnel. Les conséquences sont immédiates et dramatiques pour des milliers d’entre elles. Pourtant, aucune issue ne se dessine. La loi texane S.B. 8, qui interdit tout avortement au-delà de six semaines, comporte en effet un mécanisme d’application inédit conçu précisément pour rendre difficile sa suspension par les autorités fédérales. Elle est préoccupante car ce mécanisme inédit, qui écarte les forces de l’ordre et repose sur l’intervention de citoyens délateurs et chasseurs de primes, pourrait être étendu à de nombreux autres domaines que l’avortement. Elle est également préoccupante car elle laisse penser que le droit à l’avortement est en danger aux États-Unis, la Cour suprême conservatrice s’étant par trois fois refusée à empêcher le texte d’entrer en vigueur, à en suspendre l’application ou à le censurer, contre l’avis de la majorité de la population.
Quelle est précisément la situation au Texas, quelles sont les issues possibles et quelles sont les conséquences pour le droit à l’avortement au Texas et aux États-Unis ?
Que dit la loi S.B. 8 ?
La loi sénatoriale 8 (Senate Bill 8 ou S.B. 8) est entrée en vigueur le 1er septembre 2021, après avoir été adoptée par le Sénat texan et signée par le gouverneur républicain Greg Abbott en mai. Elle interdit de pratiquer une interruption volontaire de grossesse (IVG) dès lors que le battement de cœur d’un fœtus est détecté. D’où le nom de « Texas Heartbeat Bill » (loi texane du battement de cœur) donné à la loi par ses créateurs dans la première section du texte1« This Act shall be known as the Texas Heartbeat Act ».. Concrètement, cela signifie que la majorité des avortements sont interdits. En effet, ce battement de cœur2Ce n’est pas un exactement un battement de cœur à ce stade de la grossesse, mais plutôt les prémices d’une activité cardiaque embryonnaire, inaudible et détectable seulement par ultrason. est détecté autour de six semaines de grossesse3Il s’agit de six semaines d’aménorrhée (absence de règles), donc quatre semaines après la conception., c’est-à-dire à un moment où la plupart des femmes ne savent pas encore qu’elles sont enceintes4Amy M. Branum, Katherine A. Ahrens, « Trends in Timing of Pregnancy Awareness Among US Women », Matern Child Health Journal, vol. 21, n°4, avril 2017, pp. 715-726.. Le texte ne prévoit pas d’exception pour les grossesses causées par un viol ou un inceste. La seule exception admise est « l’urgence médicale5« Sec. 171.205. Exception for medical emergency […] Sections 171.203 and 171.204 do not apply if a physician believes a medical emergency exists that prevents compliance with this subchapter ». ».
Les avortements tardifs sont rares aux États-Unis, mais ceux pratiqués avant six semaines sont nettement minoritaires. Selon le rapport de suivi des IVG du Center for Disease Control and Prevention (CDC) de 20196Katherine Kortsmit, Michele G. Mandel, Jennifer A. Reeves et al., « Abortion Surveillance – United States, 2019 », Surveillance Summaries, 26 novembre 2021, 70, pp. 1-29, tableau 10., la très grande majorité des avortements sont pratiqués au cours du premier trimestre : entre 2010 et 2019, plus de 91% l’ont été avant ou pendant la treizième semaine et 75% avant ou pendant la neuvième semaine. Cependant, moins de 35% ont eu lieu avant ou pendant la sixième semaine. Par conséquent, selon ces chiffres, l’interdiction des IVG à partir de la sixième semaine interdit de facto plus de 65% des avortements tels qu’ils ont été pratiqués au cours des dix dernières années.
En pratique, l’interdiction à six semaines de grossesse ne signifie pas que les personnes concernées disposent de six semaines pour réfléchir, prendre une décision informée et procéder à un avortement. Selon Katherine Kraschel, spécialiste en politique de santé reproductive qui enseigne à la faculté de droit de l’université Yale, « la fenêtre est de deux semaines au mieux, pas de six semaines […] et encore, c’est dans le cas où le test de grossesse serait effectué le jour où la personne n’a pas eu ses règles et en supposant qu’elle ait un cycle menstruel régulier de quatre semaines7« To call it a six-week ban – it’s really a two-week window at best. […] That would be if the pregnancy test was taken the day they missed their period, and assuming they have a four-week menstrual cycle » dans Shefali Luthra, « What 6-week abortion ban means », 19th news, 28 mai 2021. ». C’est ce qu’indique également Michelle Rodrigues, anthropologue biologiste à l’université Marquette8« La loi que la Cour suprême n’a pas bloquée n’est pas seulement une attaque contre les femmes ; elle n’a pas de sens sur le plan biologique. […] En réalité, l’interdiction à six semaines limite l’accès à l’avortement à seulement quatre semaines après la conception, et seulement une semaine, si l’on veut être réaliste, à partir du moment où une personne peut savoir qu’elle est enceinte » (« The law the Supreme Court just failed to block is not just a blow to women; it’s biologically nonsensical. […] In reality, the six-week ban limits abortion care to only four weeks after conception, and only one week, realistically, from when a person could find out they are pregnant ») dans Michelle Rodrigues, « The Absurd Pregnancy Math behind the ‘Six-Week’ Abortion Ban », The Scientific American, 4 septembre 2021..
Comme le souligne Elizabeth Nash, qui suit pour l’Institut Guttmacher les politiques des États fédérés en matière de droits reproductifs, « Certaines personnes ont déjà réfléchi à l’avortement, mais ce n’est pas le cas de tout le monde. Elles ont donc besoin de temps pour décider que faire – et on parle ici des personnes qui savent qu’elles sont enceintes9« Some people have thought about abortion before, but not everybody. That means they need some time to figure out what they want to do – and these are the people who know they’re pregnant » dans Shefali Luthra, « The 19th explains: What 6-week abortion ban means », 19th news, 28 mai 2021.. » Or, aux États-Unis, près de la moitié des grossesses ne sont pas planifiées10En 2011, près de 45% des grossesses survenues aux États-Unis étaient non planifiées. Cf. Laurence B. Finer et Mia R. Zolna, « Declines in unintended pregnancy in the United States, 2008–2011 », New England Journal of Medicine, vol. 374, n° 9, 3 mars 2016, pp. 843-852.. C’est dans ces situations en particulier que les femmes ne savent qu’elles sont enceintes avant d’avoir au moins un cycle sans règles.
De plus, la limite de six semaines imposée au Texas s’inscrit dans la continuité d’autres obstacles et restrictions déjà mis en œuvre dans cet État (comme dans de nombreux autres aux États-Unis) pour limiter les avortements. Ces contraintes rendent l’échéance de six semaines plus difficile encore à respecter. Il existe ainsi une période d’attente obligatoire de vingt-quatre heures entre la première visite chez le praticien et l’avortement effectif. Par ailleurs, le Texas limite drastiquement les cas dans lesquels un avortement est couvert par les assurances maladie, non seulement le Medicaid (aide médicale aux plus pauvres), mais aussi les assurances privées : la prise en charge n’est autorisée par le Medicaid que dans les cas de viol, d’inceste et de danger pour la vie de la femme, et par les autres assurances que dans le cas de grave danger pour la santé ou la vie de la femme. Or, un avortement pratiqué à dix semaines coûte environ 500 dollars11Rachel K. Jones, Meghan Ingerick, Jenna Jerman, « Differences in Abortion Service Delivery in Hostile, Middle-ground, and Supportive States in 2014 », Women’s Health Issues, janvier 2018., auxquels il faut souvent ajouter des frais de transport puisque, du fait des restrictions pesant sur elles, les cliniques pratiquant des avortements sont très peu nombreuses : elles sont actuellement seulement 24 au Texas, 24 pour un État qui compte 29,5 millions d’habitants et environ 14,8 millions de femmes. Un montant de 500 dollars n’est pas anodin, car une étude du Federal Reserve Board indiquait en 2017 que 41% des adultes étatsuniens n’avaient pas suffisamment d’épargne pour débourser 400 dollars en urgence12Report on the Economic Well-Being of U.S. Households in 2017, Federal Reserve Board, mai 2018..
Pour pouvoir avorter en toute légalité au Texas aujourd’hui, une femme doit donc a minima avant la sixième semaine de grossesse : savoir qu’elle est enceinte, prendre la décision d’avorter, trouver une clinique pratiquant les avortements, y obtenir un rendez-vous et trouver des solutions aux problèmes matériels comme le financement de la procédure et le transport vers la clinique.
Les restrictions très sévères imposées par la S.B. 8 préoccupent fortement l’ensemble de la gauche américaine. Pourtant, les tentatives conservatrices pour restreindre voire interdire l’avortement ne sont pas nouvelles. De nombreuses lois ont été votées par des mandatures conservatrices au fil des ans, en particulier dans les États du sud et des plaines. Certaines ont partiellement réussi, instaurant des obstacles toujours plus nombreux à l’accès à l’avortement. Les plus drastiques ont en revanche été systématiquement rejetées, en application de la jurisprudence instaurée par l’arrêt Roe v. Wade rendu par la Cour suprême en janvier 1973, qui reconnaît la protection constitutionnelle du droit à l’avortement jusqu’à la viabilité du fœtus, c’est-à-dire aux environs de vingt-quatre semaines d’aménorrhée.
Si la jurisprudence Roe continue de tenir, malgré les attaques répétées des opposants, quel est donc le motif d’inquiétude ici ? Il est double. D’une part, la droitisation de la Cour suprême au cours des dernières années fait craindre un abandon de la jurisprudence Roe v. Wade (ce sujet ne sera pas traité en détail ici). D’autre part, le mécanisme inédit de la loi la rend très difficile à contester devant les tribunaux et donc très difficile à invalider.
Le mécanisme inédit et controversé prévu par la loi texane
La particularité de la loi texane tient à son mécanisme d’application, pas à son contenu.
Avec la S.B. 8, le Texas propose un mécanisme inédit dont l’objectif est d’empêcher l’implication des tribunaux et, ce faisant, d’empêcher le blocage a priori de la loi : le blocage avant son application. Ce mécanisme dévoie le processus judiciaire classique. En cela, sa portée dépasse donc largement la question du droit à l’avortement.
La S.B. 8 stipule très clairement que les forces de l’ordre texanes ne doivent pas la faire appliquer : « Aucune mesure pour faire appliquer [cette loi] ne pourra être prise par un procureur de cet État, d’une de ses subdivisions politiques, d’un district ou d’un comté, ou par un employé, un cadre ou une autorité de cet État ou d’une de ses subdivisions politiques13« No enforcement […] may be taken or threatened by this state, a political subdivision, a district or county attorney, or an executive or administrative officer or employee of this state or a political subdivision against any person », Section 171.207. Limitations on public enforcement.. »
Au lieu de cela, l’application repose sur l’action de citoyens transformés en chasseurs de primes. Selon la loi en effet, « toute personne qui n’est pas un employé de l’État [du Texas] ou d’une de ses administrations locales peut intenter une procédure judiciaire civile contre toute personne qui : pratique ou déclenche un avortement […], s’implique en connaissance de cause dans une action qui aide ou soutient la pratique d’un avortement, y compris le paiement ou le remboursement du coût d’un avortement à travers une assurance ou d’une autre manière, si l’avortement est pratiqué dans des conditions qui violent ce sous-chapitre […], ou qui a l’intention de s’impliquer de telle manière14Sec. 171.208. Civil liability for violation or aiding or abetting violation. « Any person, other than an officer or employee of a state or local governmental entity in this state, may bring a civil action against any person who: performs or induces an abortion in violation of this subchapter; knowingly engages in conduct that aids or abets the performance or inducement of an abortion, including paying for or reimbursing the costs of an abortion through insurance or otherwise, if the abortion is performed or induced in violation of this subchapter, regardless of whether the person knew or should have known that the abortion would be performed or induced in violation of this subchapter; or intends to engage in the conduct described by Subdivision (1) or (2). ». »
En pratique, cela signifie que toute personne peut intenter un procès à un individu ayant contribué de près ou de loin à un avortement au-delà de six semaines au Texas. Le plaignant n’a pas besoin d’être directement affecté par la loi15Ce qui est en principe requis : selon le fonctionnement normal du système judiciaire, pour pouvoir porter plainte un plaignant doit démontrer qu’il est lésé par l’accusé., ni même de résider au Texas. S’il l’emporte, la cour lui attribuera une somme de 10 000 dollars minimum à payer par l’accusé pour chaque procédure ainsi que le remboursement de ses frais juridiques. Les frais engagés par l’accusé pour sa défense, en revanche, ne pourront être remboursés, même s’il l’emporte. « Concrètement, écrit la juge à la Cour suprême Sonia Sotomayor, le Texas fait des citoyens de l’État des chasseurs de primes, leur offrant des primes en liquide pour intenter des procès à leurs voisins pour les procédures médicales qu’ils effectuent »16« In effect, the Texas legislature has deputized citizens of the state as bounty hunters, offering them cash prizes for civilly prosecuting their neighbors’ medical procedures », 594 U. S. 2021, Sotomayor S., dissenting, Supreme Court of the United States, No. 21A24, Whole Woman’s Health et al. v. Austin Reeve Jackson, Judge, et al., On application For Injonctive Relief, 1er septembre 2021..
La question morale qui entoure ce mécanisme est évidente, mais au-delà de la controverse morale, quel est le problème juridique ? Autrement dit, si cette loi est manifestement inconstitutionnelle car en contradiction avec la jurisprudence Roe établie par la Cour suprême, pourquoi ne peut-elle être purement et simplement bloquée par un tribunal, qu’il soit texan ou fédéral ? Qu’est-ce qui empêche les opposants de la faire suspendre ?
Cela tient au fonctionnement du système politico-judiciaire étatsunien. Habituellement, lorsqu’une loi enfreignant un droit constitutionnel est votée dans un État, les opposants portent plainte contre un représentant des forces de l’ordre de cet État, qui est par définition chargé d’appliquer cette loi. Le tribunal peut alors constater l’inconstitutionnalité de la loi et empêcher les forces de l’ordre de l’appliquer. C’est ce que l’on appelle un pre-enforcement challenge (« contestation avant application »).
La loi texane contourne cette barrière en écartant du jeu les forces de l’ordre et en faisant reposer l’application du texte sur de simples citoyens. Le principe est d’externaliser l’application de la loi. Par cette disposition, elle s’exonère de toute contestation judiciaire qui lui reprocherait le viol d’un droit constitutionnel par l’État texan et ses agents, puisque ceux-ci ne sont pas impliqués dans l’application de la loi. Concrètement, cela signifie que les opposants n’ont aucune autorité texane clairement définie contre laquelle porter plainte, puisque aucune n’est en charge de l’application de cette loi. N’ayant personne contre qui porter plainte, le pre-enforcement challenge ne peut être déclenché pour empêcher la loi d’entrer en vigueur.
Les seules actions possibles sont alors des actions a posteriori et au cas par cas. Ainsi que l’explique Jordan Smith17Jordan Smith, « Supreme Court Ruling on Texas Abortion Law Opens Door to Copycat Schemes Everywhere », The Intercept, 11 décembre 2021., un médecin qui pratique des avortements pourrait par exemple gagner un procès dans lequel il aura argumenté que la S.B. 8 est inconstitutionnelle, mais la portée du jugement sera limitée à cette seule affaire. Ce jugement n’empêchera pas un autre individu de porter plainte contre le médecin pour la même infraction supposée, traînant le médecin devant les tribunaux encore et encore pour qu’il présente le même argument. Et même s’il emporte chaque procès et ne doit donc pas s’acquitter de la prime de 10 000 dollars, il devra régler les frais juridiques occasionnés. En effet, comme évoqué plus haut, tandis que la loi garantit le paiement des frais judiciaires au plaignant s’il l’emporte, elle interdit en revanche le remboursement des frais judiciaires à l’accusé si c’est lui qui l’emporte.
C’est précisément cette menace qui permet à l’interdiction de fonctionner : la menace de ruiner à coups de frais juridiques les personnes et institutions qui pratiquent des avortements. Que les plaintes à leur encontre soient fondées ou pas, elles devront s’acquitter des frais juridiques qui pourront très vite devenir insurmontables si les plaintes s’accumulent. Et comme tout citoyen est autorisé à porter plainte selon cette loi, le nombre potentiel de plaintes est innombrable.
C’est ce risque de ruine qui rend la loi efficace. Le nombre potentiel de plaintes étant énorme, le risque encouru si l’on s’y expose est tout aussi grand. Même si aucune plainte n’était effectivement déposée, la menace de ces plaintes est suffisante, car enfreindre cette loi expose les contrevenants au risque d’avoir à débourser des sommes considérables en frais judiciaires. Risque qui est trop lourd pour être endossé. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : comme nous le verrons plus en détail plus loin, les cliniques texanes ont cessé de pratiquer des avortements au-delà de six semaines et le nombre d’avortements pratiqués au Texas a immédiatement été divisé par deux18Kari White et al., « Initial Impacts of Texas’ Senate Bill 8 on Abortions in Texas and at Out-of-State Facilities », Texas Policy Evaluation Project, University of Texas at Austin, Research Brief, octobre 2021..
Cette loi et son mécanisme d’application sont préoccupants en l’espèce car ils privent les Texanes d’un droit constitutionnel. Ils inquiètent aussi de manière beaucoup plus large car, au-delà de ce cas précis, le mécanisme pourrait être utilisé dans de nombreux autres domaines. En pratique, la S.B. 8 permet à un État de contourner un précédent de la Cour suprême. Si la Cour permet à cette loi de rester en vigueur, cette approche pourra donc être appliquée à tous les précédents de la Cour de la même manière, ne garantissant de ce fait plus aucun droit constitutionnel dans le pays19Amelia Thomson-DeVeaux, « Why The Supreme Court Might Overturn Texas’s Abortion Law », Five thirty eight, 1er novembre 2021.. C’est ainsi que le gouverneur démocrate de Californie Gavin Newsom a annoncé en décembre 2021, à la suite du refus de la Cour suprême de bloquer l’application de la loi texane controversée, qu’il avait demandé au Congrès californien de lui soumettre une loi utilisant le même mécanisme pour agir contre les armes automatiques et les « armes fantômes » (ghost guns)20Gavin Newsom, « Opinion: The Supreme Court opened the door to legal vigilantism in Texas. California will use the same tool to save lives », The Washington Post, 20 décembre 2021.. Les partisans du deuxième Amendement, qui protège le droit de porter des armes, ne s’y sont d’ailleurs pas trompés : l’un de leurs groupes de pression, la Firearms Policy Coalition, a déposé en octobre 2021 un amicus brief auprès de la Cour suprême en soutien à la plainte des défenseurs de l’avortement21Reese Oxner, James Barragán, « Abortion providers and gun rights advocates are “strange bedfellows” in fight to strike down Texas’ new abortion law », Texas Tribune, 2 novembre 2021.. Cela est particulièrement étonnant car les défenseurs du deuxième Amendement se situent habituellement dans la partie droite du spectre politique.
De nombreuses voix se sont émues du précédent qui serait instauré si la loi texane n’était pas censurée. Selon Marc Hearron, avocat du Center for Reproductive Rights en charge du recours contre la S.B. 8 : « Si ce stratagème n’est pas bloqué, s’il réussit, cela établit un dangereux précédent, car les États pourraient éviscérer les droits constitutionnels de leurs propres citoyens en délégant à des poursuites civiles ce que leurs propres agents ne pourraient faire22« If this is not blocked, if this is successful, it would set a truly dangerous precedent, because states could eviscerate their own citizens’ federal constitutional rights by creating a private lawsuit to do what their own officials couldn’t do. » : Heidi Pérez-Moreno, « Twenty abortion providers sue Texas officials over law that bans abortions as early as six weeks », Texas Tribune, 13 juillet 2021.. »
Notons que cette loi n’est pas la première mesure adoptée qui détourne le fonctionnement usuel de la justice en faisant appel à des poursuites civiles comme mécanisme d’application. Ce dispositif a été testé à plus petite échelle à Lubbock, ville texane moyenne. Un arrêté municipal approuvé par referendum le 1er mai 2021 interdit l’avortement sans exception dans la ville et autorise « la mère, le père, les grands-parents, frères, sœurs, demi-frères et demi-sœurs de l’enfant à naître à porter plainte pour préjudice moral contre toute personne qui a apporté son concours à l’avortement ». Les autorités locales avaient refusé d’adopter ce texte car il n’était pas conforme à la constitution texane et serait trop coûteux à défendre. Pour autant, l’arrêté est entré en vigueur le 1er juin et le recours déposé par Planned Parenthood of Greater Texas, qui gère une clinique dans la ville, a été rejeté par la cour fédérale de district, plus précisément par le juge James Wesley Hendrix, nommé à son poste par Donald Trump. Motif de rejet : la plainte contre les autorités locales est sans fondement car les autorités locales ne sont pas en charge de l’application de l’arrêté mis en cause23Shannon Najmabadi, « Lawsuit to block Lubbock’s abortion ban is dismissed in court as the ordinance takes effect », Texas Tribune, 2 juin 2021.. Le 20 janvier 2022, Planned Parenhood a annoncé le retrait de sa plainte, déclarant : « Il est clair que nous ne pouvons compter sur le système judiciaire pour protéger nos droits constitutionnels24« It is clear we cannot depend on the courts to protect our constitutional rights », Eleanor Kilbanof, « Planned Parenthood drops challenge to Lubbock’s absortion ban », The Texas Tribune, 25 janvier 2022 et Isaiah Mitchell, « Planned Parenthood drops Appeal in Lawsuit Over Lubbock’s local Absorbtion ban », Texas News, 21 janvier 2022.. »
L’opinion nationale et les Texans sont opposés à ce mécanisme et à cette loi
De fortes lignes de fracture existent au sein de la société étatsunienne concernant le droit à l’avortement. Le mécanisme d’application de la loi texane est en revanche très largement rejeté par l’opinion. Seuls 22% approuvent le fait « de faire appliquer une loi par des poursuites judiciaires intentées par des citoyens plutôt que par des procureurs25« Do you approve or disapprove of having private citizens use lawsuits to enforce this law instead of having government prosecutors handle these cases? », sondage Monmouth University réalisé du 9 au 13 septembre auprès de 802 adultes. », tandis que 70% s’y opposent. Le rejet est plus massif encore concernant l’attribution de primes de 10 000 dollars à « un citoyen qui intenterait et remporterait un procès contre l’avortement au Texas26« A private citizen who files and wins an abortion lawsuit in Texas is eligible to receive $10,000. Do you approve or disapprove of giving $10,000 to private citizens who successfully file abortion lawsuits? » (Ibid.). » : elle est rejetée par 81% tandis que 14% approuvent. Un sondage27« Do you support or oppose a law that allows private citizens to sue abortion providers or anyone who assists a woman in getting an abortion? », sondage Marist Poll pour NPR, réalisé du 20 au 26 septembre 2021 auprès de 1 220 adultes. réalisé par The Marist Poll pour NPR à la même période confirme ces chiffres.
Au Texas, l’opinion concernant l’avortement est plus réservée que dans le pays en général, mais elle est tout de même plus favorable à l’accès à l’IVG qu’elle n’y est opposée. En février 202128« Texas laws restricting abortion should be… More strict, Left as is, less strict », sondage University of Texas – Texas Tribune, réalisé du 12 au 18 février 2021 auprès de 1 200 personnes inscrites sur les listes électorales. (donc avant l’entrée en vigueur de la S.B. 8), les Texans déclaraient à 55% que les lois texanes encadrant l’avortement devraient être moins strictes ou ne pas changer, tandis que 32% les voulaient plus strictes.
Concernant le fond de la S.B.8 et son mécanisme d’application, les Texans s’y montrent majoritairement opposés. À la question « Êtes-vous pour ou contre le fait d’autoriser tout individu à porter plainte contre toute personne dont ils pensent qu’elle a aidé quelqu’un à avorter illégalement ? »29« Support or oppose allowing any individual the right to sue anyone they believe helped someone obtain an illegal abortion », sondage University of Texas – Texas Tribune, réalisé du 22 au 31 octobre 2021 auprès de 1 200 personnes inscrites sur les listes électorales., ils répondent à 57% qu’ils y sont opposés (dont 49% très opposés), contre 30% qui s’y déclarent favorables (dont 18% très favorables).
Malgré l’opposition de l’opinion, force est de constater qu’à ce jour le stratagème texan fonctionne car la loi est toujours en vigueur.
Un processus judiciaire complexe et freiné par les conservateurs
Dès l’adoption de la loi par le Sénat texan le 13 mai 2021, un feuilleton politico-judiciaire s’enclenche. Il est fait de plusieurs plaintes déposées par différents acteurs devant différentes instances et dont les procédures initiales, recours et appels s’entremêlent très rapidement, rendant le suivi complexe. Juridictions texanes et fédérales, cours de première instance, cour d’appel et cours suprêmes sont impliquées pour traiter des questions de nature technique dans un premier temps (procédure, recevabilité des plaintes, etc.) et peut-être à terme des questions de fond, jusqu’au sujet majeur qu’est la constitutionnalité du texte. C’est ainsi que des recours des deux camps concernant la procédure atteignent la cour fédérale d’appel et la Cour suprême avant que l’affaire ne soit jugée sur le fond en première instance. À ce jour, ainsi, l’affaire est parvenue à trois reprises devant la Cour suprême du fait de recours en référé, mais elle n’a toujours pas été jugée en première instance..
La plainte principale a été déposée le 13 juillet 2021 auprès de la cour fédérale de district d’Austin par 20 défenseurs texans du droit à l’avortement30Heidi Pérez-Moreno, « Twenty abortion providers sue Texas officials over law that bans abortions as early as six weeks », Texas Tribune, 13 juillet 2021.. C’est l’affaire Whole Woman’s Health v. Jackson. Pour contourner le mécanisme juridique mis en place par la loi texane, qui vise à empêcher l’implication des cours fédérales, les plaignants visent dans leur plainte huit représentants officiels texans parmi lesquels le ministre de la Justice Ken Paxton, un greffier et un juge de cours texanes, la directrice du Texas Board of Nursing et la présidente de la Texas Health and Human Services Commission31Ibid.. En effet, si un tribunal fédéral juge qu’il est inconstitutionnel pour un greffier texan de recevoir la plainte d’un chasseur de primes, ou pour un juge de l’instruire, alors les plaintes ne pourront plus être déposées et le risque disparaîtra.
De recours en appels et en référés de la part des plaignants et des accusés, la plainte atteint la Cour suprême une première fois le 30 août 2021, veille de l’entrée en vigueur prévue du texte. La Cour reste silencieuse, permettant à la loi d’entrer en vigueur le 1er septembre. Ce jour-là, elle se prononce finalement sur le référé : elle rejette à 5 voix contre 4 la demande des plaignants de bloquer la loi, sans se prononcer sur sa constitutionnalité et renvoie l’affaire à la cour d’appel du 5e circuit.
À la suite d’une nouvelle requête, la Cour suprême se prononce à nouveau sur le texte le 22 octobre. Elle accepte d’entendre les plaignants de l’affaire Whole Woman’s Health v. Jackson ainsi que le ministère de la Justice, qui a porté plainte contre la loi en septembre dans une affaire séparée. En revanche, la Cour refuse à nouveau ce jour-là de constater le viol du droit constitutionnel des Texanes à l’avortement et d’abroger ou de suspendre à ce stade l’application de la loi. C’est la deuxième fois que, sollicitée pour défendre un droit constitutionnel, elle refuse d’agir.
La Cour suprême se prononce pour la troisième fois le 10 décembre 2021. Dans la première affaire, elle rejette la demande du ministère de la Justice de suspendre la loi. Concernant l’affaire Whole Woman’s Health, un seul sujet a été débattu par la magistrature suprême : est-il possible ou non de contester la loi devant des tribunaux fédéraux ? La décision de la Cour autorise la plainte à être instruite par les juridictions locales, mais ce n’est pas une victoire pour les plaignants, au contraire : la Cour a réduit la portée de la plainte au point de la vider de sa substance. En effet, les juges déclarent à 5 voix contre 4 que les plaignants ne sont pas fondés à porter plainte contre un greffier de cour fédérée texane, un juge de cour texane ou le ministre de la Justice du Texas. Comme expliqué plus haut, des plaintes contre ces représentants des autorités texanes auraient permis de bloquer la loi. Mais les seules personnes que la plainte peut viser selon la Cour suprême sont celles qui officient auprès des commissions délivrant les autorisations d’exercer aux médecins, infirmiers, pharmaciens et cliniques. Or, même si une plainte contre eux était victorieuse, elle permettrait de remédier à certaines conséquences des plaintes civiles rendues possibles par la S.B. 8, comme le retrait d’autorisation d’exercer aux praticiens mis en cause, mais elle ne règlerait pas le principal problème : le risque même que ces plaintes soient déposées par les chasseurs de primes et le risque financier corollaire. Or c’est bien ce risque qui a conduit les médecins à cesser de pratiquer des avortements au-delà de six semaines32Jordan Smith, « Supreme Court Ruling on Texas Abortion Law Opens Door to Copycat Schemes Everywhere », The Intercept, 11 décembre 2021..
La décision de la Cour n’a pas été unanime et a soulevé des débats animés. Le président conservateur, John Roberts, a voté avec la minorité composée des trois progressistes Stephen Breyer, Elena Kagan et Sonia Sotomayor. Il note dans son opinion dissidente que « ce stratagème juridique n’est pas seulement inhabituel, il est sans précédent. (…) [Le Texas] affirme qu’il ne peut pas être empêché d’appliquer sa propre loi car ce n’est pas lui qui la fait appliquer. (…) Les tribunaux devraient déterminer si un État peut utiliser cette méthode pour se dégager de toute responsabilité concernant ses lois33« The statutory scheme before the Court is not only unusual, but unprecedented. […] The State defendants argue that they cannot be re- strained from enforcing their rules because they do not enforce them in the first place. […] the courts may consider whether a state can avoid responsibility for its laws in such a manner. » (Ibid., p. 32.). ».
Dans sa propre opinion dissidente, Sonia Sotomayor étrille pour sa part à la fois le mécanisme texan et l’inaction de la Cour, écrivant que « la Cour ouvre la voie à des tentatives d’autres États pour réutiliser et parfaire le stratagème texan dans le futur en visant l’exercice de tout droit reconnu par cette Cour et avec lequel ils sont en désaccord. (…) Ce n’est pas hypothétique. De nouvelles variantes de S.B. 8 sont en chemin. Dans les mois qui ont suivi l’échec de la Cour à bloquer la loi, des législateurs de plusieurs États ont débattu ou proposé des projets de loi qui répliquent ce stratagème afin de viser des droits qui déplaisent localement34« The Court clears the way for States to reprise and perfect Texas’ scheme in the future to target the exercise of any right recognized by this Court with which they disagree. […] This is no hypothetical. New permutations of S.B. 8 are coming. In the months since this Court failed to enjoin the law, legislators in several States have discussed or introduced legislation that replicates its scheme to target locally disfavored rights. » (Ibid., p. 44). ».
La décision de la Cour souligne que « d’autres voies viables pour contester la fidélité de la loi à la Constitution fédérale sont peut-être possibles et la Cour ne préjuge pas de cette possibilité35« Other viable avenues to contest the law’s compliance with the Federal Constitution also may be possible and the Court does not prejudge the possibility. » (Ibid., p. 4). ». Cependant, aucune issue ne se dessine à court terme. Comme le résume Jordan Smith : « le 10 décembre, la majorité de la Cour a permis à la S.B. 8 de rester en vigueur, a proscrit tout moyen efficace de la contester et a rejeté la requête du gouvernement fédéral36« On December 10, the court’s majority […] allowed S.B. 8 to remain in effect, barred any meaningful way to challenge it, and dismissed the federal government’s suit. », dans Jordan Smith, « Supreme Court Ruling on Texas Abortion Law Opens Door to Copycat Schemes Everywhere », The Intercept, 11 décembre 2021.. »
La décision de la Cour suprême rejette l’option la plus prometteuse pour bloquer cette loi. En l’absence de décision de principe, la S.B. 8 reste en vigueur et le restera tant qu’une autre action en justice ne parviendra pas à la faire suspendre. Or la décision de la Cour réduit également les possibilités ouvertes pour bloquer la loi dans les juridictions inférieures. De plus, la Cour ne s’étant pas opposée au système de chasseurs de primes, d’autres États peuvent s’en inspirer pour voter des lois équivalentes.
À la suite de la décision du 10 décembre, l’affaire a été renvoyée devant la cour fédérale d’appel du 5e circuit, notoirement conservatrice37Car cette cour est composée très majoritairement de juges nommés par des présidents républicains., qui suit la requête de l’État du Texas et transmet38Décision de la cour d’appel du 5e circuit du 17 janvier 2022 de solliciter la Cour suprême du Texas. le 17 janvier 2022 l’affaire à la Cour suprême texane pour qu’elle étudie la recevabilité de la plainte déposée le 13 juillet. Selon les opposants, c’est précisément sur ces points que portait la décision de la Cour suprême fédérale et il s’agit donc seulement d’une stratégie pour gagner du temps. Stratégie qui fonctionne, car il revient désormais à la Cour suprême texane de prendre position, non sur le fond mais sur les aspects procéduraux de la plainte.
Aucune solution rapide ne semble exister à ce jour pour bloquer le stratagème retors. Les opposants en sont pour l’heure réduits à attendre l’issue des nombreuses procédures en cours devant les différents tribunaux. Mais d’appel en appel, les procédures peuvent durer des mois, voire des années. Autant de mois et d’années pendant lesquels la loi reste en vigueur, du fait du refus de la cour d’appel du 5e circuit et de la Cour suprême de la suspendre. Et c’est là le premier impact réel de la décision de la Cour suprême du 10 décembre : autoriser la poursuite du viol d’un droit constitutionnel.
Même si l’affaire Whole Woman’s Health finit par revenir devant le juge de district Pitman, qui avait suspendu la loi le 6 octobre 2021, et que celui-ci la juge inconstitutionnelle, la S.B. 8 stipule explicitement dans un nouveau pied de nez au droit et aux pratiques établies que les juridictions texanes ne sont pas tenues d’appliquer les décisions rendues par les cours de district fédérales39Becky Sullivan, « What happens next in abortion providers’ fight to challenge the Texas law », NPR, 10 décembre 2021..
In fine, selon Julie Murray, avocate de Planned Parenthood, le blocage de la loi ne pourra désormais plus venir que des magistratures suprêmes texane ou fédérale : « seule une décision de la Cour suprême texane ou de la Cour suprême fédérale disant que la S.B. 8 est inconstitutionnelle règlera le problème40« What we need for full, robust relief is either a decision from the Texas Supreme Court or the U.S. Supreme Court saying that SB 8 is unconstitutional. », dans Reese Oxner et Eleanor Klibanoff, « After Supreme Court’s ruling on Texas law, abortion-rights supporters see no clear path to victory », Texas Tribune,16 décembre 2021. », explique-t-elle. Mais la route pour y parvenir sera longue, d’autant plus que le Texas a beaucoup de pouvoir à toutes les étapes du processus et notamment sur le choix des affaires qui remontent jusqu’aux juridictions suprêmes. Une stratégie déjà utilisée ailleurs pour protéger une loi contre la censure est de ne pas faire appel lorsqu’une affaire est perdue en première instance, ou de se retirer de l’affaire s’il semble qu’elle puisse atteindre la Cour suprême.
Par ailleurs, le triple refus de la Cour suprême de suspendre la S.B. 8, ne serait-ce que pendant que les procédures de contestation suivent leur cours au sein des juridictions inférieures, envoie un signal inquiétant aux partisans du droit à l’avortement. Le seul fait de permettre à cette loi de rester en vigueur pendant au moins plusieurs mois signifie que, pour la majorité des juges de la Cour suprême, retirer ce droit aux Texanes ne pose pas de problème. De nombreux États conservateurs ne s’y sont pas trompés : devant cette inaction de la magistrature suprême, ils ont soumis des propositions de loi identiques à la loi texane en Floride, dans l’Ohio et en Alabama pour ne citer que trois exemples41Jordan Smith, « Supreme Court Ruling on Texas Abortion Law Opens Door to Copycat Schemes Everywhere », The Intercept, 11 décembre 2021.. Et au-delà des lois façonnées sur le modèle texan, c’est surtout un revirement de jurisprudence partiel ou total qui est redouté. Le cas échéant, ce serait la première fois que la Cour suprême revient sur l’une de ses décisions pour restreindre un droit accordé auparavant, avec de graves conséquences pour les femmes concernées.
Les conséquences très concrètes de la S.B. 8 aujourd’hui au Texas
Depuis que la loi est entrée en vigueur, les conséquences sont réelles et quotidiennes au Texas.
Avant même le 1er septembre, l’accès à l’avortement dans l’État était difficile, comme il l’est dans la plupart des États conservateurs du Sud, des plaines et du Midwest, qui ont mis en place de nombreuses entraves réglementaires. Beaucoup ont d’ailleurs adopté des interdictions drastiques qui entreraient en vigueur si la Cour suprême revenait sur la jurisprudence Roe v. Wade : les « trigger bans ».
Les 24 cliniques qui pratiquent actuellement des avortements au Texas sont concentrées dans des zones densément peuplées. La très grande majorité se trouvent dans le triangle Dallas-Houston-San Antonio, tandis que la moitié nord-ouest de l’État en compte une seule en fonctionnement (celle de Lubbock étant inaccessible)42Les cliniques texanes se situent à El Paso (2), Lubbock (1), Houston (6), Austin (5), Dallas (4), Fort Worth (2), Waco (1), San Antonio (3) et McAllen (1), cf. Joshua Clarkson, Texas Abortion Clinics, Access Inequalities & Suitability Analysis, GIS101 Final Project, 21 décembre 2020.. Par conséquent, selon une étude43Abortion in Texas fact sheet 2021, Texas Evaluation Policy Project, consultée le 30 janvier 2022. du Texas Evaluation Policy Project (TxPEP) publiée en septembre 2021, 44% des Texanes âgées de quinze à quarante-quatre ans vivent dans un comté dépourvu de clinique et celles-ci doivent parcourir en moyenne 82 kilomètres pour atteindre la clinique la plus proche. De plus, parmi les obstacles à l’IVG, la réglementation impose la réalisation d’une échographie plus de vingt-quatre heures avant la procédure, ce qui oblige les patientes à se rendre à deux reprises à la clinique (sauf si elles résident à plus de 160 kilomètres). Ajoutons que l’échographie obligatoire doit impérativement être pratiquée par le médecin qui réalisera l’opération, que la loi texane interdit la prise en charge des frais d’avortement par les assurances maladie publiques (Medicaid) et privées, et que les mineures doivent obtenir le consentement d’un de leurs parents ou l’autorisation d’un juge. Pour toutes ces raisons non exhaustives et toujours en place, l’accès à l’avortement était déjà difficile au Texas avant la S.B. 8.
En septembre 2021, par crainte des procès autorisés par la loi et de leurs répercussions financières, les cliniques ont cessé de pratiquer des interventions au-delà de six semaines. Par conséquent, selon une autre étude44Kari White et al., « Initial Impacts of Texas’ Senate Bill 8 on Abortions in Texas and at Out-of-State Facilities », Texas Policy Evaluation Project, University of Texas at Austin, Research Brief, octobre 2021. du TxPEP, le nombre d’avortements au cours du mois a été divisé par deux par rapport à la même période en 2020, passant d’environ 4 300 à environ 2 20045En 2020, 55 132 procédures ont été répertoriées au Texas dont 53 949 concernant des Texanes (« Induced Terminations of Pregnancy by State of ITOP Procedure and Patient’s Residence – 2020 », Texas Health and Human Services).. Plusieurs facteurs se sont probablement conjugués pour éviter une baisse plus forte encore. Par exemple, du fait de la baisse du nombre total de patientes, celles qui restaient éligibles à un avortement malgré la loi ont probablement eu moins de difficulté à programmer à la fois l’échographie obligatoire vingt-quatre heures au moins avant la procédure et la procédure elle-même avec le même médecin, car malgré la baisse du nombre de procédures attendues, la plupart des cliniques avaient maintenu le même niveau de personnel. De plus, les donations qui ont afflué dans les associations de santé reproductive texanes à la suite du vote de la loi ont permis à certaines personnes dans le besoin de payer la procédure46D. Grossman et al., « Factors associated with delays obtaining abortion care in Texas », Contraception, vol. 102, n°4, 1er octobre 2020.. Certaines femmes qui étaient dans la fenêtre des six semaines ont aussi pu anticiper une procédure qu’elles auraient peut-être envisagé de réaliser plus tard, de crainte de ne plus pouvoir la réaliser ensuite.
À l’avenir, le nombre d’avortements pratiqués au Texas pourrait décroître plus encore. D’une part, si le flux de donations s’amenuise, le coût restant à supporter sera trop élevé pour certaines patientes qui ne pourront mobiliser les fonds suffisamment vite pour programmer et réaliser la procédure dans les très courts délais impartis. D’autre part, du fait de la baisse d’activité, certaines cliniques seront forcées de réduire leurs effectifs ou de réduire leurs horaires d’ouverture, ce qui pourrait allonger les délais d’attente et rendre une partie des patientes inéligibles à la procédure. Enfin, les cliniques font face à de nombreuses démissions au sein de leur personnel, par crainte des poursuites47Caroline Kitchener, « Texas patients are rushing to get abortions before the state’s six-week limit. Clinics are struggling to keep up », The Washington Post, 14 février 2022.. Selon Amy Hagstrom Miller, présidente de Whole Woman’s Health, qui gère quatre cliniques au Texas, le volume restant de procédures pourrait même ne pas être suffisant pour assurer la viabilité des cliniques à long terme : « Rester ouverts ne sera pas possible si cette interdiction reste en vigueur trop longtemps. Nous sommes reconnaissants aux donateurs, aux fondations et aux gens qui nous soutiennent actuellement […], mais le futur semble sombre si justice n’est pas rendue48« Staying open is not sustainable if this ban stays in effect much longer. We are grateful for the donors and foundations and folks who have been supporting us in the interim… but the future looks bleak if we can’t get some justice here. », cf. Reese Oxner et Eleanor Klibanoff, « After Supreme Court’s ruling on Texas law, abortion-rights supporters see no clear path to victory », The Texas Tribune, 16 décembre 2021.. »
Notons que parallèlement à la S.B. 8 et comme de nombreux autres États4919 États interdisent la prescription en consultation à distance des pilules permettant les IVG médicamenteuses., le Texas a également adopté une loi restreignant l’accès aux IVG médicamenteuses, dont le nombre s’est accru depuis mars 2020, du fait de la pandémie de Covid-19. Au Texas, elles représentaient 53% des IVG pratiquées en 2020 et 50% de celles pratiquées entre janvier et août 202150Texas Health and Human Services.. En décembre 2021, la FDA51Food and Drugs Administration, agence fédérale en charge du contrôle des produits pharmaceutiques. a autorisé l’envoi de ces traitements par courrier après une consultation à distance, alors qu’il était auparavant obligatoire dans tout le pays de les récupérer en personne. Le traitement est autorisé par la FDA jusqu’à la dixième semaine de grossesse. Au Texas, depuis le 1er décembre 2021, fournir, y compris par courrier, ce traitement au-delà de sept semaines de grossesse est devenu un crime punissable d’une peine de prison et de 10 000 dollars d’amende. Cette loi est inopérante actuellement du fait de l’interdiction de tout avortement au-delà de six semaines. En revanche, si la S.B. 8 était censurée, les Texanes ne pourraient tout de même pas recourir aux IVG médicamenteuses, bien plus accessibles à la fois sur le plan pratique et sur le plan financier52Abigail R. A. Aiken et al., « Factors Associated with Use of an Online Telemedicine Service to Access Self-managed Medical Abortion in the US », JAMA Netw Open, vol. 4, n°5, mai 2021., entre sept et dix semaines de grossesse, ce qui continuerait à imposer de fortes restrictions sur l’accès effectif à l’avortement.
Pour les personnes qui ont dépassé la limite des six semaines et qui peuvent se le permettre, la solution est de se rendre dans un autre État pour réaliser l’intervention. C’est ainsi que les États limitrophes du Texas ont observé une très forte croissance du nombre de patientes texanes dès le mois de septembre 2021. Par exemple, après l’entrée en vigueur de la S.B. 8, deux tiers des personnes qui contactaient la clinique Trust Women d’Oklahoma City venaient du Texas.
Or ces États connaissaient déjà des situations tendues en matière d’accès à l’avortement avant le 1er septembre. L’Arkansas, la Louisiane, l’Oklahoma et le Nouveau-Mexique rassemblent environ 14 millions d’habitants contre 29,5 millions pour le Texas. Ils disposent, réunis, d’environ moitié moins de cliniques pratiquant des IVG que le Texas (15 au total, dont 2 en Arkansas, 3 en Louisiane, 4 en Oklahoma et 6 au Nouveau-Mexique) et totalisent chaque année environ le tiers du nombre d’avortements pratiqués au Texas53Center of Health Statistics, Arkansas Department of Public Health, Induced Abortion Report 2020 ; Louisiana Bureau of Vital Records and Statistics, Induced terminations of pregnancy by weeks of gestation and type of procedure, reported occurring in Louisiana, 2019 ; Nouveau Mexique : Centers for Disease Control and Prevention, Abortions distributed by State 2018, Atlanta, 2020 (accès le 30 juin 2021) ; Oklahoma State Department of Health, Abortion surveillance in Oklahoma v2, 2002-2020..
Implantation des cliniques pratiquant des IVG au Texas et dans les États limitrophes
Source : Guttmacher Institute.
À l’exception du Nouveau-Mexique, tous ont dans leur réglementation des obstacles à l’avortement équivalents à ceux qui existaient au Texas avant le 1er septembre, voire plus contraignants. Ils imposent tous les trois un entretien à réaliser en personne préalablement à toute procédure. En Louisiane, cet entretien doit avoir lieu plus de vingt-quatre heures avant. Dans l’Oklahoma et l’Arkansas, il doit se tenir au moins soixante-douze heures avant. Les trois États exigent par ailleurs le consentement parental pour les mineures54Guttmacher Institute, Counseling and waiting periods for abortion 2021 ; Parental involvement in minors’ abortions 2021..
L’afflux de nouvelles demandes pesant sur des capacités déjà limitées a été impossible à absorber. Il a eu pour effet immédiat d’augmenter les délais d’attente pour l’ensemble des patientes dans les États limitrophes du Texas, parfois de plusieurs semaines, pour des procédures pour lesquelles le délai n’est pas anodin. En décembre 2021, Jordan Smith évoque des délais allongés jusqu’à quatre semaines en Oklahoma et parfois plus de six semaines en Louisiane55Jordan Smith, « Supreme Court Ruling on Texas Abortion Law Opens Door to Copycat Schemes Everywhere », The Intercept, 11 décembre 2021., dans une étude du TxPEP réalisée en octobre, un rallongement de plus de deux semaines était constaté dans la plupart des cliniques, et parfois bien supérieur. Dans certains cas, les patientes n’ont plus droit à une IVG médicamenteuse, ou atteignent le deuxième trimestre, au cours duquel le risque de complications est plus grand par rapport aux procédures pratiquées plus tôt au cours de la grossesse.
Augmentation des délais observés entre 2020 et 2021 avant l’obtention d’un rendez-vous dans les 4 États limitrophes du Texas
Source : Guttmacher Institute.
L’augmentation du nombre de patientes texanes ne s’est pas limitée aux États limitrophes. Selon le Guttmacher Institute, au 8 novembre 2021, 11 États non limitrophes, ainsi que Washington, D.C., avaient subi une augmentation du nombre d’avortements dispensés à des Texanes, certains situés aussi loin que l’Illinois, l’État de Washington ou l’Ohio.
Devant ces difficultés accrues, certaines personnes tentent en dernier recours de mettre fin à leur grossesse elles-mêmes en achetant des traitements sur Internet, en se rendant au Mexique pour acheter des traitements disponibles sans ordonnance en pharmacie, ou en recourant à des mesures inefficaces ou dangereuses pour leur santé56Aiken Ara et al., « Demand for self-managed online telemedicine abortion in the United States during the coronavirus disease 2019 (COVID-19) pandemic », Obstet Gynecol, vol. 136, n°4, 2020 ; Liza Fuentes et al., « Texas women’s decisions and experiences regarding self-managed abortion », BMC Women’s Health, vol. 20, n°6, 2020.. D’autres ont été et seront forcées de mener leur grossesse à terme, avec des conséquences sanitaires et économiques néfastes avérées à la fois pour elles et pour leur enfant57Lauren J. Ralph et al., « Self-reported physical health of women who did and did not terminate pregnancy after seeking abortion services: A cohort study », Ann Intern Med, vol. 171, n°4, août 2019 ; Diana Greene Foster et al., « Socioeconomic outcomes of women who receive and women who are denied wanted abortions », Am J Public Health, vol. 108, n°3, mars 2018..
Les premières victimes de la S.B. 8 sont celles qui n’ont pas les moyens matériels ou financiers de parcourir des centaines, voire des milliers de kilomètres pour accéder à un avortement à l’extérieur de l’État. Or 67% des personnes procédant à un avortement au Texas en 2020 et au cours des huit premiers mois de 2021 étaient âgées de moins de trente ans, moins de 30% étaient blanches, 85% n’étaient pas mariées, 61% avaient déjà au moins un enfant et, en 2014, 44% disposaient moins du double du seuil de pauvreté, qui s’élevait à 11 670 dollars par an pour une personne. Ces statistiques indiquent que la majorité des personnes recherchant à avorter sont des jeunes femmes issues de minorités raciales qui élèvent déjà un ou plusieurs enfants et le font le plus souvent avec des ressources limitées.
Conclusion
Aucune solution rapide n’est attendue pour redonner aux Texanes le droit qui leur a été retiré. Il est extrêmement improbable que le stratagème juridique inventé par les Texans ne soit pas invalidé in fine. Dans le cas contraire, cela signerait l’effondrement de l’ensemble du système judiciaire étatsunien. Mais cela prendra vraisemblablement du temps, un temps pendant lequel les Texanes sont dépourvues de solution.
De plus, d’autres craintes sérieuses existent à court terme concernant la protection du droit à l’avortement dans l’ensemble du pays. La Cour suprême doit se prononcer avant l’été sur l’affaire 58Dobbs v. Jackson Women’s Health Organization. En cause, une loi adoptée dans le Mississippi, qui interdit la plupart des avortements au-delà de quinze semaines et a été votée expressément pour renverser la jurisprudence Roe v. Wade. D’autres lois sont venues tester la constitutionnalité de l’avortement par le passé. Jusqu’à présent, le précédent de Roe a tenu, mais cette fois c’est moins évident du fait de la super-majorité conservatrice dont la Cour est désormais dotée. La loi a été contestée devant les tribunaux par la seule clinique qui pratique encore des avortements au Mississippi. Lors des plaidoiries qui ont eu lieu le 1er décembre 2021 à la Cour suprême, la majorité des juges ont laissé entendre qu’ils seraient prêts à revenir sur l’arrêt Roe v. Wade.
La question de l’avortement est un sujet sensible aux États-Unis. Dans un contexte où les lignes de fracture sont nombreuses et profondes au sein du pays59Voir le rapport pour les États-Unis du Projet Polity5. un revirement de la Cour suprême sur la jurisprudence Roe serait un séisme de grande magnitude. Il aurait un effet immédiat sur l’accès à l’avortement dans plus de vingt États et pourrait également déclencher une recomposition politique. La pression sur les démocrates serait en effet très intense pour qu’ils défendent ce droit et ce sujet se retrouverait au cœur de nombre de campagnes électorales législatives au moment des élections de mi-mandat de novembre 2022.
Loi texane, un processus judiciaire complexe et freiné par les conservateurs : chronologie simplifiée
- 13 mai 2021 : adoption de la loi S.B. 8 par le Sénat du Texas
- 19 mai : signature de la loi par le gouverneur Greg Abbott
- 13 juillet : plainte des défenseurs de l’avortement à la cour fédérale de district
- 27 août : la cour fédérale d’appel du 5e circuit suspend la procédure « jusqu’à nouvel ordre »
- 29 août : requête en référé des plaignants auprès la cour d’appel du 5e circuit, rejetée
- 30 août : requête en référé des plaignants auprès du la Cour suprême pour qu’elle bloque la loi ou ordonne la reprise de la procédure devant la cour fédérale de district
- 1er septembre : entrée en vigueur de la loi S.B. 8. La Cour suprême rejette la requête des plaignants et renvoie l’affaire devant la cour d’appel du 5e circuit
- 10 septembre : la cour d’appel du 5e circuit expose les motifs de son refus de bloquer la loi et renvoie l’appel des plaignants à la « prochaine date d’audience disponible »
- 22 septembre : la cour d’appel du 5e circuit émet un calendrier qui ne prévoit pas la mise à l’ordre du jour du dossier avant le mois de décembre au plus tôt
- 23 septembre : les plaignants demandent à la Cour suprême d’examiner l’affaire (writ of certiorari)
- 6 octobre : dans une affaire parallèle à la suite d’une plainte déposée par le ministère de la Justice, un juge fédéral de district suspend l’application de la loi pour inconstitutionnalité. Le Texas fait appel
- 8 octobre : la cour d’appel du 5e circuit annule la suspension de la loi décidée en première instance
- 18 octobre : le ministère de la Justice demande à la Cour suprême de suspendre la loi
- 22 octobre : la Cour suprême accepte d’entendre le 1er novembre les référés associés aux deux affaires Whole Woman’s Health v. Jackson et la plainte du ministère de la Justice mais refuse pour la deuxième fois de suspendre l’application de la loi à ce stade
- 1er novembre : la Cour suprême entend les plaidoiries pour les deux affaires
- 9 décembre : un juge fédéré de district déclare une partie de la loi inconstitutionnelle mais ne la suspend pas
- 10 décembre : la Cour suprême refuse pour la troisième fois de suspendre la loi. Elle permet à l’action en justice des cliniques de se poursuivre mais de manière tellement limitée qu’une victoire sur ces bases ne permettrait pas d’empêcher l’application de la loi. La demande du ministère de la Justice est rejetée. L’affaire est renvoyée devant la cour d’appel du 5e circuit
- 17 janvier 2022 : la cour d’appel du 5e circuit transmet l’affaire à la Cour suprême du Texas pour évaluer la recevabilité de la plainte
- 1« This Act shall be known as the Texas Heartbeat Act ».
- 2Ce n’est pas un exactement un battement de cœur à ce stade de la grossesse, mais plutôt les prémices d’une activité cardiaque embryonnaire, inaudible et détectable seulement par ultrason.
- 3Il s’agit de six semaines d’aménorrhée (absence de règles), donc quatre semaines après la conception.
- 4Amy M. Branum, Katherine A. Ahrens, « Trends in Timing of Pregnancy Awareness Among US Women », Matern Child Health Journal, vol. 21, n°4, avril 2017, pp. 715-726.
- 5« Sec. 171.205. Exception for medical emergency […] Sections 171.203 and 171.204 do not apply if a physician believes a medical emergency exists that prevents compliance with this subchapter ».
- 6Katherine Kortsmit, Michele G. Mandel, Jennifer A. Reeves et al., « Abortion Surveillance – United States, 2019 », Surveillance Summaries, 26 novembre 2021, 70, pp. 1-29, tableau 10.
- 7« To call it a six-week ban – it’s really a two-week window at best. […] That would be if the pregnancy test was taken the day they missed their period, and assuming they have a four-week menstrual cycle » dans Shefali Luthra, « What 6-week abortion ban means », 19th news, 28 mai 2021.
- 8« La loi que la Cour suprême n’a pas bloquée n’est pas seulement une attaque contre les femmes ; elle n’a pas de sens sur le plan biologique. […] En réalité, l’interdiction à six semaines limite l’accès à l’avortement à seulement quatre semaines après la conception, et seulement une semaine, si l’on veut être réaliste, à partir du moment où une personne peut savoir qu’elle est enceinte » (« The law the Supreme Court just failed to block is not just a blow to women; it’s biologically nonsensical. […] In reality, the six-week ban limits abortion care to only four weeks after conception, and only one week, realistically, from when a person could find out they are pregnant ») dans Michelle Rodrigues, « The Absurd Pregnancy Math behind the ‘Six-Week’ Abortion Ban », The Scientific American, 4 septembre 2021.
- 9« Some people have thought about abortion before, but not everybody. That means they need some time to figure out what they want to do – and these are the people who know they’re pregnant » dans Shefali Luthra, « The 19th explains: What 6-week abortion ban means », 19th news, 28 mai 2021.
- 10En 2011, près de 45% des grossesses survenues aux États-Unis étaient non planifiées. Cf. Laurence B. Finer et Mia R. Zolna, « Declines in unintended pregnancy in the United States, 2008–2011 », New England Journal of Medicine, vol. 374, n° 9, 3 mars 2016, pp. 843-852.
- 11Rachel K. Jones, Meghan Ingerick, Jenna Jerman, « Differences in Abortion Service Delivery in Hostile, Middle-ground, and Supportive States in 2014 », Women’s Health Issues, janvier 2018.
- 12Report on the Economic Well-Being of U.S. Households in 2017, Federal Reserve Board, mai 2018.
- 13« No enforcement […] may be taken or threatened by this state, a political subdivision, a district or county attorney, or an executive or administrative officer or employee of this state or a political subdivision against any person », Section 171.207. Limitations on public enforcement.
- 14Sec. 171.208. Civil liability for violation or aiding or abetting violation. « Any person, other than an officer or employee of a state or local governmental entity in this state, may bring a civil action against any person who: performs or induces an abortion in violation of this subchapter; knowingly engages in conduct that aids or abets the performance or inducement of an abortion, including paying for or reimbursing the costs of an abortion through insurance or otherwise, if the abortion is performed or induced in violation of this subchapter, regardless of whether the person knew or should have known that the abortion would be performed or induced in violation of this subchapter; or intends to engage in the conduct described by Subdivision (1) or (2). »
- 15Ce qui est en principe requis : selon le fonctionnement normal du système judiciaire, pour pouvoir porter plainte un plaignant doit démontrer qu’il est lésé par l’accusé.
- 16« In effect, the Texas legislature has deputized citizens of the state as bounty hunters, offering them cash prizes for civilly prosecuting their neighbors’ medical procedures », 594 U. S. 2021, Sotomayor S., dissenting, Supreme Court of the United States, No. 21A24, Whole Woman’s Health et al. v. Austin Reeve Jackson, Judge, et al., On application For Injonctive Relief, 1er septembre 2021.
- 17Jordan Smith, « Supreme Court Ruling on Texas Abortion Law Opens Door to Copycat Schemes Everywhere », The Intercept, 11 décembre 2021.
- 18Kari White et al., « Initial Impacts of Texas’ Senate Bill 8 on Abortions in Texas and at Out-of-State Facilities », Texas Policy Evaluation Project, University of Texas at Austin, Research Brief, octobre 2021.
- 19Amelia Thomson-DeVeaux, « Why The Supreme Court Might Overturn Texas’s Abortion Law », Five thirty eight, 1er novembre 2021.
- 20Gavin Newsom, « Opinion: The Supreme Court opened the door to legal vigilantism in Texas. California will use the same tool to save lives », The Washington Post, 20 décembre 2021.
- 21Reese Oxner, James Barragán, « Abortion providers and gun rights advocates are “strange bedfellows” in fight to strike down Texas’ new abortion law », Texas Tribune, 2 novembre 2021.
- 22« If this is not blocked, if this is successful, it would set a truly dangerous precedent, because states could eviscerate their own citizens’ federal constitutional rights by creating a private lawsuit to do what their own officials couldn’t do. » : Heidi Pérez-Moreno, « Twenty abortion providers sue Texas officials over law that bans abortions as early as six weeks », Texas Tribune, 13 juillet 2021.
- 23Shannon Najmabadi, « Lawsuit to block Lubbock’s abortion ban is dismissed in court as the ordinance takes effect », Texas Tribune, 2 juin 2021.
- 24« It is clear we cannot depend on the courts to protect our constitutional rights », Eleanor Kilbanof, « Planned Parenthood drops challenge to Lubbock’s absortion ban », The Texas Tribune, 25 janvier 2022 et Isaiah Mitchell, « Planned Parenthood drops Appeal in Lawsuit Over Lubbock’s local Absorbtion ban », Texas News, 21 janvier 2022.
- 25« Do you approve or disapprove of having private citizens use lawsuits to enforce this law instead of having government prosecutors handle these cases? », sondage Monmouth University réalisé du 9 au 13 septembre auprès de 802 adultes.
- 26« A private citizen who files and wins an abortion lawsuit in Texas is eligible to receive $10,000. Do you approve or disapprove of giving $10,000 to private citizens who successfully file abortion lawsuits? » (Ibid.).
- 27« Do you support or oppose a law that allows private citizens to sue abortion providers or anyone who assists a woman in getting an abortion? », sondage Marist Poll pour NPR, réalisé du 20 au 26 septembre 2021 auprès de 1 220 adultes.
- 28« Texas laws restricting abortion should be… More strict, Left as is, less strict », sondage University of Texas – Texas Tribune, réalisé du 12 au 18 février 2021 auprès de 1 200 personnes inscrites sur les listes électorales.
- 29« Support or oppose allowing any individual the right to sue anyone they believe helped someone obtain an illegal abortion », sondage University of Texas – Texas Tribune, réalisé du 22 au 31 octobre 2021 auprès de 1 200 personnes inscrites sur les listes électorales.
- 30Heidi Pérez-Moreno, « Twenty abortion providers sue Texas officials over law that bans abortions as early as six weeks », Texas Tribune, 13 juillet 2021.
- 31Ibid
- 32Jordan Smith, « Supreme Court Ruling on Texas Abortion Law Opens Door to Copycat Schemes Everywhere », The Intercept, 11 décembre 2021.
- 33« The statutory scheme before the Court is not only unusual, but unprecedented. […] The State defendants argue that they cannot be re- strained from enforcing their rules because they do not enforce them in the first place. […] the courts may consider whether a state can avoid responsibility for its laws in such a manner. » (Ibid., p. 32.).
- 34« The Court clears the way for States to reprise and perfect Texas’ scheme in the future to target the exercise of any right recognized by this Court with which they disagree. […] This is no hypothetical. New permutations of S.B. 8 are coming. In the months since this Court failed to enjoin the law, legislators in several States have discussed or introduced legislation that replicates its scheme to target locally disfavored rights. » (Ibid., p. 44).
- 35« Other viable avenues to contest the law’s compliance with the Federal Constitution also may be possible and the Court does not prejudge the possibility. » (Ibid., p. 4).
- 36« On December 10, the court’s majority […] allowed S.B. 8 to remain in effect, barred any meaningful way to challenge it, and dismissed the federal government’s suit. », dans Jordan Smith, « Supreme Court Ruling on Texas Abortion Law Opens Door to Copycat Schemes Everywhere », The Intercept, 11 décembre 2021.
- 37Car cette cour est composée très majoritairement de juges nommés par des présidents républicains.
- 38Décision de la cour d’appel du 5e circuit du 17 janvier 2022 de solliciter la Cour suprême du Texas.
- 39Becky Sullivan, « What happens next in abortion providers’ fight to challenge the Texas law », NPR, 10 décembre 2021.
- 40« What we need for full, robust relief is either a decision from the Texas Supreme Court or the U.S. Supreme Court saying that SB 8 is unconstitutional. », dans Reese Oxner et Eleanor Klibanoff, « After Supreme Court’s ruling on Texas law, abortion-rights supporters see no clear path to victory », Texas Tribune,16 décembre 2021.
- 41Jordan Smith, « Supreme Court Ruling on Texas Abortion Law Opens Door to Copycat Schemes Everywhere », The Intercept, 11 décembre 2021.
- 42Les cliniques texanes se situent à El Paso (2), Lubbock (1), Houston (6), Austin (5), Dallas (4), Fort Worth (2), Waco (1), San Antonio (3) et McAllen (1), cf. Joshua Clarkson, Texas Abortion Clinics, Access Inequalities & Suitability Analysis, GIS101 Final Project, 21 décembre 2020.
- 43Abortion in Texas fact sheet 2021, Texas Evaluation Policy Project, consultée le 30 janvier 2022.
- 44Kari White et al., « Initial Impacts of Texas’ Senate Bill 8 on Abortions in Texas and at Out-of-State Facilities », Texas Policy Evaluation Project, University of Texas at Austin, Research Brief, octobre 2021.
- 45En 2020, 55 132 procédures ont été répertoriées au Texas dont 53 949 concernant des Texanes (« Induced Terminations of Pregnancy by State of ITOP Procedure and Patient’s Residence – 2020 », Texas Health and Human Services).
- 46D. Grossman et al., « Factors associated with delays obtaining abortion care in Texas », Contraception, vol. 102, n°4, 1er octobre 2020.
- 47Caroline Kitchener, « Texas patients are rushing to get abortions before the state’s six-week limit. Clinics are struggling to keep up », The Washington Post, 14 février 2022.
- 48« Staying open is not sustainable if this ban stays in effect much longer. We are grateful for the donors and foundations and folks who have been supporting us in the interim… but the future looks bleak if we can’t get some justice here. », cf. Reese Oxner et Eleanor Klibanoff, « After Supreme Court’s ruling on Texas law, abortion-rights supporters see no clear path to victory », The Texas Tribune, 16 décembre 2021.
- 4919 États interdisent la prescription en consultation à distance des pilules permettant les IVG médicamenteuses.
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- 51Food and Drugs Administration, agence fédérale en charge du contrôle des produits pharmaceutiques.
- 52Abigail R. A. Aiken et al., « Factors Associated with Use of an Online Telemedicine Service to Access Self-managed Medical Abortion in the US », JAMA Netw Open, vol. 4, n°5, mai 2021.
- 53Center of Health Statistics, Arkansas Department of Public Health, Induced Abortion Report 2020 ; Louisiana Bureau of Vital Records and Statistics, Induced terminations of pregnancy by weeks of gestation and type of procedure, reported occurring in Louisiana, 2019 ; Nouveau Mexique : Centers for Disease Control and Prevention, Abortions distributed by State 2018, Atlanta, 2020 (accès le 30 juin 2021) ; Oklahoma State Department of Health, Abortion surveillance in Oklahoma v2, 2002-2020.
- 54Guttmacher Institute, Counseling and waiting periods for abortion 2021 ; Parental involvement in minors’ abortions 2021.
- 55Jordan Smith, « Supreme Court Ruling on Texas Abortion Law Opens Door to Copycat Schemes Everywhere », The Intercept, 11 décembre 2021.
- 56Aiken Ara et al., « Demand for self-managed online telemedicine abortion in the United States during the coronavirus disease 2019 (COVID-19) pandemic », Obstet Gynecol, vol. 136, n°4, 2020 ; Liza Fuentes et al., « Texas women’s decisions and experiences regarding self-managed abortion », BMC Women’s Health, vol. 20, n°6, 2020.
- 57Lauren J. Ralph et al., « Self-reported physical health of women who did and did not terminate pregnancy after seeking abortion services: A cohort study », Ann Intern Med, vol. 171, n°4, août 2019 ; Diana Greene Foster et al., « Socioeconomic outcomes of women who receive and women who are denied wanted abortions », Am J Public Health, vol. 108, n°3, mars 2018.
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- 59Voir le rapport pour les États-Unis du Projet Polity5.