Les élections européennes de dimanche dernier ont naturellement été perçues en France sous le prisme central de la dissolution de l’Assemblée nationale. À l’échelle européenne, 361 millions de citoyens de l’Union étaient appelés aux urnes. Et l’issue du scrutin définit les équilibres sur lesquels reposera le mandat 2024-2029 du Parlement européen et de la Commission que les députés approuveront. Trois enseignements peuvent à ce stade être tirés, selon Théo Verdier, co-directeur de l’Observatoire Europe de la Fondation Jean-Jaurès.
51% de participation, confirmation du rebond de 2019
Après quatre éditions sous la barre des 50% de votants aux scrutins de 1999 à 2014, le taux de participation avait bondi de 8 points en France et en Europe lors des dernières élections européennes en 2019. La surprise devient une tendance avec le renforcement du taux de participation, qui s’établit à 51% au niveau européen et à 51,5% en France.
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Source : Parlement européen.
Les données européennes sur la mobilisation par électorat ne seront pas disponibles de suite. En France, on peut toutefois observer que la hausse de participation – quasiment 9 points depuis 2014 – est généralisée dans la population, avec toutefois une remobilisation notable des jeunes. 41% des moins de 35 ans ont voté le 9 juin dernier, contre 27% en 20141Voir Enquête jour de vote, Ifop, 2014 et 2024..
L’Hexagone compte parmi les 10 États membres dépassant les 50% de participation. Celle-ci est aussi particulièrement importante en Allemagne, qui connaît sa plus forte mobilisation depuis la réunification (64,7%, +3 points entre 2019 et 2024). Autre fait notable, la Hongrie se démarque par son engouement électoral sur fond de campagne animée avec l’émergence d’un rival au Fidesz sous les couleurs d’un de ses anciens membres, Péter Magyar, et son parti TISZA. 59,3% des Hongrois ont pris part aux élections européennes, soit +16% par rapport à 20192Voir le site du Parlement européen ici..
Décalage à droite dans l’équilibre des forces du Parlement européen
La composition du Parlement européen se clarifiera d’ici à la première plénière du Parlement européen au mois de juillet prochain. En l’état, les résultats établissent un statu quo global, sans retournement de situation mais avec un notable pivot vers la droite dans l’équilibre des forces.
En premier lieu, le scrutin acte l’échec électoral de deux forces politiques sur le continent. Les libéraux de Renew Europe (Renaissance en France) perdent 23 élus, passant à 79 députés européens. Ils sauvent pour l’instant leur position de troisième groupe politique de l’assemblée et devraient conserver leur rôle pivot dans la constitution de majorités, avec une influence moindre toutefois. Cette chute s’explique principalement par les résultats de la liste des forces gouvernementales en France et la quasi-disparition de Ciudadanos en Espagne et un seul siège conservé par la liste des forces régionalistes.
Graphique n°2
Source : Parlement européen.
Le second échec est celui des forces écologistes. À ce stade, le groupe Verts/ALE passe de la quatrième à la sixième place dans la hiérarchie des groupes du Parlement européen. Là aussi, les résultats français y contribuent (Les Écologistes passent de 13 députés élus en 2019 à 5 en 20243Voir Élections européennes 2024 : les résultats, Vie publique, 10 juin 2024.).
En parallèle, les deux principales formations, les chrétiens-démocrates du Parti populaire européen (PPE) et le groupe Socialistes & démocrates (S&D) ont conservé leur position, le PPE gagnant même 10 représentants tandis que la gauche en perd 4. Les deux pôles traditionnels de la politique européenne conservent 45% des sièges et limitent théoriquement le besoin d’alliance aux seuls députés Renew pour gagner des votes, à commencer par l’approbation de la personne proposée par le Conseil pour le poste à la présidence de la Commission européenne. Même si l’homogénéité des deux formations centrales a péché dans le dernier scrutin, le manque de discipline de vote demandera certainement d’élargir les majorités.
À ce propos, il convient de noter que le point médian de l’hémicycle a pivoté vers la droite. Annoncées en forte hausse, les deux formations d’extrême droite occupent à date 18% de l’hémicycle, soit le même niveau que lors du mandat précédent. Toutefois, plusieurs élus non inscrits sont amenés à rejoindre les deux formations, qui pourraient également fusionner ou se recomposer. L’exclusion par l’AfD en Allemagne de sa sulfureuse tête de liste, Maximilian Krah, pourrait permettre son retour dans le groupe Identités et démocratie (ID), ce qui positionnerait le groupe au même niveau que celui des Conservateurs et réformistes européens (CRE).
Ce renfort des forces d’extrême droite, du PPE et la baisse du total gauche (31% des sièges contre 35% à la fin de la mandature précédente) actent un pivot à droite de l’assemblée de Bruxelles et Strasbourg. Ce qui pose deux questions clés : quels seront les termes du mandat de la prochaine Commission européenne ? Le cordon sanitaire avec les forces d’extrême droite sera-t-il maintenu ?
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Abonnez-vousNormalisation politique des forces d’extrême droite : exemples en France et en Allemagne
Les élections européennes n’ont pas « retourné la table » du Parlement européen. Il est toutefois notable que dans les pays où l’extrême droite réalise ou confirme sa percée, son assise électorale s’élargit sensiblement. En Allemagne, l’électorat de l’AfD est homogène selon les classes d’âge. Un électeur de 16 à 24 ans sur cinq a voté AfD, un résultat conforme à son score national mais aussi au vote de la classe 60-69 ans, avec un pic sur la tranche 35-44 ans4Enquête Infratest-Dimap, reprise par DW..
De même en France, les électeurs du Rassemblement national se répartissent de manière homogène selon les âges, avec un creux limité (-6 points par rapport au score national) pour les 18-24 ans et les plus de 65 ans. Et si 7% des diplômés au-dessus de bac+2 votaient pour le Front national en 2014, 15% l’ont fait en 20245Enquête jour de vote, Ifop, 2024..
Les élections législatives viendront confirmer ou infirmer en France ce constat d’un élargissement de la base sociologique de l’extrême droite dans une élection a priori plus mobilisatrice que les élections européennes. Ce constat des deux côtés du Rhin doit être mis en regard avec les résultats italiens, où le parti de Giorgia Meloni a pris le pas sur la droite traditionnelle – et sur les forces de la Ligue de Matteo Salvini.
Le risque politique en Europe est de voir la montée en puissance des familles politiques de la Première ministre italienne et de Marine Le Pen, devenant parallèlement influentes au Parlement et au Conseil européens. À l’orée de la désignation du ou de la présidente de la Commission européenne, leur offensive commune corrélée à la chute des écologistes et libéraux rend crédible un scénario où le mandat s’oriente vers une priorité migratoire et la limitation des ambitions écologiques du continent. Les forces de gauche et les libéraux au Parlement et au Conseil ont ainsi une fenêtre de tir de trois, voire cinq mois – d’aujourd’hui à la désignation finale de la Commission à l’automne prochain – pour s’y opposer.
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- 2Voir le site du Parlement européen ici.
- 3Voir Élections européennes 2024 : les résultats, Vie publique, 10 juin 2024.
- 4Enquête Infratest-Dimap, reprise par DW.
- 5Enquête jour de vote, Ifop, 2024.