Activistes du climat : les ressorts d’un engagement

Qu’est-ce qui motive les activistes du climat ? Quels rapports personnels entretiennent-ils avec la perspective du changement climatique ? Quelles émotions peuvent amener à développer une certaine forme de radicalité ? La jeune Belge Chloé Mikolajczak, activiste, chargée de campagne pour l’initiative Right to Repair et fondatrice d’une association de sensibilisation aux enjeux climatiques dans les écoles de quartiers populaires, apporte son témoignage.

Cet entretien sur le thème de l’activisme climatique et des formes de radicalité qui y sont liées, mené par Théo Verdier, co-directeur de l’Observatoire Europe de la Fondation Jean-Jaurès, est réalisé dans le cadre des travaux de la Fondation sur l’étude de l’éco-anxiété et de ses impacts. Il est publié en parallèle de l’entretien avec la présidente de Sea Shepherd France, Lamya Essemlali1Lamya Essemlali , Théo Verdier, « L’activisme climatique comme remède à l’éco-anxiété », Fondation Jean-Jaurès, 10 février 2022..

Théo Verdier : Avez-vous le sentiment que votre engagement fait une différence ? Quelle forme d’action ressentez-vous comme étant la plus efficace ?

Chloé Mikolajczak : Nous avons une variété d’outils à utiliser. Dans tous les cas, c’est hyper-important d’être conscient des limites propres aux différentes formes d’engagement. À partir du moment où on rentre dans des initiatives associatives et de plaidoyer, on évolue dans un système très cadré. Au niveau européen, ce sera par les traités et le fonctionnement institutionnel. Il faut donc avoir connaissance des limites inhérentes à ce mode d’action. Et le compléter par des mobilisations concrètes comme des opérations disruptives, ce que fait Extinction Rebellion par exemple. Il faut aussi qu’il y ait des marches pour le climat où différentes populations se mobilisent. C’est l’alliance de l’ensemble qui a permis les progrès récents que nous avons vu au niveau européen, avec le Green Deal et les nouveaux objectifs de réduction des gaz à effets de serre qui font suite aux élections européennes de 2019 et aux premières marches pour le climat.

Au final, il faut combiner deux éléments. À long terme, changer le système de l’intérieur, élire un maximum de représentants jeunes et progressistes. En parallèle, le disrupter, notamment à travers sa composante économique. C’est-à-dire avoir un impact visible et concret. Cette notion est très importante dans les organisations militantes anglo-saxonnes : l’idée qu’il faut bloquer le système pendant quelques heures ou quelques jours. Nous devrions nous en inspirer dans le monde francophone où cela paraît encore très radical.

Est-ce que vous percevez une tendance au développement de cette forme d’action concrète dans l’engagement pour le climat ?

Chloé Mikolajczak : Il y a clairement une évolution. Il y a six ans, quand j’ai fini mon master, je prêchais dans le désert. Beaucoup de gens percevaient l’écologie sous le prisme de l’action individuelle : la consommation responsable, le zéro déchet… On voyait assez peu l’angle systémique, c’est-à-dire les changements économiques et législatifs à réaliser. 

Aujourd’hui on observe un mouvement de désobéissance civile se développer, surtout en France, moins en Belgique. Et je pense que c’est nécessaire. L’ampleur du phénomène est encore restreinte, notamment à cause de critères socio-économiques. En fonction de leur niveau de revenus ou de leur couleur de peau, les différents militants n’auront pas la même facilité à se sortir d’un contrôle de police à la suite d’une action de terrain.

Tant que nous ne créerons pas d’alliances avec les syndicats et les forces sociales, nous n’y arriverons pas. Nous devons appeler à un changement global de système, en travaillant sur les inégalités face aux différentes formes d’oppression qui sont liées entre elles.

Si nous arrivons à convaincre sur cette interconnexion, plus de personnes rejoindront le mouvement et nous aurons plus d’énergie pour générer des mouvements de désobéissance. Actuellement, nos ressources sont limitées et le burn-out militant est très présent. Nous avons peu de renouvellement, ce qui empêche les bénévoles, qui sont des personnes très concernées par la cause, de pouvoir reculer et de dire « non » à un nouveau projet.

Le burn-out militant est lié à la pression que nous nous mettons pour arriver à des résultats. J’ai été surprise en arrivant à Bruxelles du nombre de personnes qui étaient en situation de dépression. C’était lié à une surcharge de travail et à la charge émotionnelle de cet activisme que l’on porte seul. Cette charge doit être beaucoup plus partagée. Les activistes ont besoin de se décharger. De mon côté, j’ai eu des périodes de baisse de moral, mais pas excessives parce que je suis bien entourée et que je m’aménage des temps de pause et de déconnexion.

Est-ce que vous êtes éco-anxieuse ?

Chloé Mikolajczak : J’ai une anxiété assez intense. La première fois que je m’en suis rendu compte, c’était face à des images de feux de forêt. La dévastation que cela crée… Je me rappelle très bien les feux de forêt en Amazonie il y a quelques années, j’allais à une conférence à Anvers, je n’arrêtais pas de pleurer. J’ai dû m’arrêter dans la rue pour me reprendre un peu et j’étais mal toute la journée.

Après le vote de la nouvelle PAC [Politique agricole commune], qui est dévastatrice parce qu’elle entérine une politique nocive d’un point de vue climatique pour les six prochaines années, j’ai fait face à une importante vague d’anxiété. Ce qui m’aide à gérer cette angoisse, c’est l’action. Et c’est le cas pour beaucoup de gens. Après, les formes d’engagement varient. Certains vont s’enchaîner à une porte ou à un monument, d’autres s’engageront au niveau local.

Est-ce que vous croyez encore à l’action des gouvernements pour lutter contre le réchauffement ?

Chloé Mikolajczak : Bien sûr après la COP26 j’étais déçue, comme tout le monde. Même si on savait que les COP sont préparées à l’avance et donc que les résultats n’allaient pas être impressionnants. Tu ne peux pas t’empêcher de ressentir une forme de déception. C’est pour cela qu’il faut changer le fonctionnement du système de l’intérieur. Que de plus en plus de candidats jeunes et progressistes arrivent à des positions où ils sont en mesure de peser sur les décisions politiques, comme le permet l’initiative démocrate Run for something aux États-Unis. En même temps, il nous faut un reboot, une re-radicalisation des mouvements sociaux et de rue qui appuie le changement politique. Ceci étant dit, je vois bien qu’il est plus difficile d’être politicien que d’être activiste. Un activiste n’a pas de compromis à faire. Dans un pays comme la Belgique, un responsable politique doit négocier en permanence pour gouverner au sein de coalitions.

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    Lamya Essemlali , Théo Verdier, « L’activisme climatique comme remède à l’éco-anxiété », Fondation Jean-Jaurès, 10 février 2022.

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