Les analyses issues de la journée organisée, le 6 mai 2011, par l’Institut François Mitterrand et la Fondation Jean-Jaurès à l’occasion du trentième anniversaire de l’élection de François Mitterrand à la présidence de la République apportent un nouvel éclairage sur ce tournant majeur de la vie politique française.
À l’occasion du trentième anniversaire de l’élection de François Mitterrand à la présidence de la République française, la Fondation Jean-Jaurès et l’Institut François Mitterrand ont organisé, le 6 mai 2011, une journée de débats en partenariat avec la chaîne de télévision Public Sénat. Le présent essai apporte un nouvel éclairage sur cette période politique majeure en réunissant le texte introductif d’Hubert Védrine, les analyses de Jérôme Jaffré, François Miquet-Marty et Gérard Grunberg ainsi que le témoignage conclusif de Pierre Mauroy.
À l’automne 1980, le rapport de forces politiques est loin de laisser présager la victoire de François Mitterrand aux élections présidentielles. Valéry Giscard d’Estaing, le président sortant, bénéficie d’une prééminence très nette sur les autres candidats. Et si un homme ressort à gauche, c’est sans aucun doute Michel Rocard, plébiscité par l’opinion. Quant à François Mitterrand, il apparaît alors comme l’homme du passé, « recordman du monde des candidatures », qui n’a fait qu’essuyer les échecs. C’est précisément ce qui rend l’extraordinaire retournement qui le conduira à la victoire le 10 mai 1981 tout à fait fascinant. Les analystes mettent l’accent sur la conjoncture très particulière de cette période, autant que sur le génie politique du candidat socialiste.
La conjoncture d’abord. La droite apparaît alors divisée, opposant les chiraquiens aux giscardiens. À mesure que Jacques Chirac, alors président du RPR, progresse dans les sondages, Valéry Giscard d’Estaing, quant à lui, perd des points. Cette désunion affichée – Jacques Chirac n’appellera pas à voter pour le président sortant entre les deux tours – sert bien sûr François Mitterrand. Mais la perte de popularité de Valéry Giscard d’Estaing s’explique aussi par son excès de confiance, alors même que l’opinion publique constate avec effroi la fin des Trente glorieuses et la montée du chômage.
À cette division de la droite fait écho une division symétrique à gauche, opposant profondément les communistes aux socialistes. Mais l’attitude du Parti communiste fera finalement le jeu de François Mitterrand. Certes il y a des éléments de fond qui expliquent le recul communiste : l’entrée dans l’ère du déclin du communisme constitue alors une tendance lourde, qui dépasse largement les frontières de la France. En outre, les institutions de la Ve République et l’élection présidentielle sont par nature inadéquates à l’esprit du communisme. À ces éléments structurels s’ajoute la politique en zigzag menée par le Parti communiste depuis 1977, qui va favoriser la fuite de ses électeurs.
Reste qu’une conjoncture, quelle qu’elle soit, ne saurait suffire à rendre compte du phénomène d’adhésion entre un homme et la majorité d’un peuple. L’avènement du succès de François Mitterrand en un si court laps de temps tient aussi à sa stratégie et à son extraordinaire habileté politiques. Signe distinctif de tout grand homme politique, François Mitterrand fait preuve d’une détermination inébranlable. Il témoigne d’une extraordinaire capacité de résistance à l’adversité et aux sondages d’opinion qui lui sont défavorables. Plus encore, il se prononce en faveur de l’abolition de la peine de mort, prenant le contrepied de l’opinion dominante à quelques semaines du scrutin décisif.
Il s’illustre aussi par une autre qualité indispensable au véritable homme politique, sa capacité à se servir de la conjoncture et à saisir le moment opportun. François Mitterrand prend par exemple appui sur le caractère à la fois plus crédible et plus rassurant du Parti socialiste face à un Parti communiste qui, d’une part, inquiète (et la droite joue à plein de cette inquiétude) et, d’autre part, pâtit de sa tradition de non participation au gouvernement. Dans le même temps, il adresse des critiques acerbes et restées célèbres à Valéry Giscard d’Estaing et en vient à le stigmatiser comme le candidat finissant, le monarque replié dans son palais, distant par rapport aux souffrances et aux préoccupations des Français. Visant les points faibles de l’image du chef de l’État, au premier rang desquels le bilan de sa présidence, il finit par prendre une forme d’ascendant sur ce dernier, qui transparaît notamment lors des débats télévisés.
Enfin, les auteurs mettent unanimement l’accent sur la puissance fédératrice de François Mitterrand, capable de rassembler sur son nom des univers idéologiques très différents. Tel est en effet le syncrétisme mitterrandien : il séduit un public attaché aux valeurs de rupture économique, mais élargit son assise électorale en optant pour le slogan de campagne « la force tranquille », fédérant un public attaché cette fois aux valeurs de protection.
Mitterrand n’a pas accompagné l’histoire de France vers la gauche. Il a scellé l’alliance des différents visages de la gauche et élargi au-delà encore la galaxie de ses soutiens. Et c’est probablement sa force, jusqu’à la fin de son existence, d’avoir su en incarner les diverses sensibilités.
Retrouvez le programme de la journée de débats du 6 mai 2011 et retrouvez l’intégralité des débats en vidéo