Les discriminations religieuses à l’embauche

Quelle est la réalité des discriminations religieuses à l’embauche ? Pour la troisième rencontre du cycle « Demain les banlieues », l’économiste Marie-Anne Valfort, auteure d’une récente étude sur le sujet, est interrogée par le député du Val-d’Oise Philippe Doucet.

« Demain les banlieues » est un groupe de travail qui, au sein de la Fondation Jean-Jaurès, explore la banlieue par diverses entrées politiques et sociales (démocratie, apartheid territorial, social, ethnique, sociologie du vote, travail, discriminations), avec pour objectif de déboucher sur une quarantaine de propositions concrètes.
Pour « Demain les banlieues », Philippe Doucet reçoit Marie-Anne Valfort, enseignante-chercheuse en économie à l’Ecole d’économie de Paris et à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et auteure de Discriminations religieuses à l’embauche : une réalité (Institut Montaigne, octobre 2015), une étude qui s’appuie sur des testings sur CV pour mesurer les discriminations liées à la religion, et en particulier à l’islam.

 

 

La réaction de Philippe Doucet

A la fin des années 2000, de nombreuses enquêtes ont montré que les discriminations sur le marché du travail concernent non seulement les minorités visibles mais également les minorités religieuses. Parmi les Français qui ont une origine non européenne, ceux qui sont d’origine maghrébine sont davantage touchés par la discrimination.

Marie-Anne Valfort explique qu’un testing sur CV, qui consiste à répondre à des offres d’emploi bien réelles en envoyant des candidatures fictives identiques à l’exception de l’appartenance religieuse, met en scène des personnes libanaises arrivées en France au lycée avant d’obtenir le baccalauréat et un BTS comptabilité ainsi que la nationalité française. Il y a trois marqueurs d’appartenance religieuse : le prénom – Michel et Nathalie pour les personnes perçues comme catholiques et Samira et Mohammed pour les personnes perçues comme musulmanes –, le collège confessionnel à Beyrouth où ces personnes ont obtenu le brevet des collèges et l’association confessionnelle dans laquelle elles sont investies.

La comparaison des taux de réponse pour chacun des candidats fictifs révèle une forte discrimination à raison de la religion. Lorsque Michel et Nathalie ont besoin d’envoyer cinq candidatures avant d’obtenir un entretien, Samira et Mohammed doivent en envoyer dix. Les hommes sont beaucoup plus touchés par cette discrimination dont l’intensité est six fois supérieure à la discrimination qui touche les Afro-américains par rapport à leurs homologues blancs aux Etats-Unis.  

L’étude met en avant des parcours où la discrimination est encore plus importante. L’introduction de CV de personnes laïques, information donnée à travers la mention des Eclaireurs de France, association de scoutisme laïque, montre que l’attachement d’un candidat à la laïcité augmente ses chances d’obtenir un entretien d’embauche, à l’exception des femmes pour qui la question du port du voile semble toujours poser problème.

Afin de contrebalancer les stéréotypes négatifs susceptibles d’être associés aux personnes musulmanes, des CV d’exception – mention B au bac ; expérience professionnelle plus riche – sont également envoyés aux recruteurs. Dans le cas des femmes, cela gomme les discriminations. En revanche, dans le cas de Mohammed, le profil d’exception exacerbe la discrimination. Son taux de réponse devient alors cinq fois inférieur à celui de son homologue catholique, Michel.

Selon Marie-Anne Valfort, il est urgent de trouver des solutions efficaces à ces problèmes de discrimination, qui forment un cercle aussi vicieux que préoccupant, et ce d’autant que la discrimination religieuse pousse les personnes musulmanes vers le repli identitaire.

Si des pistes de réflexion sont avancées, comme le CV anonyme ou le principe de laïcité en entreprise, Marie-Anne Valfort défend l’idée d’une politique d’actions pour l’égalité. La « discrimination positive », souvent perçue un privilège inconditionnel octroyé aux candidats issus de minorités, n’est en réalité qu’un moyen de rétablir une égalité de traitement entre les différents candidats sur le marché du travail. Enfin, pour défendre une France plurielle et forte de sa diversité, il faut faire de la lutte contre les discriminations une priorité nationale.

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