L’école en temps de crise

La fermeture des lieux d’enseignement français de mi-mars à mi-mai 2020 n’a pas connu, à cette échelle et sur cette durée, depuis la fin du XIXe siècle, de précédent historique, que ce soit lors de guerres ou de catatrophes naturelles. Les bâtiments fermés, une volonté de maintenir la continuité pédagogique a été proclamée, s’appuyant sur l’investissement individuel des enseignants. Marion Fontaine et Emmanuel Saint-Fuscien débattent pour la Fondation du rôle de l’école pendant cette crise de la Covid-19 et reviennent, au regard de l’histoire, sur ce que ces jours inédits nous disent des mutations de l’école contemporaine.

L’école en temps de crise : le débat à écouter

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Depuis la fin du XIXe siècle et l’unification du système scolaire public, jamais l’enseignement physique n’avait été interrompu si longuement en Europe. Même lorsque des bombardements touchaient directement des villes, les écoles accueillaient tous les élèves. C’est en effet tout un symbole : laisser les écoles ouvertes permet de conserver le fondement même de la société, le liant de la nation. À l’inverse, fermer les écoles annonce, en temps de guerre, l’effondrement prochain de l’ensemble du pays. Cette fermeture généralisée est donc exceptionnelle, tant par sa durée (jusqu’à plusieurs mois) que par son extension géographique (l’Europe entière).

À vrai dire, parler de « fermeture d’écoles » est peut-être une approximation sémantique. Ce sont en réalité les établissements scolaires, et non pas l’institution scolaire en elle-même, qui se sont vus désertés pendant le confinement. L’étude de la réussite ou non de la continuité pédagogique résulte de l’histoire du temps présent, et il semble à première vue que cette volonté de maintenir l’école sans établissement ait été une réussite. Alors que le confinement a été marqué par la déstructuration du temps social pour de nombreux Français, le temps scolaire a semble-t-il réussi à restructurer la vie sociale des familles. Des parents se sont en effet appuyés sur le temps des devoirs, le temps du travail et le temps des « récréations » pour ordonner leurs journées.

L’école de la République, régulièrement sujette à critiques de toutes parts, a été au cœur de deux des plus grandes crises de la Ve République depuis la guerre d’Algérie, les attentats de 2015 et la pandémie de la Covid-19 en 2020. Au lendemain de l’attentat de Charlie Hebdo, les minutes de silence non respectées dans certaines classes avaient réactivé les débats sur le laxisme scolaire ou les territoires perdus de la République. Vivement blâmée, l’institution scolaire avait, on le sait, globalement fait face et avait maintenu sa mission de socialisation citoyenne. Comme expliqué précédemment, il semble qu’elle ait également tenu son rôle lors de la crise sanitaire du printemps 2020.

Comment comprendre alors que l’école soit régulièrement considérée comme « en crise » ? On demande à l’école d’enseigner les fondamentaux aux élèves, mais aussi d’assurer des missions de socialisation, de promouvoir la citoyenneté ou encore d’encourager les élèves à faire nation. L’institution scolaire est la seule institution à qui l’on demande de remplir toutes ces fonctions, elle est la dernière véritable instance de socialisation commune. Au début du XXe siècle, ces tâches incombaient également aux collectifs politiques, partis et syndicats, ou encore au service militaire. Aujourd’hui, l’école concentre toutes ces aspirations républicaines. Elle porte de lourdes aspirations à elle seule. Mais en même temps, il lui est demandé de favoriser le développement individuel des élèves, de mettre en valeur leurs particularités face aux normes sociales. C’est tout le paradoxe de la minute de silence à la suite des attentats, où se rencontraient l’école comme instituant des normes et l’école comme promoteur de l’individualité, dont la religion fait partie. Cette injonction contradictoire rend sa tâche encore plus ardue. Par ailleurs, l’institution scolaire est désunie, et subit une crise de confiance en interne. La haute administration ne semble pas soutenir les enseignants, et réciproquement ceux-ci sont méfiants vis-à-vis de leur ministère. Alors que pendant la Première Guerre mondiale l’institution tendait vers l’Union sacrée, ici elle semble plus déchirée que jamais. Le monde politique et médiatique n’a pas félicité le corps enseignant pour son rôle après les attentats ou pendant la crise du coronavirus, ce à quoi il faut ajouter la défiance de nombreux Français vis-à-vis du métier d’enseignant. Le corps enseignant souffre de ce manque de reconnaissance publique. À la toute fin de la Seconde Guerre mondiale, les efforts accomplis par les mineurs de charbon ont permis à une France miséreuse de se chauffer correctement. Au-delà de rétributions strictement matérielles accordées à ces mineurs, se développe au sortir de la guerre une véritable héroïsation de ceux-ci. Ce type de discours élogieux, absent pour la profession enseignante, permettrait d’améliorer le lien de confiance entre la société et l’école, et de rétablir la fierté du corps enseignant lui-même.

Tout au long du confinement, des initiatives ont été prises par des professeurs. On pense par exemple aux nombreux appels entre élèves et enseignants, chose qui n’avait jamais été vue auparavant. Les temps de crise sont propices aux réformes, or il faut faire en sorte que cette prolifération d’initiatives permette un profond élan réformateur. L’institution scolaire doit se servir de cette expérience pour proposer des réformes collectives qui ne restent pas localisées ou individuelles.

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