Marcel Gauchet évoque son dernier livre « L’avènement de la démocratie. Tome III. L’épreuve des totalitarismes » (Gallimard, 2010) lors d’un débat de la Cité des livres.
Voir la vidéo Le philosophe et historien Marcel Gauchet était l’invité mardi 14 décembre de la Cité des Livres pour présenter le troisième tome de L’avènement de la démocratie, A l’épreuve des totalitarismes 1914-1974 (Gallimard). Durant le débat, animé par Bastien Engelbach et par Denis Maillard, Marcel Gauchet est longuement revenu sur la notion la plus fondamentale – et contradictoire – développée dans son nouvel opus : celle de « religion séculière ». L’auteur s’est en effet attaché à comprendre l’énigme que représentent les régimes totalitaires d’un point de vue original, les définissant comme des « anti-religions religieuses » : ils ont pour ambition de reconstituer un ordre social avec des moyens séculiers, se substituant ainsi à la foi et à l’imaginaire religieux. Pour l’historien, les totalitarismes sont donc des phénomènes de croyance, « ils supposent une adhésion de la société à des phénomènes de représentation qu’il s’agit de démontrer si l’on veut en saisir l’essence intime ». Laissant de côté la vaste question « Qu’est-ce que la religion ? », Marcel Gauchet a tenté d’expliquer l’apparition, après la Première Guerre mondiale, de ces religions totalitaires. Le nazisme, le communisme, le fascisme italien, bien que développant chacun leur idéologie propre, ont tous pour élément fédérateur la tentation holiste : le lien collectif doit primer sur les individus, et les sociétés qu’ils régentent se doivent d’être déterminées par leur orientation dans le temps. Cette réflexion sur la religion lui permet de dresser une typologie rigoureuse des régimes totalitaires, qu’il classe dans deux familles distinctes. D’abord le communisme et son « projet futuriste » : bien que très moderne, voire futuriste, dans son projet de réorganisation sociale, le modèle totalitaire soviétique reste très réactionnaire dans ses modalités de réalisation. Au contraire, le nazisme affiche un dessein explicitement passéiste – rétablir l’ancien système de domination – mais est finalement très moderne dans sa forme d’expression sociale. Marcel Gauchet s’est également attaché à caractériser le terreau sur lequel les totalitarismes ont pu croître dans la période d’entre-deux-guerres : si les idéologies totalitaires sont antérieures à 1914, c’est véritablement la Grande Guerre qui va servir de déclencheur à leur expression dans les sociétés. Produit de la défaite, le totalitarisme va s’exprimer dans les pays vaincus ou lésés par les clauses du Traité de Versailles. L’héritage historique est également déterminant : les régimes totalitaires sont apparus dans des Etats qui, en plus d’être des centres religieux (l’orthodoxie en Russie, le luthéranisme en Allemagne, le catholicisme romain en Italie), ont pour référence majeure l’âge d’or des Empires. Puis, en répondant aux questions de l’auditoire, Marcel Gauchet est revenu sur le modèle franquiste, mais surtout sur l’exceptionnel cas chinois. Autrefois totalitaire, il a progressivement mué en un régime autoritaire, entreprenant, depuis la fin de l’ère Mao, une vaste dépolitisation et désidéologisation des masses. Enfin, Marcel Gauchet a rappelé que les totalitarismes sont également la conséquence d’expériences démocratiques manquées, et se développent dans des Etats où les valeurs libérales n’ont pas eu le temps de s’enraciner. Peut-être peut-on y voir un avertissement pour nos sociétés contemporaines.© Nonfiction