Antisémitisme en banlieue, laïcité et rôle de l’histoire

Pour la deuxième rencontre du cycle « Demain les banlieues », le député du Val-d’Oise Philippe Doucet reçoit Iannis Roder, professeur d’histoire-géographie à Saint-Denis, auteur de plusieurs travaux sur son quotidien d’enseignant en banlieue.

 

 

La réaction de Philippe Doucet

Je recevais le 26 janvier dernier Iannis Roder, professeur d’histoire-géographie dans un collège de Seine-Saint-Denis, pour faire le point sur l’antisémitisme des élèves de son collège, qu’il évoquait presque quinze ans plus tôt dans Les territoires perdus de la République (Fayard-Pluriel, réed. 2015) sous la direction d’Emmanuel Brenner. Quelques jours après l’attaque à Marseille d’un enseignant juif par un élève, plus d’un an après les attentats de Charlie Hebdo et de l’Hyper Casher, le discours et les préjugés antisémites chez les jeunes élèves sont-ils toujours présents ?

Selon Iannis Roder, la parole des élèves est aujourd’hui moins spontanée. D’une part, les enseignants ont pris l’habitude de déconstruire les remarques antisémites ; celles du type « Hitler aurait fait un bon musulman » ou « Hitler n’a pas fini le boulot » ne restent jamais sans réponse. D’autre part, ils sont de plus en plus nombreux à intégrer le caractère interdit d’une parole raciste ou antisémite. D’ailleurs, très peu d’élèves défendent une idéologie antisémite. Dans la majorité des cas, il s’agit de préjugés, simplistes et anciens.

Si la plupart des élèves qui les portent sont issus d’une immigration arabo-musulmane plus ou moins récente, il reste difficile d’identifier précisément l’origine des préjugés. Pour certains sociologues, ils sont en germe dans la langue sans pour autant être agressifs ; pour d’autres, le décret Crémieux, qui a donné la nationalité française aux Juifs d’Algérie, a nourri de forts ressentiments. Enfin, certains courants de l’Islam, par le biais de télévisions satellitaires, prêchent de violents discours à l’égard des Juifs auxquels certains élèves finissent par succomber.  

Les attaques du siège de Charlie Hebdo et de la boutique Hyper Casher n’ont pas fait taire les préjugés. En revanche, celles du 13 novembre ont donné lieu à un vrai questionnement. Les élèves ont compris que la cible n’était pas les journalistes pour ce qu’ils font ni les Juifs pour ce qu’ils sont, mais ce que nous sommes, l’Occident avec ce qu’il représente de réel ou de fantasmé.

Les préjugés perdurent mais ils se radicalisent seulement lorsqu’ils rencontrent chez de jeunes élèves une faille identitaire.

Au sujet de l’enseignement de la Shoah, Iannis Roder préconise de ne pas aborder cette période de l’histoire par le biais de la morale. Il faut en parler en faisant de l’histoire, à commencer par celle des bourreaux. Il faut enseigner la dynamique qui s’enclenche dans le nazisme et qui mène à la solution finale de la question juive. Le médicament contre les interprétations galvaudées n’est pas une visite à Auschwitz, mais doit consister à faire réfléchir par l’histoire, en particulier politique. Le regard des élèves change alors radicalement.

L’enseignement de l’histoire et la culture du dialogue permettent aussi de répondre à la contre-éducation offerte par Dieudonné ou Alain Soral dont beaucoup d’élèves rapportent les propos. Etablir des comparaisons sans faire d’analogies avec le nazisme, dont les élèves connaissent l’issue, renforce leur sens critique.

L’histoire joue également un rôle fondamental dans la transmission de la laïcité à condition de l’historiciser, de la replacer dans le temps long. La laïcité se définit par la liberté de culte mais, avant toute chose, elle est une conquête. Rappeler le poids de l’Eglise catholique pendant des siècles en France permet de remettre la laïcité en perspective et de ne pas la présenter comme un concept désincarné, imposé par le haut et que l’on n’explique pas.

Ainsi, à ceux qui pensent que la laïcité est une arme contre l’Islam, l’histoire répond qu’elle est une arme contre l’obscurantisme et un outil de liberté qui visait les catholiques et non les musulmans.

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