En 2021, après le 25e anniversaire de la mort de François Mitterrand célébré le 8 janvier dernier, l’héritage politique du premier président socialiste de la Ve République sera mis à l’honneur à l’occasion des cinquante ans du congrès de l’unité des socialistes à Épinay-sur-Seine et des quarante ans de la victoire de la gauche en 1981. Toutes ces années ont été accompagnées d’un logo, « le poing et la rose », que l’on doit au militant socialiste et créateur audiovisuel Yann Berriet et au dessinateur Marc Bonnet. Evelyne Soum, communicante et observatrice privilégiée de l’histoire de ce logo, nous apporte son témoignage et son regard contemporain.
2020 a marqué le cinquantenaire de la première apparition du « poing et la rose » dans les rues de Paris. En janvier-février 1970, le logo est présent de manière assez furtive sur quelques milliers d’affiches de la fédération de Paris du « nouveau » Parti socialiste, dirigée par le Centre d’études, de recherches et d’éducation socialiste (CERES). En février 1970, Georges Sarre présente à la presse l’affiche et ses objectifs, « faire venir à nous des centaines et des milliers de militants » en expliquant le sens du nouveau logo : « L’épanouissement que seul permettra le socialisme (la rose) ne sera possible que par la lutte (le poing). » L’affiche connaîtra une diffusion beaucoup plus large à Paris pour les élections municipales en mars 1971. Tout cela n’est que le début d’une aventure, précédée d’une autre…
Ce cinquantenaire, quelques mois avant celui du congrès d’Épinay, valait bien un hommage, mais pas que. « Le poing et la rose », toujours présent dans le logo du Parti socialiste aujourd’hui, symbolise une part importante de l’histoire des socialistes et du socialisme européen. Son histoire est connue, mais il m’a semblé judicieux de narrer ici la « petite » histoire du « poing et la rose ». Elle enrichit la grande en lui donnant des repères vivants, singuliers et parfois drôles. Plusieurs personnalités ont revendiqué au fil du temps un rôle dans l’inspiration, voire la paternité de cet emblème, on ne peut que se réjouir de le voir ainsi consacré ! Si la réalité n’a pas toujours été totalement reflétée dans les propos, voyons-y plutôt la fierté ingénue d’avoir contribué à créer une identité valorisante et surtout d’en avoir validé instantanément, sans barguigner, le concept qui, comme le dit si bien Frédéric Cépède, unit le signifiant et le signifié.
Sauf que le plébiscite, au-delà de l’aval des équipes dirigeantes du CERES au second semestre 1969, a jailli ensuite spontanément des militants du Mouvement de la jeunesse socialiste, puis d’autres fédérations socialistes, du peuple de gauche de France et enfin de l’Europe.
Commençons par la petite histoire
J’ai la chance de la tenir, comme on dit, « de la bouche même du cheval ». Yann Berriet, rencontré à l’automne 1971, fut le compagnon de mes jeunes années. Militant socialiste à la 6e section de Paris, il m’entraîna avec lui en 1973 à la Commission nationale à la propagande du Parti socialiste, cité Malesherbes à Paris, animée alors par Georges Sarre avec lequel il avait des liens d’amitié. Ma narration de l’affaire est issue du récit que m’en fit Yann lui-même à l’époque et de mes échanges récents avec Marc Bonnet et Paul Calandra. Dans ce trio, Paul Calandra était le commanditaire (dépourvu de fonds), Yann Berriet et Marc Bonnet les talentueux inspirateur et auteur créatif. Si la date précise reste incertaine, les étapes ne le sont pas.
Paul Calandra et Yann Berriet se connaissent bien. Ils sont membre du CERES – club politique créé par Jean-Pierre Chevènement, Alain Gomez, Pierre Guidoni et Didier Motchane au sein de la SFIO – et de la fédération de Paris. Marc Bonnet, dessinateur et graphiste, n’est ni militant, ni préoccupé d’idéologie politique, ni spécialiste des logos de marques. Issu de l’école Estienne, auditeur libre à l’École nationale des arts appliqués, il perfectionne sa formation de graphiste à Zurich. En 1964, Jean-Louis Gouraud (PSU), journaliste militant, camarade de service militaire au Magazine des Forces armées lui fait rencontrer Yann Berriet, pionnier de la communication audiovisuelle avec son entreprise tout juste créée, qui deviendra « Communication audiovisuelle ». Dans les premiers locaux exigus de son entreprise avenue Franklin-Roosevelt, Yann Berriet donne sa chance au jeune Marc, qui intègre son équipe en qualité de graphiste-dessinateur. Celui-ci restera proche de Yann, dont il quitte la société pour s’établir à son compte.
Le Flower Power est dans l’air après le Summer of Love à San Francisco en 1967. Marc Bonnet travaille souvent sur des motifs floraux, style Art déco, pour une styliste de tissus de Lyon et du Nord. Le jeune CERES conquiert à l’automne 1969 la fédération de Paris. Georges Sarre en est le premier secrétaire et Paul Calandra, le secrétaire à la propagande – le mot « communication », ce sera pour plus tard. Une discussion est engagée, « vague débat interne », pour envisager une représentation plus contemporaine que les trois flèches de la SFIO dont l’emblème s’imposait en principe à tout le parti (elles n’étaient, en fait, plus utilisées depuis plusieurs années – avec les projets de fusion dans la Fédération de la gauche démocrate et socialiste (FGDS) et de création d’un nouveau parti, rien ne les remplace : il y a seulement un changement de typographie pour l’acronyme SFIO). La fédération de Paris veut se démarquer, attirer des militants, représenter la nouveauté, bref, avoir son propre identifiant.
Paul Calandra, mandaté pour mener à bien le travail, sollicite son complice Yann Berriet pour la recherche d’un graphiste ad hoc, mission créative sans rémunération, donc. C’est Marc Bonnet… mais Marc refuse : il travaille pour ses clients, n’a pas le temps, est loin du monde politique, ne fait pas de logos, etc., explique-t-il à Yann, lui conseillant d’autres dessinateurs. Têtu, Yann finit par le persuader au bout d’un certain temps. « Fais-le pour moi. Je sais très bien que tu vas nous sortir un projet super. Il faut absolument que notre parti ait quelque chose qui soit professionnel, différent de la communication de petits partis. » Marc Bonnet le dit lui-même : « Je l’ai fait pour mon ami Yann Berriet. »
Un briefing rapide à trois est organisé dans une brasserie proche du bureau de Yann, Paul Calandra explique à l’illustrateur le contexte du CERES, en quoi il veut se démarquer de la SFIO, la nouveauté qu’il incarne. Marc gribouille des croquis sur un coin de table du bistrot et discutera après avec Yann Berriet. Il a retenu deux choses : le combat de la gauche, des idées et la recherche de nouveaux militants et militantes, les femmes étant peu nombreuses. Yann lui précise qu’il faut éviter que le dessin fasse « trop bolchevique ».
Dans les jours suivants, il fait quatre, cinq esquisses, Yann le recentre sur trois d’entre elles qui sont ensuite montrées à Paul Calandra. Des fleurs, ici un œillet, là un bouquet flower power et enfin un poing et une rose rouge, stylisés au trait noir gras. Le design est équilibré, épuré mais fort. La préférence va d’emblée à cette idée. Paul Calandra présente les trois maquettes au secrétariat de la fédération de Paris, celle du « poing et la rose » est choisie, aucune retouche n’est demandée. Avant de passer à l’exécution technique, l’illustrateur ajuste et finalise sa maquette. Yann Berriet paye de sa poche les documents d’exécution et la photogravure, il ne sera jamais remboursé.
Avant le lancement de la première affiche parisienne arborant « le poing et la rose », la fédération veut que l’illustrateur signe son dessin, ce dont Marc Bonnet s’étonne. Il résiste, l’usage est rare pour un logo (alors que les affichistes signent souvent leurs œuvres). Yann lui explique qu’il est important de montrer l’expertise artistique pour valoriser le statut du parti. La griffe de Marc va donc figurer sur la version originale du logo. Elle sera enlevée ensuite, après un accord amiable finalement trouvé entre le Parti socialiste et Marc Bonnet, au moment où le PS développe un vaste merchandising de l’emblème avec des objets, des pin’s, etc.
La grande histoire peut commencer
1970, donc, petite visibilité en affichettes ponctuelles à Paris avant l’affichage important des municipales de mars 1971. Au fil de ces présences du « poing et la rose » dans la capitale, la propagation spontanée va se développer par essaimage. Le Mouvement de la jeunesse socialiste s’en empare. Son premier papier à en-tête est bricolé par un collègue de Yann Berriet, Jean-Pierre Faure, pour le boulevard Magenta. L’Association des postiers socialistes, elle aussi boulevard Magenta, arbore fièrement, sous l’impulsion de son fondateur Georges Sarre, « le poing et la rose ».
Et presque toutes les fédérations socialistes du pays, grande et petites, s’y mettent au lendemain du congrès d’Épinay. Comme en témoigne Paul Calandra, les militants et dirigeants ont repéré le nouvel emblème, qui leur plaît, sur les affichettes parisiennes. Le nom de l’imprimeur sur l’affichette est leur sésame : ils l’appellent directement pour avoir « le poing et la rose » et le reprendre eux-mêmes.
C’est ainsi que l’on voit clairement, sur les photos prises au lendemain du congrès d’Épinay, épinglée au mur de la grande salle de la cité Malesherbes où François Mitterrand parle à la presse, entouré de Pierre Mauroy, Georges Sarre et d’autres, une affichette de la Jeunesse socialiste signée du « poing et la rose » derrière le futur premier secrétaire du Parti socialiste. Les dirigeants du Parti socialiste, soucieux après Épinay de se doter d’un nouvel emblème, comprennent de cette manière que beaucoup de fédérations veulent déjà « le poing et la rose ». Il ne reste plus à Georges Fillioud, secrétaire national à la propagande, qu’à constater, après avoir convoqué Paul Calandra, l’engouement militant préalable à la décision nationale… Le « poing et la rose » devient l’emblème du Parti socialiste en septembre 1971, date à laquelle il apparaît sur un tract officiel. Il est à la une de Combat socialiste, le mensuel à destination du monde du travail dirigé par Georges Sarre, en novembre 1971. En novembre 1972, le nouveau mensuel Le Poing et la Rose remplace les bulletins socialistes.
Et la propagation se dilate, « le poing et la rose » rayonne glorieusement au-delà de nos frontières, son succès international est rapide. Les partis socialistes belge, luxembourgeois, espagnol et portugais l’adoptent, l’Internationale socialiste le fera en 1979. L’essaimage se poursuit au Danemark, en Suisse, etc. Vox populi dont on peut être fier, d’autant qu’elle est rare. Par expérience de communicante et pour avoir développé avec mes équipes créatives des identifiants à dimension citoyenne (logos de l’État français, de la Région Île-de-France…), des logos d’entreprises aussi, j’ai constaté que le processus de création des logos réussis est peu démocratique. « Encommissionner » une création d’identité peut la réduire au plus petit dénominateur commun avec un jugement « j’aime » ou « j’aime pas ». Il faut généralement une autorité personnelle décisionnaire qui sache trancher et soutenir, avant un processus d’adhésion/partage soigneusement élaboré pour ne pas avoir l’air d’imposer… Rien de tout cela pour « le poing et la rose » : d’un bout à l’autre de la dynamique de création, de choix et d’adoption très élargie, tout a été spontanément accepté, compris et inspirant. Une appartenance populaire qui résiste dans l’espace et le temps, avec des soubresauts.
Et aujourd’hui ?
On trouvera en annexe une mise en perspective de l’évolution du « poing et la rose » au fil de ses cinquante ans d’existence. J’ai fait cette lecture des signes avec des créatifs contemporains non partisans, dont les analyses ont été identiques. Les constats sont clairs et édifiants, avec un brouillage potentiel des messages et un manque de cohérence entre les diverses utilisations. Il est intéressant de noter que les modifications importantes du logo en France ont été faites dans une grande discrétion, on en a peu, voire pas parlé. Nous avons même trouvé des rescapés actuels, certains, comme le PS suisse, l’Internationale socialiste (vert des feuilles en plus, poing assez maladroitement retouché), faisant perdurer quasi à l’identique le dessin original. La découverte des Socialistes démocrates d’Amérique nous a amusés, avec ces deux mains qui se serrent sous « notre » rose (à Los Angeles, la rose est quand même devenue palmier…).
Il ne m’appartient certes pas de préconiser aux socialistes, dont je suis toujours, ceci ou cela, de changer des signes ou non. Mais les signes étant tous porteurs de messages, ne devrions-nous pas questionner les messages, nos messages, notre identité profonde aujourd’hui et demain, avant d’en annoncer une recherche d’énoncé et de forme, quel qu’en soit le devenir ? La forme est au service du fond, pas l’inverse ; les prérequis d’esthétique et de contemporanéité témoignent du simple respect des publics. Le seul moteur impératif, dès lors qu’on monte pavillon emblématique, est la pertinence au service de ce que l’on est et de ce que l’on veut dire. Encore faut-il le savoir.
Si la critique est facile, l’art est difficile. Mais l’art décolle plus vite, plus haut, plus fort quand la piste est bien conçue, robuste et inspirante, embarquant celles et ceux qui veulent contribuer sincèrement, militants, citoyens, stratèges, artistes. Les symboles, les emblèmes vivent et durent bien plus que les politiques ne le souhaitent parfois, on en a la preuve avec la résistance du « poing et la rose » à toutes ses fins annoncées. Il s’est avéré difficile de le réduire aux réussites comme aux échecs socialistes.
Si la création et la modification des logos n’ont rien d’anodin, il reste que ni Marc Bonnet ni Yann Berriet n’en étaient des spécialistes. Regard de graphistes évidemment, mais guidé par un récit riche de sens. L’émergence du « poing et la rose » a été portée par le travail militant. C’est le logo qui a accompagné la progression du PS et son arrivée au pouvoir, avec son apogée populaire des années 1980. La rose se chante, de Barbara à Leny Escudero… et sera longtemps le symbole référent de la geste socialiste.
Mais on voit que, dès cette période, pour les élections, la présence ou l’absence du logo sur les affiches était indexée, selon le contexte, sur sa force présumée d’attraction ou de répulsion. Que « le poing et la rose » se soit maintenu si longtemps – franchement, quel logo résiste cinquante ans ? – ne relève pas du hasard. Une chose est sûre, ce que révèle cette longévité, c’est qu’il parle encore aux militants, alors que son pouvoir n’est sans doute plus celui qui était le sien, symbole de la marche triomphale durant la phase de conquête.
Je crois que, dès lors que l’audace, la générosité et le partage l’emportent sur les calculs, tout est possible. Alors, pour Yann Berriet, pour celles et ceux qui croient à tous les possibles, le moment est en effet bienvenu, à l’aube des cinquante ans du congrès d’Épinay, pour se retrouver, réfléchir, créer. Mais avec la liberté essentielle de changer soi-même avant que d’afficher le questionnement du nom et du paraître.
Annexe. Mise en perspective rapide des évolutions du « poing et la rose »
La création originale, esthétique et récit
La beauté et la force de ce logo sont le résultat de l’équilibre du poing d’un côté et de la rose de l’autre. Le symbole n’a pas pris une ride. Le dessin est intemporel et moderne, incarné (signé à l’origine, rappelons-le, par la main illustratrice). Aujourd’hui, les moyens n’autorisent plus que fort rarement un dessin original, et encore moins signé par un artiste/illustrateur.
Très professionnel, compact, sobre, trait épais irrégulier adoucissant l’ensemble, évitant le côté agressif d’un trait sec. La forme ronde du poing est stabilisée par les perpendiculaires du poignet et de la tige. Les épaisseurs plus fines des contours de la rose et des feuilles sont parfaitement calculées pour s’intégrer à l’épaisseur du poing. Les blancs du logo, plus importants sur le poing, permettent en première lecture celle de ce poing. Puis celle de la rose. Le dessin, avec l’index légèrement en biais, ainsi que les nervures des feuilles, ajoute une vibration sensible à l’ensemble. Réduit en taille, il sait rester lisible, grâce aux épaisseurs des traits. Tampons, pin’s…, il saute aux yeux même en tout petit format.
Bravo à Marc Bonnet qui a fait un très beau travail, bien conçu et intelligent. Le sens est clair, fort, précis, quelles que soient les projections inspirées par cette figure graphique. Il s’agit bien là d’un récit mythique : l’alliance du poing, symbole viril de détermination, de fermeté, d’engagement individuel et de combat collectif, et de la rose, symbole féminin passionné (le rouge passion) de l’amour, poétique et tendre.
La force est engagée ici, in fine, à offrir affect, harmonie, espoir à l’autre. Élan d’une dynamique humaniste, via la fusion réussie de la forme et du fond dans une image solide, équilibrée, chaleureuse.
Années 1990 : toilettage(s) et essais de verdissement
On cherche à fermer la main avec la suppression de l’écartement en biais de l’index, à verdir assez fortement les feuilles.
Et le « bloc-logo » va s’énoncer jusqu’en 2010 sur une figure construite en rectangle horizontal. Les feuilles se teintent finalement de vert clair. Le socle graphique permet une lecture directe simple. Le récit place les valeurs du « poing et la rose », les origines, à gauche du parti qui s’énonce socialiste en toutes lettres tout en indiquant son virage plus « vert ». Cette version a été lancée dans les années 1980 par la fédération de Paris et quelques autres – mais pas par le PS national – en reprenant le même graphisme que le logo « officiel ».
2010 : évolution du signe et du message
Tous les équilibres sont rompus avec cette inversion des informations. L’impact vise exclusivement l’acronyme PS, le sigle perd sa force, la main aussi. La disparition des nervures dans le vert des feuilles aplatit l’ensemble. L’équilibre est mauvais entre « PS » et le sigle devenu mineur, désormais en haut à droite (!). Le bloc-marque donne l’impression d’être transitoire, l’ensemble flotte, l’espace de droite étant plus petit que celui de gauche. Cette composition a dû poser un problème visuel… d’où la suppression des nervures des feuilles, remplacées par le seul remplissage vert clair qui affadit encore le sigle. Le récit change, avec un bloc dominant PS qui pousse vers la sortie son symbole un peu affaibli, mais conservant l’ajout d’une chromie « écologisante ».
Depuis 2016 : le logo actuel
Ce bloc-marque est mieux équilibré, s’inscrivant dans un carré sans avoir besoin de le signifier. Le P de « PS », s’appuyant sur la perpendiculaire du trait du poignet, stabilise l’ensemble. La construction est rigoureuse et professionnelle. « Le poing et la rose » retrouve sa place à gauche dans un format dominant et lisible, le typogramme « SOCIAL-ÉCOLOGIE » en socle et point d’appui du sigle et de l’acronyme du parti. À noter, le mot « écologie », rouge, en gras, versus « social » en maigre… Les trois informations visuelles émises sont claires : une image, un parti, un engagement / une alliance, ce qui n’implique pas automatiquement que le message global soit clair.
En revanche, l’ajout d’une feuille verte en aplat sans contour au second plan pose question : ce sursignifiant écologique, sous cette forme, apporte-t-il quelque chose, à part du liant graphique à la composition ? Des témoignages recueillis par Frédéric Cépède indiquent que « certains militants et sympathisants “grognons” ont reconnu là une feuille de salade, et d’autres une planche à voile ». Le récit affirme au premier degré un virage écologique essentiel, qui devient la nouvelle image/empreinte majeure versus les signes identifiants familiers, « le poing et la rose » paraissant doté d’une aile verte qui le pousse, le prolonge ou lui fait ombre, la feuille étant moins lisible en petit format.
Logos actuels des groupes Assemblée nationale et Sénat
Au-delà de la dilution de l’identité, la problématique de la cohérence saute aux yeux. Pour l’identifiant du groupe à l’Assemblée nationale, la composition est celle d’une affiche plus que d’un logo, l’ensemble est peu lisible en première vision. On ne retient pas le contenu : trois typographies, à des tailles et graisses différentes, c’est trop. Trois couleurs différentes, c’est trop. La rose est moins claire du fait d’un pétale vert et des nervures passées au blanc, le poing a disparu. Le récit est confus, la symbolique de l’organisation des sièges de l’Assemblée nationale en demi-cercle de trois couleurs (une couleur de plus pour les apparentés ?) ajoute une allusion au lieu.
Deux signes pour le Sénat : celui – ci-dessus – qui figure sur le site senateurs-socialistes.fr (« Groupe socialiste du Sénat ») et le dernier, qui arrive en tête de recherche sur le Web et sur Wikipedia. Dans le premier, le rouge de la rose au poing passe au bordeaux et au trait, avec les nervures des feuilles. L’autre représentation (ci-contre), également à dominante bordeaux, évoque l’hémicycle par des points (sièges ou élus ?). Curieusement, c’est le mot « républicains » qui est en rouge, « socialistes » passant en vert…
Quelques rescapés en 2021
Adaptation raide et mal calibrée pour le sigle de l’Internationale Socialiste, le pouce vient couvrir deux doigts. À noter, le vert foncé des feuilles. Pourtant, cette figure graphique résiste, il était peut-être ardu de trouver un accord pour un nouveau symbole…
Le PS suisse a adopté depuis longtemps une variante en réserve blanche du « poing et la rose », avec un bloc logo équilibrant en hauteur l’acronyme PS et le sigle, qui reste lisible dans cet ensemble sobre malgré (ou peut-être grâce à) la barre de séparation.
Aux États-Unis, les Democratic Socialists of America ont remplacé, à l’intérieur d’un carré rouge, le poing par des mains, l’une au trait blanc l’autre au trait noir, qui se serrent sous la rose. Là aussi, réserve blanche sur rouge, la rose d’origine a bien gardé les nervures de ses pétales.
Les Jeunes socialistes se sont affranchis du poing en stylisant davantage la rose avec des trais plus épais. Le récit met l’emphase sur la rose centrée au-dessus du mot Jeunes à l’intérieur d’un carré aux coins arrondis. La construction est dynamique et réussit à intégrer plusieurs éléments sans lourdeur.
En conclusion
La disparité des réinterprétations du « poing et la rose » au fil du temps entraîne la visible absence de cohérence entre les signaux des émetteurs socialistes aujourd’hui en France. D’un signe à l’origine lisible, impactant et signifiant, on passe à des signes plutôt hésitants, multiples avec plusieurs niveaux de récit superposés. Ce qui était simple devient à la fois complexe et réducteur, à l’inverse évidemment de ce qui était visé. Avec ces récits plus flous, le doute identitaire est apparent. Mais les signes ne sont responsables que de leur capacité à exprimer le quoi des instances et institutions sous une forme valorisante et puissante. Bien sûr, « le poing et la rose » des socialistes est une image mentale forte, durable, appropriée de façon quasi universelle. Qui mérite pour le moins attention, respect et élan artistique.