Vote à seize ans : une nouvelle ambition démocratique pour la jeunesse

Faut-il abaisser le droit de vote à seize ans ? Oui, plaident Abir Adam, Martine Filleul et Victoria Géraut, qui proposent dans cette note un corpus pour une meilleure reconnaissance des jeunes dans la République : abaissement de la majorité politique, enseignement spécifique et interactif dès le collège, et outil de démocratie locale à leur destination.

Les jeunes de notre pays ne se sont jamais autant engagés en faveur des causes qu’ils jugent utiles et légitimes : cause animale, égalité des genres, lutte antiraciste, défense de l’écologie… Très présents dans la rue pour exprimer leurs convictions, ils se retrouvent pourtant à déserter les partis politiques et à se détourner des urnes. Pourquoi ? Pour nos jeunes, le vote ne semble plus être l’outil efficace pour faire entendre leurs voix. Alors qu’ils sont pleins de convictions, ils souffrent pourtant d’un mal de reconnaissance au sein de notre société.

Nous pensons qu’ils ont raison : la République française n’accorde pas assez de place aux jeunes. Trop peu d’espaces de discussions et d’actions légitimes leur sont offerts et leurs engagements ne sont que trop peu valorisés par les institutions politiques. Aussi, leur formation initiale, à l’école, ne leur permet pas de développer l’esprit critique, intellectuel et citoyen, qu’ils veulent pourtant élargir.

En agrandissant le corps électoral par l’abaissement de la majorité politique et donc par la prise en compte de thématiques qui leur tiennent à cœur ; en les accompagnant pour devenir des citoyens éclairés grâce à un enseignement spécifique et interactif dès le collège ; et en développant un outil de démocratie locale à leur destination, nous proposons un ensemble cohérent et ambitieux visant une meilleure reconnaissance des jeunes dans la République.

Pourquoi créer un droit de vote à seize ans ?

« Mieux vaut la voir dotée d’un bulletin de vote qu’armée d’un pavé1Ludivine Bantigny, « Une question de confiance », Le 1 Hebdo, n°106, 11 mai 2016. », écrivait l’historienne Ludivine Bantigny à propos de la conscience politique de la jeunesse dans le numéro du 1 consacré au droit de vote à seize ans. Aujourd’hui, bien que cantonnées à la rue, les revendications de la jeunesse ne sont pas absentes du paysage politique, au contraire : les jeunes ont des convictions et des espoirs, mais aussi de la colère qu’ils ne taisent pas. Conscients des nombreux enjeux politiques, les jeunes ont des choses à dire. Mais sont-ils écoutés ? Souvent reprises dans les médias, entre admiration et stigmatisation, leurs revendications doivent désormais être prises en compte de façon continue par les décideurs politiques. Faire des jeunes des acteurs citoyens à part entière peut permettre, non seulement de renforcer la démocratie, mais aussi de témoigner de notre confiance envers cette jeunesse qui, bien qu’intéressée par le politique, s’y sent mise de côté. L’abaissement du droit de vote à seize ans est également un enjeu de rajeunissement de notre corps électoral vieillissant.

Pour redonner confiance en une jeunesse engagée

La crise sanitaire nous l’a encore montré, les jeunes sont des citoyens responsables : ils sont capables de faire des sacrifices pour se mettre au service de la population et sont tout aussi capables que leurs aînés de faire des choix raisonnés. Ce que nous pouvons aussi retenir de la crise sanitaire, c’est que la société a aujourd’hui besoin de changements profonds auxquels les jeunes, dès seize ans, sont en mesure de participer.

Alors pourquoi seize ans ? En 1944, lorsque le débat sur le vote des femmes revint au cœur du débat public, ses principaux opposants expliquaient que les femmes n’étaient pas capables de faire des choix seules : elles voteraient sous l’influence de leur mari, de leur père, de leur frère, et même de leur prêtre ! Alors même qu’elles participaient activement à la Résistance pendant la Seconde Guerre mondiale, ou même avant, en 1914, en reprenant le flambeau de leurs maris ayant quitté leur travail pour les tranchées, on leur déniait pourtant leur droit de participer au débat public. 

Aujourd’hui, c’est le même argument que l’on pourrait évoquer contre la création d’un droit de vote à seize ans. Mais qu’en est-il des responsabilités qu’un jeune de seize ans peut déjà avoir ? La législation française actuelle permet aux jeunes de seize ans, pourtant dépourvus d’un pouvoir citoyen majeur, de nombreux droits et devoirs. Les jeunes de seize ans ont effectivement des droits et devoirs relatifs à la famille : la possibilité de s’émanciper de leur foyer, d’avoir l’autorité parentale en cas de parentalité, ou encore d’établir un testament. Ils peuvent également créer et gérer une association sans la tutelle d’un adulte, avoir le permis de conduire et même le droit d’être pilote d’avion dès l’âge de quinze ans2Arrêté du 31 juillet 1981 relatif aux brevets, licences et qualifications de navigants non professionnels non professionnels de l’aviation civil (personnel de conduite des aéronefs).. En matière de santé, les jeunes peuvent s’immatriculer à la Sécurité sociale, choisir leur médecin traitant et même recourir à une interruption volontaire de grossesse (IVG). Par ailleurs, dès l’âge de seize ans, il nous est offert la possibilité d’arrêter l’école et d’entrer sur le marché du travail, d’ouvrir un compte bancaire et de l’utiliser seul – si nous disposons d’une autorisation parentale. Enfin, à cet âge, on peut, comme tout citoyen, être redevable de l’impôt et être éligible à certaines prestations sociales. Or, les grandes révoltes de notre pays n’ont-elles pas commencé par des déséquilibres entre le devoir de l’impôt et le droit de participer au processus politique ? 

À ces droits et devoirs s’ajoutent la responsabilité pénale des jeunes – qui, dans certains cas, les place à égalité avec les majeurs – et les responsabilités informelles qui peuvent subsister dans la vie quotidienne : s’occuper de leurs frères et sœurs ou d’enfants qui ne sont pas les leurs à travers une activité de baby-sitting, étant souvent l’un des premiers petits boulots, ou encore en colonie de vacances pour ceux qui sont diplômés du brevet d’aptitude aux fonctions d’animateur (BAFA).

Pourtant, malgré tous ces droits et devoirs responsabilisant les jeunes dès seize ans, le pouvoir de participer au choix de leurs élus, élus qui pourront modifier ou non l’état du droit qui les concerne, ne leur est pas accordé. Ce déséquilibre entre ces droits et obligations qui leur sont conférés et l’impossibilité de prendre part aux choix politiques ne peut qu’accentuer le manque de reconnaissance dont semblent souffrir les jeunes d’aujourd’hui.

Ce manque de reconnaissance est d’autant plus important à prendre en compte que les jeunes ne sont pas déconnectés de la vie politique française. D’après un récent sondage d’Ipsos pour l’ANACEJ3 Frédéric Dabi et Jean-Philippe Dubrulle, « Les jeunes et les élections municipales de 2020 », Ifop, 3 mars 2020., 79% des jeunes de seize et dix-sept ans étaient au courant que des élections régionales en 2021 étaient prévues. Aussi, d’après ce même sondage, pour 82% des jeunes de seize et dix-sept ans interrogés, « voter est un devoir ». Ce chiffre est d’autant plus intéressant à prendre en compte qu’il est supérieur à la part des 18-25 ans, qui sont 77% à considérer le vote comme un devoir. Les jeunes de seize et dix-sept ans sont donc non seulement au courant des échéances électorales et politiques, mais ils s’informent également sur les enjeux et les débats en cours à l’école ou grâce aux réseaux sociaux (Instagram, YouTube, Twitter, TikTok…) qui jouent un rôle majeur dans leurs façons de s’informer. Cela marque leur intérêt vif pour la chose publique. Leur implication récente dans les manifestations pour le climat, leur soutien indéfectible à la population ouïghoure en utilisant le boycott comme principal mode d’action, leurs multiples réussites à bloquer des lycées sont autant de preuves que les jeunes sont des acteurs à part entière de la vie politique de notre société. De manière plus institutionnelle, leur implication dans les partis politiques est également non négligeable : l’âge minimum d’adhésion au Parti socialiste4« Statuts et règlement intérieur du Parti socialiste », voir article 2.1.1.1.1 (titre 2, chapitre 1). est fixé à quinze ans et il est possible dès seize ans, et au même titre qu’une personne de trente-cinq ans, d’adhérer aux Jeunes Républicains5« Règlement intérieur de la fédération Jeunes Républicains », février 2021.. Quant à l’adhésion à La République en marche, aucune précision d’âge minimum n’est donnée6« Statuts La République en marche », permettant même aux mineurs d’y adhérer depuis la loi n°2017-86 du 27 janvier 2017 sur l’égalité et la citoyenneté qui clarifie la capacité d’un mineur à adhérer à une association de la loi du 1er juillet 1901.

Leur permettre de voter à seize ans traduirait donc non seulement une prise de conscience de leur capacité à prendre entièrement part à la vie politique de leur pays, de leur région et de leur ville, mais aussi de remédier à cette carence en reconnaissance dont la jeunesse souffre.

La proposition du droit de vote à seize ans n’est d’ailleurs pas nouvelle et nombreux ont été les défenseurs de la reconnaissance d’un droit politique à accorder à la jeunesse. Après l’abaissement de la majorité à dix-huit ans sous le mandat du président Valéry Giscard d’Estaing en 1974 – abaissement qui avait été proposé par tous les candidats à l’élection présidentielle de 19747Ludivine Bantigny, « Une question de confiance », art. cit. –, certains proposent depuis longtemps de baisser à nouveau cet âge dans le cas du droit de vote. On retrouve la première référence à la création d’un droit de vote à seize ans dans les propositions des membres du Comité de la consultation nationale des jeunes convoqué par le Premier ministre Édouard Balladur en 19948Gérard Mauger, « La Consultation nationale des jeunes. Contribution à une sociologie de l’illusionnisme social », Genèses, n° 25, décembre 1996, pp. 91‑113.. À la suite des manifestations de 1994 sur le contrat d’insertion professionnelle, le Premier ministre avait souhaité connaître les revendications des jeunes et les recommandations d’un comité spécialisé. Parmi elles, se trouvait l’abaissement du droit de vote à seize ans. Mais c’est en 2002 qu’un programme aux élections présidentielles propose pour la première fois l’abaissement du droit de vote. En effet, Lionel Jospin, alors candidat du Parti socialiste à l’élection, avait proposé de créer un droit de vote à dix-sept ans. Plus tard, des acteurs de la vie politique française comme Noël Mamère ou Jack Lang s’y sont déclarés favorables.

L’expérience des pays qui ont déjà franchi le pas en responsabilisant leurs jeunesses nous encourage d’autant plus à proposer l’élargissement du corps électoral aux jeunes de seize et dix-sept ans. Pratique désormais légalisée dans onze pays, le vote à seize ans a déjà montré son efficacité. Le référendum écossais sur l’appartenance au Royaume-Uni de 2014 nous le prouve : les 16-17 ans ont été 75% à prendre part au scrutin9John Curtice, « So How Many 16 and 17 Year Olds Voted? »10, What Scotland Thinks, 16 décembre 2014.. Dans certains länder allemands aussi, les jeunes de seize et dix-sept ans sont encouragés à voter11Isabelle Bourgeois, « Élections au Bundestag : droit de vote à 16 ans ? », Regards sur l’économie allemande. Bulletin économique du CIRAC, no 118‑119, 31 décembre 2015. depuis 1996, tout comme en Estonie, au Royaume-Uni, ou encore en Autriche et en Norvège où les 16-17 ans sont autorisés à prendre part à toutes les élections du pays. Hors Europe, des pays comme Cuba ou le Brésil ont aussi passé le cap et nous montrent l’exemple.

Pour une démocratie renforcée

Permettre aux jeunes de seize et dix-sept ans d’entrer dans le corps électoral, c’est aussi reconnaître la pleine légitimité politique à plus d’un million et demi de jeunes selon les données démographiques de l’Insee12Pyramide des âges, bilan démographique 2020 de l’Insee au 1er janvier 2021.. Élargir l’électorat susceptible de voter aux élections nationales et locales ne peut pas être sans conséquence. En entrant dans le corps électoral, ce ne sont pas seulement les jeunes qui sont légitimés dans le débat public, ce sont aussi leurs préoccupations. Jusqu’à maintenant cantonnés à la rue, les enjeux politiques qui animent les plus jeunes d’entre nous doivent entièrement faire partie des débats des élus de nos communes, de nos départements, de nos régions, mais aussi du Parlement. En introduisant 1,5 million de votants, les décideurs politiques ne pourront plus être sourds aux préoccupations des jeunes, qu’il s’agisse de l’écologie, de la lutte contre les discriminations ou encore de l’égalité entre les genres. Penser aux préoccupations de la jeunesse, c’est ainsi penser au futur. C’est ne plus seulement répondre aux craintes des citoyens, mais entrevoir de nouvelles perspectives, élargir le débat public. Par ailleurs, ces thématiques sont le plus souvent absentes des priorités politiques alors même que les attentes des plus jeunes sont nombreuses et intransigeantes en ces matières. En créant un vote à seize ans, nous encourageons les élus à réagir et à entretenir des relations moins distantes avec les jeunes et leurs préoccupations qui sont aujourd’hui en manque de représentation.

Élargir l’électorat aux jeunes, c’est répondre à un double enjeu : rajeunir un électorat toujours plus vieillissant et réduire les chiffres de l’abstention. Comme l’expliquent de nombreux sociologues et politologues, dont Bernard Fournier13Bernard Fournier, « Voter à 16 ans  : une idée pour contrer l’apolitisme des jeunes  ? », Les Politiques sociales, vol. 3-4, no 2, 2015, pp. 119‑30., Anne Muxel, Céline Braconnier ou encore Luc Rouban14Luc Rouban, « Le vote des retraités », La Revue administrative, no 337, 2004, pp. 66‑74., plus on engage tôt les citoyens dans l’exercice du vote, plus ils y sont fidèles dans la durée et à toutes les élections. Ils ont donc moins de chance de s’abstenir. C’est notamment pour cette raison que les retraités sont les plus fidèles à la pratique : 60% des 60-74 ans voteraient à chaque élection15Xavier de la Vega, « Classes populaires, moyennes, supérieures ; jeunes, vieux ; hommes, femmes : pour qui votent-ils ? », Sciences humaines, n° 236, avril 2012.. Or, les retraités sont non seulement de plus en plus nombreux dans la société, mais occupent aussi une place de plus en plus grande dans la part des votants16Luc Rouban, « Le vote des retraités », art. cit. : plus confiants dans la politique, ils sont les plus fidèles à la pratique du vote. En effet, 70% d’entre eux estiment que le vote est le « meilleur moyen d’influencer les décisions politiques », selon Xavier de la Vega, tandis que ce taux descend à 53% pour les plus jeunes. Le déséquilibre entre la place des jeunes et celle des plus âgés est incontestable. Accorder le droit de vote à 1,5 million de jeunes citoyens rééquilibrerait alors l’électorat actuel. Ainsi, tout comme cela a été le cas pour la population retraitée, qui a fait l’apprentissage de la pratique du vote il y a longtemps, en incorporant les jeunes le plus tôt possible dans le corps électoral, ces derniers seront moins enclins à éviter cette pratique citoyenne17Anne Muxel, « “Voter à seize ans serait un bienfait démocratique” », Le 1 Hebdo, n°106, 11 mai 2016..

Enfin, à seize ans, les jeunes se retrouvent dans une configuration tout à fait favorable au vote : encadrés par la famille, ils sont moins confrontés aux contraintes liées au vote que leurs jeunes aînés de 18-25 ans. En effet, les 18-25 ans font face à des obstacles au vote majeurs18Céline Braconnier et al., « Sociologie de la mal-inscription et de ses conséquences sur la participation électorale », Revue française de sociologie, vol. 57, no 1, 2016, pp. 17‑44. : le départ du foyer familial pour intégrer un établissement d’études supérieures, par exemple, engendre à la fois des contraintes logistiques – cela implique de revenir dans sa circonscription ou de changer de circonscription du vote. Or, ces démarches sont moins entreprises lorsqu’il s’agit d’un premier vote – mais aussi une perte de repères ne favorisant plus la priorisation du vote. Tandis qu’à seize ans, la famille et l’école jouent un rôle de cadre favorisant la pratique du vote : les jeunes ont à la fois le temps, l’énergie et les outils pour aller voter. Pour autant, ils ne sont pas plus influencés que leurs aînés de dix-huit ans par leurs parents. En effet, d’une part, la socialisation primaire – à quoi on pourrait imputer l’influence politique des parents – ne cesse pas à dix-huit ans d’atteindre les individus et, d’autre part, beaucoup de jeunes de dix-huit ans dépendent financièrement et vivent encore chez leurs parents, au même titre que les jeunes de seize et dix-sept ans. Cet argument se confirme aussi par le sondage Ipsos cité plus haut : 29% des jeunes de 18-25 ans s’informent sur les élections au sein de la famille, tandis que cela représente 33% des 16-17 ans. Ces chiffres ne témoignent donc pas d’une différence notable entre les deux tranches d’âge.

Créer un droit de vote à seize ans permettra ainsi de redonner confiance à cette population qui se sent mise de côté tout en la responsabilisant et en faisant d’elle un acteur à part entière du processus politique. En lui conférant une pleine légitimité politique, nous mettons toutes nos chances de côté pour que cet électorat soit stable et qu’il ne se risque pas au désarroi politique, principal responsable de l’abstention.

La création d’un enseignement aux sciences politiques, à la vie politique française et européenne

Nos échanges avec des membres de la communauté éducative et nos lectures nous ont interrogés sur la pertinence de l’enseignement de l’éducation morale et civique (EMC), ses éventuelles insuffisances et les solutions que nous pourrions mettre en place afin de pallier ces difficultés. Cet enseignement est aujourd’hui questionné en raison d’une substance pédagogique et de plages horaires très faibles. On peut notamment retrouver cette analyse dans les travaux de la chercheuse Géraldine Bozec et encore ceux de l’historien Alain Bergounioux.

Dans son article « Vérité, neutralité et conflits de valeurs : les dilemmes de l’éducation civique d’aujourd’hui19Géraldine Bozec, « Vérité, neutralité et conflits de valeurs : le dilemme de l’éducation civique aujourd’hui », Raisons éducatives, vol. 24, n°1, 2020, pp. 55-73. », Géraldine Bozec rappelle que la dénomination de l’éducation civique a changé au fil du temps, de la IIIe République à nos jours. La chercheuse explique que le contenu même de cet enseignement a pu évoluer et donner lieu à des critiques, ou à tout le moins des controverses liées à l’enjeu de la neutralité politique et religieuse des enseignants. Alain Bergounioux, quant à lui, souligne que l’enseignement de l’éducation civique « apparaît comme un ensemble complexe, mêlant éducation formelle et informelle sans qu’une cohérence ne s’impose vraiment20Alain Bergounioux, « L’école et les nouveaux défis de l’éducation civique », Après-demain, vol. 5, nf, n°1, 2008, pp. 6-11. ». Il y démontre également que l’éducation civique, juridique et sociale (ECJS) semble être davantage une variable d’ajustement qu’un enseignement en tant que tel, notamment en raison d’une interdisciplinarité qui ne fonctionne guère. Enfin, il estime qu’il faudrait recentrer l’éducation civique sur l’éducation à la démocratie, ainsi qu’aux droits de l’homme et du citoyen.

Ces différentes analyses, ainsi que les échanges que nous avons pu avoir avec des élèves et des professeurs, ont renforcé notre conviction que l’enseignement de cette discipline ne suffit pas à permettre un éveil intellectuel et citoyen. Nous sommes convaincus que la mise en place du droit de vote à seize ans doit s’accompagner d’une formation spécifique et que c’est à l’école de la République de remplir cette mission d’ouverture intellectuelle.

Pour répondre à cette exigence, il est nécessaire de créer un enseignement dédié aux sciences politiques. Il permettra aux élèves de bénéficier d’une formation au fonctionnement de nos institutions, à la vie démocratique, au droit et à son exercice, à l’histoire de différentes idéologies politiques. Cet enseignement doit être intégré aux cursus de formation des enseignants, axé sur le développement de l’esprit critique des élèves.

Créer un enseignement spécifique aux sciences politiques pour remédier à l’insuffisance de l’enseignement moral et civique

La mise en place d’un droit de vote à seize ans ne peut suffire à lui-même. Pour que ce nouveau droit soit efficient et utilisé par tous les jeunes, quelles que soient leurs origines sociales, il doit s’accompagner de mesures complémentaires. Nous estimons que c’est le rôle de l’école que de garantir l’égalité devant l’exercice et la pratique de ce nouveau droit.

En effet, s’il existe un enseignement moral et civique, nous avons pu constater que la densité des programmes scolaires et les heures d’enseignements consacrées à celui-ci ne permettent pas un enseignement sérieux et approfondi. De plus, faute d’un volume horaire suffisant, il arrive souvent que les professeurs utilisent le temps normalement accordé à cet enseignement pour rattraper un retard d’apprentissage dans les autres disciplines.

C’est pourquoi la mise en place du droit de vote à seize ans doit être accompagnée d’un enseignement spécifique. Nous prônons à cet effet la création d’un enseignement obligatoire – à l’ensemble des collégiens – aux sciences politiques et à l’histoire de la vie politique française et européenne. Cet enseignement permettrait notamment de développer les connaissances des élèves sur le fonctionnement de notre vie démocratique, sur l’exercice du droit de vote et les différents moyens de participation citoyenne.

Cette nouvelle discipline devra s’accompagner d’une formation pour les enseignants afin de les préparer et de les former à cet enseignement. Le projet vise donc à créer un véritable certificat d’aptitude au professorat à l’enseignement secondaire (CAPES) dans le domaine des sciences politiques. Cette distinction est une nécessité pour asseoir la légitimité de cet enseignement dans le secondaire, mais aussi pour assurer que celui-ci fera l’objet d’un contrôle de connaissances pédagogiques.

Un enseignement complet sur les théories politiques, le droit et le fonctionnement des institutions

Cet enseignement permettrait de contribuer à développer l’esprit critique des élèves, mais aussi à leur permettre d’obtenir les clés de compréhension de notre vie démocratique. Il consisterait donc en une initiation aux sciences politiques, mais aussi en l’acquisition de connaissances relatives au fonctionnement de nos institutions démocratiques, aux différents courants de pensées politiques, l’information des différents moyens de participation des citoyens à la vie politique de notre pays, ainsi que sur les modalités d’exercice de leurs droits civiques, notamment le droit de vote.

L’enseignement au droit semble devenu un élément essentiel dans la compréhension historique et sociale de nos droits et libertés fondamentales. Introduire au droit dès le collège est donc une façon d’intégrer les principes fondamentaux de notre société inscrits dans notre Constitution. Cela doit également permettre de comprendre notre environnement social pour analyser et décortiquer les mécanismes par lesquels se construisent les normes qui nous unissent. De la même manière, la science politique au sens propre doit permettre de rendre compte des dynamiques sociales et politiques de notre société française et des sociétés européennes.

Enfin, de manière pratique, l’enseignement de cette discipline pourrait être aussi l’occasion d’aller à la rencontre des acteurs de la vie publique afin qu’ils rendent compte du fonctionnement concret des institutions qu’ils représentent. Cela permet d’incarner une institution publique en y mettant un visage plus proche et plus humain. Le reproche réalisé à toute organisation – qu’elle soit politique ou non – est « inhumanité » par manque d’incarnation directe et quotidienne. Effacer ce sentiment est chose difficile, mais introduire le dialogue avec des représentants publics, qu’ils soient élus ou fonctionnaires, permettrait de respecter l’esprit que nous voulons donner à cet enseignement : permettre de comprendre notre monde et le regarder avec un œil critique. Autrement dit, cet enseignement peut être aussi l’occasion de normaliser le contact avec les représentants publics : commissaire, juge, élu local, parlementaire, agent de service public, conseiller politique…

La généralisation des conseils des jeunes

Permettre à chacun de participer à la vie publique est une vision profondément démocratique du pouvoir. Cette idée est incarnée dans notre droit par l’article 6 de la déclaration des droits de 1789 par le principe selon lequel « La loi est l’expression de la volonté générale. Tous les citoyens ont droit de concourir personnellement, ou par leurs représentants, à sa formation. » Cette norme constitutionnelle est partiellement exploitée dans notre république moderne qui priorise l’exercice du pouvoir par les représentants. Toutefois, notre droit consacre la possibilité d’un exercice ou d’une participation directe à la formation de la loi. Si les collectivités n’ont pas un pouvoir législatif, on peut néanmoins transposer cette idée de participation à la vie publique par les représentants ou personnellement dans la gestion locale dans son ensemble.

La généralisation des conseils des jeunes participe ainsi à combler le vide institutionnel laissé sur la participation « personnelle » des citoyens. Bien que la participation par les conseils de jeunes n’ait pas de caractère impératif pour respecter la libre administration des collectivités territoriales, ce dispositif est un outil essentiel pour accompagner le parcours citoyen des jeunes dans leur compréhension de l’action publique, de leur proximité, et dans la co-construction de politiques publiques avec les élus.

Ce dispositif n’est pourtant pas une révolution. Au contraire, il existe de multiples obligations légales par lesquelles les collectivités doivent organiser une concertation citoyenne pour des projets de politique publique, et en premier lieu dans le cadre des projets d’aménagements du territoire21Article L103-2 du code de l’urbanisme.. Le code de l’urbanisme y consacre un chapitre entier relatif à la participation du public22Livre 1er, titre préliminaire, chapitre III : Participation du public, article L103-1 à L103-7 du code de l’urbanisme., l’article L123-20 code de l’environnement permet à l’État de consulter les citoyens sur des projets ayant une incidence sur l’environnement. Cette disposition avait notamment permis au gouvernement d’organiser le référendum local de 2016 relatif à la construction de l’aéroport Notre-Dame-des-Landes23Décret du 13 avril 2016 relatif à la consultation des électeurs des communes de la Loire-Atlantique sur le projet de transfert de l’aéroport de Nantes-Atlantique sur la commune de Notre-Dame-des-Landes. Toutefois, ces concertations sont très restreintes et l’influence des citoyens est quasi limitée au freinage ou au blocage des projets par la voie judiciaire.

La philosophie des conseils de jeunes s’inscrit dans une autre logique, plus politique, technique et constructive. Ces dispositifs de participation citoyenne doivent permettre aux jeunes de proposer des délibérations que le conseil territorial sera libre d’accepter ou non, d’émettre des avis sur des projets de politiques publiques, d’aménagement du territoire ou de participer directement à leur construction avec le conseil territorial et les administrations locales. L’enjeu est de chercher à imprégner les jeunes de l’action publique de proximité, là où elle est la plus concrète. Nous ciblons à cet effet le niveau des communes et des départements. Pourquoi ces deux niveaux ?

Des échelons adaptés aux engagements des jeunes

La première raison de choisir les communes et les départements tient à l’évolution des modes d’engagements qui s’individualisent24Adélaïde Zulfikarpasic, Les Français et l’engagement, Fondation Jean-Jaurès, 22 juillet 2021. en se concentrant sur des problèmes précis qui touchent au quotidien de tous. Le corollaire de cette évolution est l’engagement pour son territoire, pour ce qui est proche. La participation à la vie locale par les conseils de jeunes permet à la fois de répondre à cette mutation tout en participant à redonner un caractère collectif à l’engagement. La commune est l’échelon préférentiel du citoyen, celui duquel il est le plus proche ; le département est un échelon auquel les citoyens semblent plus se rattacher d’un point de vue de l’identité territoriale.

De plus, les compétences de ces deux niveaux de collectivités correspondent aux sujets sur lesquels les jeunes s’engagent le plus : la préservation de l’environnement, les questions sociales, l’accès à la culture, au sport, aux services publics… Les communes peuvent ainsi être un véritable lieu d’exercice et d’étude de l’action publique pour tous les jeunes à travers ces conseils. L’action communale est très concrète et dispose plus d’une grande amplitude de construction de politiques publiques de proximité. Le département, aux compétences plus techniques, peut tout autant être un lieu de propositions de la part des jeunes, notamment en matière sociale.

La réalité statistique penche également pour la généralisation en premier lieu à ces deux niveaux de collectivités : le rapport d’étude de l’Institut national de la jeunesse et de l’éducation populaire (INJEP) d’avril 2021 relatif aux conseils des jeunes25Conclusion, « Conseils de jeunes et participation : étude auprès des collectivités territoriales et jeunes engagés », INJEP, avril 2021, p. 47. a recensé 1 486 conseils de jeunes dont 1 454 dans les communes et 23 dans les départements. Nous préconisons donc de généraliser les conseils des jeunes dans les départements et les communes de plus de 5 000 habitants. L’obligation légale permet d’institutionnaliser la reconnaissance des voix des jeunes à travers ces conseils et leur permet de dépasser le cadre de la contestation pour accéder à celui du débat démocratique et de l’action publique.

Des échelons adaptés à la participation et à la compréhension de l’action politique locale

La participation des jeunes à la vie locale tient en son cœur l’enjeu de compréhension de l’action publique tant sur l’étendue des possibilités, mais aussi de leurs limites. Cette situation oblige le jeune citoyen membre d’un conseil de jeunes à se mettre à la place de l’élu dans la construction des politiques publiques. Nous reprochons souvent un décalage entre les discours et l’action. En créant une situation où un jeune dispose des clés de compréhension de l’action publique locale, on lui permet de saisir le champ des possibles et le champ des limites. On ne peut ainsi qu’améliorer le dialogue citoyen entre les élus et les jeunes.

Cependant, le rapport d’étude de l’INJEP26Ibid. d’avril 2021 relatif aux conseils de jeunes a montré que l’usage actuel fait de ce dispositif des conseils des jeunes n’est pas optimal. En effet, les jeunes engagés dans différents conseils ont soulevé la faible place qui leur était accordée dans la construction des politiques publiques locales. Ces derniers ressentaient l’existence du conseil davantage comme une « vitrine27« 5. Autonomie et lien au politique. Conseils de jeunes et participation : étude auprès des collectivités territoriales et jeunes engagés », INJEP, avril 2021, p. 41. » politique pour la collectivité que comme un laboratoire local de politiques publiques avec de réelles capacités d’action et de propositions.

Le rapport de l’Institut tend à préconiser l’institutionnalisation des conseils de jeunes comme un outil de participation à la politique locale avec de réels moyens28Ibid., p. 47.. À cet effet, plusieurs mesures pourraient permettre de répondre à ces problématiques soulevées par l’INJEP : la capacité d’émettre des avis sur les politiques en matière de jeunesse, produire des rapports publics et des propositions de délibération. La publicité de certains travaux du conseil des jeunes peut être un gage de considération supplémentaire sur l’importance des travaux menés et leur prise en compte dans l’élaboration des politiques publiques locales.

Conclusion

Permettre aux jeunes de seize et dix-sept ans de voter ne répond pas seulement à une volonté de faire baisser l’abstention ou d’élargir l’électorat français. Permettre aux jeunes de seize et dix-sept ans de voter est une proposition pleine de conviction que nous faisons : elle représente une véritable preuve de confiance accordée aux jeunes dans la société. Ce serait leur ouvrir la voie au débat, à la réflexion politique et intellectuelle dont nous avons besoin pour leur présager un avenir meilleur. Ce serait aussi les accompagner progressivement dans ce processus en créant un enseignement spécifique et leur donner plus de responsabilités, grâce aux conseils de jeunes, et ce dès le plus jeune âge.

Comme le suggère Emmanuel Kant à propos des hommes au temps des Lumières29Emmanuel Kant, Qu’est-ce que les Lumières ?, Paris, Hatier, « Classiques & Cie Philo », 2015 [1784]., « laissons les jeunes faire usage de leur propre entendement, laissons-les se tromper, laissons-les apprendre à raisonner par leurs propres moyens, laissons-les libres de se gouverner ».

  • 1
    Ludivine Bantigny, « Une question de confiance », Le 1 Hebdo, n°106, 11 mai 2016.
  • 2
    Arrêté du 31 juillet 1981 relatif aux brevets, licences et qualifications de navigants non professionnels non professionnels de l’aviation civil (personnel de conduite des aéronefs).
  • 3
    Frédéric Dabi et Jean-Philippe Dubrulle, « Les jeunes et les élections municipales de 2020 », Ifop, 3 mars 2020.
  • 4
    « Statuts et règlement intérieur du Parti socialiste », voir article 2.1.1.1.1 (titre 2, chapitre 1).
  • 5
  • 6
  • 7
    Ludivine Bantigny, « Une question de confiance », art. cit.
  • 8
    Gérard Mauger, « La Consultation nationale des jeunes. Contribution à une sociologie de l’illusionnisme social », Genèses, n° 25, décembre 1996, pp. 91‑113.
  • 9
    John Curtice, « So How Many 16 and 17 Year Olds Voted?
  • 10
    , What Scotland Thinks, 16 décembre 2014.
  • 11
    Isabelle Bourgeois, « Élections au Bundestag : droit de vote à 16 ans ? », Regards sur l’économie allemande. Bulletin économique du CIRAC, no 118‑119, 31 décembre 2015.
  • 12
    Pyramide des âges, bilan démographique 2020 de l’Insee au 1er janvier 2021.
  • 13
    Bernard Fournier, « Voter à 16 ans  : une idée pour contrer l’apolitisme des jeunes  ? », Les Politiques sociales, vol. 3-4, no 2, 2015, pp. 119‑30.
  • 14
    Luc Rouban, « Le vote des retraités », La Revue administrative, no 337, 2004, pp. 66‑74.
  • 15
    Xavier de la Vega, « Classes populaires, moyennes, supérieures ; jeunes, vieux ; hommes, femmes : pour qui votent-ils ? », Sciences humaines, n° 236, avril 2012.
  • 16
    Luc Rouban, « Le vote des retraités », art. cit.
  • 17
    Anne Muxel, « “Voter à seize ans serait un bienfait démocratique” », Le 1 Hebdo, n°106, 11 mai 2016.
  • 18
    Céline Braconnier et al., « Sociologie de la mal-inscription et de ses conséquences sur la participation électorale », Revue française de sociologie, vol. 57, no 1, 2016, pp. 17‑44.
  • 19
    Géraldine Bozec, « Vérité, neutralité et conflits de valeurs : le dilemme de l’éducation civique aujourd’hui », Raisons éducatives, vol. 24, n°1, 2020, pp. 55-73.
  • 20
    Alain Bergounioux, « L’école et les nouveaux défis de l’éducation civique », Après-demain, vol. 5, nf, n°1, 2008, pp. 6-11.
  • 21
    Article L103-2 du code de l’urbanisme.
  • 22
    Livre 1er, titre préliminaire, chapitre III : Participation du public, article L103-1 à L103-7 du code de l’urbanisme.
  • 23
    Décret du 13 avril 2016 relatif à la consultation des électeurs des communes de la Loire-Atlantique sur le projet de transfert de l’aéroport de Nantes-Atlantique sur la commune de Notre-Dame-des-Landes.
  • 24
    Adélaïde Zulfikarpasic, Les Français et l’engagement, Fondation Jean-Jaurès, 22 juillet 2021.
  • 25
    Conclusion, « Conseils de jeunes et participation : étude auprès des collectivités territoriales et jeunes engagés », INJEP, avril 2021, p. 47.
  • 26
    Ibid.
  • 27
    « 5. Autonomie et lien au politique. Conseils de jeunes et participation : étude auprès des collectivités territoriales et jeunes engagés », INJEP, avril 2021, p. 41.
  • 28
    Ibid., p. 47.
  • 29
    Emmanuel Kant, Qu’est-ce que les Lumières ?, Paris, Hatier, « Classiques & Cie Philo », 2015 [1784].

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