Uruguay : enjeux nationaux et régionaux après la victoire de Yamandú Orsi, le candidat de la gauche unie

Comme l’annonçaient les sondages1Voir Ariel Bergamino, Élections présidentielle et législatives en Uruguay : une dynamique favorable à la gauche, Fondation Jean-Jaurès, 12 novembre 2024., le second tour de l’élection présidentielle uruguayenne a vu le candidat de la gauche unie, Yamandú Orsi, arriver en tête. Ariel Bergamino, responsable international de la coalition Frente Amplio, diplomate et ancien vice-ministre des Affaires étrangères en Uruguay, analyse les enjeux du retour de la gauche héritière de « Pepe » Mujica au pouvoir, au niveau national et régional.

La victoire à l’élection présidentielle uruguayenne du candidat de la gauche unie (Frente Amplio), le 24 novembre 2024, ne constitue pas une surprise. Un mois auparavant, au premier tour, il était arrivé en tête avec 43,9% des suffrages. Depuis, le ressenti de la rue et les sondages annonçaient ce qui est finalement arrivé : dans un pays divisé électoralement en deux moitiés à peu près équivalentes depuis trois décennies, au terme d’une campagne hautement compétitive, Yamandú Orsi a obtenu 49,8% des voix, soit 4 points de plus que le candidat soutenu par le gouvernement (sortant).

Ce résultat ne doit rien au hasard. Il est la conséquence d’une stratégie de campagne électorale fondée sur des orientations programmatiques et des engagements conformes à la réalité du pays, accompagnés d’un calendrier de mise en application. Ce dernier comprenait le déploiement et la mobilisation des militants du Frente Amplio, l’adoption d’une communication excluant le recours au passé pour accabler l’adversaire et d’un appel au dialogue social afin de construire les accords nécessaires à un futur le plus désirable possible. De l’autre côté, l’aile droite affichait un formalisme accru en justifiant ses limites (les attribuant à l’héritage désastreux laissé par les gouvernements de gauche, à la pandémie, à l’invasion russe en Ukraine, au « corset » du Mercosur ou encore à la sécheresse de 2023). Elle émettait des avertissements alarmants sur les conséquences du retour de la gauche au pouvoir, plutôt que de chercher à gagner la confiance et le soutien des électeurs pour le prochain mandat.

Le jour des élections s’est déroulé sans incident. Dès que les résultats ont été confirmés, le président de la République2Luis Lacalle Pou, droite nationale. et son candidat3Alvarado Delgado, parti national. ont félicité le président élu. La transition ayant commencé, l’équipe présidentielle annoncée à la mi-décembre accompagnera le président élu dès sa prise de fonction, le 1er mars 2025.

Un gouvernement de gauche éveille légitimement l’espérance, les aspirations et les demandes des plus démunis (nombreux en Uruguay comme ailleurs). Ceux qui ont massivement voté pour le Frente Amplio et Yamandú Orsi attendent que ce qui a été promis soit mis en œuvre, particulièrement ce qui concerne la violence et l’insécurité liées au narcotrafic, l’emploi et la qualité du travail, le coût de la vie, la protection sociale et la pauvreté infantile, domaines maigrement traités par le gouvernement sortant, alors que beaucoup avait alors été promis. Sur ces thématiques, ce dernier a parfois même enregistré des résultats inférieurs à ceux de 2020, année de son entrée en fonction. Il ne sera pas facile de corriger cette situation. Cela ne se fera pas en un jour et requiert des diagnostics précis, des accords politiques, des consensus sociaux et des politiques concrètes.

Créer des ponts pour construire les majorités soutenant les réformes nécessaires n’est pas seulement la conséquence de la répartition dispersée des sièges lors des élections législatives (le Frente Amplio a obtenu 17 des 31 sièges de sénateurs, et 48 des 99 sièges de députés), mais aussi celle d’un impératif lié à la situation du pays qui réclame des changements profonds et un regard stratégique. Le prochain gouvernement va donc affronter un grand défi, et peut-être que le meilleur atout du président de la République élu se situe dans sa longue expérience politique et sa personnalité affable, de confiance, douée de capacités à dialoguer et à négocier. Avec son mot d’ordre de campagne, « Nous saurons tenir parole4Sabremos cumplir. », le président élu invitait les citoyens uruguayens « à un changement solide, un changement porteur de croissance et de justice pour tous, parce qu’au-delà de nos différences, l’Uruguay est un5BBC News Mundo, « ‘Uruguay es uno solo a pesar de nuestras diferencias’ : el conciliador discurso de Yamandú Orsi tras ganar las elecciones presidenciales », 25 novembre 2024. ».

Traditionnellement, la politique extérieure et l’insertion internationale occupent une place secondaire dans les agendas de campagnes électorales en Uruguay. La campagne qui vient de s’achever n’a pas fait exception. Que cette thématique n’ait pas brillé ne veut pas dire qu’elle n’existe pas ou qu’elle n’ait aucune importance. De sorte que, même en tenant compte de la trêve incontournable de fin d’année et de l’été6Note du traducteur : l’Uruguay est situé dans l’hémisphère sud., les quatre mois de transition ne se résumeront pas à une simple séquence administrative de passation de pouvoir. Passé le sommet des chefs d’État du Mercosur du 5 au 7 décembre 2024 et les investitures les 10 janvier et 20 janvier 2025 de Nicolás Maduro et de Donald Trump, il paraît difficile de prédire la nature des ententes diplomatiques uruguayennes. Concernant le marché commun, l’invité officiel était le président sortant, Luis Lacalle Pou. Yamandú Orsi, en qualité de président élu, y a également assisté, d’autant que l’accord d’Association stratégique avec l’Union européenne en constitue la thématique prioritaire. L’invitation des deux personnalités est un bon signal pour tous. En revanche, le devenir de la relation avec le Venezuela reste tout à fait incertain. Dans un contexte global complexe, dangereux et incertain, et dans un panorama régional aujourd’hui si fragmenté, aucun de ces paramètres ne s’avère mineur.

Traduction par Jean-Jacques Kourliandsky, directeur de l’Observatoire de l’Amérique latine et des Caraïbes de la Fondation Jean-Jaurès.

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