Élections présidentielle et législatives en Uruguay : une dynamique favorable à la gauche

Les électeurs uruguayens étaient convoqués dimanche 27 octobre 2024 pour désigner leur président de la République, leurs 99 députés et 30 sénateurs. Deux grandes coalitions se sont disputé les suffrages : celle de la gauche, le Frente Amplio, et celle de la droite, dite Coalition multicouleurs. Ariel Bergamino, responsable international de la coalition Frente Amplio, diplomate et ancien vice-ministre des Affaires relations étrangères, revient sur cette date clef du cycle électoral.

Le 27 octobre, 2 727 000 citoyens uruguayens, soit 90% des inscrits, ont voté pour élire un président et un vice-président de la République, les sénateurs et députés, pour la période 2025-2030. La gauche présentait un candidat commun à l’élection présidentielle, mais plusieurs partis – Mouvement de participation populaire (MPP), Parti communiste et Parti socialiste – étaient en lice lors des scrutins législatifs. Quant à la droite, elle s’est présentée de façon concurrentielle à la présidentielle comme aux législatives. À l’image de la campagne électorale qui l’a précédée, la journée du 27 octobre 2024 s’est déroulée dans la tranquillité et sans problème majeur. Une bonne et stimulante nouvelle, en comparaison avec d’autres processus électoraux internationaux.

Le résultat dans un Uruguay divisé en deux camps depuis une trentaine d’années n’a pas été surprenant. À la présidentielle, le Frente Amplio (coalition de centre gauche), qui a gouverné le pays de 2005 à 2020, a obtenu 43,9% des suffrages, tandis que la coalition des droites actuellement au pouvoir, avec quatre candidats1Alvaro Delgado (Parti national) : 26,82% ; Andrés Ojeda (Parti libéral) : 16,07% ; candidats indépendants de droite : Gustavo Salle (Identité nationale) : 2,69% ; Guido Manini Rios (Cabildo Abierto) : 2,48%., en totalise 47%. Les 9% restant sont composés des voix de plusieurs petits partis, sans représentation parlementaire, à l’exception de l’un d’entre eux, et par les votes blancs ou nuls.

Le Frente Amplio, au vu de ces résultats, a confirmé sa place de première force politique du pays. Il est majoritaire au Sénat avec 16 sièges sur 31 et à l’assemblée avec 48 sièges de députés sur 992Tandis que la droite compte 46 députés et 14 sénateurs (et 4 députés pour les Indépendants de droite).. Aucun des candidats à la présidence n’ayant obtenu plus de 50% des suffrages, requis pour l’emporter au premier tour, il y en aura un deuxième le 24 novembre prochain, avec les deux candidats arrivés en tête le 27 octobre dernier : Yamandu Orsi (gauche) et Alvaro Delgado (Parti national, droite). Sur ces bases et en prenant en compte les sondages réalisés au long de la campagne dans l’éventualité d’un deuxième tour, le ballotage serait favorable à Yamandu Orsi. Cela dit, il serait erroné de considérer que les jeux sont faits, que le deuxième tour est une simple formalité et qu’il suffit d’attendre jusqu’au 24 novembre.

De façon logique et attendue, Alvaro Delgado a déclaré que l’Uruguay et sa majorité sortante ne se laisseraient pas voler le futur et que l’Uruguay ne peut revenir en arrière. Il met en avant son action comme secrétaire de la présidence de la République, en dépit de son caractère secondaire et de l’interventionnisme électoral ambigu du chef de l’État sortant, transgressant les dispositions de la Constitution. Le président sortant a paru se positionner pour le prochain rendez-vous, en 2030. La Constitution ne permet pas en effet à un président d’exercer deux mandats consécutifs. Mais Luis Lacalle Pou a terminé son mandat avec un taux d’approbation de 51%, exerce une autorité indiscutée dans son parti et n’a que 51 ans3Pour rappel, Luis Lacalle Pou, président sortant non rééligible, avait été élu en 2019, représentant la Coalition multicouleurs (droite)..

Le Frente Amplio a mieux fait qu’en 2019 – une consultation présidentielle qu’il avait alors perdue d’un peu plus d’un point –, mais il doit démontrer que le pays a stagné ces cinq dernières années, que cette réalité n’a rien à voir avec les bilans des mandatures de la gauche, avec la pandémie de Covid-19, la sécheresse, ou encore l’invasion russe de l’Ukraine, comme le répète l’appareil médiatique du gouvernement (ce département gouvernemental est sans doute celui qui fonctionne le mieux, même si son responsable a été contraint de démissionner pour répondre de faits instruits par la justice). La gauche doit démontrer qu’elle a un projet pour le pays, reposant sur un développement social durable et inclusif, parce que ses électeurs attendent, au-delà d’un espoir, des résultats concrets, améliorant leur quotidien individuel et collectif. Les préoccupations des gens aujourd’hui sont l’insécurité, l’emploi, les salaires, le coût de la vie, toutes choses exigeant des propositions et des engagements effectifs, allant au-delà des promesses électorales et de l’agenda à moyen terme du futur gouvernement.

Il faut ici signaler que les questions internationales et la politique extérieure n’ont pas occupé, comme d’habitude en Uruguay, une place importante pendant la campagne électorale, ni même dans les programmes des plateformes partisanes et dans celles des candidats. Il est vrai que la situation internationale et régionale est compliquée et qu’il semblait difficile et risqué de proposer des interprétations et des positionnements.

Yamandu Orsi, 57 ans, professeur d’histoire, maire pendant vingt ans de la deuxième ville du pays, Canelones, représente la nouvelle génération du Frente Amplio, prenant la suite de ses référents historiques (Líber Seregni, Tabaré Vazquez ou Danilo Astori, tous trois décédés, et José Mujica, gravement malade). Le candidat incarne également un changement dans le paysage politique dans la mesure où les partis fondateurs, Parti communiste (PC) et Parti socialiste (PS), cèdent du terrain face à des forces nouvelles, sans doute moins idéologiques et moins structurées, mais électoralement plus efficaces. Parmi les formations composant la coalition, ces derniers occupent respectivement la deuxième (pour le PC) et la sixième places (pour le PS). Le Mouvement de participation populaire (MPP), fondé par José Mujica et dont est membre Yamandu Orsi, est désormais à l’avant-poste, ayant obtenu deux fois plus de voix que les deux partis pionniers réunis. Est-ce mieux ? Pire ? Différent ? L’avenir nous le dira. Pour l’instant, le Frente Amplio aborde avec conviction, sérénité et confiance le second tour du 24 novembre prochain, qui sera décisif pour le futur de l’Uruguay.

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    Alvaro Delgado (Parti national) : 26,82% ; Andrés Ojeda (Parti libéral) : 16,07% ; candidats indépendants de droite : Gustavo Salle (Identité nationale) : 2,69% ; Guido Manini Rios (Cabildo Abierto) : 2,48%.
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    Tandis que la droite compte 46 députés et 14 sénateurs (et 4 députés pour les Indépendants de droite).
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    Pour rappel, Luis Lacalle Pou, président sortant non rééligible, avait été élu en 2019, représentant la Coalition multicouleurs (droite).

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