Une réforme des institutions à haut risque

Réforme déséquilibrée, régression des droits du Parlement, représentants éloignés des citoyens… avant le Congrès de Versailles qui se tiendra le 9 juillet 2018, Louise Bois, constitutionnaliste, livre son analyse de la réforme institutionnelle à venir et s’alarme des conséquences qu’elle pourrait avoir sur le fonctionnement de notre démocratie.

Avec la présentation, en Conseil des ministres le 9 mai 2018, du volet constitutionnel de la réforme des institutions, s’est engagée la réforme des institutions. Au vu des réactions du Sénat, certains la considèrent d’ores et déjà comme mal engagée. Certes, le projet constitutionnel reprend les annonces clairement exposées par le président de la République tant lors de sa campagne présidentielle que dans son discours au Congrès du 3 juillet 2017. Cependant, la phase de préparation et de concertation avec les présidents des deux assemblées n’a pas empêché une crispation des acteurs politiques. Selon le président du Sénat, non seulement le projet de loi constitutionnelle ne correspond pas au contenu de la négociation, mais il s’accompagne de dispositions organiques de nature à remettre en cause le rôle institutionnel du Sénat. Un accord politique est donc loin d’être acté, et le débat parlementaire sera déterminant. Même si elle comporte des dispositions consensuelles, déjà proposées lors du précédent quinquennat en 2013, la réforme s’inscrit dans un agenda politique et social plus conflictuel que si elle avait été lancée à l’automne 2017 – le Conseil économique, social et environnemental en faisant les frais. 

La réforme est dans l’ensemble déséquilibrée. Les prérogatives de l’exécutif sont renforcées au détriment du Parlement, à rebours de toutes les révisions précédentes qui ont eu pour objectif de desserrer les contraintes du parlementarisme rationalisé instauré en 1958. Selon le président du Sénat, « pour la première fois dans l’histoire de la Ve République un projet de révision constitutionnelle fait régresser les droits du Parlement ».

Cet affaiblissement du législatif rend vain le renforcement des moyens matériels des parlementaires, garanti par le discours du président de la République au Congrès, la réforme devant s’effectuer à coût constant. Dès lors que les capacités d’action du Parlement sont restreintes, à quoi bon augmenter le nombre de leurs collaborateurs et les moyens matériels des parlementaires ? Comme le relève avec pertinence le sénateur André Vallini, « chaque fois que la démocratie a progressé, le nombre de parlementaires a été augmenté. Et inversement, chaque fois que l’exécutif a voulu réduire le rôle du Parlement, il a réduit le nombre de parlementaires ».

L’automne 2017 a été consacré par les deux assemblées à un travail de réflexion et de proposition. À l’Assemblée nationale, le volumineux (434 pages) rapport Pour une nouvelle Assemblée nationale recense les propositions des sept groupes de travail comportant chacun dix députés qui ont tenu 67 réunions, entendu 160 personnes, reçu 392 contributions et 17 321 votes à la consultation citoyenne. Au Sénat, le rapport du groupe de travail sur la révision constitutionnelle du 24 janvier 2018 a avancé 40 propositions. Il a été complété par une série de propositions du groupe des sénateurs Socialistes et républicains soumis à consultation publique sur la plateforme Parlement & citoyens, et l’objet d’un colloque le 14 juin 2018.

Les arbitrages rendus par le Premier ministre sur la réforme ne mentionnent plus deux propositions provocatrices, le « contingentement du nombre d’amendements par lecture et par groupe en s’inspirant du temps législatif programmé », d’une part, l’irrecevabilité des amendements écartés en commission, d’autre part. Ils ont été rapidement retirés, le 4 avril 2018, après avoir rempli leur rôle tactique de diversion. N’est plus évoquée non plus l’introduction d’une référence aux sujétions du service national universel, le sujet n’étant pas mûr.

Pour autant, l’issue de la révision constitutionnelle, repoussée en 2019, est incertaine, même si l’option référendaire n’est pas écartée.

Une réforme des institutions qui affaiblit le Parlement ​

Une visibilité difficile de la réforme des institutions 

La réforme institutionnelle utilise les trois niveaux juridiques de la loi : constitutionnelle, organique et ordinaire. Toutefois, d’autres lois organiques d’application et la pratique institutionnelle devront la compléter. Cette présentation fractionnée empêche une compréhension claire par le citoyen des enjeux de la réforme constitutionnelle. Le Conseil d’État, dans son avis du 3 mai, l’a lui-même regretté. Les éléments les plus emblématiques de la réforme ne se trouvent pas dans son volet constitutionnel mais dans son volet organique (la baisse du nombre de parlementaires) et ordinaire (la dose de proportionnelle). 

La configuration exacte de la 25révision de la Constitution ne sera définitive que lorsque la douzaine de lois organiques auxquels les 18 articles du projet de loi constitutionnelle renvoient sera adoptée. Ces lois organiques déterminent parfois la substance même de la réforme institutionnelle (l’adoption de tout ou partie de la loi en commission, par exemple) au point même que l’on frôle l’incompétence négative du constituant lorsque ce dernier remplace le CESE par une « chambre de la participation citoyenne » dont il faut attendre la loi organique pour connaître la composition et le mode de désignation, inconnus dans leurs contours généraux.

Par ailleurs, le découpage des nouvelles circonscriptions devra attendre une procédure longue, par ordonnance. Comme de coutume, les règles de fond à respecter pour ce nouveau découpage sont posées par l’habilitation de l’article 6 du projet de loi n°976, le Code électoral connaissant « un vide juridique concernant les critères concrets d’un découpage électoral ». Le moment démocratique clé qu’est l’élection de représentants de la Nation est ainsi le moins encadré juridiquement. 

Ce n’est qu’à ce moment-là (à la mi-2021 ?) que le citoyen aura une appréhension sensible, personnelle, des effets d’une réforme qui promet d’assurer « une démocratie plus représentative » avec moins de représentants, lesquels seront plus éloignés des citoyens. 

Ces derniers sont singulièrement absents de la réforme de la procédure parlementaire, étant cantonnés au sein de la chambre de la participation citoyenne, qui « éclaire le gouvernement et le Parlement sur les enjeux économiques, sociaux et environnementaux et sur les conséquences à long terme des décisions prises par les pouvoirs publics » mais reste une instance consultative sans pouvoir d’auto-saisine. Aucune des propositions faites par l’Assemblée nationale en matière de participation citoyenne à l’élaboration des lois n’a été retenue, notamment la garantie constitutionnelle de la participation des citoyens à l’édiction des normes publiques et à l’élaboration des politiques publiques.

Enfin, la pratique institutionnelle est l’élément finalement le plus déterminant mais le moins prévisible d’une réforme de cette catégorie. L’adoption de la loi en commission deviendra-t-elle la norme ? Comment évoluera la discussion budgétaire ? Dans quelle mesure les collectivités locales se saisiront-elles de leurs nouvelles compétences normatives ? Et, plus fondamentalement, comment les députés de la 16législature, moins nombreux, appréhenderont-ils leur rôle ? 

Pour augmenter l’expertise du Parlement, les arbitrages gouvernementaux évoquent la « possibilité que des services de l’État soient placés auprès du Parlement pour sa mission de contrôle », ou la « mise à disposition de la Cour des comptes » lesquels nécessiteront néanmoins des aménagements juridiques. Ces éléments demeurent encore vagues alors qu’ils sont la contrepartie promise d’un « renforcement des moyens ».

Les éléments de consensus, de clivage et de blocage ​

Des dispositions consensuelles 

Comme l’a relevé Émeric Bréhier, « certains points ne devraient pas soulever d’importantes controverses ». Il s’agit des éléments suivants.

1. Le renforcement des pouvoirs du Conseil supérieur de la magistrature évoqué depuis 1999 devrait enfin aboutir, après avoir été relancé en 2013. Adopté en première lecture par l’Assemblée nationale (4 juin 2013) puis le Sénat (4 juillet 2013), le processus a ensuite été interrompu, François Hollande estimant que les conditions d’une réforme consensuelle n’étaient pas réunies. Il s’agissait d’une réforme a minima étendant l’avis conforme du CSM aux membres du parquet.

2. La fin de la présence de droit des anciens présidents de la République au Conseil constitutionnel, comme la modernisation de la procédure de mise en cause de la responsabilité pénale pour les ministres pour les faits commis dans l’exercice de leurs fonctions, ont également été proposés lors du précédent quinquennat le 14 mars 2013, sans aboutir non plus. Manque en revanche la réforme le statut juridictionnel du président de la République, dans le domaine civil, dans un sens plus respectueux du principe d’égalité.

3. La clarification du titre XII relatif aux collectivités territoriales, et en particulier les dispositions modifiant les articles 72 et 73 relatifs au droit à l’adaptation et à l’expérimentation locales, ne devrait pas créer de fortes tensions. La Corse se voit dotée d’un article constitutionnel propre, qui lui reconnaît un droit d’adaptation à ses spécificités et dans le domaine de ses compétences. Ce double verrou en limite la portée. La Réunion obtiendrait le droit de fixer les règles applicables sur son territoire dans un nombre limité de matières, à déterminer par loi organique, puisque la rédaction proposée de l’article 72 de la Constitution instaurerait un droit à la différenciation au sein de chaque catégorie de collectivité d’outre-mer. Lors de la séance de questions sur la réforme, organisée le 9 mai 2018 à l’Assemblée nationale, le droit à la différenciation a fait l’objet de nombreuses interrogations au regard du principe d’unité et d’indivisibilité de la République. Un rapport d’une mission flash de l’Assemblée nationale consacrée à ce sujet a conclu qu’il fallait permettre une autre issue des expérimentations locales que leur généralisation à tout le territoire ou leur abandon, mais l’Association des maires de France (AMF) est opposée à toute généralisation. Elle préfère garantir la place de la commune dans la Constitution en demandant que soit constitutionnalisée sa clause de compétence générale.

4. L’incompatibilité entre les fonctions ministérielles et la présidence d’une assemblée locale, dont Lionel Jospin avait été le premier à énoncer l’interdiction politique en 2001 mais qui a connu de nombreuses exceptions, serait enfin consacrée dans la Constitution.

5. L’extension de la compétence du législateur à l’action contre les changements climatiques ressort du registre politique et communicationnel, le Parlement n’ayant pas attendu cette mention pour légiférer dans ce domaine, surtout depuis que la Charte de l’environnement de 2004 annexée à la Constitution le 1er mars 2005 rappelle, dans ses considérants, que « la préservation de l’environnement doit être recherchée au même titre que les autres intérêts fondamentaux de la Nation ». Il s’agit donc davantage de conforter l’Accord de Paris que les États-Unis veulent remettre en cause que de conforter une compétence du Parlement qu’il a déjà et que nul ne songe à lui contester. Ne posant pas une règle de fond, le Constituant ne préserverait pas le législateur d’une éventuelle censure comparable à la contribution carbone censurée en 2009 « au nom d’une conception rigoureuse du principe d’égalité ». Pour certains scientifiques même, se limiter au climat peut avoir des effets pervers si l’ensemble des paramètres environnementaux ne sont pas pris en considération, en raison du « caractère systémique de la nature ». Le Conseil d’État a considéré que cette disposition aura « sans doute peu d’incidence sur les compétences du législateur ».

6. Le non cumul des mandats dans le temps fait l’objet d’un relatif consensus politique. Cette mesure concernera relativement peu de parlementaires, exclut les maires des communes de moins de 9 000 habitants (soit 95 % d’entre elles) et les présidents des Établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) de moins de 25 000 habitants. Elle ne concerne que trois mandats consécutifs de même nature et n’empêche nullement de conduire des « carrières d’élus » composées de mandats successifs de différente nature. Elle est enfin largement populaire dans l’opinion. Seul le mandat en cours sera pris en compte dans le calcul des trois mandats complets et consécutifs.

Le renforcement du parlementarisme rationalisé 

« L’efficacité de la démocratie » motive le gouvernement à proposer une réforme du travail parlementaire de grande ampleur qui tend à renforcer le parlementarisme rationalisé.

1. Que le gouvernement veuille récupérer la maîtrise de l’ordre du jour en pouvant inscrire à tout moment des textes relatifs à la « politique économique, sociale ou environnementale » n’est pas un gage de meilleure efficacité car la programmation parlementaire n’est pas le fort de l’exécutif. Des périodes plus calmes alternent avec une accumulation de textes discutés dans la précipitation à coup de séances nocturnes et de sessions extraordinaires instaurant une quasi-permanence du Parlement. La possibilité nouvelle qui serait reconnue d’inscrire des textes lors de la semaine d’évaluation des politiques publiques constitue un autre empiètement du temps parlementaire, le gouvernement pouvant y faire délibérer des projets de loi. La réforme revient sur la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 qui a garanti au Parlement qu’une semaine de séance est réservée par priorité au contrôle de l’action du gouvernement et à l’évaluation des politiques publiques, et un jour de séance par mois à un ordre du jour déterminé à l’initiative des groupes d’opposition ou minoritaires. Là encore, le gouvernement diminue une prérogative parlementaire sans aucune contrepartie. Le Conseil d’État a relevé que le projet de loi constitutionnelle « réduisait la singularité de la semaine prioritairement dédiée au contrôle et à l’évaluation » puisqu’elle comportera dorénavant également l’examen de textes législatifs. 

C’est aussi, note le Conseil d’État, la sanction d’un certain échec – « l’instauration de la semaine prioritaire n’a pas conduit depuis 2008 à une revalorisation effective de la fonction parlementaire de contrôle » – et d’un mauvais calibrage ayant entraîné un déséquilibre, la part de l’ordre du jour gouvernemental ayant été trop restreinte. Rien n’est cependant proposé pour endiguer le flot normatif.

2. Se saisissant de l’expérimentation réussie mais de portée limitée du Sénat de législation en commission, le président de la République a affirmé devant le Parlement réuni en Congrès le 3 juillet 2017 que ce dernier devait « pouvoir, dans les cas les plus simples, voter la loi en commission ». Il faudra toutefois attendre la loi organique pour s’assurer du respect des droits de l’opposition, notamment pour demander le retour à la procédure normale et apprécier les garanties de transparence des travaux en commission. Le Constituant exigeant la présence du gouvernement, les conseils des ministres devront soit se tenir un autre jour soit tolérer l’absence de ses membres défendant leur texte en commission.

3. Il est également proposé la création d’une nouvelle irrecevabilité qui affecterait substantiellement le droit d’amendement. Le sujet est d’une grande technicité procédurale. À l’origine, le droit d’amendement permettait à tout parlementaire d’évoquer tout sujet ayant un lien parfois lointain avec un texte en discussion. L’exigence d’un lien entre un amendement et le texte auquel il se rapporte figure cependant dans le règlement de l’Assemblée nationale depuis 1935. Face à certains excès, le Conseil constitutionnel développa en 1986 une jurisprudence prétorienne sur les limites inhérentes au droit d’amendement, vivement critiquée. À partir de 2001, il l’abandonna, se contentant de vérifier que les amendements « ne sont pas dépourvus de tout lien » avec les autres dispositions du texte initial. « Cette approche est jugée plus respectueuse des prérogatives parlementaires ». Lors de la révision de  2008, l’Assemblée nationale modifia l’article 45 de la Constitution pour préciser que « tout amendement est recevable en première lecture dès lors qu’il présente un lien, même indirect, avec le texte déposé ou transmis » afin de combattre cette restriction du droit d’amendement. La disposition en cause fut âprement discutée, le Sénat la supprimant en première lecture et ne s’inclinant qu’en deuxième lecture. La proposition actuelle va beaucoup plus loin. En créant une irrecevabilité, elle empêcherait tout amendement y succombant à être mis en discussion. Elle restreint par ailleurs doublement l’initiative parlementaire : d’une part, en exigeant la nécessité d’un « lien direct » alors que l’actuel article 45 admet la recevabilité des amendements qui présentent un lien « même indirect » avec le texte en discussion, d’autre part en prohibant les initiatives parlementaires « dépourvues de portée normative », hors lois de programmation. Le Constituant consacrerait ainsi une jurisprudence de 2005 et ne ferait que tirer les conséquences de l’existence des résolutions parlementaires de l’article 34-1 de la Constitution. Mais cette diminution de la capacité d’expression du Parlement, parfois utile, sera durement ressentie. Une faible portion des 260 000 amendements débattus de 2012 à 2017 était dépourvue de portée normative. Si l’intention est de mettre fin à l’inflation normative, la cible est manquée. Aucun remède n’est proposé non plus à l’instabilité de la norme ou à son illisibilité. La Garde des Sceaux devant les députés le 9 mai 2018, comme le Conseil d’État, ont cependant assuré que la même limitation serait imposée au gouvernement qui ne pourra dorénavant plus déposer d’amendements sans lien direct avec le texte en discussion…

4. La diminution du temps de la discussion budgétaire est évoquée comme antienne depuis que le président Edgar Faure l’avait résumé par ces trois mots : « litanie, liturgie, léthargie ». Le Parlement disposerait dorénavant de 70 jours au lieu de 50 et l’Assemblée nationale de 25 jours au lieu de 40 pour la première lecture. Par ailleurs, le calendrier de la loi de financement de la sécurité sociale (qui s’enchâsse actuellement dans celle de la loi de finances) serait desserré, et une discussion commune de la première partie de chaque exercice financier, dont les très nombreuses passerelles et renvois ne facilitent pas la compréhension globale par le Parlement des enjeux, serait désormais possible. Ce raccourcissement suscite des interrogations puisqu’avec trois mois, la durée de la procédure budgétaire française se situe dans la moyenne inférieure au sein des pays de l’OCDE, la norme approchant quatre mois. La loi de finances est en outre présentée trois semaines plus tard qu’il y a vingt ans et son volume double à l’Assemblé nationale tandis que le Sénat dispose de deux fois moins de temps pour la discuter. Quant au collectif budgétaire, il est devenu une « loi de finances bis » permettant l’adoption de dispositions fiscales que le Parlement n’a pas le temps d’expertiser sérieusement.

5. Enfin, point évident de crispation avec le Sénat, la simplification de la navette parlementaire supprime les nouvelles lectures au profit de lectures séparées. Or, cette étape, actuellement, « ne ferme pas toute issue à un accord intervenant in extremis entre les deux assemblées, l’adoption en termes identiques suffisant à clore la procédure législative ». Il en ira différemment à l’avenir. En cas d’échec de la CMP, l’Assemblée nationale ne pourra que reprendre le dernier texte voté par elle, complété le cas d’échéants d’amendements adoptés par le Sénat ou reprenant des amendements déposés au Sénat mais avec l’accord du gouvernement. Le Sénat ne devrait pas se satisfaire de cette diminution du bicamérisme.

On le voit, cette accumulation de nouveaux encadrements de la procédure parlementaire ou budgétaire au profit de l’exécutif rend la réforme particulièrement déséquilibrée.

La seule contrepartie pour l’exécutif serait l’obligation pour les ministres d’être « entendus sur l’exécution de la loi de finances ». Or, en l’état actuel du droit, le Parlement n’a pas besoin de cette autorisation constitutionnelle pour le faire. Si aucune disposition ne rend aujourd’hui cette audition juridiquement obligatoire pour un ministre, on voit mal ce dernier le refuser politiquement. La précision est superflue.

Un recul de la démocratie sociale

La suppression du Conseil économique, social et environnemental (CESE) que son président avait cru avoir sauvé en juillet 2017 lorsqu’il accueillait le Premier ministre marque un recul de la démocratie sociale. 

En effet, les partenaires sociaux ne seront plus les principales composantes de l’institution, contrairement aux assurances données par le président de la République dans son discours au congrès du 3 juillet 2017. La société civile organisée est remplacée par la société civile non organisée, sans doute représentée par des citoyens tirés au sort. Le Conseil d’État a cependant considéré que la société civile incluait également les organisations patronales et syndicales mais excluait les personnalités désignées en fonction de leurs seules compétences ou expériences individuelles. On voit mal au demeurant le Parlement accepter d’être « éclairé des enjeux économiques, sociaux et environnementaux et les conséquences à long terme des décisions prises par les pouvoirs publics » ou des projets ou propositions de loi économiques, sociaux et environnementaux par une institution composée dE citoyens nommés ou élus… 

Par ailleurs, alors que la future chambre de la participation citoyenne devait, selon le discours du Congrès, « devenir l’instance unique de consultation prévue par tous nos textes », l’exclusivité de cette compétence ne lui est pas attribuée. En outre, sa consultation systématique et obligatoire pour tous les projets de loi ayant un objet économique, social ou environnemental conduira à un allongement de la procédure d’examen des réformes qui va à l’encontre de l’objectif d’accélération de leur adoption. Cela laisse présager un examen pour le moins rapide.

Le seul lieu de concertation informelle entre syndicats et patronat supprimé, on ne peut espérer une modernisation du dialogue social. Le CESE semble faire les frais des relations dégradées entre le chef de l’État et les partenaires sociaux. 

La baisse du nombre de parlementaires et la vraie fausse proportionnelle

S’ajoutant au renforcement du parlementarisme rationnalisé, la baisse du nombre de parlementaire contribue à l’affaiblissement du Parlement, tandis que la réforme électorale s’apparente à un marché de dupes.

Une « démocratie plus représentative » avec moins de représentants ?

Clairement annoncée lors de la campagne présidentielle, la réduction de 30% du nombre de parlementaires, dans la même proportion dans les deux chambres afin de conserver leur poids respectif au Congrès, conjuguée à l’introduction d’une dose de proportionnelle, entraînera une transformation substantielle du fonctionnement du Parlement.

Cette réduction est évoquée périodiquement. 

Dans le rapport Refaire la démocratie de la commission Bartolone-Winock, la baisse du nombre de députés à 400 et de sénateurs à 200 (objectif n°9) avait pour objectif de « renforcer leur poids dans les institutions » mais cette baisse accompagne la volonté de « libérer le Parlement de ses carcans » (proposition n°11) car, comme l’aurait souhaité le président Claude Bartolone, « des parlementaires moins nombreux, ce sont des parlementaires mieux identifiés et plus puissants ». S’exprimant devant le colloque organisé à l’occasion de la publication du rapport, le 16 octobre 2016, le président de la République François Hollande avait également évoqué une réduction significative du nombre de députés en liaison avec l’adoption d’une part limitée de proportionnelle. De même, l’introduction d’une dose de proportionnelle était contenue dans les programmes présidentiels du Parti socialiste de 1995 à 2012. Toutefois, il ne s’agit plus en 2018 de renforcer la puissance du Parlement, comme on l’a vu, mais bien une double diminutio capitis dans ses pouvoirs et dans sa composition.

Cette réduction comporte trois effets : elle diminue la représentativité globale du Parlement en augmentant le taux de représentation de chaque parlementaire et singulièrement de chaque député, elle accroît les inégalités de représentation, elle entraîne enfin un affaiblissement du pluralisme politique des assemblées.

Moins de représentants pour moins de représentation 

La population de la France a augmenté de 62% depuis 1962 et le nombre de députés de 40% depuis cette même date. Le nombre de parlementaires en France est dans la moyenne européenne. La comparaison avec les États-Unis, république fédérale, n’est pas pertinente car il faudrait englober dans cette comparaison numérique les parlementaires des 50 États fédérés, ajoutant environ 5000 parlementaires aux membres du Congrès.

La baisse de 30% évoquée par le Premier ministre conduit aux chiffres de 404 députés et 244 sénateurs précisés dans la loi organique. Pour l’Assemblée nationale, c’est moins que sous la Restauration ou Monarchie de Juillet (459 députés en 1830), pour 30 millions d’habitants de plus. Il faut remonter à la Chambre de 1816 (258 députés élus au suffrage censitaire) ou aux assemblées législatives du Second Empire (entre 261 et 283 députés élus au suffrage universel) pour trouver une composition plus réduite. Les députés français seront bientôt les moins nombreux d’Europe. Certes, dès sa conférence de presse du 24 janvier 2018, le président du Sénat a prévenu que la réduction du nombre de parlementaires, qui « n’est pas la condition d’un meilleur fonctionnement démocratique », doit pouvoir débattue par le Parlement. Mais il s’agit d’un point dur pour le président de la République.

Pour le Sénat, la baisse conduit à changer sa physionomie avec le résultat paradoxal d’une baisse de la part totale de sénateurs élus à la proportionnelle qui est actuellement de 73% (255 sièges contre 93 élus au scrutin majoritaire). Si 47 départements élisent un seul sénateur (7 actuellement outre les 4 TOM), près de la moitié des départements n’auraient qu’un seul sénateur pour les représenter. Après la baisse du nombre de sénateurs, 70% seraient élus à la proportionnelle (170 contre 74 au scrutin majoritaire). La représentation des femmes au Sénat risque d’en faire les frais.

Négocier la baisse du nombre de sièges n’est-il pas un piège pour le Parlement ? Il s’exposerait en effet aux critiques, démagogiques, de corporatisme. Le défi sera donc par les parlementaires hostiles à la réduction de leur nombre d’en souligner l’inconvénient pour les citoyens : dans des circonscriptions plus vastes, le député est moins disponible et rapidement débordé par la masse des dossiers individuels à défendre.

Plus d’inégalités de représentation des citoyens 

En principe, depuis 2010, un siège de député est créé par tranche de 125 000 habitants. Avec la part de 15% de députés élus à la proportionnelle, soit 61, ajoutés aux 8 représentants des Français établis hors de France, le nombre de députés élus au scrutin majoritaire, le nombre de députés élus dans le cadre de circonscriptions passerait à 335, conduisant à une suppression de 242 circonscriptions, soit 42% du total actuel. 

Avec 404 membres à l’Assemblée nationale, chaque député représenterait alors 166 303 habitants, soit la moyenne la plus élevée en Europe et dans les démocraties occidentales. Pire, pour les 335 circonscriptions, la représentation territoriale moyenne serait de 200 557 habitants.

Les premières estimations font passer du nombre de départements représentés par un seul député de deux actuellement en métropole(Creuse, Lozère) à 17 (mais avec une hypothèse de 364 circonscriptions), dont une douzaine entre 150 et 238 00 habitants, avec un effet de seuil assez important : si la Haute-Saône (238 000 habitants) perdait un député et que la Corrèze (241 000 habitants) maintenait ses deux députés, chacun d’entre eux représenterait 120 500 habitants, soit un écart de un à deux ! Ces projections n’intégrant pas la méthode retenue, la tranche unique, qui attribue, en plus d’un siège par département, des sièges par tranches complètes correspondant à un certain nombre d’habitants, elles devront être complétées. Cependant, la garantie d’une circonscription par département pour les députés comme pour les sénateurs, le redécoupage électoral devant s’effectuer « dans des conditions qui garantissent la représentation de tous les départements et territoires » selon la déclaration du 4 avril du Premier ministre, va entraîner immanquablement à des effets de seuil et à de plus fortes inégalités de représentation compte tenu de la répartition spatiale de la population française. 

L’écart de représentation entre les départements et au sein des départements devrait dépasser largement la fourchette de 20% fixée par la jurisprudence constitutionnelle. La commission de l’article 25 de la Constitution chargée d’exprimer un avis réformera-t-elle substantiellement le futur redécoupage ? Le Conseil constitutionnel le censura-t-il en tout ou partie ? Seule l’adoption par référendum de la loi d’habilitation à procéder au redécoupage par ordonnance pourrait s’affranchir de ces incertitudes politico-juridiques.

Les écarts entre la métropole et l’outre-mer risquent également de s’accroître dangereusement en accordant une surreprésentation à cette dernière, si le critère d’une représentation parlementaire par collectivité est maintenu. Le poids parlementaire des élus ultra-marins n’en serait alors qu’accru au détriment des parlementaires métropolitains.

Moins de pluralisme politique au Parlement

L’impact sur le pluralisme politique de la représentation parlementaire est fondamental mais ne pourra s’apprécier que lors de la mise en œuvre de la réduction effective du nombre de parlementaires et des prochaines élections. Il est à craindre que les petits partis ne pâtissent d’une proportionnelle qui n’est pas conçue pour renforcer leur représentation et d’une augmentation du nombre de départements n’élisant qu’un ou deux parlementaires, ce qui avantagera les partis les mieux implantés nationalement. En outre, la baisse du nombre de députés augmenterait la prime majoritaire en pénalisant les partis « qui ne peuvent ou ne veulent passer d’alliance au premier ou deuxième tour des législatives ». La réforme diminuera le nombre des groupes parlementaires et le record actuel, dans les deux assemblées, ne devrait plus se revoir. Au Sénat, Gérard Larcher aurait pronostiqué la survivance de seulement deux groupes, LR et le groupe socialiste, toutes choses égales par ailleurs.

Une dose de proportionnelle trop faible pour avoir des effets correcteurs

L’annonce d’une part de proportionnelle à 17% (61 pour les députés représentants les Français vivant en France et 8 pour les députés représentants les Français de l’étranger) est un compromis qui n’a satisfait ni ceux qui sont opposés par principe à ce mode de scrutin ni ceux qui auraient attendu une part plus substantielle, comme le président de l’Assemblée nationale ou le président du MoDem, lesquels souhaitent 100 députés selon ce mode de scrutin, ainsi que l’extrême droite et la gauche radicale. 

En effet, avec une telle dose, l’effet de correction du scrutin majoritaire est très faible, voire résiduel. L’apport bénéfique attendu sur le pluralisme politique devrait être absorbé par la prime majoritaire due à l’élargissement des circonscriptions. Par ailleurs, les 69 sièges pourvus à la proportionnelle seront attribués par le vote de listes nationales sans panachage ni vote préférentiel avec un seuil d’accès de 5% pour cette répartition. Il est paradoxal que ce soit cette majorité qui propose que les partis politiques disposent du monopole du choix des représentants élus à la proportionnelle. Certains plaident en faveur du mode de scrutin irlandais, un vote unique transférable, qui permet à l’électeur d’exprimer un vote préférentiel et de garder un lien de proximité avec le territoire. 

Le système dual qui est proposé pour la France risque d’entraîner une hiérarchisation de la représentation nationale entre députés élus dans les territoires, qui argueront de leur légitimité forte, et députés « nommés » par les partis, accusés d’être des apparatchiks, et dont la légitimité élective sera minorée et contestée. L’avis du Conseil d’État a pointé ce risque : cette dualité du mode de scrutin « entraînera la présence de deux catégories de députés : les uns auront obtenu sur leur personne la confiance d’une majorité d’électeurs de leur circonscription, tandis que l’élection des autres sera due à la place qu’ils occupent sur une liste nationale ». Pour remédier dans ce dernier cas à la confiscation par les partis de la désignation des députés, seul le vote préférentiel redonnerait au citoyen un réel pouvoir de décision. Enfin, pour ces députés élus à la proportionnelle, les électeurs n’auront aucune propagande électorale à lire à leur domicile. Pour accéder aux dispositions de propagande électorale, les listes devront avoir obtenu le soutien de candidats dans au moins 44 circonscriptions.

Mieux de Parlement avec moins de parlementaires ?

La question de fond est un pari et même une aporie. Un Parlement est-il plus efficace avec moins de parlementaires ? Ce n’est pas le nombre de parlementaires qui détermine la rapidité de la procédure législative, mais les règles de son fonctionnement. Celui-ci peut s’enrayer avec un tout petit groupe très déterminé à faire durer les débats parlementaires, en commission et encore plus en séance publique. 

C’est en revanche le nombre de parlementaires qui s’investit dans le contrôle parlementaire qui est décisif dans l’efficacité de cette fonction. Moins de parlementaires, c’est moins de contrôle, de questions, d’investigations, d’occasions pour ministres et hauts fonctionnaires de rendre compte. Au total, la haute fonction publique serait gagnante d’une réforme qui conduit à restreindre les occasions de rendre des comptes, principe établi pourtant à l’article 15 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789.

Quant à la fonction de représentation, plus difficile à assurer comme il l’a déjà été évoqué, elle risque d’absorber des députés moins nombreux dans des circonscriptions plus vastes. Ils vont passer leur temps à les sillonner et leur fonction de représentation risque d’absorber leur fonction législative et de contrôle.

Un parcours long et aléatoire de la réforme institutionnelle 

Une négociation parlementaire

Avant même le début du débat parlementaire, dont le calendrier est incertain mais qui a été décalé, la droite et la gauche ont fait part de leur opposition. 

Le communiqué de LR du 4 avril 2018 invoque une « réforme qui éloigne encore plus les élus des électeurs » et qui « nourrit la double crise de la démocratie avec la coupure des élus et des territoires avec des pans entiers de la République qui seront sous-représentés ». La droite manque en effet de marqueurs pour s’opposer fortement. Ce n’est ni sur la politique fiscale ou économique, sur la réforme du marché du travail, ou sur la réforme de la SNCF qu’elle peut se faire entendre. La surenchère en matière d’asile et d’immigration ne suffit pas. À gauche, le discours du nouveau premier secrétaire du PS, le 8 avril 2018, a refusé un « marché de dupes » qui comporte certes quelques « ajustements utiles » mais n’est pas une refondation de la République ; elle affaiblit au contraire « tous les contre-pouvoirs » et « concentre tous les pouvoirs dans les mains d’un seul ». Le PCF – Pierre Laurent juge le 4 avril 2018 que la révision contient « plus d’autoritarisme, moins de pluralisme » – et La France insoumise – Jean-Luc Mélenchon a estimé dès la consultation entre les groupes parlementaires et le Premier ministre, le 7 mars 2018, que la révision est « un saupoudrage qui au fond aboutit toujours au même résultat, un renforcement des prérogatives de l’exécutif » – se sont déclarés également opposés. Au total (LR et groupes parlementaires de gauche), ce sont environ 400 voix qui font défaut. 

Comment atteindre les 555 voix nécessaires à la majorité qualifiée des trois cnquièmes au Congrès ? La majorité présidentielle ne comptant que 333 parlementaires, le renfort des 161 voix du centre-gauche sénatorial (RDSE) et du centre-droit dans les deux assemblées (Les Indépendants, République et territoires ; Union centriste ; MoDem ; UDI, Agir et indépendants), à supposer acquis, ne sera pas suffisant car cette coalition n’atteint pas 500 parlementaires (491). L’adoption par le Sénat en termes identiques, comme le prescrit l’article 89 de la Constitution pour aller au Congrès, est loin d’être assurée. 

Certes, le débat parlementaire devrait assouplir à la marge la réforme. Une centaine de députés LREM ont ainsi annoncé leur intention que « la participation citoyenne devienne une mission parlementaire de valeur constitutionnelle », complétant l’article 24 de la Constitution. Mais l’essentiel du débat qui sera porté devant l’opinion publique concernera la baisse du nombre de parlementaires. Pour le gouvernement et sa majorité, principalement impactée, il s’agira de convaincre que cette diminution permettra un renforcement de l’efficacité du Parlement. Pour l’opposition, de plaider qu’une diminution des représentants ne peut améliorer la représentation démocratique et le bon fonctionnement des institutions.

Un Sénat percuté

L’accord du Sénat est requis pour une révision constitutionnelle qui doit être adoptée par les deux assemblées en termes identiques avant de trouver une majorité qualifiée des trois cinquièmes au Congrès. Il subit donc une forte pression de l’exécutif pour favoriser son adoption.

Le Sénat a tout d’abord émis des objections juridiques.

Le maintien d’une représentation parlementaire dans tous les départements – exigence du Sénat que le Premier ministre a garantie dans son discours du 4 avril 2018 – est une concession politique qui sera difficile à réaliser juridiquement. Pour le président du Sénat, ce n’est pas en effet « la nostalgie d’une organisation post révolutionnaire mais une proximité encore plus indispensable aujourd’hui ». Cependant, le maintien du cadre départemental posera la question de l’écart tolérable de représentation, actuellement limitée par la jurisprudence constitutionnelle à 20%. Elle date de 1985 et est constante. Le Conseil constitutionnel soulève d’office tout manquement au principe d’égalité de représentation et n’a pas hésité à censurer en 2009 des écarts trop importants pour les élections régionales. Il faut qu’un redécoupage améliore la représentativité parlementaire et non l’inverse. Politiquement, le Sénat y tient. Même s’il a proposé de l’assouplir pour les collectivités locales, le président du Sénat a estimé que « la limite de l’écart fixée en principe à 20% garantit donc l’égalité de représentation des habitants et le respect du critère démographique pour l’exercice de la souveraineté nationale ».

Est également risquée l’exclusion de l’autorisation constitutionnelle pour limiter à trois le nombre de mandats dans le temps. Le président du Sénat attendait que le Conseil d’État se prononce, mais ce dernier a validé la voie organique en estimant que « l’objectif de renouvellement participait de la préservation de la liberté de l’électeur » en raison de l’avantage structurel dont bénéficient les sortants sur le choix offert aux électeurs. Le rapporteur du groupe de travail du Sénat sur la réforme estimant que cette limitation du choix de l’électeur porte atteinte à l’article 6 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen et devrait donc trouver sa place dans la Constitution, comme cela a été fait pour la limitation des mandats du présidence de la République à deux en 2008. 

Puis, le Sénat a fait connaître bruyamment son désaccord politique sur le projet de loi tel qu’adopté par le conseil des ministres. 

Le même jour, le 9 mai 2018, le président du Sénat a tenu une conférence de presse pour dénoncer un affaiblissement du Parlement à même de porter atteinte à l’équilibre démocratique, dès lors que « le gouvernement n’est pas attentif à la représentation nationale, n’est pas canalisé dans la production législative, est moins soumis au contrôle du Parlement, ce qui fragilise son action ». Il a dénoncé les dispositions qui brideraient de manière excessive le droit d’amendement, la réduction de la navette parlementaire – qui n’est pas du « temps perdu » mais « enrichi les textes par une seconde lecture » – et a refusé de « sacrifier l’ordre du jour partagé qui est un acquis majeur de la révision constitutionnelle de 1958 » en créant une « super-priorité gouvernementale sur l’ordre du jour parlementaire lui permettant de préempter arbitrairement dans les faits 90% des textes ». Il a donc considéré que le projet de loi n’est pas adoptable en l’état et que la réforme ne peut se faire « au détriment » des droits du Parlement et de la démocratie représentative. Cela n’est « pas négociable ».

L’article 14 du projet de loi organique transmis au Conseil d’État n’est pas sans lien avec la vive réaction du président du Sénat, partagée par tous les présidents de groupe et même par l’étonnement du président du groupe sénatorial LREM, surpris par cette disposition inattendue. Le renouvellement intégral du Sénat en septembre 2021 (comme en 1958), avec de nouveaux effectifs, a certes sa logique. Il évite une entrée en vigueur progressive et complexe de la réduction du nombre de sénateurs à chaque renouvellement partiel. Il tient compte de la séquence des élections locales de 2020 (municipales) et 2021 (départementales, régionales). Il conduirait à allonger les mandats de 2020 d’une année et de raccourcir de deux ans les mandats ouverts en 2017. Toutefois, il heurte le principe républicain de la permanence du Sénat, affirmé depuis 1875, à laquelle l’institution est très attachée, cette continuité contribuant à sa fonction modératrice. Par ailleurs, et surtout, le principe du renouvellement partiel, mentionné à trois reprises par la Constitution, empêcherait donc que la loi organique y procède.

Le Sénat n’est pas non plus satisfait que le principe du cadre départemental de l’élection sénatoriale soit repris dans l’article 6 de la loi ordinaire, qui habilite le gouvernement à redécouper par ordonnance alors que même que l’exposé des motifs reconnaît que ce principe a été constitutionnalisé par la révision du 23 juillet 2008 et que le Sénat demande précisément à ce que cette garantie soit hissée au niveau de la norme suprême.

Enfin, la nouvelle méthode de la répartition des sièges par tranche de population et non par tranche progressive cesse de sur-représenter les départements les moins peuplés, principe qui a ses défenseurs au Palais du Luxembourg au nom de la discrimination territoriale positive, le Sénat devant défendre les territoires pauvres en démographie.

Ces choix sont sans doute inspirés du souci de pouvoir imposer au Sénat la réduction du nombre de sénateurs. Comme l’a expressément rappelé l’avis du Conseil d’État, le Sénat a un droit de veto sur la réduction de ses membres, qu’elle s’effectue par la baisse du plafond fixé par l’article 24 de la Constitution ou par la modification de l’article L.O.274. Le Conseil constitutionnel juge désormais, et constamment depuis 2011, qu’est une loi relative au Sénat une loi qui lui est propre. Lorsque seules certaines dispositions de la loi sont propres au Sénat, le Conseil constitutionnel vérifie qu’elles ont été adoptées dans les mêmes termes par les deux assemblées. Or, si le Sénat use de son veto sur la réduction de ses effectifs, il bloquera en même temps la réduction du nombre de députés, sauf à accepter un renforcement de l’influence de la seconde chambre dans l’équilibre institutionnel et pour toute révision constitutionnelle future. 

Pour le convaincre, voire le contraindre, trois députés LREM ont ainsi déposé une proposition de loi régionalisant l’élection du Sénat, à effectifs constants, afin de mieux adapter les élections sénatoriales aux réalités actuelles par le remplacement de leur cadre départemental par le cadre régional, mais surtout pour tirer « les conséquences d’un hypothétique blocage opéré par la majorité sénatoriale qui, par conservatisme, se serait opposée par principe à la réforme des institutions voulue par la majorité parlementaire de l’Assemblée nationale – volonté pourtant validée par les élections présidentielle et législatives de 2017 ». On ne peut être plus clair, et plus maladroit.

L’ultime moyen de briser un éventuel veto sénatorial sur la réduction de ses membres serait donc le référendum de l’article 11 sur les projets de loi ordinaire et organique.

Une issue référendaire ?

À trop tarder, on rend toujours plus compliqué la réforme des institutions. Son issue dépendra sans doute de l’état des relations entre l’opinion et le président Macron. La réforme est présentée comme centrée sur le Parlement alors qu’elle renforce in fine les prérogatives présidentielles. 

Le président de la République aura donc comme issue soit l’abandon de la réforme si elle est trop dénaturée par son parcours parlementaire, en tentant d’imputer cet échec au conservatisme de « l’ancien monde » voire au corporatisme parlementaire, soit la tentation référendaire.

Si le sujet de la réduction du nombre de parlementaires est populaire dans l’abstrait, bien des Français risquent d’être également sensibles à un accès plus difficile à leur député, surtout lorsqu’il est seul dans un vaste territoire, et à une mesure qui peut s’apparenter à une marginalisation accrue de territoires démographiquement faibles. À l’antiparlementarisme, thème toujours porteur dans l’opinion, peut être opposée une dénonciation du renforcement du pouvoir d’un seul, qui peut rencontrer un certain écho. De même, la diminution de la représentation politique pluraliste devrait tempérer les gains espérés d’un renforcement de « l’efficacité », notion dont l’application à des assemblées parlementaires est délicate voire démocratiquement dangereuse. Qu’est en effet un Parlement efficace pour un gouvernement dans un système de présidentialisme majoritaire ?

La tentation référendaire sera forte mais dangereuse. Le président Macron pourrait vouloir s’en servir comme le fit le général de Gaulle en 1962 pour clore le cycle de la République parlementaire et inaugurer celui de la République présidentielle et consolider après 2022 la voie réformatrice qu’il a choisi d’emprunter. Toutefois, cela peut aussi déboucher, comme en 2005, sur un référendum sur le quinquennat massivement approuvé (73,21% de oui) mais aussi massivement boudé par les Français (seulement 18,54 % des inscrits). Il faut également avoir à l’esprit l’exemple italien qui, malgré le rejet de sa classe politique, a connu deux référendums rejetés en 2006 et 2016 – lesquels, s’ils avaient été adoptés, se seraient traduits par une baisse du nombre de parlementaires. Sans oublier enfin le précédent de 1969, sanction d’un pouvoir usé plutôt qu’une réponse à une réforme institutionnelle qui fusionnait le Sénat et le Conseil économique et social.

Cette tentation sera également un moyen de pression sur le Parlement et tout particulièrement le Sénat. Le Premier ministre a fait passer un message assez clair à l’Assemblée nationale lors de la séance des questions d’actualité du 14 mars 2018 : la révision de la Constitution s’effectuera bien par la voie de l’article 89, nécessitant donc l’accord du Sénat puis la majorité qualifiée des trois cinquièmes. Mais cette procédure, a-t-il averti, « ne vaut que pour le projet de loi constitutionnelle ». Autrement dit, pour la loi organique et la loi simple, pour la baisse du nombre de parlementaires et l’introduction d’une part de proportionnelle, le recours au référendum est une éventualité non pour garantir l’adoption de ces textes (la procédure du dernier mot pour l’Assemblée nationale reste possible) mais pour peser sur l’adoption de l’ensemble de la révision constitutionnelle : ces lois simples et organiques pourraient être soumises au référendum au cours de la navette parlementaire de la loi constitutionnelle. 

La baisse du nombre de parlementaires est donc bien la clé de la réforme et le Sénat son principal obstacle, vu de l’Élysée, qui n’a jamais digéré l’échec des sénatoriales de septembre 2017. Cette assemblée délibère, critique, propose et s’oppose. Son renouvellement intégral en 2021 constituerait alors une opportunité pour tenter de lui donner une majorité macroniste. D’un autre point de vue, le Sénat peut être perçu, y compris à gauche, comme le dernier rempart contre un affaiblissement de la démocratie représentative et un renforcement excessif du pouvoir présidentiel.

 

Analyse comparée de l’évolution de la population et du nombre de députés des assemblées législatives (1791-2022)

N’ont pas été prises en considération les assemblées constituantes (États généraux de 1789 : 1139 membres ; Constituante de 1848 : 880 ; Constituante de 1946 : 586).

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