Une loi relative aux services de renseignement : l’utopie d’une démocratie adulte ?

Quasiment exempt de cadre normatif, le renseignement a pourtant beaucoup à y gagner. Une définition juridique des missions, des moyens et de leurs règles d’usage est de nature à protéger les personnels et à renforcer l’efficacité des services, tout en garantissant un meilleur contrôle démocratique d’un milieu, par nature, opaque.

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L’inflation législative est un mal bien français qui n’a fait que croître ces dernières années. Néanmoins, celle-ci ne touche pas tous les domaines législatifs de la même manière. La France est l’une des rares démocraties à ne pas avoir intégré un cadre normatif pour ses services de renseignement, chose faite par les Etats-Unis ou encore l’Allemagne. L’intérêt d’un tel cadre est multiple.
Il permet tout d’abord de légitimer une activité dont les actions sont souvent dérogatoires au droit commun. Il s’agit également, de favoriser l’action de ces services en les dotant de moyens spécifiques et en offrant à leurs agents un cadre juridique protecteur lorsque ceux-ci agissent dans le cadre de leurs fonctions. De même, il introduirait une responsabilité pleine de l’exécutif devant le parlement sur les questions liées au renseignement. Enfin, ce cadre doit permettre un fonctionnement régulier des services, sous le contrôle du pouvoir exécutif en interne mais aussi sous un contrôle externe de légalité et de proportionnalité. Sur ce point, la création d’une autorité administrative indépendante (AAI) apparaît nécessaire. Enfin, un contrôle parlementaire plus fort, allant au-delà de la Délégation parlementaire au renseignement, doit être mis en place.
L’instauration d’un tel cadre ne peut se faire qu’à travers une coopération entre services, parlement et gouvernement, et devra privilégier la modification de l’existant à la mise en place d’un bloc normatif ad hoc. Il apparaît nécessaire, dans cette réforme, de rendre au Premier ministre le plein exercice de ses prérogatives constitutionnelles. L’autorité présidentielle n’en sera pas affectée mais la garantie démocratique en serait renforcée.
La redéfinition de ce cadre est structurée autour de quatre axes majeurs. Le premier vise à redéfinir les missions de ces services. En ce sens, le concept de « sécurité nationale », trop flou, doit être précisé. L’exclusivité du renseignement doit clairement être rendue à l’Etat et les services composant la « communauté du renseignement » précisés. Enfin, les missions de renseignement étant diverses, il importe de mettre en place une autorité de tutelle, définissant les orientations nationales et placée auprès du Premier ministre.
Le deuxième axe, relatif aux moyens, implique une définition juridique de ceux-ci, afin de légitimer leur usage dans le cadre d’une décision prise par l’autorité politique tutélaire, en l’occurrence le ministre de tutelle du service concerné.
L’usage de moyens dérogatoires au droit commun implique un contrôle de légalité et de proportionnalité. Une telle loi devrait instaurer une AAI chargée de contrôler le respect des libertés publiques et d’autoriser ex ante le recours à ces moyens. Les ministres compétents seraient alors appelés à faire bon usage de ces moyens. Elle devrait également être en mesure de mener des investigations indépendantes et publierait un rapport annuel d’activités, dans le respect des impératifs du « secret défense ».
Enfin, le quatrième axe portera sur le contrôle parlementaire. La délégation au renseignement devrait voir ses prérogatives renforcées et axées sur le contrôle de la responsabilité politique du gouvernement ainsi que sur l’évaluation des services, avec la possibilité de mener des auditions plus étendues.
Une telle réforme permettrait à la France d’intégrer le club des démocraties mûres, disposant de services de renseignement forts et efficaces, ainsi que d’un cadre juridique assurant toutes les garanties démocratiques.

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