Une force politique isolée : les mondes agricoles

Bien que moins homogènes que par le passé, les mondes agricoles demeurent un électorat singulier, caractérisé par des valeurs repérables, un ancrage à droite fort et une nouvelle donne démographique. Cet électorat si courtisé n’en est pas moins divers et en mutation, d’une droite traditionnelle à une droite identitaire.

L’électorat agricole (agriculteurs, salariés agricoles, retraités, actifs d’autres branches) représente près de trois millions d’électeurs, soit environ 8 % du corps électoral. Les retraités représentent à eux seuls 1,8 million d’électeurs, un électorat qui revendique son appartenance professionnelle d’origine et qui maintient ses orientations électorales en conséquence.
Cet électorat est une minorité singulière qui regroupent des réalités de plus en plus diverses. Entre d’une part l’agriculture familiale et l’entreprise agricole d’autre part, basée sur le salariat et où la division des tâches est forte, il y a une inversion totale du rapport entre travail familial et salarial. Une réalité qui prend en considération l’évolution induite par de nouvelles logiques territoriales et technologiques dans un environnement socio-économique plus diversifié.
Cette évolution s’observe également dans la disparité des revenus, entre spécialités mais aussi entre territoires. Ainsi en 2007, le revenu net d’entreprise agricole moyen par actif était de 75 200 euros en Champagne-Ardenne, contre 7200 euros en Languedoc-Roussillon. Cette forte disparité a des conséquences sociales. Environ 22 % des exploitants agricoles peuvent être considérés comme travailleurs pauvres, auxquels s’ajoutent un isolement social, une précarisation et souvent une solitude, qui fragilisent les exploitants de manière très occupante. Un mal-être très souvent invisible.
Les valeurs, dans leur acception large, sont également des marqueurs spécifiques de cet électorat. Le sentiment d’appartenance religieux y est prégnant, 22 % des agriculteurs interrogés en 2007 se disant catholiques pratiquants contre 8,6 % en moyenne pour le reste de la population. Depuis quelques années, les agriculteurs évoluent d’un catholicisme social, hérité du gaullisme et d’un fort engagement syndical, vers un catholicisme identitaire.
Ce conservatisme se retrouve également dans la position des agriculteurs sur la « valeur travail », l’immigration ou sur la liberté d’entreprendre. Elle s’observe également dans le rapport à la mondialisation et à l’Europe. S’ils sont 20 % à estimer avoir tiré profit de la construction européenne, ils sont 38,5 % à penser le contraire, alors qu’ils en ont profité plus que toute autre catégorie socio-professionnelle.
Ces déterminants expliquent en grande partie le vote à droite des agriculteurs, alors que parallèlement, le pluralisme syndical se renforce. Mais cet électorat, qui demeure méfiant à l’égard du PS et de ses alliés écologistes, commence également à évoluer vers un vote d’extrême-droite. Jean-Marie le Pen avait atteint 22 % des suffrages chez les agriculteurs en 2002, contre 10 % en 1988.
Mais il existe également de fortes disparités territoriales. Les agriculteurs retraités vivant dans des départements où ils sont peu nombreux votent plutôt à gauche. Les départements où les agriculteurs sont plutôt jeunes, ouvriers et en nombre, votent plutôt à droite.
Si les mondes agricoles se sont diversifiés, leur ancrage politique à droite demeure fort. Et si la cote de popularité de Nicolas Sarkozy est passée de 87 % à 47 % en cinq ans, les agriculteurs lui demeurent largement acquis. Ce processus quelque peu paradoxal au regard des difficultés sociales et de l’éclatement des mondes agricoles s’explique par le sentiment de relégation sociale, d’isolement et de déclassement qui induit un renforcement identitaire et une pénétration de l’électorat par l’extrême-droite.

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