Cette élection si particulière est loin d’avoir livré tous ses secrets car la dynamique qui la porte dépasse tous les cadres préalablement connus. Aucune des familles qui ont historiquement structuré la vie politique française ne sera épargnée – et la gauche au premier chef. Analyse par Émeric Bréhier, directeur de l’Observatoire de la vie politique de la Fondation Jean-Jaurès, pour une note en partenariat avec le Huffington Post.
L’élection présidentielle française a-t-elle véritablement débuté le 20 mars 2017 à l’issue du premier débat ayant opposé les cinq candidats aujourd’hui en tête des sondages : Marine Le Pen, Emmanuel Macron, François Fillon, Benoît Hamon et Jean-Luc Mélenchon ? C’était en tout état de cause l’espoir de nombre de commentateurs, sinon d’acteurs. Pourquoi ? Essentiellement car, selon eux, les affres subies par le candidat de la droite et du centre, dont le point d’orgue a été sa mise en examen, empêchaient tout débat sur le fond des propositions des candidates et candidats. Cette affirmation est à la fois juste – en ce que ces incessants rebondissements ont congelé la droite dans l’attente d’un chimérique plan B – et fausse – car cela n’a en rien empêché les candidates et candidats à mener campagne en présentant leurs grands axes, puis leurs programmes détaillés et de battre l’estrade. Chacun répondant d’ailleurs à l’autre par l’intermédiaire de rassemblements plus ou moins massifs. Notons que chacune et chacun a parfaitement réussi le sien : François Fillon au Trocadéro, Emmanuel Macron à la Porte de Versailles, Benoît Hamon à Bercy et Jean-Luc Mélenchon à République.
Ce qui peut, par contre, s’avérer avec le débat du 20 mars dernier, c’est bien ce que beaucoup attendait : la cristallisation électorale. Car ce qui frappait jusqu’alors c’était bien l’incertitude des électeurs sur le fait de se rendre aux urnes d’abord, sur leur choix ensuite. À cet égard, la note de la Fondation Jean Jaurès du 22 mars 2017 sur les « probabilités de vote » montre que les bases électorales de Jean-Luc Mélenchon et de Benoît Hamon se confortent à des niveaux similaires et que les marges de progression de l’un comme de l’autre sont concurrentielles. L’enjeu est donc bien ici de savoir lequel des deux devancera l’autre.
L’autre information est bien l’espace grandissant et de plus en plus stable dont semble bénéficier Emmanuel Macron. Un espace que la stratégie de François Fillon – qui dispose d’un socle électoral stable – de radicalisation pour récupérer les électrices et électeurs de droite tentés par Marine Le Pen ne saurait que renforcer; un espace central qui semble se reconnaître dans les caractéristiques de la candidature d’Emmanuel Macron.
Somme toute n’est-il pas possible de considérer comme logique ce sentiment d’une campagne présidentielle instable, puisque celle-ci voit des offres politiques bien loin des cadres habituels : deux présidents de la République et deux Premiers ministres empêchés ou battus ; des candidats désignés par les partis dits de gouvernement positionnés par les Français eux-mêmes à proximité des extrêmes plutôt que dans une position centrale qui, du coup, se libère pour une candidature chamboule-tout. Bref, pourquoi attendre de l’électeur qu’il soit moins tourneboulé par cette nouvelle offre politique que les commentateurs et par nombre d’acteurs de la vie politique française ?
Cette élection si particulière est loin d’avoir livré tous ses secrets car la dynamique qui la porte dépasse tous les cadres préalablement connus. Aucune des familles qui ont historiquement structuré la vie politique française ne sera épargnée. Et la gauche au premier chef.
À l’occasion de cette élection présidentielle « hors norme », la Fondation Jean-Jaurès s’associe au Huffington Post pour apporter son éclairage sur la campagne électorale : rapport de forces, thèmes et enjeux structurants, opinion des Français. La Fondation mobilise un certain nombre de chercheurs et de personnalités pour fournir des analyses jusqu’au scrutin, et après.