Une campagne de couloirs : informations et enjeux de la campagne des élections européennes

À l’approche des élections européennes du 9 juin, les Français s’intéressent-ils au scrutin ? Comment ont-ils suivi la campagne ? Et quels enjeux guideront leur choix ? Théo Verdier, co-directeur de l’Observatoire Europe de la Fondation, se penche sur ces trois questions à partir des données de la dernière vague de l’Enquête électorale française et y voit le retour d’un clivage gauche-droite sur les thèmes liés à l’environnement ou encore à l’immigration.

La campagne des élections européenne a été marquée par une densité d’actualités graves et concomitantes qui ont pu en diluer l’intensité. On l’observe dans la hiérarchie des sujets discutés par les Français avec leurs proches que relève la dernière édition de l’Enquête électorale française 2024 : les questions d’ordre intérieur – la Nouvelle-Calédonie, l’attaque du fourgon pénitentiaire à Rouen –, les enjeux géopolitiques et les Jeux olympiques occupent le devant de la scène. Les dernières semaines avant le scrutin ont toutefois vu s’enchaîner une multiplication de confrontations médiatiques, se terminant par le débat organisé après le journal télévisé par France 2 ce 4 juin. Alors que près de 360 millions d’Européens votent cette semaine, se pose la question de savoir quel est l’intérêt des Français pour l’élection du 9 juin. Comment ont-ils suivi la campagne ? Quels sont les enjeux qui guideront leur choix ? Focus sur une campagne de couloirs.

Une campagne de basse intensité

Nous l’avions observé dans notre étude de la médiatisation du scrutin : les européennes constituent un temps faible du débat public national au regard des échéances électorales nationales. En ce sens, 62% des Français se déclarent intéressés par la campagne en cours, contre 70% aux élections législatives 2022 et 75% à la présidentielle de la même année.

Graphique n°1

Sources : dernières éditions de l’enquête électorale française (Cevipof, Fondation Jean-Jaurès, Institut Montaigne, Le Monde), réalisées par Ipsos avant les scrutins cités.

Si l’intérêt général est moindre pour les élections européennes, la campagne demeure animée. 56% des Français déclare avoir ressenti de l’intérêt, de l’espoir ou de la passion pour le scrutin. La campagne a toutefois été plus discutée par les Français les plus diplômés et résidant dans les centres-villes, une différence de 10 à 12 points pouvant être observée sur ce thème.

Une information segmentée 

La manière de suivre la campagne diffère selon les catégories de Français. Le débat des européennes a conservé une forme de trame commune. Un peu moins d’un tiers des répondants (29,5%) a avant tout suivi la campagne via les journaux télévisés traditionnels. Suivent loin derrière les chaînes d’information (17,4%) et la radio (12,5%).

Graphique n°2

Source : Enquête Ipsos pour le Cevipof, Le Monde, la Fondation Jean-Jaurès et l’Institut Montaigne, vague 5, mai 2024.

À l’inverse des JT, ces deux derniers canaux rassemblent des segments plus clivés de la population française. Sur le plan partisan, les supporters de la liste RN plébiscitent les chaînes d’information en continu (29,8% le citent comme le premier moyen d’information) quand ceux du Parti socialiste (18,5%) et de Renaissance (14,7%) privilégient la radio. Les Français qui s’apprêtent à voter pour La France insoumise sont plus d’un quart (26,3%) à s’informer d’abord via les réseaux sociaux.

Un clivage qui s’entrecroise avec les différenciations socio-démographiques. Les plus de 60 ans privilégient la télévision alors que plus d’un cinquième des moins de 35 ans a suivi la campagne via les réseaux sociaux. Le support des chaînes d’information a moins de poids pour les plus diplômés, seuls 15,2% des bac+3/4 et 12,8% des bac+5 les privilégient contre environ 18% des personnes de niveau baccalauréat ou bac+2.

En définitive, la télévision continue de jouer un rôle fédérateur dans notre débat public. Les JT et chaînes infos demeurent les premiers supports de la campagne. Les zones de force de chaque famille politique sont toutefois considérablement éloignées, depuis les supports numériques pour LFI, la radio pour le bloc central et la télévision pour le RN. S’il a bien existé un contenu commun, le volet médiatique de la campagne demeure particulièrement marqué par cette segmentation.

Des intérêts divergents

Quatre enjeux occupent plus particulièrement l’esprit des Français au moment de se rendre aux urnes cette année. Avant tout, le pouvoir d’achat (un sujet pris en compte au moment de voter par 47% des répondants), puis l’immigration (38%), le système de santé (29%) et enfin la protection de l’environnement (26%). Ces sujets sous-tendent le ton donné à la campagne par les différentes listes, tant leurs soutiens sont clivés dans la priorisation différentielle des raisons de leurs votes.

Graphique n°3

Source : Enquête Ipsos pour le Cevipof, Le Monde, la Fondation Jean-Jaurès et l’Institut Montaigne, vague 5, mai 2024. Question : « Parmi les sujets suivants, quels sont les trois dont vous tiendrez le plus compte dans votre choix de vote pour les élections européennes du 9 juin prochain ? En premier ? Et ensuite ? » – Le graphique figure le total pour les sujets cités.

L’un des clivages les plus marqués concerne la protection de l’environnement. Le sujet est une priorité absolue pour les soutiens de la liste emmenée par Marie Toussaint (82% le citent comme une des raisons principales de leur choix de vote). Il constitue un élément déterminant mais à bien moindre échelle pour les partisans des Insoumis (46%) et des socialistes (44%), suivi de la majorité (30%) et du PCF (26%). À l’inverse, seuls 11 à 3% des partisans de LR, du RN et de Reconquête ! en font un sujet clé. 

Ces derniers portent leur attention sur la question migratoire, aussi importante pour les partisans de Reconquête ! (91%) et du RN (76%) que l’est l’environnement pour les soutiens écologistes. Au-delà des formations de droite et d’extrême droite, la question migratoire demeure toutefois un enjeu de faible ou très faible intensité pour le reste des familles politiques. 28% des partisans de la majorité s’y attardent, 15% de ceux du PCF et 11% de ceux du PS.

Le clivage gauche-droite apparaît de manière évidente dans la lecture comparée des enjeux migratoires et environnementaux. Il est cependant perturbé par les questions sociales.

Graphique n°4

Source : Enquête Ipsos pour le Cevipof, Le Monde, la Fondation Jean-Jaurès et l’Institut Montaigne, vague 5, mai 2024. Question : « Parmi les sujets suivants, quels sont les trois dont vous tiendrez le plus compte dans votre choix de vote pour les élections européennes du 9 juin prochain ? En premier ? Et ensuite ? » – Le graphique figure le total pour les sujets cités.

Sujet d’intérêt pour tous les Français, le pouvoir d’achat est toutefois une priorité avant tout pour les électeurs potentiels du Rassemblement national (55%). Ils sont suivis d’un pôle de gauche, composé des soutiens de La France insoumise (44%), du Parti communiste (43%) et dans une moindre mesure du Parti socialiste (37%). Ce sujet a un poids plus faible pour les autres formations, représentant un facteur de décision pour moins d’un tiers des soutiens de LR (31%) et de Reconquête ! (27%).

En miroir, la question du système de santé est avant tout un thème de gauche, avec une perception plus aiguë pour les soutiens de LFI (34%) et du PCF (37%). À droite, s’il s’agit d’un sujet clé pour un quart des soutiens du RN et de LR, il n’est cité que par 15% des électeurs potentiels de Reconquête !.

Au moment d’assister aux derniers débats de cette campagne puis de se rendre dans les urnes, notons ainsi que les thèmes qui décideront du choix des Français sont profondément différents selon les camps. Si l’on peut retrouver un axe gauche-centre-droite sur les questions migratoires et écologistes, la question sociale floute les frontières partisanes, décrivant clairement la séparation entre les électeurs RN et le reste la droite.

Les élections européennes constituent une campagne de couloirs. Couloirs médiatiques, du fait de l’exposition différenciée aux supports d’information. Couloirs politiques, du fait de la spécificité des thèmes. Un exemple, l’immigration est une clé du scrutin pour 91% des soutiens de Reconquête ! contre 5% de ceux de La France insoumise.

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