Une analyse du programme santé du RN

Tout au long de la campagne des élections législatives, les experts et les Observatoires de la Fondation Jean-Jaurès analysent le programme du Rassemblement national, secteur par secteur. Dans cette note, un collectif de médecins revient en détail sur les intentions du RN concernant la santé. Ils dénoncent un projet incohérent, inefficace, et avant tout idéologique.

Au moment où le Rassemblement national (RN) n’a jamais été aussi proche du pouvoir, il est utile de se pencher sur les mesures concrètes qu’il porte. Sur la santé, ses propositions ont été détaillées dans le programme de Marine Le Pen en 20221Rassemblement national, M La France, le programme de Marine Le Pen, 2022.. Le programme des législatives 2024 tient quant à lui en une phrase, reprenant quelques grands points du programme de 2022 : « réduire les déserts médicaux, soutenir l’hôpital public et sécuriser l’approvisionnement en médicaments ». 

L’analyse de ces propositions met en lumière de nombreuses incohérences, des mesures qui ne permettent pas d’améliorer l’accès aux soins ni la santé collective de la population, et un programme avant tout dicté par des considérations idéologiques.

La médecine façon RN : une histoire d’opinion ou de science ? 

« Je ferai de la qualité des soins le pivot de la politique de santé », avait annoncé Marine Le Pen en 2022.

Pour dispenser des soins de la meilleure qualité possible à tous, les médecins s’appuient sur les données issues de la science. Elles sont agrégées par une autorité indépendante, la Haute Autorité de santé (HAS) au sein de recommandations de bonne pratique. Celles-ci aident tous les professionnels de santé à intégrer les dernières avancées médicales dans leur pratique.

Marine Le Pen dit vouloir garantir la qualité des soins. Mais pour ce faire, le RN affirme vouloir « rendre aux médecins leur liberté de prescription et d’expression ». Concrètement, cela suggère d’autoriser les médecins à prescrire des traitements inutiles voire dangereux, en amoindrissant les recours possibles pour les patients. 

Ainsi, une femme atteinte d’un cancer du sein hormonosensible pourrait se voir prescrire selon les cas le traitement le plus efficace (l’hormonothérapie), un traitement non adapté suivant un protocole obsolète de chimiothérapie, ou des traitements inefficaces. 

Cette proposition fait directement écho à la pandémie de Covid-19, lorsque certains médecins ont eu recours à l’hydroxychloroquine qui s’est avérée inefficace sur l’infection mais avec des effets secondaires certains. Il s’agit ici pour le RN de généraliser ce genre de situation à l’ensemble de la médecine. 

Ce serait, au passage, une aubaine pour l’industrie pharmaceutique, lui permettant de « pousser » la prescription de molécules qu’elle privilégie. Moins de recommandations de bonne pratique indépendante, c’est plus de place pour le marketing industriel – ou les postures idéologiques – dans la prise de décision thérapeutique.

→ Le programme du RN est axé sur la « protection » des Français. Mais avec cette mesure, comment les malades pourront-ils savoir si leur prise en charge est adaptée ? Quels recours auront-ils en cas d’erreur ou de faute médicale ? 

→ Pourquoi privilégier ainsi une libéralisation du marché du médicament et une impunité pour les prescripteurs, au lieu de s’attacher à protéger la santé de nos concitoyens ? 

→ Pourquoi privilégier l’impunité pour les médecins en cas d’erreur médicale plutôt que de protéger les patients ?

→ Quelles sont les mesures du RN pour « sécuriser l’approvisionnement en médicaments » ?

Par ailleurs, le RN réclame un moratoire sur la fermeture des lits. Les fermetures de lits observées ces dernières années sont souvent subies : elles sont causées par manque de personnel soignant pour prendre en charge les patients. Or les difficultés de recrutement sont toujours prégnantes en 2024.

→ Est-ce à dire qu’il faut laisser des lits ouverts même si le personnel nécessaire à la prise en charge n’existe pas ? Comment le mettre en œuvre en pratique sans dégrader la qualité des prises en charge ?

L’ensemble des points listés ci-dessus, ainsi que d’autres propositions du RN comme la suppression d’indicateurs de qualité des soins, contredisent frontalement la volonté affichée de « faire de la qualité des soins le pivot de la politique de santé ». 

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La médecine libérale façon RN : vers un accroissement des inégalités d’accès aux soins

Dans son programme, le RN entretient savamment le flou sur la médecine libérale. Pour mieux comprendre ses intentions en la matière, il faut revenir aux propos de Patrick Barriot, conseiller santé de Marine Le Pen en 2022 : « Nous sommes opposés à toute mesure coercitive, d’installation ou de conventionnement sélectif ». 

Le RN propose donc des « incitations financières fortes, celles existantes, inefficaces, étant supprimées » pour que les médecins s’installent en zone sous-dotée. Il est vrai que les mesures incitatives se sont révélées incapables de lutter contre les déserts médicaux, malgré des montants conséquents : jusqu’à 60 000 euros par an, auxquels peuvent s’ajouter 36 000 euros pour l’embauche d’un assistant médical, sans compter les sommes déboursées par les mairies (prise en charge du loyer, des déplacements)2Ameli, Aide à l’installation ou à la pratique du médecin en zone sous-dotée, 2023..

→ En quoi de nouvelles incitations financières permettraient de résorber les déserts médicaux, alors que le RN souligne lui-même l’inefficacité des mesures passées ?

Il souhaite aussi et surtout « réformer le système de rémunération complémentaire des médecins mis en place en 2012 ». À quoi fait-il allusion ? En 2012, différentes mesures ont été prises sur ce sujet, et en particulier le plafonnement des dépassements d’honoraires et l’instauration d’une prime pour les médecins assurant des gardes en ville3Union française pour une médecine libre, Les compléments d’honoraires des médecins ; ministère de la Santé, ministère du Budget, Arrêté du 16 janvier 2012 relatif aux montants et aux conditions de versement de l’indemnité forfaitaire aux médecins libéraux participant à la mission de permanence des soins en établissement de santé, Légifrance, janvier, 2012..

La suppression de tout plafond pour les dépassements d’honoraires impacterait tous les citoyens, puisque le RN propose la réorientation vers la médecine de ville de personnes se présentant aux urgences. Et on note une incohérence majeure, puisque cette réorientation des situations d’urgence vers la médecine de ville s’accompagnerait… d’une suppression de l’incitation de ces mêmes médecins à assurer la permanence des soins. 

En clair, une application de ces mesures ne permettrait pas de combler les déserts médicaux et réduirait encore plus l’offre de soins sur les temps de garde. Mais elle aurait en revanche pour conséquence l’augmentation de la part non remboursée par la Sécurité sociale des consultations de ville. Et donc un accroissement des inégalités dans l’accès aux soins, basées sur les inégalités de ressources.

→ Le sujet de la médecine de ville appelle une clarification. Quel est le « système de rémunération complémentaire » que le RN souhaite réformer ? Souhaite-t-il libéraliser encore plus la médecine, quitte à accroître les inégalités en santé ? Ou souhaite-t-il lutter contre l’inégalité d’accès aux soins induite par les déserts médicaux ?

Dans cette seconde option, quelles mesures mettra-t-il en place, au-delà des incitations financières qu’il juge lui-même inefficaces ?

La suppression de l’AME : une mesure idéologique aux conséquences délétères

En 2022, l’Aide médicale d’État (AME) représentait seulement 0,968 milliard d’euros, soit 0,5% des seules dépenses de santé en France4Jean-Marie André, L’accès aux soins des étrangers en situation irrégulière en France. Une analyse critique des projets de réforme de l’aide médicale de l’État, Fondation Jean-Jaurès, 8 février 2024..

Pour situer ce montant, il s’agit de moins de la moitié de l’enveloppe que le RN veut consacrer à l’augmentation des salaires des soignants (2 milliards d’euros). De plus, il promet de supprimer les subventions aux ONG qui prennent en charge des migrants et pallient pour partie leurs besoins de santé, notamment dans le champ de la prévention5Société de pathologie infectieuses (SPILF), Société de réanimation de langue française (SRLF), Société française de santé publique (SFSP), Société française de pédiatrie (SFP) et Société française de médecine d’urgence (SFMU), Suppression de l’Aide médicale d’État (AME), 21 avril 2023..

Le Rassemblement national réclame depuis longtemps la suppression de l’AME pour financer les seuls soins urgents. Mais attendre une situation d’urgence coûte cher à la collectivité : on parle ici de traitements spécialisés, de réanimation, de chirurgie en urgence. 

Ainsi, on estime qu’un accès tardif aux soins pour les personnes migrantes porteuses du VIH entraîne un surcoût de 32 000 à 198 000 euros par personne comparé à une prise en charge précoce ! Ce nouveau dispositif serait donc plus coûteux pour la collectivité que l’AME, ce qu’étayent les études menées sur le sujet6​Marlène Guillon et al., « Economic and public health consequences of delayed access to medical care for migrants living with HIV in France », Eur J Health Econ, 19/3, avril 2018 ; Albert Prats-Uribe et al., « Evidences supporting the inclusion of immigrants in the universal healthcare coverage », Eur J Public Health, 30/4, août 2020, pp. 785–787.

Un autre argument souvent utilisé est l’effet d’appel d’air que susciterait l’AME, renforçant les dynamiques migratoires. Cet argument ne résiste pas à l’épreuve de l’analyse, comme l’a de nouveau montré le rapport Evin-Stefanini fin 20237Claude Evin, Patrick Stefanini, Rapport sur l’aide médicale d’État, ministère de l’Intérieur et ministère de la Santé, décembre 2023.

Soulignons d’ailleurs que, loin d’une prise en charge automatique de l’ensemble des personnes en situation irrégulière, l’AME fait l’objet d’un taux de non-recours important, estimé entre 49 et 80%8Paul Dourgnon et al., « Étudier l’accès à l’Aide médicale de l’État des personnes sans titre de séjour », Questions d’économie de la santé, n°244, novembre 2019..

→ Sur le seul aspect économique, pourquoi vouloir à tout prix remplacer l’AME par un dispositif qui coûterait plus cher à la collectivité ?

→ Sur quels éléments se base le RN pour évoquer un effet d’appel d’air, alors que les analyses convergent vers l’absence d’un tel phénomène ?

D’autres conséquences doivent être anticipées face à cette mesure-phare du FN puis du RN. Les sociétés savantes pointent une surcharge des permanences d’accès aux soins de santé (PASS) et des services d’urgence déjà saturés. Elles soulignent aussi un allongement des durées d’hospitalisation pour ces personnes, embolisant des lits déjà trop peu nombreux. En effet, les personnes ciblées ne pourraient plus être adressées dans des services de soins de suite comme les services de soins de suite et de réadaptation (SSR) et devront donc rester plus longtemps dans les services hospitaliers9Société de pathologie infectieuses (SPILF), Société de réanimation de langue française (SRLF), Société française de santé publique (SFSP), Société française de pédiatrie (SFP) et Société française de médecine d’urgence (SFMU), Suppression de l’Aide médicale d’État (AME), 21 avril 2023..

→ Qu’envisage le RN face aux répercussions de cette mesure sur les soins de l’ensemble des citoyens ?

Enfin, en plus des conséquences financières et de l’impact sur les services de santé, une telle mesure fait aussi peser un risque sanitaire non négligeable sur la population dans son ensemble. Indirectement, par la saturation de services hospitaliers dont les urgences, et plus directement concernant le risque infectieux. 

Nous l’avons illustré par l’exemple du VIH, mais cette réflexion s’applique à d’autres maladies transmissibles. Restreindre l’accès à la vaccination et aux traitements primaires des infections des personnes en situation irrégulière, par ailleurs plus à risque d’être porteuses de ces pathologies que la population générale, induit un risque de contagion contraire aux politiques de santé publique en place dans la majorité des pays occidentaux.

→ Quelles sont les mesures du RN pour protéger la société d’un risque épidémique qui serait accru par la suppression de la vaccination et des soins de premier recours pour les personnes en situation irrégulière ?

Toujours plus de contraintes sur les hôpitaux et les professionnels 

En 2022, Marine Le Pen dénonce une « bureaucratie qui pénalise la qualité des soins », représentée par les Agences régionales de santé (ARS) à l’origine de la « dictature des indicateurs chiffrés ».

En guise de solution, elle prône le transfert des compétences des ARS aux préfets de région pour « réaffirmer l’autorité de l’État dans le domaine de la santé ». Notons d’emblée la contradiction entre cette autorité à renforcer et l’objectif de « redonner toute sa place au personnel soignant ». 

Cette tutelle des préfectures de région s’exerçait par « des objectifs […] fixés par un contrat défini par les Directions régionales des affaires sanitaires et sociales ». Loin de supprimer les contraintes administratives qu’il dénonce, le RN souhaite donc prolonger la centralisation en élargissant le périmètre des préfets et en leur confiant le sujet de la santé. L’objectif de cette mesure, loin de rendre de l’autonomie aux acteurs de terrain, vise à rigidifier encore plus notre système de santé tout en noyant son pilotage au sein des préfectures.

Les hôpitaux resteront donc soumis à une « dictature des indicateurs » dictée par une autorité – le préfet de région – qui ne possède pas d’expertise particulière sur les questions de santé.

→ Quels sont ces nouveaux objectifs et ces nouveaux indicateurs et en quoi améliorent-ils la situation ?

→ Pourquoi renforcer le pouvoir administratif dans le pilotage des politiques de santé, alors que c’est un facteur de la dégradation du système français depuis plusieurs décennies dont le RN lui-même fait le constat ?

Médecins étrangers : la grande hypocrisie

Le RN met au cœur de son programme la lutte contre l’immigration. Il dénonce le nombre de médecins étrangers exerçant en France. Il souligne que plus un territoire est un désert médical, plus la proportion de médecins étrangers augmente. Le constat est fait par le RN lui-même : les médecins étrangers sont aujourd’hui ceux qui permettent de lutter partiellement contre les déserts médicaux. Et pourtant, il veut « réduire drastiquement le recours aux médecins ayant obtenu leur diplôme hors UE ».

→ Quelle est la priorité du RN ? Empêcher les médecins étrangers d’exercer avec pour conséquence l’aggravation des déserts médicaux ? Ou, comme affiché, la lutte contre ces déserts médicaux ? 

Un argument du RN contre le recours aux médecins étrangers est celui de la compétence : « Qui peut croire que des titulaires d’un diplôme de médecine obtenu dans un pays en développement pourront fournir la même qualité de prestations que des médecins formés en France ? ».

Cet argument traduit une méconnaissance flagrante de la réglementation. L’exercice de la médecine est solidement encadré en France. Tout médecin étranger est soumis à une procédure de vérification des diplômes. L’Ordre des médecins est seul apte à autoriser l’exercice de la médecine, il est en charge du contrôle des diplômes et de la maîtrise de la langue. 

Les procédures déjà en vigueur imposent aux médecins étrangers dont le diplôme n’est pas jugé équivalent à poursuivre leur formation théorique et pratique. En d’autres termes, il n’est pas possible pour un médecin étranger d’exercer s’il ne dispose pas de compétences équivalentes à celles attestées par le diplôme français10CNOM, Inscription au tableau de l’ordre des médecins..

La lutte contre la fraude aux prestations sociales : des mesures inadaptées mais un risque démocratique certain

Le RN dénonce régulièrement la fraude aux prestations sociales par les assurés, en ciblant dans le domaine de la santé non seulement les bénéficiaires de l’AME, mais l’ensemble des bénéficiaires d’aides sociales. Rappelons ici quelques faits : 

  • contrairement à ce qu’affirme le RN dans son programme, la fraude sociale est étudiée. Dans le dernier rapport de la Caisse nationale d’assurance maladie, elle est chiffrée à 500 000 euros pour l’AME en 2022, soit 0,0002% des dépenses de santé. Pour comparaison, c’est l’équivalent du coût du traitement d’une hépatite C pour 22 personnes11Haute Autorité de santé, Hépatite C : prise en charge simplifiée chez l’adulte, 2019 ; Base de données publique des médicaments.. La fraude à l’AME n’est pas plus élevée, en pourcentage, que la fraude au régime général, et elle est marginale12Ameli, ​Lutte contre les fraudes : résultats à mi-année, 2023. ;
  • seuls 21% du montant total des fraudes relevées par l’Assurance maladie émanent des assurés sociaux. À l’inverse, 68% sont le fait d’offreurs de services et de soins.

Pourtant, ce parti souhaite créer un ministère dédié à la lutte contre la fraude, ciblée sur les seuls assurés et dont les prérogatives interrogent. Il s’agit en effet de permettre « aux organismes sociaux d’accéder aux fichiers utiles pour lutter contre la fraude ». 

→ Quels sont ces « fichiers utiles » et quels garde-fous permettront de préserver le secret médical ? Autorisera-t-on cette administration à y accéder au motif d’un arrêt de travail ou d’une Allocation adulte handicapé par exemple ?

Un des risques ici est d’ouvrir la porte à une conditionnalisation des aides à une série de critères. Par exemple, si l’on croise les données de santé avec le casier judiciaire des personnes, voire des enfants des assurés sociaux, alors il sera théoriquement possible de conditionner le taux de remboursement des soins à un casier judiciaire vierge, rompant avec les principes fondateurs de la Sécurité sociale.

→ Quelle est la finalité de cette mesure, la fraude étant un phénomène marginal ? S’il s’agit de la réduire, pourquoi ne pas cibler les principaux bénéficiaires que sont les opérateurs de services et de soins ?

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