Que s’est-il joué au second tour des élections législatives des 30 juin et 7 juillet 2024 pour les citoyens qui se sont pliés au front républicain ? Les résultats de la septième vague de l’Enquête électorale française 2024, réalisée par Ipsos pour Le Monde, le Cevipof, la Fondation Jean-Jaurès et l’Institut Montaigne et interrogeant plus de 10 000 Françaises et Français, livrent de précieuses données que Gilles Finchelstein, secrétaire général de la Fondation, décrypte.
Pendant des mois, un bruit de fond a continûment saturé le débat public : le front républicain aurait vécu. Vestige d’un passé révolu, il serait devenu inopérant, pris en étau entre la normalisation du Rassemblement national (RN) et la fatigue d’électeurs de gauche lassés d’être réduits au rôle du castor construisant des barrages. La campagne éclair du premier tour des élections législatives n’a fait que conforter cette thèse. Les uns, du côté de la majorité présidentielle, plaçaient un signe égal entre « l’extrême droite » et « l’extrême gauche » – quand ce n’était pas, à l’instar d’Emmanuel Macron lui-même, entre le RN et l’ensemble du Nouveau Front populaire (NFP). Les autres, notamment du côté de La France insoumise (LFI), renvoyaient dos-à-dos Gabriel Attal et Jordan Bardella. Au soir de ce premier tour, l’interrogation majeure portait donc sur les effets que pouvait produire l’écart entre la réalité des résultats et les pronostics : le RN était élu dans 38 circonscriptions et en tête dans 260 autres alors que seuls 3% des électeurs du NFP comme de la coalition Ensemble pensaient que le RN risquait d’obtenir une majorité absolue.
Puis, en l’espace de quelques jours, le front républicain s’est constitué et la 7e vague du panel électoral1Enquête électorale française. Vague 7, réalisée par Ipsos pour Le Monde, le Cevipof, la Fondation Jean-Jaurès et l’Institut Montaigne, 30 août 2024., réalisée après le second tour des élections législatives, montre à quel point il a été d’une redoutable efficacité. Les partis politiques ont façonné la configuration des seconds tours : du fait des 210 retraits (130 du NFP et 80 d’Ensemble), il n’y a eu qu’une poignée de triangulaires dans les circonscriptions où le RN était en arrivé en tête. Mais, surtout, les électeurs ont suivi. Lorsqu’ils ont voté dans des duels entre le front républicain et le RN, 97% des électeurs du NFP ont choisi un candidat Ensemble (ou, le cas échéant, Les Républicains) et 73% des électeurs Ensemble ont choisi un candidat NFP. Le RN a ainsi été battu dans près des trois quarts des duels – bien davantage qu’en 2022.
Au-delà des effets du front républicain, les résultats de l’enquête permettent de mieux en comprendre également les causes. Entre 70% et 80% des sympathisants de Renaissance, du Parti socialiste, des Écologistes ou de LFI partagent l’idée que le front républicain exprime « l’inquiétude de ceux qui pensent que le RN est une menace pour la démocratie » et non « une tactique permettant aux partis traditionnels de conserver le pouvoir ». Surtout, le jugement sur le Rassemblement national des électeurs qui ont pris part au front républicain est édifiant : pour plus de 90% d’entre eux, le RN est « un parti dangereux pour la démocratie » et « un parti qui attise la violence » ; pour plus de 95%, « un parti d’extrême droite » ; et, pour moins de 10%, « un parti capable de gouverner le pays ».
On comprend mieux, ce faisant, que, confrontés à un tel choix, les électeurs ayant opté pour le front républicain aient en réalité moins hésité qu’on a pu le croire. Leur choix a certes été plus « difficile » (de 20 points) que la moyenne des Français mais une majorité – jusqu’à 67% pour les électeurs du NFP devant voter pour un candidat Ensemble – ont malgré tout estimé que ce choix était « facile ». Leur choix a par ailleurs peu donné lieu à « de profonds désaccords ou des discussions animées » avec leur entourage – près de 75% répondent « rarement » ou « jamais » et ce chiffre correspond à celui de la moyenne des Français.
Pourtant, le front républicain a connu aussi des limites qui ne doivent pas être occultées et un malentendu qu’il faut expliciter.
La limite à son efficacité a pour nom principal Les Républicains (LR) (même si les électeurs d’Ensemble ont été pour partie hésitants, un gros tiers d’entre eux préférant même s’abstenir). C’est en effet une vraie ligne de faille qui a traversé les électeurs LR restés fidèles à LR – et qui se surajoute donc à la fracture liée au choix d’alliance d’Éric Ciotti. Un peu plus de la moitié (56%) des sympathisants LR partagent l’idée que le front républicain n’est qu’une « tactique permettant aux partis traditionnels de garder le pouvoir ». Et, même en cas de duel avec Ensemble, ils sont 47% à avoir choisi soit l’abstention (21%) soit le vote RN (26%) – en cas de duel avec le NFP – et peu importe que le candidat soit LFI ou socialiste -, ils sont moins de 30% à avoir choisi le front républicain. Ainsi plus on se déplace vers la droite de l’échiquier politique et moins le front républicain est-il opérant – ce qui n’a nullement empêché LR de grandement bénéficier de ce front républicain qu’il a récusé…
Le malentendu, lui, a pour nom La France insoumise et aboutit à l’idée – paradoxale – que ce front républicain si efficace n’a en réalité pas existé. Qu’est-ce à dire ? Défini avec rigueur, le concept renvoie à une idée simple : des adversaires dans la République se rassemblent contre un ennemi de la République. Le 7 juillet a été autre chose : non pas un front républicain mais, ce qui est très différent, un front anti-RN. Le problème ne tient pas à ce que les reports aient été substantiellement moins bons selon que le candidat du NFP du second tour était ou non un candidat LFI : 15 points d’écart en moyenne. Il tient plus profondément au jugement porté sur LFI par les électeurs d’Ensemble qui ont voté pour le NFP, illustrant que c’est un rassemblement seulement négatif qui s’est opéré : 85% estiment que LFI est « un parti dangereux pour la démocratie », 90% qu’il « attise la violence » et qu’il est « d’extrême gauche », 7% qu’il est « capable de gouverner ». Tous ces chiffres sont proches de ceux concernant le RN. Ce faisant, pour ces électeurs, LFI et le RN ne sont pas dans des espaces différents mais dans des temps différents : ce n’est pas l’existence mais l’imminence du danger qui permet de les distinguer.
Deux conclusions peuvent être tirées. À court terme, on comprend mieux la difficulté pour le front républicain du 7 juillet de se perpétuer en coalition gouvernementale ou prioritaire. À moyen terme, on doit mesurer que le coup d’arrêt brutal donné à la progression du RN ne résistera pas mécaniquement à toutes les configurations d’un second tour d’élection présidentielle et notamment à un hypothétique affrontement entre Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon.
Retrouvez toutes les vagues de l’Enquête électorale française de 2024
Recevez chaque semaine toutes nos analyses dans votre boîte mail
Abonnez-vous- 1Enquête électorale française. Vague 7, réalisée par Ipsos pour Le Monde, le Cevipof, la Fondation Jean-Jaurès et l’Institut Montaigne, 30 août 2024.