D’où vient le malaise dans les Ephad ? À la veille de la manifestation des retraités et du personnel de ces établissements, l’Observatoire du dialogue social de la Fondation a interrogé Évelyne Rescanières, secrétaire générale de la fédération CFDT des services de santé et services sociaux.
L’Observatoire du dialogue social : Comment expliquer l’actualité sur les Établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) ?
Évelyne Rescanières : Depuis 1956 et la première vignette automobile, la solidarité vis-à-vis des personnes âgées est entrée dans la vie quotidienne des citoyens. Plus ou moins réactivée lors des crises sanitaires majeures, comme en 2003 avec l’épisode caniculaire, ce sujet lancinant ne trouve pas de réponse pérenne. Depuis près de quarante ans, chaque gouvernement construit un plan, propose des mesures, conscient des enjeux démographiques qui, depuis lors, ne sont plus à venir mais bel et bien là.
Pourtant, aujourd’hui, les questions restent entières : sommes-nous prêts à poser l’ensemble du problème de la prise en charge des personnes âgées et de la dépendance ? Avec quel financement, pour quelle qualité ? Des choix politiques s’imposent, ils concernent tous les citoyens, nous avons tous des parents et des grands parents et chacun de nous est susceptible d’être lui-même concerné. D’ailleurs, le défi n’est pas seulement français. L’Europe se questionne aussi et nos collègues européens rencontrent les mêmes difficultés dans l’exercice de leur métier.
Syndicalement, les équipes CFDT santé-sociaux tirent la sonnette d’alarme depuis plusieurs années quant à la dégradation des conditions de travail et donc d’accueil des usagers. Beaucoup de mouvements sociaux locaux ont eu lieu pour revendiquer auprès des conseils départementaux ou des ARS des financements permettant l’accompagnement des personnes âgées dans la dignité.
En mai 2017, CFDT santé-sociaux a lancé une enquête en ligne sur quelques jours afin de photographier sur un temps court les effectifs réels dans les établissements de santé. Ce qui est remarquable dans les résultats de cette enquête, c’est l’énorme audience qu’elle a reçue auprès des professionnels en Ehpad alors qu’elle ne leur était pas spécifiquement destinée au départ. Pour nous, cela montre à la fois un malaise évident de ces salariés sur la question des effectifs mais aussi un besoin vital de s’exprimer sur leurs conditions de travail, particulièrement dégradées, dont ils ou elles témoignent volontiers.
Face à cette situation, que faut-il faire ?
À l’été 2017, parce qu’un conflit local de plus a été particulièrement médiatisé, une mission flash dédiée à la situation dans les Ehpad, pilotée par Monique Iborra, députée, a débouché, en octobre 2017, sur des constats que nous partageons. Premier constat, les moyens humains en nombre et en qualification sont insuffisants auprès des résidents. Deuxième constat : la prévention et l’accompagnement au domicile doivent être encore développés, l’évolution technologie (domotique, numérique, télémédecine) peut être un facteur d’amélioration.
Concernant le constat sur les effectifs, il rejoint les conclusions de notre enquête. Pour nous, les aides-soignantes en particulier doivent retrouver une place centrale. Leur métier, pourtant source d’emplois nombreux, a perdu de son attractivité à cause d’une dégradation importante et régulière des conditions de travail (l’indice de fréquence des accidents de travail est deux fois supérieur à la moyenne nationale pour ces professions) mais aussi d’un manque de reconnaissance salariale en lien avec une évolution de leurs compétences. Par ailleurs, la médicalisation des structures impose une présence médicale, avec un médecin coordonnateur obligatoire, et pourtant un tiers des établissements en est dépourvu. La permanence infirmière pourrait répondre aux urgences, notamment la nuit, et éviter des hospitalisations, certains allers-retours hôpital/Ehpad, l’embolie des services d’urgence… Et pourtant, cette présence infirmière n’existe pas dans la plupart des cas. Cet ensemble d’éléments, par manque de professionnels, a pour conséquences des glissements de tâches des uns aux autres, préjudiciables, exposant les professionnels à une mise en danger et les usagers à une sécurité discutable.
Il y a donc urgence à mettre à niveau les ratios de personnel soignant et accompagnant et une qualification adaptée. Notre enquête de mai 2017, qui sera reproduite en 2018, a ouvert des pistes de réflexion sur ce sujet en comparant les données internationales et en prenant en compte la parole des professionnels.
Concernant la prévention, elle est bien sûr nécessaire mais elle demandera des années.
Repenser l’institution de demain avec une meilleure fluidité entre domicile et établissement d’accueil est un objectif ambitieux et structurant qui nécessite de la concertation. On ne part pas de rien, une concertation a eu lieu lors du pacte de confiance, le service territorial de santé a été discuté avec les acteurs mais force est de constater qu’une prise en charge du fameux « parcours » peine à se concrétiser.
Pour la CFDT santé-sociaux, comme pour beaucoup d’autres acteurs qui en sont conscients comme nous, une pleine coordination est indispensable entre médecine de ville, aide à domicile, hôpital et établissement médico-sociaux (Ehpad). Il faut y travailler avec ceux qui en comprennent l’intérêt général.
Quelles décisions du gouvernement attendez-vous ?
La question du mode de financement des établissements – ou de leur financement réel – reste un sujet crucial, car comme l’a souligné à juste titre le Syncass CFDT (syndicat des cadres de direction santé sociaux) dans sa contribution à la mission du Sénat le 19 février dernier, même les décisions budgétaires, pourtant prises, ne sont pas suivies d’effets, au détriment des professionnels et de la qualité des soins.
Car en attendant, les acteurs de terrain au quotidien dans les Ehpad et à domicile sont bien plus que motivés. Leur surinvestissement les conduit même à porter atteinte à leur santé, jusqu’à parfois se détruire, pour leur travail.
Alors, même si le gouvernement débloque 100 millions d’euros, l’investissement nécessaire pour vraiment répondre aux besoins de manière pérenne est bien plus important.
Pour la CFDT santé-sociaux, ce secteur ne doit plus être considéré comme un coût mais comme un investissement. Chaque salarié du secteur est une richesse en tant que professionnel par son utilité sociale et humaine. Une richesse économique parce que dans les territoires c’est de l’emploi ! C’est le message que nous portons depuis 2015 à travers notre slogan « Je suis une richesse ».