Sortir de l’état d’urgence : un risque d’opinion majeur

Les Français restent très attachés au régime exceptionnel de l’état d’urgence. Le gouvernement, qui veut en sortir pour des raisons juridiques, va devoir faire preuve de pédagogie. Analyse par Chloé Morin et Jérôme Fourquet, en partenariat avec Les Échos.

Alors que se profile dans quelques semaines la perspective d’une sortie définitive de l’état d’urgence, il est temps de revenir sur ce que symbolise ce dispositif dans l’opinion publique et d’analyser – de manière tout à fait indépendante du bien-fondé de ce choix politique – les risques d’opinion encourus par l’exécutif si une telle sortie n’était pas maîtrisée sur le plan de la communication et de l’exécution.

Il faut revenir au contexte post-attentats de novembre 2015 pour saisir l’importance symbolique de l’état d’urgence pour l’opinion. Ces attentats ont semblé convaincre une fois pour toutes les Français que la menace était vouée à s’installer durablement au cœur de leur vie quotidienne.

Le prix à payer

En 2015, le déploiement du dispositif Sentinelle, la multiplication des perquisitions – ultra-médiatisées pendant les premières semaines – ou encore la fermeture des frontières annoncée dès la nuit du 13 novembre sont venues matérialiser cette « exceptionnalité » de la réponse étatique face aux attaques terroristes. Et ainsi, contenir les critiques naissantes vis-à-vis de l’exécutif.

La société française est restée globalement stoïque face à la succession des attentats – déjoués, ratés ou réussis. Il n’y a pas eu ainsi de représailles aveugles et massives car les Français trouvaient dans la force et le caractère exceptionnel de la réponse de l’État le sentiment que « tout ce qui était possible était fait » pour éviter de nouvelles attaques. Dès lors, les Français restent depuis son instauration extrêmement attachés à l’état d’urgence. En juin 2016 par exemple, au lendemain du meurtre du couple de policiers de Magnanville, 48% des Français étaient favorables à son renforcement et 38% à son maintien en l’état. Cet attachement est d’autant plus massif que le prix à payer pour ce bouclier hors norme paraissait pour eux indolore. Il n’a empêché ni de nombreuses manifestations ni les critiques à l’endroit de l’exécutif, émanant notamment des médias ou de l’opposition.

Risque élevé

Dans ce contexte, l’argument gouvernemental selon lequel nous pourrions abandonner l’état d’urgence car plusieurs lois ont été prises pour transposer ses dispositions dans le droit commun aura sans doute les plus grandes peines du monde à convaincre.

D’une part, car les nouvelles dispositions sont très techniques et peu connues des Français et, d’autre part, car le niveau de menace apparaît toujours très élevé. La poursuite des attentats en France (des militaires attaqués ces dernières semaines devant Notre-Dame de Paris, au pied de la tour Eiffel ou à Levallois-Perret) comme à l’étranger (à Barcelone, à Turku en Finlande avec des attaques au couteau, à Sourgout en Sibérie, mais aussi à Bruxelles et à Londres) vient rappeler la réalité de la menace. 94% de nos concitoyens estiment ainsi que la menace terroriste est élevée, dont 45% qu’elle est très élevée.

Piège de communication

Si la sortie de l’état d’urgence est motivée par des considérations juridiques et la nécessité de revenir à un cadre normal, les Français ne semblent pas souhaiter pour autant abandonner cette protection supplémentaire qui est associée dans leur esprit à ce régime d’exception, alors que la menace aux multiples visages rôde encore sur notre territoire.

Dès lors, l’exécutif se trouve pris dans un véritable piège de communication. Comment, en effet, faire comprendre que la sortie de l’état d’urgence ne signifie pas qu’il « baisse la garde » ? Comment expliquer que les dispositions extrêmement techniques inscrites dans la loi depuis 2016 suffisent à les protéger et que l’on n’a alors plus besoin de l’état d’urgence ?

Le risque d’opinion encouru par l’exécutif sur ce dossier très sensible est donc important, et ce d’autant plus que sa cote de confiance en matière de lutte contre le terrorisme s’est érodée au cours de l’été, passant de 58% en juin dernier à 46% à la fin du mois d’août. Dès lors, l’exécutif a sans doute intérêt à déployer énormément de pédagogie pour accompagner sa décision à venir.

 

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