Sommet UE-Balkans occidentaux : espoir es-tu là ?

Le 6 octobre dernier se tenait le sommet UE-Balkans occidentaux en Slovénie. Pour Sébastien Gricourt, directeur de l’Observatoire des Balkans de la Fondation Jean-Jaurès, il était encore une fois le théâtre d’impatiences compte tenu des blocages pour les processus d’adhésion des six pays candidats alors même que l’UE reconnaît l’importance stratégique de la région. La faiblesse de l’ancrage européen laisse ainsi le champ libre à la Russie et à la Chine mais aussi aux gouvernements illibéraux de certains États membres.

Le sommet du 6 octobre dernier en Slovénie s’est achevé avec ce sentiment renouvelé d’impatiences exacerbées vis-à-vis des blocages des processus d’adhésion des six pays candidats. Il est urgent que le plan économique et d’investissement proposé il y a exactement un an se concrétise, d’autant qu’il est la démonstration de l’unanimité européenne sur l’importance stratégique de la région.

Dix-huit ans après son engagement formulé à Thessalonique, l’Union européennne (UE) réitère à Brdo la perspective européenne pour ces derniers pays des Balkans avec qui elle partage un « intérêt stratégique mutuel ». Mais l‘élargissement reste conditionné à la capacité de l’UE à « maintenir et approfondir son propre développement ». La formulation a le mérite d’adoucir celle, plus abrupte, du président Emmanuel Macron lorsqu’au sommet de mai 2018 il douchait des espoirs sitôt nés chez les partenaires balkaniques et européens en ravivant le débat éculé de l’approfondissement avant l’élargissement. La déclaration de Brdo laisse ainsi entendre que ce sont bien deux processus qui peuvent avancer ensemble sans que le premier conditionne le second.

Néanmoins, les tentations de lier les deux resteront fortes. Aussi faut­-il bien prendre conscience des dégâts causés à la crédibilité européenne par la propre incapacité de Bruxelles à produire les transformations requises dans une région à qui l’intégration a été promise. Dans sa démarche de stabilisation post-conflits combinée à une approche libérale des réformes économiques, l’UE a une part importante de responsabilité dans le développement de la « stabilocratie1Néologisme inventé par le politologue autrichien Florian Bieber pour qualifier l’attitude de l’Union européenne qui a privilégié la stabilité des gouvernements en place à la démocratie dans les différents pays des Balkans occidentaux dont certains mettent pourtant à mal l’État de droit. ». 

Aujourd’hui, ce ne sont pas que des puissances tierces comme la Russie ou la Chine qui profitent des faiblesses de l’ancrage européen des Balkans. Les gouvernements illibéraux d’États membres se saisissent aussi des opportunités offertes par les négligences européennes vis-à-vis de la qualité de l’État de droit et de la démocratie. La gravité des critiques révélées avant le sommet sur l’attitude biaisée du commissaire européen Oliver Varhelyi nous rappelle ainsi que le Parlement européen fut bien avisé lorsqu’il disqualifia en 2019 la première candidature proposée par Budapest. Le parti pris du commissaire conforme à la ligne de Viktor Orbán pour la Serbie d’Aleksandar Vučić est une illustration de ce qui mine la crédibilité européenne. Il en fut de même lorsque circula en avril depuis la Slovénie de Janez Janša un non-papier prônant les changements de frontières dans les Balkans, scénario que nous pensions évacué avec la fin de l’ère Trump.

Ainsi, derrière les difficultés à imposer le mot « élargissement » dans la déclaration de Brdo, et cela même si les États membres s’accordent unanimement à reconnaître l’importance des Balkans, on peut lire aussi que ceux-ci paient la cohésion dégradée de l’Union. Il en résulte que s’offrent aux Balkans plusieurs visions de l’UE. Pourtant, comme le rappelait la chancelière sortante Angela Merkel dans sa tournée d’adieux dans les Balkans, la région est devenue d’un « intérêt géostratégique absolu ».

Au vu de ce constat, le plan économique et d’investissement constitue une opportunité pour ancrer définitivement la région à l’Union, à condition que l’attachement à l’État de droit et à la démocratie soit sincère des deux côtés. À cet égard et en appui de ce plan, la troisième tranche de l’Instrument de pré-adhésion combinée à la nouvelle méthodologie de mise en œuvre et de suivi des réformes développent de nouveaux potentiels, réalistes seulement si la volonté politique existe de toutes parts. 

Sur proposition slovène, le sommet a vainement défendu la date de 2030 pour l’adhésion des six pays. À quoi bon offrir une date pour engendrer de nouveaux espoirs, puis de nouvelles déceptions, quand Bruxelles a affaibli la fiabilité de sa parole ? Cependant, si nous devions retenir cette date de 2030, œuvrons à mettre la région en phase avec nos combats communs pour le climat et le développement durable, en mettant précisément à contribution le potentiel du plan européen. Celui-ci offre possiblement un levier bien plus transformateur, mobilisateur et salvateur, que le seul processus d’adhésion. Il est peut-être même le plan de la dernière chance.

Mais cela ne suffira pas pour que l’espoir demeure dans les Balkans. Tout en suivant son propre rythme de réformes institutionnelles, l’UE va devoir faire la démonstration que la porte reste ouverte. Il ne s’agit pas de le faire uniquement par le biais d’un dialogue politique régulier ou d’actions coordonnées en matière de sécurité, comme l’émet la déclaration de Brdo. Il apparaît nécessaire qu’à défaut de date fixe pour une intégration complète, l’adhésion partielle à des programmes ou des fonds européens soit rendue possible. Les idées existent dans la société civile balkanique, et les apporter dans la conférence sur l’avenir de l’Europe serait bienvenu.

En attendant, la présidence française de l’UE suscite bien des attentes après que la France a provoqué des déceptions. Débloquer l’obstacle bulgare qui prend en otage la Macédoine du Nord et par ricochet l’Albanie, ou corriger l’absurdité d’un Kosovo sans visa vont nécessiter des engagements forts. Paris sera-t-elle alors au rendez-vous de cette Europe ?     

L’article est disponible en anglais sur le site de la Fondation européenne d’études progressistes (FEPS) ici.

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    Néologisme inventé par le politologue autrichien Florian Bieber pour qualifier l’attitude de l’Union européenne qui a privilégié la stabilité des gouvernements en place à la démocratie dans les différents pays des Balkans occidentaux dont certains mettent pourtant à mal l’État de droit.

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