Services publics : pour accompagner la dématérialisation, valorisons le téléphone

Si elle a permis un accès facilité à certains services publics pour une partie de la population, la dématérialisation s’est aussi souvent accompagnée d’une rupture avec d’autres parties de la population, notamment les plus vulnérables. Pour y remédier, le think tank Le Sens du service public  propose dans cette note de revaloriser l’usage du téléphone.

Si la dématérialisation a permis un accès facilité à certains services pour une partie de la population (avec par exemple la déclaration fiscale en ligne, la réservation de créneaux de rendez-vous en mairie, le dépôt d’une procuration pour les élections, des informations en ligne, des simulateurs de droits…), elle s’est aussi souvent accompagnée d’une rupture avec d’autres parties de la population, notamment les plus vulnérables. 

Ce sont 13 millions de Français qui éprouvent ainsi des difficultés avec le numérique. C’est pourquoi la dématérialisation des services publics qui vise à supprimer toutes les interactions humaines doit être questionnée en raison des effets négatifs qu’elle est susceptible d’engendrer. 

Il semble que nous assistions néanmoins à un changement de paradigme en matière de dématérialisation des services publics. Régulièrement conçue comme un moyen de réduire les coûts, de fermer des « guichets » physiques, d’améliorer la performance des administrations, de faciliter l’accès à l’information pour les usagers, cette dématérialisation peu sensible à ses impacts réels et « à marche forcée » est aujourd’hui remise en cause. 

S’il ne s’agit pas de remettre en question les avantages de la dématérialisation des services publics, il convient de réfléchir à des modalités d’accompagnement redonnant une place à l’humain et permettant aux usagers les plus fragiles – ou en ressentant le besoin – de ne pas se sentir démunis. 

C’est en ce sens que l’usage du téléphone dans les relations administratives peut être complémentaire à la dématérialisation et que celle-ci ne doit pas se substituer au téléphone ou le condamner à disparaître.

Faciliter le recours au téléphone dans les démarches administratives nécessite des relations téléphoniques de qualité

En annonçant au printemps dernier un plan téléphone, Élisabeth Borne a indiqué que 43% des interactions avec les services publics se font téléphoniquement. Les relations téléphoniques sont ainsi les premiers canaux de contact des usagers avec leurs administrations. 

Des accueils téléphoniques de qualité sont donc primordiaux, tant pour recevoir des informations générales que pour bénéficier d’informations personnalisées. 

Tandis que la politique conduite depuis plus d’une décennie tend à privilégier les démarches administratives numériques, le téléphone doit rester un véritable canal de communication de qualité pour éviter des risques d’exclusion.

Des standards et des échanges téléphoniques pas nécessairement au niveau de qualité attendu

Selon un sondage réalisé par le think tank Le Sens du service public début 2023, si 33% des personnes interrogées ont utilisé au cours des derniers mois un standard téléphonique des administrations, 52% l’estiment insatisfaisant.

On constate en effet que l’alternative téléphonique n’est pas toujours au niveau escompté de qualité par les usagers. Selon une enquête de l’Association 60 millions de consommateurs et de la Défenseure des droits, la moitié des appels vers la Caisse d’allocations familiales (CAF) n’aboutissent pas, de même que 72% des appels vers l’Assurance maladie. 

Quand un usager parvient à joindre un service public, on observe : 

  • un temps de réponse au téléphone souvent plus court que la durée d’attente,
  • un volume d’information délivré insuffisant par rapport aux besoins de l’usagers, 
  • un renvoi vers l’usage d’internet sans vérification préalable que l’usager y ait accès facilement. 

Notons également que si, depuis le 1er janvier 2021, les services publics ont l’obligation de mettre à disposition des numéros de téléphone gratuits, on déplore encore des appels surtaxés au travers d’arnaques ou de raccourcis pour accéder à quelques services publics.

L’amélioration de la qualité de la relation téléphonique par de nouvelles fonctionnalités

Dans la mesure où les échanges téléphoniques demeurent prépondérants dans les relations avec les services administratifs et qu’ils contribuent à façonner l’image des services publics, l’amélioration de leur qualité par de nouvelles fonctionnalités semble un élément structurant. 

La modernisation de ces échanges passe par :

  • l’identification de façon claire et accessible d’un numéro de téléphone dans les rubriques « contacts », 
  • le rappel des usagers pour éviter les temps perdus lors des attentes, 
  • l’élaboration obligatoire d’enquête de satisfaction auprès des appelants afin d’enrichir la prestation rendue, 
  • l’envoi de SMS sur smartphone plutôt que de mails pour les personnes les moins à l’aise avec internet. 

L’amélioration des relations téléphoniques avec les usagers nécessite également de disposer de standards et de plateformes téléphoniques de qualité. Tout en soulignant des améliorations notables, le Défenseur des droits a, au travers de ses enquêtes, noté des marges de progression. 

Très souvent, ces premières interactions téléphoniques incarnent un mode majeur de communication avec les usagers et sont déterminantes pour utiliser les autres modalités de contact que sont notamment le site internet, l’accueil physique ou une ligne téléphonique dédiée. 

L’amélioration de la qualité des plateformes numériques passe par : 

  • la réception personnalisée des appels, 
  • l’utilisation d’un langage et d’un vocabulaire adaptés aux interlocuteurs, 
  • la formation des personnes répondant au téléphone afin de veiller à l’intonation, à la bonne articulation, au débit, à la qualité de l’écoute…

Promouvoir l’usage du téléphone pour faciliter les démarches d’accompagnement et de médiation

Améliorer l’accueil téléphonique des administrations, c’est aussi garantir pour les usagers le droit de choisir le mode de communication avec lequel ils sont le plus à l’aise. 

L’opportunité de réintroduire l’humain dans la dématérialisation grâce à la valorisation de l’usage du téléphone dans les relations administratives

La dématérialisation des services publics qui ne tient pas compte des capacités de tous les usagers à s’approprier les outils soulève de préoccupantes inégalités d’accès que ne cesse de dénoncer la Défenseure des droits. 

Afin de sécuriser l’égalité d’accès aux services publics et d’offrir aux usagers davantage de souplesse dans leurs relations avec l’administration, il faut donc impérativement assurer une hybridation des parcours et garantir les multicanaux, c’est-à-dire associer au numérique le téléphone et le maintien d’accueils physiques. Cette approche dite « omnicanale » repose sur des accès téléphoniques adaptés, simplifiés et efficaces. 

En effet, les possibilités offertes par le numérique, aussi puissantes soient-elles, ne doivent pas se substituer au téléphone, notamment au travers de chatbots ou autres intelligences artificielles génératives. 

Les interfaces numériques robotisées (par exemple les plateformes téléphoniques automatisées et les chatbots) ont envahi internet avec la promesse de faciliter la vie de l’usager. Pourtant, ces technologies compliquent souvent le parcours de l’usager souhaitant solutionner un problème, car leurs réponses sont inadaptées (impasse de la question) ou se terminent par une fin unilatérale de conversation (raccrochage automatisé). 

C’est pourquoi une bonne transition numérique doit contenir des dispositifs d’accompagnement, au travers de présences humaines dans des guichets renouvelés et au travers de relations téléphoniques adaptées et de meilleure qualité. 

Le développement de l’usage du téléphone comme outil de médiation numérique à distance

Le téléphone peut ainsi compléter la dématérialisation des démarches administratives pour les personnes rencontrant des difficultés en leur faisant bénéficier de nouvelles prestations comme la relation usager à distance. 

Cette assistance téléphonique à la navigation sur le web (cobrowsing) peut constituer, dans le cadre de démarches en ligne, un dispositif pertinent d’accompagnement de nature à rassurer les 15% de Français souffrant d’illectronisme et ce, grâce à la présence de conseillers à distance et à l’élimination des obstacles à la compréhension de ce que voit l’usager. 

Au sein des administrations publiques, le développement de ces nouveaux métiers d’assistance à distance permettrait de conforter l’humain dans le mouvement de dématérialisation et viendrait sécuriser l’égalité d’accès aux démarches administratives actuellement menacée par une dématérialisation parfois impensée et effaçant toute présence humaine. 

Conforter la place du téléphone dans les relations entre les services publics et leurs usagers s’inscrit dans une nouvelle étape de la dématérialisation. La multiplication des plaintes et des rapports officiels vis-à-vis d’une numérisation excessive et négligeant la place des plus fragiles numériquement devraient obliger les pouvoirs publics à redonner davantage de place à l’humain. Tandis que le développement du tout-numérique multiplie les effets de report vers des guichets d’accueil submergés, il y a nécessité de repenser les présences physiques et de redonner une place à des relations téléphoniques de qualité et bénéficiant de moyens dédiés. 

Pour Le Sens du service public, une dématérialisation réussie doit garantir des principes de fonctionnement et satisfaire des objectifs de qualité. 

LES PRINCIPES DE FONCTIONNEMENT D’UNE DÉMATÉRIALISATION RÉUSSIE DES SERVICES PUBLICS 

La dématérialisation doit reposer sur des principes de fonctionnement et de continuité des services publics accessibles à tous et toutes : 

1/ le numérique ne doit pas être conçu comme un outil substitutif des autres modalités de délivrance du service public, mais au contraire comme un moyen complémentaire pour accéder de manière universelle aux services publics ;
 
2/ le numérique représente pour nous une formidable opportunité à condition qu’il soit conçu en étroite articulation avec la présence physique d’agents sur le terrain, au téléphone, sur des horaires et selon des modalités adaptées aux besoins des citoyens et citoyennes ; 

3/ tout service public, dématérialisé ou non, doit s’inscrire obligatoirement dans une démarche d’association des citoyens/usagers (ou leurs aidants), des associations d’accompagnement (par exemple Emmaüs Connect), porteurs d’une expertise d’usage. 
LES OBJECTIFS DE QUALITÉ DE LA DÉMATÉRIALISATION DES SERVICES PUBLICS 

Convaincus qu’une dématérialisation réussie peut être un vecteur d’attractivité du secteur public, elle doit satisfaire les objectifs suivants : 

1/ se mettre au service d’une amélioration tangible du ressenti des usagers et de l’impact des politiques publiques ; 

2/ réellement simplifier la vie des Français et des Françaises en fluidifiant leur parcours, redonner de la visibilité à l’acteur public responsable de la délivrance du service ; 

3/ éviter les redites et faciliter les interfaces entre les administrations. 

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