La Fondation s’associe à Place de la santé, un site lançé par la Mutualité francaise qui vise à installer la santé et la protection sociale dans les débats de la prochaine élection présidentielle, en publiant plusieurs tribunes pour explorer ces thématiques au cœur des préoccupations des Français. Pour la seconde contribution de la Fondation, Éric Vibert, professeur des universités, analyse une expérience novatrice en ce qui concerne l’usage des données numériques dans la santé, et en décrit les implications.
Nous avons une des meilleures médecines publiques du monde, mais nous pouvons faire mieux. La clef ? La mise en place de systèmes d’informations homogènes et efficaces au sein des grandes structures de soins. Seule une évaluation quotidienne de nos performances en termes de quantité et de qualité de vie au décours de nos actes permettra de mettre en place un cercle vertueux des données. Ceci est indispensable non seulement à la survie de nos institutions publiques, mais aussi et surtout à la création de valeurs industrielles et sociétales.
Depuis quelques années souffle un vent de modernité sur le service public hospitalier, les choses évoluent enfin dans le bon sens. Hôpital après hôpital, on voit s’installer un dossier clinique pour les médecins et un dossier de soins pour les infirmières au sein d’un logiciel commun. Enfin un système d’information cohérent où seront recueillies des données cliniques, les résultats des examens complémentaires ou biologiques des malades hospitalisés. Enfin un outil qui évitera les heures perdues à chercher des bilans biologiques imprimés sur une feuille froissée au fond d’une pochette déchirée… Dans cette transformation, la taille des établissements est une force nouvelle. C’est vrai à Paris pour l’Assistance Publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), le plus gros hôpital au monde. C’est vrai aussi à Lyon, Marseille, Lille ou Toulouse. Ce sera vraiment demain si les Groupements hospitaliers de territoire portent ces systèmes d’information en santé.
Pour que ce système puisse évoluer dans le bon sens et que notre institution puisse, au sens large, en tirer profit, les utilisateurs doivent s’impliquer dans son développement. Pendant trop longtemps, ces outils ont été imposés sans avoir interrogé, ou si peu, ceux qui les utiliseront. La quantité et la qualité des informations à recueillir et surtout l’organisation de ces données doivent être déterminées par des experts de chaque pathologie. L’institution regorge de ce type d’experts qui ont souvent, d’ailleurs, déjà développé localement leurs propres systèmes de recueil d’informations. Pour des raisons évidentes, l’existence de ces innombrables systèmes d’informations locaux a freiné l’installation d’un système commun et, surtout, l’implication des experts au développement d’un système commun, à quelques exceptions près.
La chirurgie du foie est une exception car des experts ont accepté de participer au développement du dossier clinique dans leur domaine, et consenti à abandonner localement un système d’information pourtant extrêmement efficace dans le domaine de la production de soins et de recherche clinique.
En effet, dans le domaine de la chirurgie du foie, une société savante (l’ACHBT) a développé un système d’information pour recueillir l’ensemble des informations cliniques, biologiques et radiologiques avant et pendant les 90 jours qui suivent une opération du foie. Cet outil, initialement développé dans le cadre d’un programme hospitalier de recherche clinique (PHRC), a impliqué plus de dix centres français entre 2012 et 2014, puis cinq centres ensuite dont deux services de l’AP-HP. Grâce à ce système d’information homogène et cohérent, l’ACHBT a pu recueillir en peu de temps des informations précises pour plus de 3000 malades et, en conséquence, a produit plus de dix publications internationales. Outre son intérêt scientifique et universitaire, l’observatoire de l’ACHBT a été utilisé dans certains établissements, et en particulier le Centre hépato-biliaire de l’hôpital universitaire Paul Brousse à Villejuif, comme un véritable dossier patient en tirant profit de la précision et de l’organisation des données par rapport à un dossier papier classique.
Grace à un recueil prospectif et quotidien des données pré et postopératoires par une personne dédiée à cette tâche, au contact permanent des soignants et des malades mais sans activité de soins, a été mis en place le cercle vertueux des données. Dans ce cercle vertueux des données, les informations recueillies produisent automatiquement des comptes-rendus d’hospitalisation exhaustifs qui permettent une codification optimale des actes auprès des organismes payeurs. Outre le temps gagné par la production automatisée de ces comptes-rendus, les données recueillies permettront d’évaluer en temps réel les résultats et identifieront plus simplement les verrous à faire sauter, comme autant d’innovations thérapeutiques et de potentielles valeurs industrielles qui financeront largement l’investissement initial.
Dans un monde où la science progresse aussi vite, l’utilisation de ce type d’outils, massivement collaboratif, sera le seul moyen pour répondre aux questions de nos malades, non pas comme aujourd’hui en se basant sur les résultats des traitements d’hier mais sur ceux… d’aujourd’hui.