Rumeur de dissolution

Dans sa contribution d’une série réalisée en partenariat avec L’Hétairie, le constitutionnaliste Jean-Philippe Derosier, professeur de droit public à l’université de Lille et auteur du blog La Constitution décodée, revient sur la rumeur d’une dissolution de l’Assemblée nationale, afin de raccourcir le délai séparant le second tour de l’élection présidentielle du premier tour des élections législatives. 

Une rumeur, savamment entretenue depuis quatre mois, plane entre le Palais de l’Élysée et le Palais Bourbon, sans avoir été noyée dans la Seine qui les sépare. Du moins pas encore.

L’Assemblée nationale pourrait être dissoute, afin de raccourcir le délai séparant le second tour de l’élection présidentielle du premier tour des élections législatives.

L’idée est possible et plausible, mais sa réalisation serait saugrenue, malvenue et très risquée. Pour le comprendre, il faut en cerner les causes, en identifier la faisabilité, avant d’en exposer les conséquences.

Pourquoi une telle dissolution ? Classiquement, depuis 1981 (et non depuis 2002, première application de la synchronisation des calendriers) et à la seule exception de 1995, les élections législatives ont lieu cinq semaines (quatre en 1988) après l’élection du président de la République. L’explication en est que l’élection présidentielle se tient habituellement lors de l’avant-dernier dimanche d’avril et du premier dimanche de mai, tandis que les élections législatives ont généralement lieu le deuxième et le troisième dimanches de juin.

Une telle dissolution soulèverait davantage de difficultés qu’elle n’en résoudrait

Cette année, en raison de l’anticipation du calendrier de l’élection présidentielle aux deuxième et quatrième dimanches d’avril (afin d’éviter un premier tour le dimanche de Pâques) et du maintien du calendrier habituel des élections législatives, sept semaines séparent le second tour de l’élection présidentielle et le premier tour des élections législatives. Un délai jugé trop long par l’actuelle majorité, qui considère qu’il pourrait engendrer un essoufflement des électeurs, voire un retournement de situation.

Rappelons toutefois que la seule fois où un président élu ne remporta pas de majorité absolue, mais seulement relative, ce fut en 1988, lorsque les deux élections étaient séparées de… quatre semaines. Si un tel scénario devait se reproduire cette fois-ci, on doute que la cause serait le délai, plutôt que l’éparpillement des forces politiques en général et des forces de la majorité en particulier.

Cependant, s’il le souhaite, le président de la République est parfaitement en droit de dissoudre l’Assemblée nationale, à peu près quand il le souhaite. Les seules contraintes qui pèsent sur lui sont, d’une part, une obligation de consultation préalable du Premier ministre et des présidents des assemblées. D’autre part, il ne peut procéder à une dissolution si l’article 16 est activé, ni en cas d’intérim par le président du Sénat. Enfin, une nouvelle dissolution ne peut avoir lieu dans l’année qui suit l’élection d’une Assemblée après une première dissolution.

Ce serait toutefois assez saugrenu.

En effet, les dates actuellement prévues ne sont qu’indicatives, tant que le décret de convocation des électeurs n’a pas été édicté. Elles s’appuient sur une simple communication du ministre de l’Intérieur lors du Conseil des ministres du 13 juillet 2021, qui pourrait donc être remise en cause : sur le plan juridique, rien ne s’y oppose, dès lors que sont respectés les délais – plutôt larges – imposés par le Code électoral. L’obstacle est plus politique, puisque ces dates ont été arrêtées après échange avec les principales forces politiques, qui y verraient donc – légitimement – une tentative de manipulation… à l’instar d’une dissolution prononcée à la fin de la législature ! Serait-ce donc un problème ? Non…

De surcroît, une telle dissolution soulèverait davantage de difficultés qu’elle n’en résoudrait.

D’abord, quand la dissolution pourrait-elle être prononcée ? Si c’est avant l’élection présidentielle elle-même, ce serait préempter un résultat, certes probable, mais nullement acquis. C’est donc risqué et la manœuvre serait grossière, pouvant susciter l’ire des électeurs qu’il est toujours préférable de ménager plutôt que d’agacer à la veille d’une élection. Si c’est après le second tour, il serait courtois d’attendre la promulgation officielle des résultats, qui aura lieu le mercredi 27 avril, comme l’a annoncé le président du Conseil constitutionnel. Le faire avant (dès le lundi 25 ou le mardi 26 avril) est possible, mais contraire aux usages républicains.

Pourtant, seule une dissolution prononcée le 25 avril au plus tard pourrait emporter une réelle modification du calendrier.

En effet, l’article 12 de la Constitution impose qu’en cas de dissolution, les élections aient lieu 20 jours au moins et 35 jours au plus après son prononcé. Ainsi, en dissolvant le 25 avril, les élections législatives peuvent avoir lieu les 15 et 22 mai. Si la dissolution a lieu après, le premier tour ne pourra pas être organisé avant le 22 mai, conduisant à un second tour le 29 mai. On gagnerait trois semaines sur l’actuel calendrier, à moins que les élections aient lieu les 29 mai et 5 juin, où l’on gagnerait alors deux semaines.

Mais… problème ! Le 29 mai est le dimanche du week-end prolongé de l’Ascension, tandis que le 5 juin est le dimanche de la Pentecôte. Si rien n’interdit qu’une élection ait lieu lors d’un tel week-end, ils sont généralement évités car ils ne favorisent pas la participation. Or une mobilisation assez forte est indispensable à l’actuelle majorité.

Ensuite, en utilisant cette arme dès maintenant, le président se prive de son usage pendant toute la première année de la nouvelle législature, alors que rien ne garantit qu’il disposera effectivement d’une majorité absolue. Si elle n’est que relative, il faudra la discipliner et l’article 49, al. 3 n’y suffira pas, puisque son usage est désormais limité à un texte par session, en plus des textes budgétaires.

Résumons-nous.

Soit on anticipe le calendrier aux 15 et 22 mai, en revenant, lors de l’édiction du décret de convocation des électeurs, sur les dates annoncées ou en prononçant la dissolution avant le 25 avril. Ce serait afficher et assumer pleinement une manœuvre électorale, que les électeurs pourraient sanctionner, alors que l’on reproche déjà au candidat président d’enjamber la campagne présidentielle, il ne pourrait sans risque chercher à raccourcir celle des législatives.

Soit on organise les élections législatives pendant un week-end prolongé (soit les 22 et 29 mai, soit le 29 mai et 5 juin), alors que c’était précisément pour éviter le week-end de Pâques que l’élection présidentielle est entièrement organisée en avril, ce qui génère la difficulté en cause.

Soit… on ne change rien ! Pas de manœuvre électorale, pas de casse-tête calendaire, un délai légèrement plus long pour mener une campagne sereine et préparer les projets de loi à examiner dès l’été. Serait-ce un problème ? Non, la démocratie ne s’en porterait pas plus mal.

Mais alors, pourquoi une telle rumeur ? Pour animer le cerveau des conseillers élyséens et susciter de bons papiers par des journalistes consciencieux ? Ou pour canaliser une majorité qui pourrait se disperser à la veille d’une élection présidentielle qu’elle croit jouée d’avance ?

Laissons les rumeurs répondre…

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