Dans le cadre de l’opération Place de la santé, lançée par la Mutualité francaise, la Fondation publie des tribunes pour explorer cette thématique au cœur des préoccupations des Français. Dans celle-ci, Jean-Luc Gleyze, président du Conseil départemental de Gironde, revient sur le travail mené avec la Fondation Jean-Jaurès autour du revenu universel, et développe ses approches et convictions sur le sujet.
Le Conseil départemental de la Gironde, la Fondation Jean-Jaurès et le Centre pour la recherche économique et ses applications (Cepremap) ont annoncé le 23 septembre 2016 le lancement d’un projet de recherche-action autour du revenu de base avec l’intention de l’expérimenter à l’horizon 2018.
Que le revenu de base constitue LA solution aux maux de notre société est loin d’être une certitude. Mais qu’il ne soit pas l’un des moyens de refonder le contrat social de notre pays ne l’est pas moins. Ni accepter béatement, ni rejeter brutalement, c’est à cette convergence que je veux me situer, et situer la collectivité de la Gironde.
Le revenu de base a au moins un mérite en ces temps électoraux : celui de provoquer le débat. Mais ce débat ne sort pas toujours grandi de l’écriture à gros traits qu’en font parfois certains médias, réseaux sociaux, voire personnalités politiques ou intellectuelles. Des avis à l’emporte-pièce, sans éclairage, qui tiennent davantage de postures péremptoires, de leçons, que d’argumentaires ou de questionnements.
De quoi parle-t-on ?
D’abord d’un sujet qui bouleverse notre approche de la société, et qui à ce titre entraîne légitimement la confrontation de visions différentes. Ensuite d’un dispositif qui justifie des questionnements sur ses conséquences, notamment dans les comportements des citoyens devant cette mesure, comme sur ses possibilités de financement.
Affirmer qu’il générera une société de fainéants, c’est considérer que vivre avec 750 euros par mois, en-dessous du seuil de pauvreté donc, est satisfaisant. Or, les premiers éléments de l’étude menée avec la Fondation Jean-Jaurès laissent entrevoir que le revenu de base entraînerait un gain monétaire plus important en faveur des « travailleurs pauvres » que des bénéficiaires du RSA. Ces derniers verraient cependant leurs droits garantis sans risque de rupture. Socialement injuste ? Non, lorsque le principal préjugé à l’égard du revenu de base est celui d’un prétendu « farniente pour tous »…
Pourtant, le travail n’est pas soluble dans le revenu de base : les deux ont vocation à cohabiter et même à se combiner. Les parcours d’activités ne sont plus linéaires et stables comme lors des « Trente Glorieuses », mais fragmentés, mobiles, liés à des choix ou des contraintes de vie. Contrats précaires, «ubérisation» des métiers, réorientations professionnelles, création d’entreprise, engagement dans l’associatif ou l’humanitaire, nécessité d’accompagner la fin de vie d’un aîné, l’éducation d’un enfant ou une personne en situation de handicap, besoin de temps partiel, autant de sections de vie, parfois subies, parfois voulues, qui enrichissent la « valeur travail » d’une valeur d’activité sociale.
À ce titre, la vision que je défends du revenu de base n’est pas celle qui détruit la protection sociale en le considérant comme une forme de solde de tout compte. Le contrat social proposé réside dans cette liberté nouvelle, offerte à chacun, d’opérer un choix : celui de travailler pour améliorer son niveau de vie, celui d’un engagement citoyen, celui de se consacrer à un proche, celui de permettre des changements de parcours, celui de faire face aux passages chaotiques d’une vie.
Le revenu de base devient une allocation universelle et inconditionnelle d’initiative et d’autonomie. Il apporte alors un socle, une stabilité, une sorte de « revenu minimum garanti ». Le revenu de base approfondit la Sécurité sociale, il n’est pas incompatible avec le maintien d’aides sociales, même s’il pourrait toutefois en absorber certaines.
Son universalité et son inconditionnalité lui donnent deux avantages
Le premier, c’est la facilité d’accéder à ses droits : en lieu et place d’une batterie d’allocations, c’est un seul revenu, qui regrouperait une partie de ces allocations et serait versé automatiquement. Une façon de lutter contre ce que l’on nomme le « non recours », qui englue dans la précarité ceux qui ignorent leurs droits fondamentaux.
Le second, c’est la disparition du marquage au fer rouge de l’assistanat : chacun en étant bénéficiaire sans condition, il n’y a plus de chômeurs opposés aux travailleurs, d’assistés opposés aux courageux. Chacun touche son revenu de base, et s’inscrit selon ses choix dans la société.
Universalité, inconditionnalité : un tel bouleversement dans l’approche, face à une protection sociale de plus en plus conditionnée à la spécificité des situations, constitue une remise en cause qui questionne des fondamentaux. Ainsi reproche-t-on d’emblée au revenu de base sa prétendue injustice sociale, puisqu’il est versé de la même manière des plus précaires des Français jusqu’aux plus riches. En revanche, on ne s’étonne pas que les frais de santé des plus aisés soient assumés par la Sécurité sociale, alors qu’ils pourraient certainement largement les couvrir seuls. Cela accroît l’adhésion au système de protection sociale.
Par ailleurs, parler revenu de base implique d’envisager dans le même temps une réforme de fond du système fiscal français, dans une logique redistributive des richesses.
C’est ainsi que les scénarios à l’étude profilent une contribution fiscale progressive permettant de financer ce projet: l’impôt sur le revenu interviendrait dès le premier euro gagné au-delà du revenu de base, et pourrait s’y ajouter un impôt sur le patrimoine. En bref, il s’agirait de réduire l’échelle des inégalités, les plus hauts revenus et patrimoines étant mis à contribution pour les classes populaires et moyennes. Ce qui revient à faire rimer justice sociale et justice fiscale. Et à tracer les premières pistes d’un financement que les incrédules, affichant avec ostentation les dépenses, s’ingénient à ne pas considérer. Pourtant, des pistes sont d’ores et déjà identifiées, de la réforme de la CSG à l’imposition sur un actif net patrimonial, l’un des principaux facteurs d’inégalité en France aujourd’hui.
Voici quelques éléments d’éclairage qui permettent de donner un peu de corps et moins de superficialité au revenu de base. Aucune certitude néanmoins, mais des doutes qui subsistent et rendent de fait le sujet suffisamment intéressant pour qu’il mérite que nous nous y penchions encore. C’est la raison pour laquelle nous avons voulu l’étudier dans un premier temps « en laboratoire » avec la Fondation Jean-Jaurès et l’Institut des politiques publiques, avant de tenter une expérimentation en Gironde. Parce qu’il faut avoir le courage d’examiner sous toutes ses coutures ce bel objet de réflexion sociale et sociétale, sans dogmatisme, en faisant simplement preuve d’une saine curiosité.