Au lendemain de la victoire des États-unis à la Coupe du monde féminine de football, Richard Bouigue et Laurent-David Samama en dressent le bilan. Tout au long de ce Mondial, le football féminin a connu un engouement exceptionnel. Défaites en quart de finales par l’équipe américaine, les Bleues ont rencontré leur public. Comment éviter cependant que cette vague ne retombe une fois la compétition terminée ?
Un succès populaire
Engouement
Longtemps, le football féminin s’est développé loin des regards du grand public. À la faveur de la coupe du monde, il est diffusé en prime time, sur une chaîne nationale, et réalise avec les Bleues des audiences records : 10,5 millions de téléspectateurs et 44% de parts d’audience le 7 juin 2019, un nouveau record à l’occasion du match d’ouverture de coupe du monde féminine ; 11,8 millions de téléspectateurs et 52,9% de parts d’audience pour le quart de finale opposant le 28 juin 2019 la France aux États-Unis ; et 11,9 millions de téléspectateurs et 54% de parts d’audience pour le huitième de finale opposant le 23 juin la France au Brésil – soit la meilleure audience de l’année, tous programmes et chaînes confondus.
D’autres rencontres, qui n’impliquaient pas les Bleues, ont également suscité l’intérêt dès les phases de poule. Ainsi, Suède-États-Unis (2 353 000), Japon-Angleterre (1 900 000), Italie-Brésil (1 482 000), Argentine-Angleterre (1 429 000) ou Norvège-Australie (1 213 000) ont largement dépassé le million de téléspectateurs. Au fur et à mesure de l’avancée dans la compétition, les audiences ont nettement augmenté. Ainsi, plusieurs matchs ont dépassé les 2 millions de téléspectateurs : en huitièmes de finale, Suède-États Unis (2 353 000), en quart de finales Pays-Bas-Japon (2 241 000), Norvège-Angleterre (3 505 000). Avec les demi-finales, un palier est encore franchi avec Angleterre-États-Unis (6 277 000, 31% de parts d’audience) et Pays-Bas-Suède (4 311 000, 25% de parts d’audience). C’est inespéré. Loin certes des cartons d’audience d’un mondial masculin, mais le football féminin part de beaucoup plus loin et la progression n’en est que plus impressionnante.
Sans relancer la polémique, reconnaissons qu’il n’était pas très opportun de la part de la Fifa de programmer le même jour que la finale de la Coupe du monde féminine deux autres finales de compétitions majeures : la finale de la Gold Cup, un tournoi qui regroupe les pays d’Amérique du Nord, Centrale et des Caraïbes, qui opposait les États-Unis au Mexique, et la finale de la Copa America (Amérique du Sud), qui opposait le Brésil, pays organisateur, au Pérou. Ce calendrier n’aurait jamais été possible s’agissant de la Coupe du monde masculine. Il faudrait à l’avenir veiller établir un calendrier plus respectueux des compétions et de leurs joueuses et joueurs.
Le public au rendez-vous
Les stades qui accueillent la compétition affichent des affluences importantes. Le quart de finale de la France contre les États-Unis a ainsi rassemblé près de 46 000 spectateurs, témoignant de la nouvelle notoriété des coéquipières de Renard, Henry et Le Sommer.
D’une manière générale, cet engouement s’est traduit dans la billetterie. Selon le directeur du comité d’organisation, Erwan Le Prévost, « après la phase de groupes, on était à 68% de billets vendus et on va dépasser les 75-80% sur l’intégralité du Mondial ». Pour rappel, la promesse faite à la Fifa était d’atteindre 57% de la jauge commercialisée, c’est-à-dire 770 000 billets. Or la barre des 1 100 000 billets est déjà dépassée – « c’est un succès extraordinaire », ajoutait le directeur.
La politique tarifaire a été l’une des raisons de ce succès populaire – avec des matchs à partir de 9 euros pour les phases de groupes et des packs de trois rencontres à 27 euros. Conséquence, dans les stades, la sociologie est plus jeune, plus familiale et plus féminine que d’habitude. Une présence qui a pu surprendre les organisateurs eux-mêmes « au point que l’on est parfois limite en termes de personnel féminin pour les palpations à l’entrée des stades », selon Erwan Le Prévost.
Dans un communiqué publié le 11 juin 2019, la Fifa se félicitait d’avoir écoulé 1 million de billets, tout en précisant que 14 matchs (sur 52) de la compétition affichaient déjà complets. Rapporté au nombre total de tickets mis en vente (1,3 million), cela représente un taux de remplissage « total » de 76%.
Ces bons chiffres permettront-ils d’éteindre la polémique soulevée par The Times de Londres ? Devant les images de stades aux publics clairsemés, le quotidien a révélé dans son édition du 11 juin 2019 que seuls 14 des 52 matchs de la compétition se joueront dans un stade plein. « La politique des billets est remise en question » pointait-il, pour conclure que « trois matchs sur quatre ne se joueront pas dans des stades remplis ». Selon les calculs de la BBC, la capacité totale des stades de la compétition atteindrait en réalité 1,6 million de sièges. Ce qui veut dire que 300 000 places n’auraient jamais été mises sur le marché, alors que même les places dites « partenaires » sont comptabilisées dans les billets vendus.
D’autres médias britanniques n’ont pas hésité à pointer les failles du plan de communication des organisateurs. Il se sont notamment étonnés de ne trouver dans le métro parisien que des affiches pour les rencontres des Bleus – qualifications à l’Euro 2020 – alors que le Mondial débutait.
Les demi-finales et la finale à Lyon se sont jouées à guichets fermés depuis mars 2019 et le quart de finale au Parc des Princes entre la France et les États-Unis était complet depuis plus d’un mois. Pour les trois autres quarts de finale, à moins d’une semaine, il restait à peine 2 000 billets au Havre, 1 500 à Valenciennes et 2 000 à Rennes. Le Havre a tiré son épingle du jeu avec plus de 102 000 billets vendus, Nice aussi avec quelque 112 000 billets vendus.
Pour autant, il est vrai que de nombreux stades n’ont pas fait le plein lors du premier tour, notamment pour des rencontres jugées secondaires, opposant de « petites » équipes souvent éloignées de leurs zones géographiques. Dans la bataille de la communication, on comprend que les organisateurs préfèrent insister sur le nombre de billets vendus plutôt que sur celui des stades aux tribunes clairsemées.
Les places vides
De nouveaux acteurs commencent à poser des problèmes : les sites de revente de billets. Ils font l’objet de plaintes et de condamnations pour leurs pratiques. « Malheureusement et tant pis pour eux, ceux qui vont les acheter n’assisteront pas au match vendredi. Seul le site Fifa.com permet l’achat ou la revente de billets. On a connu ce souci lors du match d’ouverture avec énormément de personnes qui avaient acheté des billets sur d’autres plateformes et qui, malheureusement pour elles, n’ont pas pu entrer dans le stade. Tous ceux qui achèteront des places à ces prix délirants dépenseront beaucoup d’argent et n’assisteront pas au match ». Le problème est que ceux achètent des places pour les revendre ensuite 10, 20, 30 ou 50 fois plus cher qu’ils ne les ont achetées n’en n’assument pas les conséquences : aujourd’hui, la Fifa interdit aux acheteurs de ces billets de rentrer dans le stade.
Des paris en hausse
Plus de spectateurs, plus de téléspectateurs mais aussi plus de joueurs lors de cette Coupe du monde féminine de football. Les paris sportifs se sont envolés et représentent sept fois plus qu’en 2015, a expliqué Charles Coppolani, le président de l’Autorité de régulation des jeux en ligne (Arjel). Il indiquait le 5 juillet 2019 que les Français avaient déjà misé 54 millions d’euros – « c’est important, notamment si on compare à ce qui s’est passé en 2015, lors de la dernière Coupe du monde, où les paris s’étaient élevés à 8 millions. On a changé d’échelle », précisait-il au micro de France Info. À noter que face à cet engouement, l’Arjel met en garde les plus gros joueurs, les hommes de 18-35 ans. L’organisme a lancé une campagne sur les réseaux sociaux pour sensibiliser aux risques du jeu : « On ne gagne pas sa vie avec le pari, on ne se refait pas lorsqu’on perd, prévient le président, il n’y a pas de pari parfait. »
Des retombées économiques
La ville de Lyon a été gâtée. Elle a accueilli tous les matchs des phases finales de la Coupe du monde de football féminin et la présence de plus de 20 000 Américains a fait bondir le taux de remplissage des hôtels et des restaurants. Le bilan économique ne pourra être connu que dans quelques jours, mais gageons qu’il sera bon. À l’instar de celui de la ville de Nice, dont le maire, Christian Estrosi, a déjà évalué à 45 millions d’euros les retombées économiques. « Par rapport à la même période l’an passé, nous sommes à près de 10% de plus au niveau du taux de remplissage de l’hôtellerie et du chiffre d’affaires des commerces niçois en général. Pour nous qui misons beaucoup sur de grandes politiques événementielles sportive, culturelle pour soutenir l’économie de la cité, c’était une Coupe du monde qui a beaucoup apporté à la Ville », a-t-il précisé à Nice-Matin.
Pour conclure, la parole au patron de la Fifa, Gianni Infantino, qui a tout bonnement déclaré : « Cette Coupe du monde féminine de la Fifa en France a été phénoménale, riche en émotions et en passion. C’est la plus belle des éditions du tournoi. Quelque chose d’extraordinaire s’est produit ici, grâce au public français. C’est pourquoi il y aura un avant et un après France 2019. »
Réussir le développement du football féminin
Le succès populaire de la coupe du monde s’inscrit dans la continuité de plusieurs actions engagées récemment pour développer le football féminin, en particulier avec l’attribution du premier ballon d’or France Football en décembre 2018, la publication par la Fifa de la première stratégie pour le football féminin en octobre 2018, le centenaire du premier championnat de France de football féminin…
Pour ne pas perdre de temps, le président de la Fifa a annoncé l’avant-veille de la finale 5 propositions pour le football féminin parmi lesquels le doublement de la dotation financière destinée aux équipes féminines et la création d’une Coupe du monde féminine des clubs « dès l’année prochaine ». Il a aussi évoqué un investissement global d’un milliard d’euros de la Fifa à destination du football féminin. « Il faut investir pour faire croître le football féminin dans le monde entier« , a-t-il affirmé.
Sur le terrain national, le nombre de licenciées devrait donc poursuivre sa tendance à la hausse. En 2011, on comptait 80 000 licenciées en France, elles étaient 184 228 en mai 2019, en-dessous des ambitions de la Fédération française de football (FFF) qui envisageait d’atteindre les 250 000 à l’occasion de la Coupe du monde 2019. Mais la FFF espère à présent atteindre la barre des 300 000 joueuses d’ici cinq ans.
À la rentrée prochaine, l’engouement populaire va se traduire par un afflux d’inscriptions de jeunes joueuses dans les clubs de foot. Comment ceux-ci pourront-ils y répondre ? Brigitte Henriques, vice-présidente de la FFF et du Comité organisateur local, déclare que « aujourd’hui, les footballeuses peuvent trouver un club dans un rayon de 15 kilomètres autour de chez elles. Grâce à ce tournoi, nous rencontrons de nouveaux directeurs et managers, de nouvelles femmes entraîneures rejoignent le football et nous avons pu accroître le nombre d’arbitres féminines. Pour conclure, je dirais que ma plus grande satisfaction est venue de l’excellente qualité des matches. Ces joueuses se sont transcendées. Rien ne sera plus jamais pareil ».
Cette déclaration, pour rassurante qu’elle soit, est un peu optimiste au regard des remontées de dirigeants qui ne cessent de nous alerter sur leur manque de moyens depuis la fin des emplois aidés et la baisse du budget du Centre national du développement du sport (CNDS). Comment éviter que les clubs soient contraints de pratiquer des tarifs prohibitifs pour des joueuses issues de milieux modestes ? L’Agence nationale du sport saura-t-elle se saisir de ce dossier et accompagner le développement du football féminin, en particulier en milieu rural ou rurbain où il peut être difficile de trouver un club ? Sans une politique publique ambitieuse et innovante, on risque de décevoir les nouvelles vocations.
De même, il serait regrettable de croire que le sport féminin est désormais débarrassé de tout préjugé, qu’aucune barrière culturelle ou religieuse n’entrave son développement et sa pratique. Les statistiques montrent que les femmes consacrent en moyenne une heure de moins par semaine au sport que les hommes. Comment y remédier, dans tous territoires, du village au quartier ? Comment construire des campagnes autour du football comme sport émancipateur pour toutes et tous ?
Il faudra aussi interroger la gouvernance du sport et la place laissée aux femmes dans les instances dirigeantes du football. Nathalie Boy de La Tour ne doit pas être l’arbre qui cache la forêt…
Enfin, pour réussir, il faudra qu’au-delà du football, le mouvement de féminisation touche les autres disciplines sportives. Le handball, le football et l’athlétisme ne doivent pas devenir des exceptions, mais les pionniers de ce mouvement.