Restauration scolaire : la politique est dans l’assiette

Montre-moi ta cantine, je te dirai ton époque et ta politique. Depuis toujours, la cantine de nos enfants est révélatrice de notre société et des orientations politiques contemporaines : elle reflète la place que nous accordons à l’alimentation, à la santé, à l’enfant, aux différentes convictions philosophiques et religieuses, à l’environnement dans la conception et la mise en œuvre de nos politiques publiques. Le maire de Montpellier, Michaël Delafosse, montre en quoi la cantine est un outil de lutte contre la précarité alimentaire, un lieu de traduction des choix politiques pour l’environnement et un moyen d’apprentissage de la cohésion nationale autour du principe de laïcité. 

Au fil des décennies, le rôle, la fonction et l’utilité de la restauration scolaire ont été graduellement redéfinis et accrus pour devenir un élément important de l’éducation des enfants.

En 1882, les lois de Jules Ferry, alors ministre de l’Instruction publique, rendent l’école obligatoire mais ne traitent pas des cantines scolaires. Celles-ci se développent alors parfois de manière spontanée, par charité, pour venir en aide aux enfants les plus carencés. Ce n’est qu’en 1936 et l’arrivée au pouvoir du Front populaire que l’oubli de Ferry est réparé et que la construction ou l’aménagement d’un réfectoire pour chaque école devient obligatoire. Il faut encore attendre les années 1950 pour que l’environnement du repas pris à l’école évolue et que ce temps méridien soit mieux organisé. La première décision prise concernant l’alimentation des enfants à l’école et présentée comme un progrès social est l’œuvre de Pierre Mendès France qui, en octobre 1954, décide par décret que les écoles distribueront un bol de lait sucré à chaque élève tous les jours, afin de combattre la malnutrition et l’alcoolisme infantile.

Cette évolution historique traduit de nombreuses avancées sociales et sociétales dans notre pays. Dès lors, les cantines scolaires dépassent la simple fonction de distribution de repas nutritionnellement équilibrés et constituent un levier fort pour diminuer le gradient social dans les inégalités de santé. 

On le sait, l’alimentation est essentielle à la croissance et aux capacités d’apprentissage des enfants. La réussite scolaire est donc, en partie, tributaire d’une bonne alimentation des enfants. Or, l’accès à la restauration scolaire joue un rôle important dans l’équilibre nutritionnel d’un grand nombre d’enfants, notamment ceux issus des milieux modestes ou défavorisés.

Repas de substitution (sans porc ou sans viande), repas végétariens, aliments bios, remplacement des contenants en plastique, adaptation aux allergies alimentaires : les repas distribués dans les cantines scolaires sont souvent l’objet de polémiques, bien loin de l’importance et du sérieux que mérite ce sujet. C’est sérieusement que nous souhaitons ici l’aborder.

Véritable temps d’apprentissage pour transmettre de façon durable aux jeunes générations les savoirs essentiels pour une alimentation respectueuse de l’environnement et écologique, il s’agit également d’un lieu dédié à l’éducation au goût, au respect de la diversité culturelle et des valeurs communes permettant le vivre-ensemble. 

Fort de ce constat et loin de toute instrumentalisation ou de toute hystérisation des débats, il m’a semblé important d’énoncer les trois concepts autour desquels j’ai redéfini la politique de restauration scolaire à Montpellier : la cantine est un outil de lutte contre la précarité alimentaire et un lieu de socialisation ; la cantine est un lieu de traduction des choix politiques pour l’environnement et d’éducation au goût et au bien manger ; la cantine est un lieu d’apprentissage du vivre-ensemble autour du principe de laïcité. 

La cantine, outil de lutte contre la précarité alimentaire et lieu de socialisation

La France compte 5,3 millions de pauvres si l’on fixe le seuil de pauvreté à 50% du niveau de vie médian et 9,3 millions si l’on utilise le seuil de 60%, selon les données 2018, dernière année rendue disponible par l’Insee. Entre 1986 et aujourd’hui, le nombre de repas servis par les Restos du Cœur a été multiplié par seize. Et la crise sanitaire et ses effets économiques et sociaux ont tendance à renforcer cette situation. De plus, dans notre pays, un quart des familles sont monoparentales. Près de la moitié d’entre elles vivent sous le seuil de pauvreté. Dans 85% des cas, ces familles monoparentales sont des femmes qui élèvent seules leurs enfants. À Montpellier, ce chiffre est même 10% supérieur à la moyenne nationale. Ces femmes ont parfois exprimé leur désarroi et leur impuissance à joindre les deux bouts en fin de mois lors des manifestations des « gilets jaunes » qui se sont succédé en France en 2018 et 2019. Il est temps de les entendre et d’agir dans leur intérêt et, par conséquent, dans l’intérêt supérieur de leurs enfants, premières victimes de la précarité alimentaire. 

Il est temps de sortir de ce grand non-dit démocratique, de nommer les choses telles qu’elles sont pour apporter les bonnes solutions. C’est donc en pensant en priorité à elles que, pour rendre accessible la cantine aux familles les plus défavorisées, nous avons mis en place une tarification solidaire pour les familles monoparentales modestes. Pour que ces femmes seules avec enfants ne soient pas assignées à leur seul rôle de mère, pour leur donner les moyens de concilier leur situation personnelle avec l’exercice d’une profession ou la recherche d’un emploi, pour les aider à assumer l’éducation et la prise en charge de leurs enfants et qu’elles ne portent pas tout cela seules. Pour que plus aucun enfant, souvent livré à lui-même, ne déjeune d’un soda sucré et de chips salées devant un écran – des aliments bien loin des standards d’une alimentation équilibrée et nutritionnelle. 

Depuis la rentrée de septembre 2020, pour ces familles aux revenus modestes, le repas est à cinquante centimes afin d’assurer un repas équilibré pour tous les enfants, quelles que soient les difficultés rencontrées par ces familles. Cette mesure est essentielle quand on sait que, comme le Défenseur des droits le rappelle dans son rapport Un droit à la cantine pour tous les enfants de juin 2019, selon les données statistiques disponibles, 40% des enfants des familles défavorisées ne mangeraient pas à la cantine contre 17% des élèves issus des catégories socioprofessionnelles supérieures. En l’occurrence, depuis la mise en œuvre de cette mesure municipale, 1500 enfants en bénéficient.

Il est d’autant plus important de faire céder toutes les barrières sociales d’accès à la cantine que le temps méridien est un temps de socialisation, au même titre que les temps scolaire et périscolaire. Et, à la cantine comme dans la classe, les principes de l’école, et donc de la République, doivent s’appliquer. Tout doit être fait pour ne pas stigmatiser, exclure, isoler mais au contraire rassembler, intégrer. Il faut donc permettre à tous les parents qui le souhaitent d’y inscrire leurs enfants, avec la garantie que ceux-ci auront un repas qui correspond à leurs attentes, à leurs besoins, mais aussi à leurs convictions religieuses et culturelles. 

Proposer aux familles plusieurs options dans les repas servis aux enfants tout en garantissant l’équilibre alimentaire, la qualité nutritionnelle et la diversité des aliments servis constitue un pilier de notre politique alimentaire et, au-delà, de notre politique sociale. Outre les options permettant de substituer les viandes et les menus spécifiquement conçus pour les enfants présentant des allergies, depuis le 4 janvier 2021, un repas végétarien est servi quotidiennement dans les cantines de la ville. Montpellier est la plus grande ville française à offrir chaque jour ce choix, pour une alimentation accessible à tous. C’est une alternative alimentaire qui respecte les recommandations des scientifiques et qui privilégie le recours à des denrées de type céréales et légumineuses, dont la production est plus conforme au cycle des saisons et respectueuse de l’environnement et de la biodiversité.

La cantine, application de la transition écologique et du bien manger

De nombreuses études scientifiques démontrent que l’alimentation est le plus puissant levier pour optimiser la santé humaine et la durabilité environnementale en tandem. À Montpellier, 15 400 repas sont servis en moyenne chaque jour dans nos restaurants scolaires. Les choix d’approvisionnement et d’acheminement des denrées, le mode de production et la composition des repas permettent, à l’échelle locale, d’agir simultanément sur la santé des citoyens tout en préservant nos ressources. Nous mettons en place les jalons d’une politique de restauration collective qui s’inscrit dans la dynamique de transitions. D’une part, une transition écologique et solidaire, engagement fort pris pendant la campagne des municipales. D’autre part, une transition de nos régimes alimentaires actuels vers une alimentation saine définie comme une alimentation qui optimise la santé humaine (un état de bien-être physique complet, mental et social et non simplement comme une absence de maladie). Pour cette dernière, les experts scientifiques indiquent qu’elle implique un doublement de la consommation d’aliments sains tels que fruits, légumes, légumineuses et noix, jointe à une réduction de plus de 50% de la consommation d’aliments moins sains, tels que les sucres ajoutés et la viande rouge.

Avec la politique alimentaire que nous développons, la filière d’approvisionnement des protéines animales (viandes et fromage) gagne en qualité en privilégiant des agricultrices et agriculteurs locaux, respectueux de l’environnement et vigilants au respect du bien‐être animal. Par ailleurs, en plus de repas composés d’aliments issus de l’agriculture biologique ou produits localement, je suis déterminé à éliminer des cantines scolaires les aliments ultra-transformés dont la consommation a été associée à une augmentation de maladies chroniques (cancers, maladies cardio-vasculaires, obésité). 

Parallèlement à ce travail fait sur les filières d’approvisionnement et leur empreinte environnementale, il est également essentiel de considérer la problématique de l’impact des contaminants des contenants alimentaires. L’impact délétère des pesticides, adjuvants et autres additifs sur la santé des enfants, très majoritairement reconnus par le monde scientifique, doit nous amener collectivement à être attentifs au risque de migration de perturbateurs endocriniens des contenants vers les aliments. 

Agir sur les cantines scolaires implique une vision holistique. Il ne s’agit plus seulement de privilégier les circuits courts et les produits de saison. Il s’agit également de (re)penser le rapport entre les hommes, leur alimentation, leur environnement et leur société. 

La cantine, lieu d’apprentissage de la cohésion nationale et d’affirmation de choix de société

La cantine scolaire n’est-il pas le meilleur endroit pour rendre les enfants acteurs de leur alimentation et sensibiliser les jeunes générations au cadre qui les entoure et à la préservation de l’environnement ? Comme le précise la circulaire n°2001-118 du 25 juin 2001, « Le repas de midi n’est pas seulement la prise de nutriments ou de calories. C’est aussi le moment où les élèves, après l’attention du matin, se détendent et où les échanges sociaux sont favorisés. » La restauration scolaire contribue aussi à la formation du goût et à « une éducation nutritionnelle expliquant la nécessité de la diversité alimentaire et les inconvénients des stéréotypes ».

Nous savons que les habitudes alimentaires acquises lors de l’enfance sont déterminantes car elles conditionnent très souvent les futurs choix alimentaires à l’adolescence et influencent ceux de la vie adulte. Sensibiliser les enfants dès le plus jeune âge à des modes de consommation plus durables est donc une priorité. Dans les villes notamment, reconnecter l’école et les enfants à la nature, aux saisons, est un enjeu important. Tendre vers une restauration respectueuse de l’environnement, c’est accepter de changer de modèle en impulsant la transition des méga-cuisines centrales vers des cuisines de proximité où l’on maîtrise les quantités alimentaires pour limiter notamment le gâchis alimentaire. Dans le pays de la gastronomie, où la fraternité et la convivialité du repas partagé ont toujours eu un rôle essentiel, ce modèle de production de repas en masse paraît de plus en plus aberrant. On observe, partout, la présence de plus en plus forte de grands chefs qui contribuent à l’élaboration des repas dans la restauration collective pour s’assurer de leur diversité nutritionnelle tout en veillant à l’éducation au goût (saveurs, odorat) et à la diversité gastronomique.

À Montpellier, nous avons fait le choix, pour les dix prochaines années, de créer plusieurs unités de production de repas en lieu et place de l’actuelle cuisine centrale qui réalise plus de 15 000 repas chaque jour pour les 126 écoles. Multiplier ainsi les sites permettra, en outre, de penser et organiser autrement les circuits d’approvisionnement des denrées et de rapprocher les lieux de production des écoles. La création de potagers autour de ces nouvelles cuisines renforcera encore plus le lien entre les enfants et la nature, l’environnement et l’alimentation mais également leur curiosité, leur appétence et leur sensibilité pour l’agriculture. Environnement, alimentation saine, santé, culture bio et durable, autant de sujets qui pourront être abordés in situ pour former des citoyens plus respectueux de leur environnement et de leur prochain.

Si les choix des menus dans les cantines ne doivent pas être instrumentalisés pour devenir des sujets idéologiques, il est évident que la restauration scolaire fait plus que répondre à un besoin physiologique : elle est un temps scolaire et culturel où les enfants apprennent à découvrir l’autre et le monde qui les entoure. Les décisions prises à cet endroit affirment des choix politiques portés par des valeurs et des principes. À Montpellier, nous avons fait le choix d’être du côté de ceux qui servent la cantine comme ils servent le service public, dans l’intérêt général, en opposition à ceux qui s’en servent pour véhiculer des polémiques autour des principes de la République. 

Enfin, j’ai récemment lancé à Montpellier le comité de suivi de la restauration scolaire, qui est composé de techniciens, de chercheurs, d’agriculteurs, d’élus, d’enseignants et de parents d’élèves. Au sein de cette instance d’échanges, les retours d’expérience et les propositions du terrain seront étudiés avec sérieux et pragmatisme mais sans dogmatisme et lobbying. Car il en va de la santé de nos enfants.

Assurément, notre politique alimentaire porte de grandes ambitions dans l’intérêt supérieur des enfants. Tout d’abord, elle se veut solidaire : avec les familles les plus modestes, mais aussi avec nos agriculteurs et éleveurs locaux en privilégiant leurs produits. Elle se veut écologique, parce qu’elle œuvre à la transition écologique à court terme en privilégiant les circuits courts, comme à long terme en éduquant les jeunes générations à une alimentation diversifiée et saine. Elle se veut innovante, en proposant de sortir du modèle désuet et productiviste des grandes cuisines centrales et de reconnecter les enfants à la nature et à l’agriculture. La restauration scolaire, qui accueille avec bienveillance tous les enfants, contribue ainsi à la qualité de l’école publique et laïque.

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