Émeric Bréhier revient sur les annonces récentes faites par le Premier ministre concernant la future réforme constitutionelle. Pour lui, si l’on peut émettre une critique à ce stade, c’est la faiblesse des propositions quant à l’organisation du travail parlementaire.
Le gouvernement a donc abattu – en partie ? – ses cartes. Il n’y eut en réalité guère de surprises à l’écoute de l’intervention du Premier ministre Édouard Philippe. Il n’y en eut guère plus à la lecture du projet transmis au Conseil d’État. On retrouve les termes usités par le président de la République à maintes et maintes reprises afin de caractériser la démarche institutionnelle qui est la sienne : modernisation, efficacité, meilleure représentation. Nulle surprise non plus quant aux trois textes qui seront prochainement présentés : le premier d’ordre constitutionnel, le deuxième organique et le troisième ordinaire.
Si certains points ne devraient pas soulever d’importantes controverses (renforcement des pouvoirs du Conseil supérieur de la magistrature, fin de la présence de droit des anciens présidents de la République au Conseil constitutionnel, modernisation de la procédure de mise en cause de la responsabilité pénale pour les ministres pour les faits commis dans l’exercice de leurs fonctions, la transformation profonde du Conseil économique, social et environemental), en dépit des probables débats parlementaires acharnés, d’autres dispositions envisagées, elles, ne manqueront pas de susciter de vives oppositions. Remarquons que si nulle surprise ne fut provoquée par l’intervention du Premier ministre puis par le texte transmis au Conseil d’État, les réactions des oppositions n’en furent pas moins conformes à ce que l’on pouvait attendre, poursuivant sur cette ligne d’attaque contre un président n’ayant de cesse que de renforcer les pouvoirs de l’exécutif au détriment du Parlement et des représentants du peuple. Pourtant, à ce stade, des éléments concrets manquent à l’appel pour émettre un tel jugement trop aisé, même repris largement pour emporter la conviction. Car si l’on peut faire, à tout le moins à ce stade, une critique, c’est bien la faiblesse des propositions quant à l’organisation du travail parlementaire.
Certes, des propositions d’une meilleure organisation des débats budgétaires sont émises qui peuvent ne pas être sans intérêt : raccourcir le délai d’instruction du projet de loi de finances en « échange » d’un allongement du temps d’examen de l’exécution budgétaire peut se discuter. Mais les précisions manquent cruellement pour emporter la conviction de parlementaires qui ont trop eu l’habitude par le passé de se voir promettre des moyens de contrôle dont ils n’ont que trop peu vu la couleur. Est juste prévue une loi organique devant déterminer les conditions dans lesquelles les commissions permanentes de chaque assemblée entendent les membres du gouvernement sur l’exécution des lois de finances. Et rien n’est prévu quant à une possible évolution de l’article 40 ni même de la présentation de la loi organique relative à la loi de finance (LOLF). Cela fait bien maigre.
Certes, quelques pistes sont avancées quant à la procédure de la Commission mixte paritaire. Certes l’article 4 du projet prévoit d’ajouter un alinéa à l’article 42 de la Constitution : « la Loi organique détermine les conditions dans lesquelles les projets et les propositions de loi adoptés, en présence du gouvernement, par la commissions saisie en application de l’article 43 sont, en tout ou partie, seuls mis en discussions en séance ». Cela est notoirement insuffisant.
Certes, la proposition ubuesque de lier le nombre d’amendements pouvant être déposés à l’importance numérique des groupes parlementaires est, fort heureusement, abandonnée, mais rien n’est proposé pour limiter ce jeu mortifère des amendements rejetés en Commission et revenant en séance, pas plus que la capacité du gouvernement de sortir de son chapeau des amendements en séance modifiant substantiellement son propre projet de loi n’est remise en cause. Seul est prévu de modifier l’article 41 étendant le champ de l’irrecevabilité des amendements et réduisant le délai accordé au Conseil constitutionnel pour se prononcer. Il n’y a là rien d’une opération « gagnant-gagnant » contraignant ainsi le gouvernement à travailler bien plus en amont ses propres projets de loi par respect pour le Parlement, et donc gage… d’efficacité. Cela est lénifiant.
À n’en pas douter, il faut tout au moins l’espérer, les débats parlementaires devraient permettre de combler ce qui ressemble bien, au mieux, à un vide sidéral, au pire à une incompréhension du rôle et de la place du Parlement. Les travaux menés par les députés comme par les sénateurs pourraient légitimement trouver là des débouchés novateurs afin de mieux doter le Parlement dans son travail à la fois de législateur et de contrôle de l’action du gouvernement. La partie est donc loin d’être achevée.
Quant à la réduction du nombre de parlementaires et leur mode d’élection, le chemin demeurant à parcourir est encore bien long… et tortueux. Si l’engagement du candidat Macron de diminuer de 30% leur nombre figure bel et bien dans les propositions avancées par le Premier ministre, nombre de questions demeurent en suspens. À cet égard, rappelons que si cette réduction devenait effective, la France compterait approximativement le même nombre de parlementaires par habitant que notre voisin outre-Rhin. L’engagement de l’exécutif à ce que chaque département compte un député et un sénateur, sans aucun doute en lien avec la pression sénatoriale, cumulé avec l’élection de 15% des députés à la proportionnelle, induit que 344 d’entre eux devront être élus au scrutin uninominal, ce qui équivaudrait à des tranches d’un député pour 194 000 habitants. Ce n’est qu’ensuite que la règle admise par le Conseil constitutionnel des variations entre circonscription au sein d’un même département pourra jouer. Cela impliquera par la force des choses que plus de 20 départements pourraient ne compter qu’un seul député élu au scrutin uninominal (contre – actuellement). Et que 53 ne compteraient qu’un seul sénateur et 21 seulement 2.
Mais nombre d’incertitudes demeurent : quel mode de calcul pour les 15% des députés élus à la proportionnelle ? Celle-ci sera-t-elle nationale ou régionale ? Concernera-t-elle l’ensemble des forces politiques présentant des candidatures ou uniquement celles n’ayant pas obtenus au suffrage uninominal le nombre de députés qu’une proportionnelle stricte leur aurait attribué ? Et quand se dérouleraient donc les élections législatives ? En même temps que l’élection présidentielle ou non ? Et que dire du mode de scrutin pour l’élection des sénateurs ! Avec la diminution du nombre de sénateurs, la question du seuil à partir duquel la proportionnelle (qui a joué un rôle essentiel dans l’accroissement du nombre de sénatrices) s’applique est de nouveau posée, sans même évoquer la composition du collège électoral.
Si l’on peut comprendre que de l’interdiction du cumul de mandats dans le temps, au-delà de trois mandats identiques, complets et consécutifs, en soient exclus les maires des communes de moins de 9000 habitants, reste à savoir si cette disposition sera ou non rétroactive. Et si la non-rétroactivité en matière pénale est un principe constitutionnel, elle peut en l’espèce être contournée au nom d’un intérêt général qui n’apparaît pas hors de portée.
Demeure évidemment, mais c’est de bonne stratégie, une inconnue : quelle sera la voie retenue par le président de la République pour faire aboutir ces réformes aux portées normatives différentes ? Se contentera-t-il de la voie parlementaire ou décidera-t-il à l’issue d’un vote conforme des deux assemblées d’opter pour la voie référendaire ? Et si ce vote conforme n’était pas obtenu, choisira-t-il d’user de l’article 11, au moins pour une partie de ces dispositifs ?
La bataille politique ne fait donc que débuter, et elle durera de longs mois. Espérons que celle-ci permette de dépasser les postures, les discours caricaturaux des uns et des autres, et qu’elle permette de faire émerger des – ô gros mot – compromis. Y associer nos concitoyens, comme s’y essaient d’ailleurs les sénateurs socialistes, ne serait pas indécent. Car après tout il ne s’agit rien de moins que de réinventer notre cadre démocratique.