Le 18 septembre 2014, les Écossais sont appelés aux urnes dans le cadre d’un référendum historique, pour répondre à la question «L’Écosse devrait-elle être un pays indépendant?». Les enjeux sont de taille, analyse Samy Ahmar, particulièrement sur trois sujets: l’économie, la monnaie et l’Europe.
Pour les conservateurs, nostalgiques d’une grandeur impériale passée, la fin de l’union sonnerait le glas d’une vision d’un monde dans lequel le royaume, fort de son unité, pourrait maintenir un degré d’influence supérieur à ce que sa modeste taille pourrait suggérer. Mais l’apparente défaite politique laisserait rapidement place à un sentiment de soulagement, voire d’euphorie, à l’idée de s’être débarrassé d’un territoire historiquement de gauche, où le parti conservateur a été quasiment anéanti à la suite du traumatisme d’une décennie de thatchérisme, et qui bénéficie toujours d’une représentation disproportionnée à la Chambre des communes. Pour les Libéraux-démocrates, elle signifierait la perte de plusieurs bastions historiques, notamment les Highlands, les Îles d’Écosse et l’Aberdeenshire, et priverait un parti en perte de vitesse d’une dizaine de sièges aux prochaines élections parlementaires. Pour UKIP, le parti populiste de droite et eurosceptique dont la montée en puissance depuis plusieurs années inquiète l’ensemble de classe politique, elle annihilerait le rêve, dont leur charismatique leader Nigel Farage ne se cache pas, d’étendre la présence de ce mouvement sur l’ensemble du territoire de Grande-Bretagne.
Pour le parti travailliste, en revanche, cette question revêt un caractère beaucoup plus existentiel : sans l’Écosse, les travaillistes ne pourraient plus aspirer à une majorité absolue à la Chambre des communes, sauf à renouveler leur corpus idéologique en profondeur, en « droitisant » leur programme de manière significative. Depuis les élections législatives de 2005, sur les 59 circonscriptions parlementaires britanniques que compte l’Écosse, 41 sont travaillistes. Si ce chiffre a nettement diminué par rapport à 2001, où le parti travailliste avait remporté 55 sièges avec un vote populaire guère plus élevé (43 % au lieu de 42 % en 2010), c’est parce que le redécoupage des circonscriptions survenu en 2004 a grandement réduit le nombre total de circonscriptions écossaises, auparavant de 72. Malgré cela, le contingent de députés travaillistes que compte l’Écosse à la Chambre des communes reste suffisamment large pour rendre la perspective d’une majorité absolue au parlement hautement improbable en son absence. Seul le raz-de-marée travailliste de 1997, qui a vu le parti de Tony Blair obtenir une majorité de 179 sièges à la Chambre des communes, maintenue à 167 quatre en plus tard aux élections de 2001, peut se targuer d’avoir été réalisé sans l’apport vital des députés écossais. Cette performance fut toutefois réalisée dans des circonstances exceptionnelles et aura peu de chances de se reproduire avant longtemps. Ceci explique sans doute le rôle de premier plan joué par le parti travailliste dans la campagne du « non » au référendum. L’ancien Premier ministre Gordon Brown lui-même, jouissant toujours d’un prestige considérable dans sa terre natale, a choisi de mettre tout son poids dans la balance en intervenant régulièrement sur le sujet dans ses prises de parole.
Pour certains observateurs, le SNP signera une victoire quelle que soit l’issue du scrutin : en effet, les trois grands partis de gouvernement se sont d’ores et déjà engagés, dans le cas d’un rejet de l’indépendance, à inclure dans leurs programmes respectifs un processus d’autonomisation supplémentaire de l’Écosse, avec notamment de plus grandes prérogatives en matière de politique fiscale, et en particulier concernant l’impôt sur le revenu. Alex Salmond comptait sur un festival de commémoration du 700ème anniversaire de la bataille de Bannockburn, une date mythique dans l’imaginaire collectif écossais à cause de la victoire inattendue des troupes de Robert the Bruce sur l’armée anglaise, pour dynamiser la campagne du « oui ». Le succès très relatif de cet événement aura peu de chances d’entamer la détermination du SNP à rompre avec Londres.