Réélection d’Emmanuel Macron : le soulagement allemand

C’est avec intérêt que les Allemands ont suivi la campagne présidentielle française, avec inquiétude qu’ils ont observé la progression de l’extrême droite europhobe, et avec soulagement qu’ils ont accueilli la victoire d’Emmanuel Macron. Alors que ce dernier s’envole vers Berlin pour y rencontrer le chancelier Scholz, Ernst Stetter, conseiller spécial du président de la Fondation Jean-Jaurès pour l’Europe, analyse le point de vue des Allemands sur la crise démocratique que traverse la France.

« Vos électeurs ont envoyé un engagement fort à l’Europe aujourd’hui »: c’est par ces mots que le chancelier Olaf Scholz, à peine les résultats officiellement connus, a félicité Emmanuel Macron pour sa réélection. 

Une catastrophe évitée pour l’Europe

Impossible de ne pas être soulagé. Un échec du président Emmanuel Macron face à Marine le Pen aurait été une catastrophe non seulement pour la France, mais également pour l’Union européenne (UE) et le monde entier. Si Marine Le Pen l’avait emporté, cela n’aurait pas seulement été un triomphe des idées nationalistes et racistes en France, mais aussi une remise en cause de l’amitié patiemment tissée entre la France et l’Allemagne depuis le traité de l’Élysée signé entre le chancelier Konrad Adenauer et le général de Gaulle le 22 janvier 1963. Au-delà du couple Paris-Berlin, une victoire du Rassemblement national (RN) constituait une menace pour l’ensemble du projet européen.

Face à cette perspective angoissante, les responsables politiques et les médias allemands avaient fébrilement scruté les propositions de Marine le Pen. Le cauchemar d’un « Frexit » sans le dire et le blocage de l’Europe qui en aurait découlé étaient des menaces prises très au sérieux à Berlin. 

Pour la Frankfurter Allgemeine Zeitung, depuis que François Mitterrand a changé le droit électoral et permis à Jean-Marie Le Pen et à l’extrême droite de s’imposer au sein de la politique française, les Français jouent à chaque élection « à la roulette russe avec le fascisme ». Les conséquences de ce jeu dangereux étaient bien visibles dans une campagne présidentielle où le « bloc de la raison » du président Emmanuel Macron faisait face à une majorité extrémiste, fruit d’une alliance entre des mouvances anticapitalistes et anti-américaines bien ancrées dans l’histoire française.

Pour Jürg Altwegg, un journaliste éditorialiste allemand très renommé, les Français n’auraient jamais pardonné les Américains d’être leurs libérateurs, ce qui expliquerait selon lui leur indulgence envers la Russie et, par conséquent, leur refus de sanctionner la proximité de Marine le Pen avec Vladimir Poutine. Au-delà de ces considérations historiques, la haine personnelle envers Emmanuel Macron aurait selon lui pris le pas sur la méfiance envers l’extrême droite, que Marine le Pen a habilement réussi à amadouer au travers de sa stratégie de proximité.

Pour Matthias Hochstätter, le succès rencontré par « l’extrémiste de droite d’à côté » et la banalisation du RN ne manquent pas d’inquiéter quant à la profondeur de la crise politique qui touche un pays qui, aveuglé par ses angoisses de déclin, en oublie qu’il est la seule puissance nucléaire de l’UE et son unique représentant au sein du Conseil de sécurité de l’ONU. D’après le journaliste de Focus, cette élection présidentielle nous force à un constat implacable : la France, dont les partis favorables à la démocratie libérale, à l’économie de marché, au maintien dans l’OTAN et à l’intégration européenne réunissent à peine un tiers des suffrages, glisse depuis des années vers un extrémisme dangereux. La situation est telle que la France serait même désormais dans une situation comparable à celle de la République de Weimar.

Le soulagement de Berlin

Cette inquiétude n’est pas feinte. Face à une campagne électorale perçue comme un combat de boue se résumant à des slogans identitaires hystériques, face à la perspective de voir arriver au pouvoir des partisans d’une « préférence nationale » qui n’est rien d’autre qu’une forme de suprémacisme blanc visant à expulser de leurs logements plusieurs générations d’immigrés, les Allemands s’interrogeaient sincèrement sur la lucidité des électeurs de Marine le Pen. À cet égard, et au-delà de la question franco-allemande et de l’avenir de la construction européenne, l’annonce des résultats a été un réel soulagement pour les observateurs allemands épris de démocratie, d’humanisme, et tout simplement de la France.

En effet, la perception de la France de la part des Allemands ne se résume pas à leur admiration pour sa culture et son savoir-vivre. Elle est également profondément marquée par la conscience que l’Hexagone, parce qu’il est le berceau des droits de l’homme et parce qu’il abrite à la fois la plus grande communauté juive et la plus grande communauté musulmane d’Europe, a un rôle à jouer pour prouver au monde qu’il est possible de faire réussir un pays multiculturel dans lequel la couleur de la peau n’a aucune importance. Pour Berlin, ces valeurs sont appelées à guider l’ensemble de l’Europe et, au-delà, doivent servir d’horizon universel. Pour ce faire, elles ne peuvent souffrir d’aucune contestation en France. 

Face au succès grandissant de Marine le Pen et de l’extrême droite, le trouble des Allemands est donc profond : en cédant à ces bas instincts, la France s’attaque à son propre rayonnement et détricote ce qu’elle devrait protéger et chérir. 

Une Allemagne reconnaissante mais inquiète

Face à cette menace contre les libertés publiques, l’âme de la France et l’avenir de l’Europe, les électeurs français ont su former, et pour beaucoup à contrecœur, une large coalition. C’est un réel soulagement, et les Allemands leur en sont reconnaissants. Ils se félicitent de la large réélection d’Emmanuel Macron, mais ils sont conscients des défis qui l’attendent au cours de ce second mandat : face à la colère qui s’est exprimée pendant la campagne, il dispose de cinq courtes années pour apporter à ses électeurs la preuve que l’extrême droite n’est ni une solution efficace à la crise, ni une réponse pratique à leurs problèmes, ni une option crédible pour leur pays. À l’exception de l’AfD, toute la classe politique allemande forme des vœux pour son succès. Les enjeux sont colossaux : la catastrophe ne pourra être éternellement évitée. 

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