En avril 2017, Gilles Finchelstein décrivait les trois états de la démocratie – solide, liquide, gazeux – dans un éclairant cours de chimie électorale. À l’occasion de la présidentielle de 2022, Édouard Lecerf, directeur général adjoint de BVA, pousse ici l’exercice. Les disciples des sciences dures lui pardonneront ce nouveau détournement improbable et candide.
Macron le précipité
L’irruption électorale d’Emmanuel Macron en 2017 a tout du précipité.
Une « phase dispersée hétérogène dans une phase majoritaire » : c’est ainsi que les manuels de physique-chimie décrivent froidement ce phénomène pourtant visuellement frappant d’un produit s’agrégeant instantanément lorsqu’on le verse dans un autre liquide de la bonne composition.
Il est évidemment tentant de transposer la manière dont le « en même temps » a pris corps en entrant en contact avec le système électoral. Ceux qui se souviennent de leur cours de chimie sur ce thème comprendront l’analogie. Le précipité ne se produit et ne se visualise que lorsque les caractéristiques chimiques des deux « phases » le permettent. Politiquement, le singulier projet macronien n’a ainsi pu prendre forme rapidement que parce qu’il a été mis en contact avec un corps social et électoral particulier. L’élection présidentielle a joué le rôle du chimiste, versant le produit macronien rupturiste dans un environnement à forte concentration de souhait de changement par rapport au jeu politique habituel.
Pécresse et la question de l’émulsion
Chimiquement, une émulsion est le mélange hétérogène de deux substances non miscibles. La préparation d’une vinaigrette donne à comprendre de la manière la plus simple cette notion d’émulsion, quand huile et vinaigre peinent à se mélanger de manière stable et durable. Pour que l’émulsion se produise, une action extérieure est nécessaire : agitation, mélange ou ajout d’un principe actif. Dès lors, le produit pourra avoir un aspect macroscopiquement homogène, mais il restera microscopiquement hétérogène.
Quand Valérie Pécresse sort victorieuse du second tour de la primaire de la droite, elle comprend qu’elle doit immédiatement incorporer dans son équipe et dans son discours une partie au moins des ingrédients ayant permis à Éric Ciotti de devenir le challenger inattendu de ce second tour. L’élan procuré par sa victoire, la dynamique d’une plus grande victoire possible et les premiers sondages favorables jouent alors un efficace rôle émulsifiant. La droite républicaine semble s’être retrouvée autour d’une candidature unique et d’un programme mélangeant toutes les sensibilités qui la composent. Las, les premiers accrocs dans la campagne, les meetings manquant de souffle ou les prises de position parfois contradictoires sur lesquelles on lui demande de s’expliquer ralentissent le mouvement. On a alors tôt fait de distinguer de nouveaux les composants contrastés du mélange. La mayonnaise ne prend plus.
Les candidatures de gauche victimes des lois de l’attraction
Lorsque l’on observe la multiplication des candidatures de gauche à l’élection présidentielle de 2022, la raison politique semble à ce point bousculée que l’on est tenté d’appeler Isaac Newton à la rescousse. La loi de l’attraction universelle dont il est l’auteur nous explique que plus un corps est massif, plus la force d’attraction qu’il exerce sur un autre est grande, plus ils sont éloignés, plus la force exercée est faible.
Plutôt que de s’unir, de faire masse et de construire ainsi une capacité d’attraction supérieure auprès des électeurs, la gauche a choisi le chemin exactement inverse. La force d’attraction de chaque candidature, proportionnelle à sa masse, mesurée notamment par les études d’opinion, est faible. Les électeurs de gauche ne sont simplement plus attirés. Logiquement, ils s’éloignent. Et l’augmentation de la distance avec les candidatures vient participer à son tour à l’effondrement de l’attraction (inversement proportionnelle au carré de la distance).
L’électorat téflon
« Une campagne Téfal ». Le succès de l’expression utilisée sur France Inter par Brice Teinturier, le directeur général délégué d’Ipsos, pour qualifier la campagne deux mois avant le premier tour doit à la fois à sa pertinence et à la familiarité de l’image qu’elle suscite. Comme sur une poêle de la marque en question, tout semble glisser, rien n’accroche. Le téflon (ou polytétrafluoréthylène, PTFE), chimiquement inerte, qui tapisse les poêles ou les moules refuse l’échange avec d’autres molécules et donc l’adhésion.
La campagne des candidats, leurs programmes, leurs discours, leurs prises de parole semblent pourtant posséder, comme lors des précédents scrutins présidentiels, des capacités de friction suffisantes. On peut également considérer que les sujets de préoccupation mis en avant par les Français au travers des enquêtes d’opinion sont suffisamment « chauds » pour favoriser un échange moléculaire (comme la chaleur intense sous une poêle en métal favorise l’accroche du produit qui y cuit). Et journalistes, médias et études d’opinion ne ménagent pas leurs efforts et reviennent quotidiennement sur la paillasse pour donner corps à l’expérience.
Ce serait donc du côté de l’électorat qu’il faut se tourner pour déceler le téflon à l’œuvre. La distance affichée par les Français à l’égard de la politique et de ses représentants, la méfiance ou lassitude à l’égard du système, la difficile bataille de l’attention : tous ces éléments concourent à rendre le corps électoral plus inerte (au sens chimique du terme) et les points de rencontre et d’échanges avec les candidats plus rares.
Un manque d’énergie d’activation ?
On peut, malgré tout, considérer l’élection présidentielle et les élections législatives qui la suivent en France comme un moment particulier de réaction politico-chimique. Un épisode où des réactifs interagissent, modifient la nature des substances initiales et produisent de nouvelles substances, dotées de nouvelles propriétés.
Lorsque l’on prend en compte les critères influant sur la vitesse de réaction, le parallèle avec la politique prend d’autant plus de sens. Le niveau de pression fait écho à l’importance de l’enjeu que les Français accordent à ce moment politique. La température qui agite les molécules et les fait réagir rappelle l’intensité possible des débats autour d’enjeux majeurs. La concentration des molécules peut s’appliquer à la mobilisation du corps électoral, que ce soit au travers de l’intérêt qu’il accorde à la campagne ou au moment de se rendre ou non vers l’isoloir. L’élection présidentielle en France possède par ailleurs une surface de réaction des plus importantes, ce qui devrait a priori favoriser la vitesse de cette réaction. À l’inverse, l’apathie politique ou la fatigue électorale dont semblent parfois souffrir une partie des Français pourrait ne pas produire l’énergie d’activation suffisante à la réaction chimique attendue.