Après l’annonce de la dissolution de l’Assemblée nationale, les candidats de gauche n’ont que quelques jours pour imposer leurs propositions dans le débat public. Antoine Bristielle, directeur de l’Observatoire de l’opinion de la Fondation, analyse cette difficulté à faire bouger les lignes politiques au sein des électorats et propose des pistes stratégiques que la gauche pourrait emprunter pour faire la différence lors de ces prochaines législatives.
Le 30 juin prochain, les Français seront appelés aux urnes suite à la dissolution de l’Assemblée nationale annoncée quelques minutes après le résultat des élections européennes.
La gauche, qui partait désunie il y a quelques semaines, a décidé de s’unir sous la bannière du Nouveau Front populaire, s’accordant à proposer plus d’une centaine de mesures dans un programme commun de gouvernement.
Pour autant, les candidats de gauche nouvellement investis font face à une problématique majeure : le premier tour des législatives est dans seulement quelques jours et il est extrêmement compliqué d’imposer des propositions dans un débat public où les intérêts médiatiques portent davantage sur des considérations de jeu politique que sur le dévoilement des propositions des candidats.
Plus encore, avec une campagne aussi courte, il est particulièrement difficile de faire bouger les lignes politiques au sein des électorats : le travail de conviction réside principalement sur la capacité à mobiliser un électorat possédant une sensibilité de gauche et non à chercher à convaincre au-delà de l’espace classique de la gauche. Pour le dire autrement, quelles mesures les candidats de gauche devraient prioritairement mettre en avant pour que « leur » électorat se mobilise plutôt qu’il choisisse de s’abstenir ? Bien entendu, nous ne négligeons pas le fait que les 577 circonscriptions qui composent notre pays sont différentes en termes sociologiques et politiques. Il s’agit néanmoins de dégager ici la stratégie globale à mettre en place et les quelques mesures sur lesquelles insister pour se faire élire.
Comprendre les déterminants du vote de gauche
Allier le général et l’individuel
En termes de stratégie générale, deux options se présentent pour les candidats de gauche : soit mettre en avant des projets de réformes structurelles, avec le risque d’être trop abstraits pour les potentiels électeurs, soit mettre en avant des mesures extrêmement concrètes, du quotidien, avec le risque de paraître trop terre-à-terre et peu ambitieux. Intéressons-nous ainsi aux raisons de l’abstention lors de précédentes élections européennes.
Graphique 1. Les raisons de l’abstention lors des élections européennes de 20241Européennes 2024, Sondage jour du vote, Ifop, 9 juin 2024.
On le voit, deux principales raisons sont mentionnées par les abstentionnistes : le fait que ces élections ne changeraient rien à leur situation personnelle (43%) et le fait que ces élections ne changeraient rien à la situation du pays (42%). Ces deux raisons sont citées bien davantage que le fait qu’aucune liste ne défend ou ne représente leurs idées (33%).
Cela signifie donc qu’une campagne qui mobilise les électeurs est une campagne qui parle de manière concrète de la vie des ceux-ci tout en ayant en parallèle une vision globale pour le pays.
Les enjeux prioritaires pour la gauche
Concentrons-nous maintenant sur les enjeux jugés prioritaires par les Français se positionnant à gauche de l’échiquier politique (graphique 2)2Vague 5 de l’Enquête électorale française, Ipsos pour la Fondation Jean-Jaurès, Le Monde, l’Institut Montaigne et le Cevipof, juin 2024..
Graphique 2. Les enjeux jugés prioritaires par les Français se positionnant à gauche du spectre politique
On le voit rapidement, deux enjeux sortent immédiatement du lot : la protection de l’environnement, cité par 40% des Français se considérant de gauche, et le pouvoir d’achat, cité par 18% des Français de gauche. Vient ensuite le niveau des inégalités (11%), suivi par une série d’enjeux jugés moins importants. De notre point de vue, c’est sur ces trois thématiques que la campagne de la gauche doit prioritairement se focaliser.
Néanmoins, cette stratégie globale doit tenir compte des spécificités locales, les 577 circonscriptions étant très différentes dans leur nature. Concentrons-nous sur les enjeux jugés prioritaires par les Français de gauche, mais selon, cette fois-ci, les caractéristiques de leur commune de résidence.
Graphique 3. Les enjeux jugés prioritaires par les Français se positionnant à gauche du spectre politique, en fonction de leur commune de résidence
Plusieurs points intéressants sont observables. D’une part, l’enjeu du pouvoir d’achat et celui de la protection de l’environnement suivent des dynamiques inverses. Alors que la protection de l’environnement est jugée prioritaire dans les communes rurales et dans les communes de plus de 200 000 habitants, le pouvoir d’achat est l’enjeu jugé prioritaire par les Français de gauche dans les communes intermédiaires, de 2 000 habitants à 200 000 habitants. D’autre part, il existe une réelle préoccupation pour les enjeux liés à la santé dans les communes de petite taille, qui est moins visible dans les grandes agglomérations. À l’inverse, la question des inégalités préoccupe beaucoup plus les Français habitant dans les grandes métropoles.
Regardons maintenant les principales préoccupations des Français de gauche, selon leurs niveaux de revenus (graphique 4).
Graphique 4. Les enjeux jugés prioritaires par les Français se positionnant à gauche du spectre politique en fonction du revenu mensuel net de leur foyer
À nouveau, des différences assez intéressantes sont constatables. La préoccupation pour l’enjeu environnemental augmente à mesure que le niveau de revenu croît. À l’inverse, et ce de manière assez logique, les préoccupations pour le pouvoir d’achat diminuent chez les hauts niveaux de revenus. Notons cependant que cet enjeu est jugé déterminant jusqu’à des niveaux de revenus élevés (3 500 euros par foyer et par mois). Indéniablement, l’enjeu du pouvoir d’achat doit être central dans les propositions mises en avant par les candidats de gauche. Enfin, la question des inégalités est plus prégnante chez les Français de gauche possédant un faible niveau de revenus, quand l’enjeu du système de santé est plus présent chez les revenus intermédiaires (2 000 à 2 500 euros par foyer et par mois).
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Abonnez-vousQuelles mesures concrètes mettre en avant ?
Pour résumer les points précédents, la stratégie idéale à mettre en œuvre pour la gauche dans ces quelques jours de campagne est la suivante :
- se focaliser sur quelques points programmatiques uniquement, en prenant bien en considération que le seul appel au barrage contre le Rassemblement national ne suffira pas. La mobilisation ne peut pas uniquement se faire contre l’extrême droite mais également pour des changements concrets sur des marqueurs de gauche ;
- mettre en avant des thématiques associant changements structurels et effets concrets sur le quotidien ;
- privilégier les thématiques environnementales dans les circonscriptions de grandes villes où les niveaux de revenus sont élevés ;
- privilégier les thématiques de pouvoir d’achat dans les circonscriptions des villes de taille plus modeste et là où les niveaux de revenus sont plus faibles ;
- ne pas négliger la défense des services publics, et notamment des services publics de santé dans les communes rurales.
- 1Européennes 2024, Sondage jour du vote, Ifop, 9 juin 2024.
- 2Vague 5 de l’Enquête électorale française, Ipsos pour la Fondation Jean-Jaurès, Le Monde, l’Institut Montaigne et le Cevipof, juin 2024.