Il y a un contraste entre une idée répandue selon laquelle l’innovation serait un privilège métropolitain et la réalité. En effet, malgré une forte concentration, les choses bougent en dehors des métropoles avec l’aide des organisations locales. Gwénaël Doré, consultant et chercheur associé à l’UMR SAD-APT, livre son analyse pour l’Observatoire de l’expérimentation et de l’innovation locales de la Fondation.
Introduction
On assiste, depuis les années 2000, à l’émergence de nouveaux lieux d’innovation, notamment au sens physique de la mutualisation de services au profit d’entreprises et de travailleurs. Des territoires s’équipent d’infrastructures et de services intégrés : tiers-lieux, espaces de cotravail (coworking), ateliers collaboratifs (fab labs), recherche ouverte en innovation (living labs), complétés par un dispositif d’animation et de services annexes (reprographie, restauration, etc.). Ces lieux peuvent être le support d’activités salariées, mais également de loisir, en particulier dans le cas des fab labs où des projets d’amateurs peuvent déboucher sur la mise en place d’activités nouvelles.
Alors que l’économie de l’immatériel connaît une croissance importante, on constate ainsi paradoxalement le développement de lieux physiques favorisant la coopération d’entreprises et de travailleurs. Ce phénomène rappelle que la globalisation n’abolit pas les contraintes de la proximité géographique. Ces espaces favorisent ainsi, parallèlement, des liens physiques et lointains, avec des interlocuteurs situés à distance, dans une logique de réseaux. De plus, les technologies de l’information et de la communication sont « des outils de transformation de la société et des territoires du fait des mutations qu’elles permettent dans les relations sociales (notamment comme outils collaboratifs) ou par l’acquisition d’un nouveau capital culturel » et social1Laurent Rieutort, « Des “tiers-lieux” à la campagne : quels univers de justification ? », Agrobiosciences, 5 janvier 2016..
Alors que les premiers tiers-lieux se trouvaient concentrés au sein des grandes agglomérations, ils intéressent de plus en plus des territoires ruraux et périurbains dans lesquels le télétravail est perçu comme une opportunité, singulièrement depuis l’épidémie sanitaire de la Covid-19 et une certaine émigration en dehors des métropoles. Ainsi, selon une enquête de l’association Tiers-lieux2Rapport France Tiers-Lieux 2021. Ce rapport constitue une mine d’informations détaillées sur l’état actuel des tiers-lieux en France., si la majorité des tiers-lieux se situait en 2018 dans les grands centres urbains, la tendance s’inverserait en 2021 avec 52% d’entre eux (sur 2 500) localisés en dehors des 22 métropoles administratives françaises.
Localisation des tiers-lieux repérées par l’association France Tiers-Lieux
Les différents dispositifs
Les tiers-lieux
La démocratisation des nouvelles technologies a contribué à l’apparition de nouvelles formes d’espaces publics regroupés sous le vocable de « tiers-lieux », traduit de l’anglais « Third Place »3Ray Oldenburg, The Great Good Place, New York, Marlowe & Company, 1991. et désignant un lieu intermédiaire entre le domicile et les lieux de travail habituels. Ce mot de « tiers-lieux » est souvent utilisé de façon générique pour parler des espaces physiques de rencontres : espaces de cotravail, fab labs, etc. Ils se développent avec des modèles économiques et des publics variés. Ils favorisent les interactions entre leurs usagers (travailleurs indépendants, artisans, créateurs d’entreprise, salariés, particuliers) et facilitent l’entraide, l’apprentissage mutuel, le travail collaboratif, la créativité, voire des projets communs. De façon apparemment contradictoire, ils promeuvent à la fois l’autonomie et la collaboration. Un exemple est le PROTO204 sur le campus universitaire d’Orsay, à proximité de Paris, comprenant des espaces de travail et une cafétéria pour faire se rencontrer étudiants et entrepreneurs dans un cadre propice à la création de projets.
On observe la multiplication des tiers-lieux : en 2018, 13 800 à travers le monde (multiplication par douze entre 2011 et 2017) et, en 2021, plus de 2 500 en France. En France, l’État a lancé en 2019 un programme intitulé « Nouveaux lieux, nouveaux liens », doté de 45 millions d’euros et visant à encourager 300 « fabriques de territoire », un dispositif pour accélérer leur développement dans les territoires par du soutien à hauteur de 75 000 euros à 150 000 euros sur trois ans. Ce programme a conduit à labelliser, en 2021, 218 « fabriques de territoire » dans des territoires ruraux et des quartiers prioritaires.
Alors que des collectivités territoriales avaient tenté en France, à partir des années 1990, d’encourager la mise en place de « télécentres4Le concept de « télécentre », apparu au cours des années 1980 et antérieur à l’émergence du phénomène de coworking, désigne des espaces de travail partagés entre plusieurs entreprises et/ou télétravailleurs pour favoriser le télétravail en partageant des équipements informatiques et de télécommunications dans des localités isolées. », l’émergence des tiers-lieux devrait plutôt son succès aujourd’hui à des dynamiques associatives. Depuis quelques années, plusieurs régions françaises affichent leur soutien : Nouvelle-Aquitaine (appel à projets), Occitanie (portail web), Île-de-France (objectif de 1000 tiers-lieux franciliens à l’horizon 2021), Hauts-de-France (aide financière aux intercommunalités), etc. Ce soutien repose sur l’octroi de subventions et d’aides en faveur des infrastructures (aménagement et équipements). Cependant, la dynamique d’un tiers-lieu repose tout d’abord sur un ancrage local et sur la fidélité d’une communauté d’usagers, bien avant le soutien financier public et la mise à disposition d’équipements.
Les espaces de cotravail
Le « cotravail » (coworking) désigne de façon spécifique des espaces de travail partagés, comportant souvent la présence de salles de réunion, d’équipements informatiques, d’espaces de convivialité et un programme d’animations régulières. Les utilisateurs sont souvent des travailleurs autonomes utilisant fortement les nouvelles technologies : des indépendants (souvent environ la moitié du public), des créateurs d’entreprise ou des salariés en télétravail. Ces espaces ont pour objectif de rompre l’isolement des personnes travaillant à domicile, de créer des échanges et des collaborations entre les membres et de limiter les déplacements domicile/travail. Ce type d’organisation regroupe ainsi deux réalités : un espace de travail partagé, mais aussi un réseau de travailleurs encourageant des échanges. L’idée est de permettre aux travailleurs autonomes de ne pas rester isolés et de trouver, dans ces lieux et ces réseaux, des espaces de socialisation comparables à ceux qu’on retrouve dans les entreprises.
Les espaces de cotravail sont nés à San Francisco en 2005. Aujourd’hui, on en dénombre près de 1 800 répartis sur les cinq continents, soit près de 760 en Europe et 120 en France. À titre d’exemple, NUMA a été créée à Paris en 2007 dans le but d’offrir un espace de travail collaboratif en réseau aux entrepreneurs et de constituer un accélérateur pour jeunes entreprises. Puis NUMA a essaimé dans plusieurs grandes villes françaises et dans le monde.
Au départ, ces espaces étaient loués ou rénovés par des collectifs associatifs. Depuis quelques années, cette mission a évolué, car les collectivités publiques ainsi que les grandes entreprises se sont emparées du phénomène afin de créer des écosystèmes locaux favorables à la création et à l’innovation.
Certaines régions françaises soutiennent ces démarches. Ainsi, la région Auvergne-Rhône-Alpes a signé en 2016 une charte de partenariat avec les espaces de cotravail, qui vise à les promouvoir au même titre que les structures publiques d’accompagnement à l’entrepreneuriat et à les homologuer autour de valeurs communes (accessibilité, ressources, collaboration, ouverture, connectivité et participation des membres).
Les fab labs
Les fab labs sont des lieux de production où des consommateurs usagers peuvent réaliser eux-mêmes des objets techniques répondant à leurs besoins. Le concept de fab lab, né d’une initiative du Massachusetts Institute of Technology (États-Unis), correspond à un lieu ouvert au public où sont mises à sa disposition toutes sortes d’outils (notamment des machines-outils pilotées par ordinateur) pour la conception et la réalisation d’objets, avec l’attrait d’usages récréatifs. Un fab lab permet souvent la mise en œuvre d’activités connexes, dont le cotravail.
Les fab labs reposent sur des mécanismes d’échange, de coopération, d’interdisciplinarité, d’apprentissage par la pratique, de faire « soi-même » (do it yourself) ainsi que sur des pratiques communautaires. Ils relèvent de l’économie collaborative dans le domaine de la production-réparation. Ouverts à tous, ils visent à faciliter les rencontres et le développement de méthodes innovantes par le croisement des compétences. Ils s’adressent aux entrepreneurs voulant passer plus rapidement de la phase de concept au prototype, ainsi qu’à tous ceux (designers, artistes, étudiants, bricoleurs, etc.) qui cherchent à réaliser des projets par eux-mêmes ou en collaboration avec d’autres, mais qui ne peuvent le faire chez eux ou dans leur lieu de travail. C’est un modèle d’innovation centré sur l’utilisateur.
En 2016, il existait 673 fab labs dans le monde, dont 82 en France, où les premières initiatives sont lancées à partir de 2009 dans de grandes villes. Par exemple, on trouve Artilect FabLab Toulouse en 2009, puis Ping, Nybi.cc et Net-iki en 2011, FacLab de l’université de Cergy-Pontoise, fab labs de Rennes, de Lannion et de Montpellier en 2012, La Casemate à Grenoble et Tektos dans le Calaisis. De multiples espaces publics numériques (EPN)5Destiné à l’accompagnement de tous les publics aux usages numériques, un espace public numérique (EPN) propose des activités d’initiation ou de perfectionnement variées et encadrées, par le biais d’ateliers collectifs et de plages réservées à la libre consultation., ou cyberbases, ouverts en France depuis la fin des années 1990, sont en train de se convertir en fab labs.
En juin 2013, le gouvernement français avait lancé un appel à projets intitulé « Aide au développement des ateliers de fabrication numérique », avec pour volonté d’inciter certains des 4 000 EPN existants à se convertir en fab labs. Le fonds devait financer une dizaine de projets à hauteur de 50 000 euros à 200 000 euros par projet. Sur les 154 projets déposés, 14 ont été retenus. Certains fab labs en France devaient par ailleurs trouver du soutien dans le cadre des 215 millions d’euros dédiés à la French Tech, label attribué vers 2015 par l’État à des pôles métropolitains reconnus pour leur écosystème de jeunes entreprises.
La mutualisation de services aux entreprises dans les lieux physiques
On constate de nombreuses expériences de mutualisation de services aux entreprises dans des lieux physiques : pépinières d’entreprises, locaux de première transformation, notamment en agroécologie (par exemple, Organic’ Vallée près de Toulouse), soutien à des entreprises culturelles (Archeomed à Arles ou Samoa à Nantes), développement numérique (SPN à Poitiers), mise à disposition d’infrastructures de maintenance pour des travaux d’infrastructures ferroviaires (Mecateamcluster au Creusot)…
Les living labs
Un living lab, ou « laboratoire vivant », est une méthode permettant de proposer des solutions émanant des usagers eux-mêmes dans l’objectif de tester en « grandeur nature » des services ou des usages nouveaux6Juan-Luis Klein et Bernard Pecqueur, Les Living labs. Une perspective territoriale, Paris, L’Harmattan, 2020.. C’est donc également un tiers-lieu, pas nécessairement dans un sens matériel, car une réflexion en mode living lab n’a pas besoin d’un lieu défini pour s’accomplir. Il s’agit avant tout d’un mode de pensée permettant de stimuler toutes les formes d’intelligence présentes sur le territoire (connaissances d’experts ou de savoirs profanes) : les échanges contribuent à la créativité en mettant sur un même plan les apports de tous types de contributeurs. Cette démarche facilite la participation citoyenne à la réflexion et la prise de conscience d’appartenance à un territoire, ce qui peut stimuler davantage la concertation.
Ce dispositif a été inventé à la fin des années 1990 au Media Lab du Massachusetts Institute of Technology, puis développé en Europe avec la création, en 2006, d’un réseau de living labs, le European Network of Living Labs (ENoLL) qui accorde la certification « Living Lab ». En 2017, on dénombrait plus de 370 living labs dans près de quarante pays7Arnaud Scaillerez et Diane-Gabrielle Tremblay, « Travailler et collaborer autrement : les espaces de coworking, une approche apparentée aux communautés de pratique », in Gerhard Krauss et Diane-Gabrielle Tremblay (dir.), Tiers-lieux. Travailler et entreprendre sur les territoires : espaces de coworking, fablabs, hacklabs…, Rennes et Québec, Presses universitaires de Rennes et Presses universitaires du Québec, 2019..
Des exemples en France : des lieux d’innovation non réservés aux métropoles
Nous avons observé diverses expériences en France8Cette enquête a été réalisée dans le cadre d’un projet porté par l’association nationale France Clusters. Les monographies sont consultables sur le site de France Clusters. :
- de clusters, caractérisés par une offre de services matérialisée dans un lieu physique : Mecateamcluster, Archeomed, Samoa, Silver Innov’ et SPN ;
- d’initiatives portées par des collectivités territoriales, organisées à une échelle intercommunale et visant la coopération interentreprises : L’Inkub et Tremplin Entreprises ;
- d’initiatives émanant d’acteurs privés et soutenues par du financement public : 8 FabLab (SCIC) et Organic’ Vallée.
Les cas étudiés
Cas | Localisation et nombre d’habitants | Fonction |
Archeomed (Arles) | Arles (Communauté d’agglomération : 83 561) | Soutien à des entreprises culturelles |
L’Inkub (Nevers) | PETR (117 117), Bourgogne | Développement numérique |
Mecateamcluster (Creusot) | Creusot Montceau (Communauté urbaine : 94 210), Sud Bourgogne | Accès à des infrastructures |
Organic’ Vallée (Lauragais) | Lauragais (100 000), Est de Toulouse | Locaux de première transformation et d’agroécologie |
Tremplin Entreprises (Pays de Bruche) | Pays à l’ouest de Strasbourg (103 838), Mutzig (5 864) | Pépinière d’entreprises |
Samoa (Nantes) | Métropole (609 198), capitale de Région | Soutien à des entreprises culturelles |
Silver Innov’ (Val-de-Marne) | Département du Val-de-Marne (1 396 913) | Pépinière d’entreprises |
SPN (Poitiers) | Poitiers (Communauté d’agglomération : 138 759), ex-capitale régionale | Développement numérique |
8 FabLab (Crest) | Crest (8 181), Communautés de communes Val de Drôme (30 000) et Pays de Saillans (14 748) | Fab lab |
Dans les cas étudiés, le nombre d’adhérents varie de 90 à 280 entreprises. Le nombre d’entreprises accueillies est de 15 à 180 entreprises. Le personnel mobilisé reste faible (en moyenne 4-5 salariés), atteignant exceptionnellement 10 personnes, notamment dans le cas d’hébergement d’entreprises.
Le montant des investissements peut atteindre 27 millions d’euros, mais s’avère souvent modeste. Le montant du fonctionnement, représenté essentiellement par les salaires, s’établit en moyenne entre 270 000 euros et 400 000 euros. Les subventions proviennent en général de la collectivité territoriale (ville ou intercommunalité), de la région et de l’Europe et parfois de l’État (Programme d’investissement d’avenir, appels à projets fab lab ou Pôle territorial de coopération économique).
Ces lieux d’innovation sont engagés dans la recherche d’un équilibre budgétaire basé sur une augmentation du financement privé, en recourant à une participation des entreprises usagères du service apporté, notamment location du lieu et des infrastructures mises à disposition.Toutefois, ils nécessitent un soutien durable des collectivités publiques pour atteindre un équilibre budgétaire, en particulier pour assurer des tâches d’animation. Le rôle de l’action publique locale apparaît important, surtout dans les villes petites et moyennes :
- les communes interviennent plutôt au niveau de l’investissement et de l’amorçage ;
- les intercommunalités au niveau du maillage ;
- les départements au niveau du soutien à l’ingénierie ;
- et les régions en termes de mise en réseau.
Ces espaces sont parfois considérés comme de nouveaux services publics, dans la continuité du soutien des pépinières d’entreprises, qui prennent en compte les transformations contemporaines des modes de travail.
Les lieux d’innovation étudiés se situent en territoire rural (3), dans une ville moyenne (3) ou en métropole (3). Ils se généralisent dans les villes moyennes et petites qui animent l’espace rural et constituent souvent un pont entre des villes secondaires et des métropoles, généralement au niveau des intercommunalités.
Ces lieux ne sont donc pas réservés qu’aux métropoles9Sur le rapport des métropoles aux autres territoires : voir Gwénaël Doré, Hors des métropoles, point de salut ? Les capacités de développement des territoires non métropolitains, Paris, L’Harmattan, 2017. : ils sont vus par les territoires comme un outil de fixation des travailleurs et de support à la création d’activités locales. Ces espaces peuvent être perçus comme des outils de régénération des territoires, y compris dans de toutes petites villes10Exemples de Murat (Cantal : 1855 habitants) ou d’Arvieu (Aveyron : 813 habitants), dernier cas présenté dans « POPSU Territoires, consacré aux petites villes »., et en réduisant les distances avec les lieux de travail, ils sont susceptibles d’offrir une opportunité pour des territoires orientés vers l’économie résidentielle de se diversifier. Ils favorisent également l’action contre la désertion des centres-villes, en réoccupant des surfaces commerciales vacantes.
La diffusion de ces espaces au-delà des grands centres urbains, permise par les transformations technologiques, favorise aujourd’hui l’émigration en dehors des métropoles en correspondant à de nouvelles aspirations sociétales : recherche d’un mode de vie plus doux, tendances à l’individuation, désir de travailler autrement, etc.
Conclusion
In fine, les cas étudiés permettent de dégager trois principaux enseignements :
- les cas qui fonctionnent le mieux reposent sur la mutualisation de différents moyens. Les projets les plus convaincants sont basés sur la mise à disposition de différents outils et s’ouvrent au maximum aux collaborations et aux expériences, sans trop d’exclusivités ;
- ces lieux ne peuvent s’abolir de la contrainte de financement, en particulier pour l’animation, d’autant plus quand ils présentent différentes facettes et s’adressent à divers publics ;
- les projets qui fonctionnent le mieux sont partie prenante de la stratégie de développement d’un territoire.
Les cas étudiés soulignent que ces tiers-lieux constituent de nouvelles formes d’innovation faisant appel à des déterminants hybrides entre les formes traditionnelles de travail et de loisir et mêlant les savoir-faire des professionnels à ceux des usagers. Cette collaboration repose sur la constitution d’une dynamique forte portée par des acteurs privés bénéficiaires, sur la création de synergies, sur la mise en place de projets collaboratifs et sur la nécessité de penser la solution avec l’ensemble des parties prenantes. Ces espaces apparaissent ainsi comme des lieux d’intermédiarité multiple11 Clément Marinos et Guy Baudelle, « L’émergence des tiers-lieux hors métropoles en Bretagne : une lecture par les profils et trajectoires de leur fondateur », dans Gerhard Krauss, Diane-Gabrielle Tremblay (dir.), Tiers-lieux. Travailler et entreprendre sur les territoires : espaces de coworking, fablabs, hacklabs…, op. cit. : leurs fondateurs ne sont ni des débutants ni des cadres expérimentés, ces lieux permettent de mettre en lien les acteurs avec les administrations et la localisation de ces espaces permet de jouer un rôle intermédiaire avec les niveaux supérieurs de l’armature urbaine. Généralement, la réussite de ces expériences repose fortement sur l’encastrement social lié au profil des fondateurs et des membres, ce qui permet l’accès à des ressources et à des informations et détermine ses performances.
Toutefois, l’attrait des espaces de cotravailapparaît davantage lié aux ressources matérielles qu’à la recherche de collaboration avec les autres membres. Contrairement à l’idée selon laquelle ces espaces permettraient, d’abord, de casser l’isolement des travailleurs indépendants, ces communautés peuvent favoriser en réalité l’entre-soi12Basile Michel, « Le coworking, entre ouverture et fermeture des espaces associatifs et communautaires », Réseaux, vol. 214-215, n°2-3, 2019. et s’accompagner de peu de collaborations ponctuelles entre les membres13Gerhard Krauss et Diane-Gabrielle Tremblay (dir.), Tiers-lieux. Travailler et entreprendre sur les territoires : espaces de coworking, fablabs, hacklabs…, op. cit.. Ce qui est vrai à l’échelle locale ne l’est cependant pas forcément à une échelle plus large : une collaboration peut se faire dans le cadre de réseaux relativement fermés à un niveau suprarégional (la proximité organisée l’emporte alors sur la proximité spatiale).
Par ailleurs, on ne saurait passer sous silence les risques de fragilisation des statuts du travail et de précarisation qui peuvent être rendus possibles par ces nouvelles formes d’organisation du travail, d’où l’importance de leur adossement à des cadres de sécurisation tels que, par exemple, les « Coopératives d’activité et d’emploi » (CAE)14Voir fiche CAE dans Gwénaël Doré, Dictionnaire des pratiques locales alternatives, Lyon, Chronique sociale, 2021 : les coopératives d’activité et d’emploi (CAE) accompagnent les porteurs de projet pour leur activité, en leur proposant le statut « d’entrepreneur-salarié » : le porteur de projet agit de manière autonome pour trouver ses clients et accomplir ses prestations, mais est lié par un contrat de travail avec la CAE. Les CAE ont vu leur statut précisé en France par la loi du 31 juillet 2014 sur l’économie sociale et solidaire..
La crise sanitaire a souligné le rôle essentiel des tiers-lieux comme activateur de cohésion sociale, de résilience territoriale15Divya Leducq, « Les espaces de coworking : des instruments de résilience territoriale pour l’après Covid ? », Netcom, vol. 35, n°1-12, 2021. et de relocalisation des activités. Selon le rapport 2021 de France Tiers-lieux, « neuf tiers-lieux sur dix se sont mobilisés dans des actions de solidarité dès le mois de mars 2020, en particulier aux côtés des makers pour fabriquer et distribuer du matériel médical ».
Comme l’observe enfin ce même rapport, ces lieux « constituent une réponse à une aspiration forte des Français à un cadre de vie moins urbain et à réduire les temps de trajet entre domicile et travail ». Par conséquent, dans les années qui viennent, « la capacité à accueillir les actifs dans des lieux de travail adaptés sera une question centrale pour les territoires ».
- 1Laurent Rieutort, « Des “tiers-lieux” à la campagne : quels univers de justification ? », Agrobiosciences, 5 janvier 2016.
- 2Rapport France Tiers-Lieux 2021. Ce rapport constitue une mine d’informations détaillées sur l’état actuel des tiers-lieux en France.
- 3Ray Oldenburg, The Great Good Place, New York, Marlowe & Company, 1991.
- 4Le concept de « télécentre », apparu au cours des années 1980 et antérieur à l’émergence du phénomène de coworking, désigne des espaces de travail partagés entre plusieurs entreprises et/ou télétravailleurs pour favoriser le télétravail en partageant des équipements informatiques et de télécommunications dans des localités isolées.
- 5Destiné à l’accompagnement de tous les publics aux usages numériques, un espace public numérique (EPN) propose des activités d’initiation ou de perfectionnement variées et encadrées, par le biais d’ateliers collectifs et de plages réservées à la libre consultation.
- 6Juan-Luis Klein et Bernard Pecqueur, Les Living labs. Une perspective territoriale, Paris, L’Harmattan, 2020.
- 7Arnaud Scaillerez et Diane-Gabrielle Tremblay, « Travailler et collaborer autrement : les espaces de coworking, une approche apparentée aux communautés de pratique », in Gerhard Krauss et Diane-Gabrielle Tremblay (dir.), Tiers-lieux. Travailler et entreprendre sur les territoires : espaces de coworking, fablabs, hacklabs…, Rennes et Québec, Presses universitaires de Rennes et Presses universitaires du Québec, 2019.
- 8Cette enquête a été réalisée dans le cadre d’un projet porté par l’association nationale France Clusters. Les monographies sont consultables sur le site de France Clusters.
- 9Sur le rapport des métropoles aux autres territoires : voir Gwénaël Doré, Hors des métropoles, point de salut ? Les capacités de développement des territoires non métropolitains, Paris, L’Harmattan, 2017.
- 10Exemples de Murat (Cantal : 1855 habitants) ou d’Arvieu (Aveyron : 813 habitants), dernier cas présenté dans « POPSU Territoires, consacré aux petites villes ».
- 11Clément Marinos et Guy Baudelle, « L’émergence des tiers-lieux hors métropoles en Bretagne : une lecture par les profils et trajectoires de leur fondateur », dans Gerhard Krauss, Diane-Gabrielle Tremblay (dir.), Tiers-lieux. Travailler et entreprendre sur les territoires : espaces de coworking, fablabs, hacklabs…, op. cit.
- 12Basile Michel, « Le coworking, entre ouverture et fermeture des espaces associatifs et communautaires », Réseaux, vol. 214-215, n°2-3, 2019.
- 13Gerhard Krauss et Diane-Gabrielle Tremblay (dir.), Tiers-lieux. Travailler et entreprendre sur les territoires : espaces de coworking, fablabs, hacklabs…, op. cit.
- 14Voir fiche CAE dans Gwénaël Doré, Dictionnaire des pratiques locales alternatives, Lyon, Chronique sociale, 2021 : les coopératives d’activité et d’emploi (CAE) accompagnent les porteurs de projet pour leur activité, en leur proposant le statut « d’entrepreneur-salarié » : le porteur de projet agit de manière autonome pour trouver ses clients et accomplir ses prestations, mais est lié par un contrat de travail avec la CAE. Les CAE ont vu leur statut précisé en France par la loi du 31 juillet 2014 sur l’économie sociale et solidaire.
- 15Divya Leducq, « Les espaces de coworking : des instruments de résilience territoriale pour l’après Covid ? », Netcom, vol. 35, n°1-12, 2021.