Présidentielle : les indécis du dernier jour

Cette élection est celle des indécis. De leur vote dépendra l’issue de l’élection. Clément Abélamine et Guillaume Caline dressent un dernier état des lieux, à quelques heures du premier tour, pour l’Observatoire de l’opinion de la Fondation Jean-Jaurès.

Pour suivre les dynamiques des indécis, pas toujours visibles dans les intentions de vote, nous avons tout au long de la campagne analysé les hésitations du corps électoral à travers un outil inédit construit à partir des probabilités de vote. Dans quelle mesure les électeurs pensent-ils voter pour chaque candidat ? Les choix étaient au nombre de quatre : « certain », « possible », « peu probable » ou « exclu ». Ces questions ont été posées depuis janvier 2017 dans les enquêtes Kantar Sofres-Onepoint pour Le Figaro, RTL et LCI. Elles permettent de distinguer les cœurs d’électorat de chaque candidat des réserves de voix potentielles constituées d’électeurs balançant entre plusieurs votes possibles.

On peut ainsi distinguer dix électorats différents.
 

Les évolutions de ces groupes permettent de retracer les dynamiques de la campagne. Elles ont d’abord montré, pour les cœurs d’électorat des quatre principaux candidats :

  • Une érosion nette du noyau dur de Marine Le Pen. De 19% en janvier, il termine à… 10%. Un certain nombre d’électeurs qui n’envisageait qu’elle il y a quelques mois pourraient désormais être tentés par d’autres candidats : Jean-Luc Mélenchon, Emmanuel Macron ou même François Fillon. La fin de campagne s’avère difficile pour elle.
  • Emmanuel Macron a été le seul dont le cœur d’électorat s’est réellement consolidé et élargi : 11% en janvier, 13% en février, 16% en mars, 18% aujourd’hui. Il a, aujourd’hui, le socle le plus solide. Ce qui lui confère indéniablement un avantage.
  • François Fillon a été, tout au long de la campagne, le « candidat isolé ». Un noyau très mobilisé, oscillant autour de 13-14%… mais seul. Hormis ce socle, il a eu très peu de réserves : presque aucun groupe d’indécis n’envisageait de voter pour lui, sauf en toute fin de campagne où réapparaissent des électeurs hésitant entre lui et Marine Le Pen.
  • Celui de Jean-Luc Mélenchon a progressé, passant de 10% en janvier à 13,5%. Mais il n’y a pas eu de cristallisation réelle suite à sa poussée. Ses « nouveaux électeurs » restent ainsi assez volatils et pourraient bien, s’il ne trouve pas à les retenir, retourner pour partie à d’autres votes.

Autre évolution notable de la campagne : il est devenu de plus en plus difficile de trouver un « cœur d’électorat » attaché à Benoît Hamon. Au point que ses électeurs se fondent aujourd’hui avec les indécis de gauche représentant 10% de l’électorat. Ces Français expriment un potentiel de vote fort pour Benoît Hamon, mais non exclusif : ils sont aussi tentés par un vote Mélenchon ou Macron. La tentation du vote utile y est présente. Est-ce encore un cœur d’électeurs ou un groupe d’indécis ? Dans tous les cas, Benoît Hamon n’a pas réussi à construire un socle protecteur. Son vote reste friable.

Deux groupes d’hésitants ont particulièrement marqué les dynamiques de cette campagne :

  • Le plus significatif a été un groupe d’« indécis tendance anti-système », qui a hésité d’abord entre tous les candidats, puis progressivement entre Marine Le Pen et Emmanuel Macron seulement. De 8%, ce groupe s’est peu à peu résorbé à 4,5%. Ces électeurs sont dans une logique de renversement des cadres, mais hésitent entre deux façons de le faire… Ils sont un peu plus jeunes, plus féminins, et souvent plus ouvriers/employés que la moyenne. Et semblent, de plus en plus, pencher vers un vote Macron – expliquant notamment la consolidation de son socle, et l’érosion de Marine Le Pen.
  • Un groupe plus récent d’« indécis Le Pen-Mélenchon », arrachés au socle de Marine Le Pen, qui a porté la percée de Jean-Luc Mélenchon (6%). Après avoir été fortement tentés par ce dernier, ils semblent toutefois aujourd’hui revenir vers Marine Le Pen, comme si leur escapade vers La France insoumise ne les avait pas totalement convaincus.

Enfin, deux groupes d’indécis paraissent stratégiques dans cette toute fin de campagne :

  • Un groupe de « vrais indécis » représentant 7% de l’électorat. Plus jeunes que la moyenne, exprimant peu de sympathies partisanes, ces Français viennent de se projeter dans l’élection à quelques jours du choix. Ils ne sont cependant pas certains de voter : ils n’expriment de probabilité de vote forte pour personne – au mieux, moyenne. Ils penchent pour les candidats les plus visibles : Emmanuel Macron, jean-Luc Mélenchon, un peu François Fillon, moins Benoît Hamon. Avec une particularité très notable : ils sont rétifs à Marine Le Pen. Ce sont, potentiellement, des recrues du vote utile qui pourraient aller aux urnes soutenir le meilleur candidat pour éviter Marine Le Pen.
  • Un nouveau groupe a surgi ces derniers jours, des « indécis Le Pen-Fillon » arrachés au socle de Marine Le Pen (5,5%). Leur profil-type : des sympathisants Les Républicains tentés par le FN, penchant vers Marine Le Pen mais n’excluant pas, in fine, de revenir vers François Fillon. Une bataille se joue là, Marine Le Pen a senti le danger et durci son discours. Elle garde de l’avance et François Fillon devra pour les convaincre aller les chercher loin, au risque de se couper du dernier groupe venu d’indécis rétifs au FN. La tâche sera d’autant plus délicate que ces « indécis Le Pen-Fillon » hésitent aussi avec… Nicolas Dupont-Aignan.

Ces groupes d’hésitants, représentant toujours, à quelques jours du vote, plus du quart des électeurs, détiennent les dernières clés de l’élection. Mais leurs hésitations ne sont pas équivalentes… et l’on décèle, avec cette méthodologie, les principales dynamiques.

 

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